a wolf in geek's clothing (lilas)

Lilas, c’était un peu comme le meilleur des deux mondes. Le meilleur d’un homme et le meilleur d’une femme, ce qui faisait d’elle, à mes yeux, un être humain exceptionnel. Je m’entendais tellement bien avec elle, on pourrait partir sur des délires dont nous étions les seuls à avoir l’accès. Nous pouvions nous comprendre en un seul regard échangé, ce qui facilitait la chose quand nous avions des commentaires négatifs à passer sur des personnes présentes à nos côtés. Lilas et moi, c’était une amitié bien unique, on se disait pas mal tout ce qui nous passait par la tête, des choses les plus intimes aux choses les plus loufoques. On se promenait en pyjama dans les rues si on en avait envie, s’en foutant bien du regard des autres, au fond. J’avais bien trop longtemps laissé les autres me dicter ma vie, ma façon d’être, maintenant je ne les laissais plus me marcher sur les pieds. Ce sentiment s’était renforcé quand j’avais rencontré Lilas, et qu’on s’était lié d’amitié. Elle était une tête forte, elle était libre. Ça m’avait toujours impressionné chez elle, et j’avais décidé que je voulais lui ressembler un peu plus pour ça. Et elle m’avait aidé à le faire, aussi. À me détacher de mes chaînes du passé.

Ce soir, je venais de commander notre troisième pichet de bière. Autant vous dire qu’on était tous les deux un peu réchauffés, déjà. Mais on n’avait jamais vraiment de fond, elle et moi. Lilas était un peu la seule avec qui je me laissais aller à l’excès, de temps en temps. Je faisais toujours tellement attention à ce que je mangeais et à ce que je buvais, de peur de redevenir dans la condition physique dans laquelle j’étais il y avait dix ans de cela. Mais Lilas me faisait sentir différent, comme si je n’avais rien à prouver à personne. Alors avec elle, rien qu’avec elle, je m’abandonnais un peu selon mes envies. Bref, je posai mon verre de bière alors que c’était à mon tour de jouer durant notre partie de billard. Je frappai la boule blanche et deux boules pleines, la rouge et la jaune, rentrèrent dans les trous. Je me relevai, tout fier de mon coup. « Essaie de battre ça, Lil’ Mart. » Petit surnom affectueux que j’affectionnais énormément. Il ne me restait que deux balles à rentrer. On faisait un deux de trois, et c’était notre deuxième. J’avais déjà gagné la première. Si je gagnais celle-là, je gagnais tout court. Mais Lilas était capable de se revirer de bord en claquant des doigts, si elle le voulait. Elle était géniale comme ça. Alors ce n’était pas gagné d’avance.

Concho était un peu mon ancre dans cette ville. Certes, il était plus âgé de quatre ans que moi mais j’avais l’impression qu’au niveau mentalité, nous étions égaux. Je l’avais rencontré à peine arrivée en ville. J’avais toujours eu du mal à me lier avec mes pairs. Je les trouvai fade, sans intérêt. Mais sous les conseils de ma psychologue, j’étais allée vers les autres pour une fois. Je ne savais pas trop comment faire, alors je suis tout simplement restée moi-même. Une demoiselle de 23 ans qui cachait son intelligence aux yeux du monde ainsi que sa folie. Ma folie était celle d’un sociopathe. J’avais du mal à évoluer en société. A avoir des relations normales avec les autres. Je ne discernai pas le bien du mal et je me demandai encore comment je faisais pour paraitre chaleureuse avec le peu de personnes que j’avais dans mon entourage. Entourage dont Conchobàhr faisait partie. Avec un prénom imprononçable, je l’appelai Poncho pour réduire. Un surnom. Il était le seul avec Ligan. A en avoir un. Et c’est ainsi que j’ai su que lui et moi, on serait un peu comme les mousquetaires mais au nombre de deux et que je serai prête à prendre quelques risques pour mon ami.

Ma bière à la main, la queue de billard dans l’autre, je le regardai jouer avec dextérité tandis que mon cerveau de surdouée calculait la bonne trajectoire pour lui flanquer la raclée de sa vie. Je lui souris tandis qu’il se tournait fièrement vers moi. Il en faut peu aux hommes pour qu’ils se sentent de nouveau gonflés de testostérone et un peu mieux dans leurs peaux. Je posai alors mon pichet pour jouer et ainsi prendre l’avantage. Bien sûr, je savais que je devais le laisser gagner pour son ego masculin et aussi parce que je tenais à mon ami. Mais il ne fallait pas que je lui mâche le travail. « Et vlan, prends ça Poncho ! » Je lui souris de toutes mes dents. « Alors comment ça avance avec ta rouquine ? Faute de m’avoir moi, femme parfaite, tu t’es rabattue sur une autre de mes semblables. Je ne sais pas si je dois me sentir honorée ou offensée franchement. » Je ris de bon cœur avant de lui laisser la place. Pour me baisser et souffler à son oreille, histoire de le déconcentrer.

Pendant que c’était au tour de Lilas de jouer, je m’accoudais à la table ronde tout près de notre table billard, et je buvais de bonnes gorgées de ma pinte de bière. Je ne savais même plus combien de verre j’avais bu depuis le début de la soirée, mais notre troisième pichet tirait déjà à sa fin, et j’avais le corps qui se faisait un peu plus léger, déjà. Ce qui n’était pas très bon pour mon jeu, soit dit en passant. Déjà que je savais que Lilas était assez douée dans le calcul de ses angles de frappe, il ne fallait pas qu’en plus je laisse l’alcool me désorienter. Je n’étais pas compétitif au point de devenir mauvais perdant en cas de défaite, mais tout de même, j’aimais bien gagner. Je la regardais tout en plissant les yeux afin de bien voir où ses balles allaient au moment où elle tira. Je soupirai en voyant ses boules rentrer dans les trous. « Ouais, ouais, pas mal, pas mal, Lil’ Mart. Mais t’as pas encore vu de quel bois je me chauffe. » Avais-je dit, m’avançant vers la table en titubant juste un peu. Je n’étais pas ivre, mais j’avoue que j’avais un peu de mal à marcher droit, pour le coup. Faut dire, le projet que je préparais pour mon organisme avec Ally et Eleanor me prenait pas mal de temps, et je passais bien des soirées à travailler sur toute l’organisation et la recherche d’artistes. Je repris ma queue et je m’apprêtais à me placer quand Lilas me demanda comment ça se passait avec ma rouquine, ne manquant pas de faire allusion à sa propre chevelure. Je rigolai. « Mais tu devrais te sentir honorée, ô grande Lilas. Je suis avec elle dans le seul but de pouvoir m’imaginer être auprès de toi … » Je continuai de rire. C’était n’importe quoi. « Non, sérieusement, ça avance. On n’arrête pas de se voir depuis qu’on est revenu de notre périple au nord du Queensland. J’crois que … j’crois que j’suis vraiment en train de tomber amoureux, là. » Déclarais-je, le disant pour la première fois à quelqu’un d’autre. Bien des gens s’en doutaient, Ally forcément aussi elle-même. On ne se cachait pas trop, en fait. Mais quand même, de le dire, là, à voix haute et à quelqu’un dont j’étais très proche, c’était tout un pas de géant. « Et toi, Lilas ? T’as des histoires croustillantes ? » Demandais-je à mon amie. En espérant ne pas entendre parler de l'autre, là. Mon cousin.