take care of me -r.

Tu avais pris la fuite, tu t'étais carapaté. Tu avais déjà pris assez de coups comme ça, tu encaissais plutôt bien, mais tu devais admettre qu'elle avait eu beaucoup plus de force que ce à quoi tu t'attendais. Une vrai furie. Tu l'avais cherché, tu l'avais mérité même. Mais tout de même, elle t'avais sacrément amoché sur la fin. Tu devais avoir le nez pété, un œil au beurre noir, et peut-être une côte enfoncée. Elle n'y était pas allée de man morte, c'était la moindre des choses que tu pouvais dire. Tu titubais un peu tellement tu étais sonné par tous ces coups, te demandant même comment tu avais pu arriver à l'hôpital encore conscient. Mais perturbé, puisque tu n'avais pas réussi à te concentrer sur toi, pour compter tes pas, pour savoir combien tu en avais fait depuis la sortie du taxi. C'était fatiguant de devoir compter, fatiguant de devoir s'inquiéter si tu étais sur un nombre impair. Tu te sentais presque léger pour une fois de ne pas te soucier de ça, peut-être parce que tu t'inquiétais plus de ta santé que de ton mental. Tu n'avais pas la force de lutter contre toi-même. Tu voulais juste mettre ça de côté et aller te faire panser. Fermer les yeux et te reposer un peu. Peut-être même plus vite que prévu puisqu'à peine la porte passée, tu te posais sur une chaise, sans savoir si tu pouvais vraiment te mettre là, et tu fermais les yeux.

Deuxième semaine à Bowen. Deuxième semaine de travail à l'hôpital. Heureusement, pas encore de boulettes. On t'a même dit que tu faisais du bon boulot, t'es rassurée, tu es sortie de l'école, tu ne savais pas ce que tu valais, finalement, ces années d'études et de stages ont payées. Ouf. Ce soir, tu es de garde. Encore. Vous vous les partagez mais ça fait deux semaines que tu te fais légèrement entuber et que tu te retrouves avec plusieurs gardes. En fait, t'es surtout trop gentille, un collègue t'a demandé d'échanger pour qu'il puisse sortir avec sa femme et comme t'es vraiment sympa et que tu veux te faire accepter et bien... tu as accepté de switcher les gardes. Donc tu te retrouves un samedi soir, au boulot. Tu es à peu près seule, quelques infirmières de garde également. Un homme rentre, enfin tu ne le vois pas, ce sont les infirmières qui t'avertissent. Tu trottines vers la chaise sur laquelle il s'est effondré. Il n'a pas l'air bien. Tu lui adresses la parole Monsieur ? Monsieur, vous m'entendez ? On va vous déplacer. On s'occupe de vous, tout ira bien. Tu fais signe aux infirmières et elles t'aident à le placer sur un brancard, direction une salle d’auscultation.

Tu ne savais pas comment tu t'étais retrouvé là, mais tu étais bien content de l'avoir fait. Pourtant, ça semble être le calme plat, un peu étrange pour un hôpital de ne pas être en panique. Ce n'est jamais présenté comme ça dans les séries que tu avais pu regarder à la télévision. C'était presque silencieux. Tu t'étais assis sur une chaise tenant toujours ton t-shirt sur ton nez. C'était une belle pourriture cette fille, et tu devais avouer qu'elle t'impressionnais, tu ne pensais pas qu'elle irait jusque là. Une main se posait sur ton épaule et tu entends quelqu'un te demander si tu vas bien. Tu grognes légèrement pour lui faire entendre que tu l'avais entendu. Tu n'arrivais juste pas à dire quoique ce soit. On t'installait sur un brancard et tu sentais ton cerveau respirer à nouveau. Enfin façon de parler quoi, il devait juste manquer d'oxygène avec le sang que tu perdais à cause de ton nez. « Je.. J'ai juste la tête qui me tourne un peu. » articulais-tu de manière difficile, comme si les mots mettaient deux minutes à te venir en tête. Deux minutes pour trouver chacun de tes mots, en essayant de te concentrer sur ce que tu voulais dire, malgré le bourdonnement insistant dans tes oreilles.  Tu fermais les yeux que tu tentais vainement d'ouvrir. Tu n'avais que tes oreilles pour comprendre ce qu'il se passait. De façon logique, on allait te panser un peu, et te donner des anti-douleurs. Te mettre dans une chambre pour te reposer et t'interroger lorsque tu serais réveillé. Encore, fallait-il que tu te réveilles.

Tout est calme, puis le bipbipbip incessant de ton bipeur qui t'annonce un patient, tu trottines à travers le hall. Un jeune homme qui saigne et qui a l'air mal en point, comme s'il venait de se faire tabasser. Avec l'aide des infirmières, tu le mets sur un brancard et direction la salle d'observation. Il balbutie quelques mots, d'une voix pâteuse et peu sûre. Ok, mal de tête. Vu son état, une radio serait une bonne chose. Une fois arrivés dans la salle, tu l’auscultes, tu ouvres ses yeux et vérifie le réflexe oculaire à l'aide de la petite lampe de poche que tu trimballes partour, tu nettoies le sang qui a coulé le long de son visage et vérifies que le nez n'est pas cassé en le bougeant. Tu palpes son corps couvert d'hématomes, son ventre, à la recherche d'une potentielle cause brisée. Les infirmières tournent autour de toi, pansant ses blessures superficielles.

Tu avais fermé les yeux une seconde. Peut-être deux, et voire plus en fait. Tu n'avais plus de vraies notions de temps. Les secondes étaient des heures, les minutes des secondes ou parfois des jours. Tu ne savais plus rien. Tu avais juste une douleur qui te lançait dans le nez lorsqu'elle posait sa main dessus pour l’ausculter. Tu aurais crier si tu avais eu la force, pour lui dire que ça te faisait mal. Que c'était douloureux et qu'elle y allait peut-être un peu fort. Tu serais passé pour une chochotte mais tu n'aurais qu'à péter le nez de la première personne qui oserait pour voir si elle ne se plaindra pas de la douleur. C'était peut-être radical, mais au moins, ça ferait passer le message. Lorsque tu ouvrais les yeux, tu voyais tout de manière floue, tu clignais des yeux pour essayer de distinguer les formes et les faire apparaître plus claires mais ça ne semblait pas fonctionner ainsi. « Chui où ? » Ton accent ressortait plutôt bien là. Tu ne savais pas si c'était du fait que tu étais plus ou moins shooté, si c'était la douleur, ou l'impression qu'on frappait ton crâne à coup de marteau, mais tu étais pas mal sonné là. Tu n'avais pas encore compris que tu te trouvais à l’hôpital, tu avais même oublié que tu étais venu ici tout seul.

Te voilà en salle d'observation, en compagnie d'un jeune homme bien amoché. Enfin jeune homme, il doit certainement être plus vieux que toi, mais boooon, on va faire comme si. Tu n'aimes pas avoir des patients plus jeunes que toi, en général, on ne te prend pas bien au sérieux. Mais lui vu son état, il a pas grand chose à voir ! Tu lui tâtes le nez, et vu le bruit, son angle, à quel point c'est gonflé,... il est cassé. Pour ça tu ne sais pas trop quoi faire, un nez cassé, ce n'est pas comme un bras cassé, on ne sait pas mettre de plâtre. Il a le nez cassé, savez-vous le bandager s'il vous plait? tu t'adresses aux infirmières, et ce avec respect et gentillesse. Tu n'est pas de ces médecins qui se pensent meilleur que les infirmières parce que tu es toubib. Tu sais que sans elles, vous n'êtes pas grand chose en salle d'op. Tu continues ton examen, et tu tâtes ses cotes. Tu en sens une en sale état, surement cassée. Soudain, une voix s'élève avec un accent que tu ne saurais définir. Tu n'as jamais quitté l'Australie, alors bon, les autres pays et accents... Vous êtes à l'hopital, on s'occupe de vous. Tu lui presses l'épaule doucement, pour le réconforter. On va vous faire des radios, je pense que vous avez une cote endommagée. Sans en dire plus, une fois le nez bandé, vous allez en salle de radios, en roulant le lit à travers l'hopital.

Tu émerges, comme un sous-marin. C'était une façon de voir les choses, mais tu avais la vision trouble, la gorge sèche et un mal de crâne à te faire exploser la tête. Tu avais l'impression d'avoir perdu connaissance, de ne pas savoir où tu étais. Et les bips incessants des machines n'étaient pas pour t'aider. Tu demandais où tu te trouvais et rapidement une voix douce parvenait à tes oreilles. L'hôpital, donc. C'était marrant comment tu n'avais pas vraiment le souvenir d'être arrivé là. Elle te détaillait les dégâts, tu sentais le bandage sur ton nez, et maintenant, une côté enfoncée voire cassée. Merci Aino. « Elle a une sacrée force, et une sacrée droite aussi. » ajoutais-tu sur le ton de la plaisanterie. Même si rire te faisait plus souffrir qu'autre chose actuellement. Tu devais reconnaître qu'elle avait eu un sacré culot, tu pourrais porter plainte contre elle, mais à quoi tout cela rimerait ? Tu ne voulais pas la blesser d'avantage, déjà que tu avais poussé les choses, tu voulais te racheter maintenant. « Y en a pour longtemps ? Parce que je me sens beaucoup mieux ! » Tu aurais pu essayer de te lever pour lui prouver que ça allait, qu'elle pouvait te laisser sortir, qu'elle ne risquait rien, mais rien que l'idée de t'imaginer debout, ça te donnait la nausée. Tu étais bien finalement, allongé là à te faire chouchouter.

Tu t'occupes du jeune homme du mieux que tu peux, vous arrivez à la radio, et tu demandes à rester aux cotés du brun, histoire de pouvoir l'apaiser s'il venait à se réveiller. Ce qui fut le cas. Elle a une sacrée droite. Tu fronces les sourcils. Il s'est fait battre par... une femme ? Et il est à ce point en mauvais état ? waw... Le radiologue te fait signe : Je vais voir votre radio, restez tranquille. Tu vas de l'autre coté de la vitre, et observes les radios : tu vois clairement une cote fendue. Aie. Tu retournes voir ton patient, et cette fois vous allez dans une chambre. Ce n'est pas encore fini, non. Monsieur, vous avez une cote cassée, en plus du nez cassé et un nombre d'hématomes impressionnants. Tu es assise à coté de son lit, dans la chambre. La lumière est tamisée, et tu l'observes d'un air inquiet. Que vous est-il arrivé ?

Elle sortait de la pièce pour aller dans une autre. Tu restais allongé là sans avoir la possibilité de bouger. De toute façon, tu ne voulais pas bouger, ça faisait mal. Alors quand elle revenait vers toi pour t'annonçait les résultats, tu restais une minute sans rien dire. Tu levais ton regard vers elle à nouveau. Elle avait un visage très doux, et très joli aussi. C'était une vision agréable. « Oh ! Je vais avoir un plâtre ou quelque chose du genre ? » demandais-tu doucement. Tu ne savais pas comment on soignait une côté cassée, un bras on le mettait dans un plâtre, une jambe aussi, mais une côté, comment on faisait ça ? Et puis combien de temps ? Parce que ça allait être difficile de faire le facture avec une allure pétée. Elle s'installait près de toi, curieuse de savoir ce qui s'était passé. « C'est ma femme, elle a pas apprécié que je regarde une autre femme. Et puis elle est en colère vous savez, son boulot se passe mal, elle a perdu sa grand-mère, j'remplis pas mon rôle d'époux, enfin de fiancé. » Tu la regardais, sans trop sourire, c'était pas tout à faire vrai. Aino, ta femme ? Une grosse farce oui. Mais c'était amusant. Au moins, tu n'en perdais pas le sens de l'humour.

Tu vois les radios, une cote cassée, tu t'étonnes de son état. Vous revenez dans la chambre. Il te questionne sur comment soigner cela. Un plâtre, vu l'endroit ce n'est pas possible, vous serez au repos sans bouger le temps que votre cote se resoude... Vous avez quelqu'un qui peut prendre soin de vous ? Et tu t'inquiètes de son état, de ce qu'il lui est arrivé. Vu comment il est amoché, ça doit être assez dur... Il te répond, à ton grand étonnement, et tu restes choqué de ses paroles. Un homme battu par sa femme. Je sais que ça ne me regarde pas, et veuillez m'excuser d'avance mais... Elle vous a battu, vous avez le droit de porter plainte. Vu votre état, ce n'est pas rien monsieur. Vous avez de graves séquelles. Qu'importe les raisons, cela ne se fait pas... Normalement, je dois appeler la police quand un tel cas se présente. C'est de la violence conjugale. Tu restes là, sans savoir quoi faire. Il prend l'entière responsabilité de son état, alors qu'il a été battu.

Elle semblait être inquiète pour toi, préconisant du repos et te demandant si tu avais quelqu'un. Tu ne resterais pas plus d'un jour allongé dans un lit, tu ne le pouvais pas, c'était inconcevable pour toi de ne rien faire. Tu irais marcher au moins, tu ne pouvais pas passer un jour sans marcher, c'était le seul sport que tu pratiquais. C'était un peu comme une drague, une nécessité. « Oui, ne vous en faites pas. » Tu te redressais, avec difficulté. C'était douloureux d'avoir une côté cassé, elle aurait au moins l'intérêt d'être au petit soin avec toi, même Tu pouvais toujours te mettre le doigt dans l'oeil mais c'était beau d'espérer. Et puis au pire, tu pourrais toujours appeler Lou, elle te serait fidèle, elle. « Non, elle ne m'a pas battu, elle était juste en colère, ça lui arrive parfois, vous savez mais c'est une brave femme, et puis appeler la police serait inutile, je ne compte pas porter plainte contre ma propre fiancée ! » ajoutais-tu doucement. Tu te sentais un peu mal en l'ayant entendu prononcé le mot police. Tu ne voulais pas de tout ça, ça irait beaucoup trop loin après et ce n'était pas un drame non plus. Elle ne devait pas avoir l'habitude de voir un homme qui se fait démonter par une femme. Toi même tu n'avais jamais vu ça, mais il fallait avouer que tu avais tout encaisser sans ciller une seconde.

Tu es inquiète, clairement, son état n'est pas commode et tu sens qu'il ne sera pas le genre de patient bien... patient ! Qu'il ne restera pas couché tranquillement à se faire chouchouter. Il va vouloir forcer et ainsi sa cote ne s'arrangera pas de si tôt. Tu sais savoir ce genre de choses à force... Oui, tu commences à savoir lire à travers tes patients. Elle s'est énervée et vous a mis dans un sale état monsieur... Tu passes une main dans tes cheveux, tu dois avoir les traits tirés, tu es crevée, tu meurs d'envie de rentrer chez toi. Dans tous les cas, vous restez en observation cette nuit, demain nous verrons ce qu'on fait, mais ce n'est pas moi qui vous prendrai en charge mais le docteur de ce service. Oui, tu es de garde donc tu dois gérer un peu tous les services, mais toi, de base, t'es chirurgienne pédiatrique, rien d'autre. Les adultes, ce n'est pas ta tasse de thé. Je vais vous faire une perfusion, afin de vous donner un antidouleur. Ca peut faire mal quand je pique. Tu le fais toi-même, les infirmières ont aussi beaucoup de travail. Tu piques, du premier coup, d'une main experte depuis les années de prépa.

Tu décidais ne pas lui répondre. Certes, elle avait raison, elle t'avait mis dans un sale état mais ce n'était pas un drame, ce n'était pas la fin du monde. Tu survivrais à ça. Tu aurais un nez bleu pendant une semaine. Tu ne sortirais pas de chez toi, tu n'irais pas draguer, tu ne ferais rien. Et quand tout ça sera passé, tu reprendras une vie calme et rangée, telle que tu la connaissais. Ce soir, tu allais dormir et demain tu verrais un autre médecin. « Oh, très bien. » Tu avais fait une petite moue à cette annonce, parce que tu aurais aimé la revoir elle. Mais demain ne devait pas être son jour. Tu avais déjà eu de la chance ce soir. Et tu lui feras livrer quelque chose, pour la remercier déjà, de ne pas avoir appelé la police. Et d'avoir été douce avec toi. Elle se levait pour te faire ta piqûre, et tu lui attrapait la main, posant ton regard dans le sien. « Merci beaucoup, vous êtes au top comme médecin et ... » Tu ne terminais pas ta phrase. Tu ne savais pas quel genre d'anti douleurs c'était mais ça t'avait assommé. Tu t'étais endormi paisiblement, oubliant la douleur, Aino et l'hôpital. Tout ça n'était qu'un mauvais rêve pour toi, même si c'était pourtant bien réel. Le réveil demain ne serait pas facile, tu en avais peu conscience, mais ce soir, tu allais rêvé de toi, et de cette jolie doctoresse.

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