i'm a goner -r.

Tu avais ouvert la boutique à 7h30, comme tous les matins. Tu étais toujours aussi matinale, mais tu remarquais que les gens reprenaient vite les habitudes. Tu saluais chacun d'eux avec un grand sourire, heureuse de les retrouver. A midi, tu fermais boutique, le besoin de manger sûrement. C'était l'heure de prendre ta pause. Tu pourrais acheter un sandwich au coin de la rue et te poser dans l'arrière salle. Tu serais seule dans une salle sombre. Tu pourrais aller le manger au parc sinon parce qu'il faisait assez doux et que le temps ne semblait pas tourner à la pluie. Mais tu avais envie d'être dans un cadre plus social, un cadre plus agréable. Tu décidais d'aller au bar-resto. Tu t'étais posée à une table. Dans un coin, comme toujours. Tu te cachais du monde en te mettant dans un coin, et le nez dans un livre. A part les serveurs qui passaient de temps en temps - ils te connaissaient à force - personne n'osait jamais venir t'aborder. Ce midi, tu avais repris Emily Brontë. tu l'avais lu des dizaines de fois. Des centaines même à force. Tu ne comptais plus. Tu te laissais perdre à chaque fois, comme si tu le lisais pour la première fois. Tu avais beau l'avoir lu et relu, tu avais le sentiment de redécouvrir chaque passage. De te laisser avoir par tes émotions, parce que tu trouvais ça cruel. Mais c'était ton livre rituel, tu ne pouvais pas t'empêcher de le parcourir. Les pages étaient tellement usées que tu ne savais pas comment tu arrivais encore à l'ouvrir et à le lire. Tu attendais qu'il tombe en poussière à chaque page que tu tournais.

L'anniversaire de Lily lui a laissé un sale goût amer. Même si il a du mal à se l'avouer, la revoir lui a fait un choc. Même si leur histoire n'a été qu'éphémère, même si il l'a lâchement abandonnée comme toutes les autres filles sur lesquelles il a jeté son dévolu, Alfie ne l'a jamais considérée comme une de ces filles. Lily-Anaëlle est différente, beaucoup plus intéressante. Il a apprécié sa compagnie peut-être plus que celles des autres, et c'est pour cette raison qu'il est finalement parti. La peur de s'attacher. Le brun avait eu ce midi une étrange envie de manger au resto de la ville. Il avait faim, mais n'avait plus envie de se contenter d'une énième boîte de conserve. Une fois la porte du restaurant franchie, il découvre que l'endroit n'est pas encore bondé. Il est tôt, Alfie a bien choisi son moment. Il regarde autour de lui à la quête de la parfaite table, puis remarque cette fille assise au fond, le visage caché par son livre. Il ne veut pas s'y attarder plus, sauf qu'un geste de la part de l'"inconnue" l'oblige à la regarder plus longuement. Un simple changement de page, qui permet à Alfie de voir ce visage qu'il connait si bien. Lily. Comme si le destin lui offrait une chance de se faire pardonner. Pendant des secondes qui lui paraissent durer une éternité, il ne bouge pas. Elle est là, seule, et Alfie sait qu'il ne peut pas louper une telle occasion. Prenant son courage à deux mains, il s'avance jusqu'à sa table. Bizarrement, les battements de son cœur sont plus rapides que d'habitude. Il flippe, il n'a jamais été dans cette situation. « Lily, » dit-il d'une petite voix non-assurée. Ça ne lui ressemble tellement pas. « Je... » Il cherche ses mots. « Je voulais te voir, justement. » Il regarde la chaise en face d'elle et remarque qu'il n'y a pas d'affaire pouvant appartenir à un homme. Le sien. Il hésite avant de demander. « Je peux m'asseoir ? » Si elle refuse, il comprendrait. Il irait s'asseoir plus loin, ou quitterait même le resto pour finalement se contenter d'un plat emporté. Sauf qu'il ressent le besoin de discuter avec elle, même si il ne sait pas encore très bien ce qu'il va pouvoir lui dire.

Tu lisais les pages à une telle vitesse, que tu te demandais même si tu n'allais le finir avant même d'avoir pu atteindre le dessert. Le fait de l'avoir lu des centaines de fois aidait. Tu t'habituais plus facile au style d'écriture et tu pouvais plus simplement le lire. Le déchiffrer. Plongée dedans, tu étais absorbée au point que si tu fermais les yeux, tu pouvais imaginer le décor. Dans les moindres détails. Pourtant, une voix t'attirait hors de ta bulle romanesque. Tu baissais ton livre en levant ton regard pour y découvrir un beau jeune homme. Que tu ne connaissais que trop bien. Un homme qui t'avait transporté à une époque. Un homme que tu avais rembarré il y a peu de temps aussi. Un homme, que tu étais ravie de voir, tu n'aurais pas eu envie d'avoir une autre personne en face de toi, à ce moment précis. « Alfie ! » Tu souriais, parce que tu étais ravie de le voir. On ne peut pas vraiment dire qu'à ton anniversaire ça c'était bien passé. Tu avais agit par peur, et peut-être par cupidité. Tu avais été un peu froide, mais tu voulais être claire sur le fait que tu avais quelqu'un dans ta vie. Tu n'avais juste pas dit ça de la manière que tu aurais aimé, en étant toi-même. « Oui, vas-y. » ajoutais-tu en hochant la tête. Tu étais seule de toute façon, Zach n'allait pas te rejoindre, et personne ne le ferait. Et puis il t'intriguait. Il voulait te voir, ça voulait bien dire quelque chose et tu étais curieuse de découvrir quoi. En tout cas, tu lui étais plus sympathique. « Tu veux commander quelque chose avant ? » demandais-tu doucement. Il n'était pas rentré là parce qu'il t'avait vu, depuis l'extérieur c'était impossible. Il voulait sûrement déjeuner là, et ça rendrait les choses peut-être plus facile, autour d'un repas. Au moins, ça serait plus convivial et enclin à une bonne ambiance.

À son plus grand étonnement, elle n'a pas l'air de lui en vouloir. Elle serait en droit pourtant. Comme avec d'autres, Alfie a vraiment fait le con avec elle. Pourtant elle est là, devant lui, un grand sourire aux lèvres. Visiblement, Lily a bel et bien tourné la page sur cette histoire éphémère. Elle doit être heureuse avec ce garçon, alors que lui en est toujours au même stade des mois plus tard. Soit nul part. Elle le laisse s'asseoir, et il prend donc place sur cette chaise qu'il regardait la minute avant. La voir tout sourire suffit à le détendre et, enfin, Alfie se sent capable de lui rendre un faible rictus. « C'est gentil. » Elle lui demande si il veut manger, et Alfie doit bien avouer qu'il meurt de faim. Comme il n'aime pas consulter une carte pendant des heures, il a déjà choisi son plat avant même d'entrer dans le restaurant. « Je prendrais bien un de leurs burgers maison ! » s'exclame-t-il en souriant un peu plus, ravi à l'idée de dévorer un énorme hamburger bien juteux et préparé dans les cuisines avec amour. Il attend la serveuse pour pouvoir commander avant de focaliser toute son attention sur Lily. C'est dingue comme elle est radieuse, le bonheur se lit sur les traits de son visage. Alfie le lui envie presque. « Bon, je pense qu'il est temps que je mette un genoux à terre. » Il réfléchit à ses paroles qui n'ont déjà plus aucun sens. « Je vais pas te demander en mariage hein, je me mélange tout le temps les pinceaux dans ces foutues expressions. » Alfie va donc faire l'impasse sur toute métaphore et autres qui pourraient rendre son discours plus joli, mais encore moins cohérent. Il pousse un soupir. « Je voudrais m'excuser Lily. Pour ta fête et... tout le reste. » Dans ses souvenirs, il ne s'est jamais excusé auprès de personne. Ni ses parents qu'il a plantés du jour au lendemain, ni ces filles qu'il n'a plus jamais revues. Sauf que ces dernières semaines, Alfie a, il ne sait pas quel miracle, gagné en maturité. Il était peut-être temps, au final.

Il avait faim et ça tombait bien. Toi aussi tu mourrais d'envie de manger. Mais pour maintenant, tu glisserais un mot à la personne qui viendrait pour lui demander que ton assiette soit servie en même temps que la sienne, quitte à manger un peu plus froid que lui. Tu lui souriais à nouveau, avant de reprendre, un peu haut perchée dans les aigus. « Parfait ! » Tu avais fait un petit signe au serveur pour qu'il puisse passer à ta table. A force, ils étaient aux aguets, prêt à attendre le moindre signe venant de toi. Tu avais l'impression d'être un peu privilégiée, mais ça faisait aussi des années que tu venais là. Tu avais ton habitude. Surtout quand tu lisais, c'était un moyen pour toi de pas les renvoyer 40 fois parce que tu n'étais pas prête. Tu l'écoutais parler une fois la serveuse repartie et tu fronçais les sourcils en l'entendant parler de mettre un genou par terre. Il ne pouvait pas être sérieux. Et très vite il s'était rattrapé. Pas la bonne expression, ouf. Tu sentais ton cœur reprendre un rythme normal. Tu hochais la tête, pour l'inciter à continuer sur sa lancée. Il était parti maintenant, il ne pouvait plus faire marche arrière. Et à mesure que le temps avançait, tu sentais la peur te gagner. Vu qu'il avait parlé de mettre un genou par terre quelques minutes avant, tu te demandais bien ce qu'il pouvait vouloir te dire. « Oh ! » Tu avais dessiné une jolie forme ovale sur tes lèvres. Tu ne t'attendais pas à des excuses. Bizarrement, tu attendais une vanne ou une pique, comme à son habitude. Ou alors une phrase pas forcément bien formulée, comme à ton anniversaire. Mais pas des excuses. Tu te demandais même pour quoi. Peut-être pour avoir poussé un peu les choses. Tu ne pouvais pas vraiment dire. « Je.. Wahou, Alfie ! » C'était les seuls mots que tu avais réussi à faire sortir de ta bouche. Tu attrapais ton verre d'eau pour en boire une grande gorgée, regrettant presque de ne pas avoir pris un verre de vin blanc. Au moment, où tu allais essayer de reprendre la parole, le serveur s'approchait pour déposer vos assiettes. Tu avais baissé le regard vers ta salade, attrapant ta fourchette. Mais incapable de commencer à manger sans avoir pu lui répondre. Tu relèves ton regard sur lui, et tu murmures. « Merci Alfie, ça me touche sincèrement. » Aucun homme ne s'était excusé auprès de toi avant lui. Tu devais admettre que c'était plaisant à entendre. Qu'il avait de la considération pour toi, un certain respect aussi. Tu n'étais pas qu'une vulgaire fille.

Vu ce qu'il s'est passé à son anniversaire, Alfie ne s'attendait pas à tant de gentillesse de la part de Lily. À vrai dire, il n'aurait même pas été étonné qu'elle lui crache au visage et qu'elle lui interdise de remettre les pieds dans ce restaurant. Bon, après tout, il doit avouer que ça ne lui déplaît pas cette chaleur dans sa voix, c'est plus facile de discuter avec quelqu'un qui t'écoute plutôt qu'avec quelqu'un qui a envie de t'étriper. Et puis, sa bonne humeur laisse place à de l'incompréhension. Alfie a toujours eu du mal à s'exprimer quand il est nerveux, il se dit même souvent qu'il devrait s'abstenir plutôt que de lâcher de telles conneries. « Wahou ? » répète-t-il en esquissant un petit sourire amusé. La serveuse apporte leurs assiettes, deux parfaites contradictions entre sa salade saine et son burger calorique à lui. Lily ne s'attaque pas tout de suite à son plat, ce qui laisse penser à Alfie qu'elle va lui répondre. Il attend qu'elle prenne la parole avec une légère impatience, curieux de savoir si oui ou non il était crédible à ses yeux. Sa réponse est encore plus positive que ce à quoi il s'attendait. Toute la tension qui s'est accumulée sur ses épaules et chassée par ses paroles, par sa voix douce et rassurante. Intérieurement, il pousse un soupir de soulagement. « T'es vraiment une fille bien, Lily. » Il pense ses mots, du fond de son cœur. De ce qu'il a connu d'elle, Lily-Anaëlle a toujours été remplie de bonté et de bonnes intentions. Lui n'aurait clairement pas été à la hauteur, à coté d'elle. Soudain, ce qu'elle lui a dit lors de la fête resurgit dans son esprit. Pour ne pas donner l'impression de trop s'y intéresser, il mord d'abord dans son hamburger avant de se lancer. « Donc avec ce gars, c'est sérieux ? » Il n'y a pas de jalousie dans sa voix, juste de la curiosité. Lily mérite quelqu'un de bien, quelqu'un qui la ferait sentir comme étant la personne aussi extraordinaire qu'elle est.

Une fille bien. Au moins oui. Tu avais plus sentiment d'être une traînée. Une cause désespérée. Tu haussais les épaules, lâchant un petit rictus, qui ressemblait plus à une grimace, qu'à un sourire. « C'est toi qui le dit ! » Tu attrapais ta fourchette pour jouer avec une feuille de salade. Tu n'avais pas si faim que ça, ça te chamboulait toutes ses révélations, ses excuses. Tu ne t'y attendais pas et tu ne savais pas quel était son but. Il semblait vraiment vouloir se racheter auprès de toi, comme si c'était important, mais pour lequel de vous ça l'était le plus ? Toi ? Certainement pas, tu avais du mal à y croire, en te disant que c'était peut-être pour se donner bonne conscience. Personne ne s'était jamais excusé auprès de toi, d'avoir agit comme ça, d'avoir été con. C'était le premier et de toute évidence, ça te touchait plus que tu ne l'aurais imaginé. Le sujet passait à ta relation en voulant savoir si c'était du sérieux. Tu passais une main sur tes yeux, où les larmes avaient commencé à se former, pour chasser toute cette mauvaise énergie, ça ne serait pas crédible de lui affirmer que ça allait si tu étais sur le point de pleurer. « Oui, je l'espère en tout cas. » Tu laissais un sourire se dessiner sur ton visage en pensant à Zach. Tu étais une guimauve, trop mielleuse, trop dégoulinante d'amour. Tu étais comme ça avec tous les hommes que tu aimais, c'est évident, mais encore plus quand la relation était partagée. En tout cas, il semblait sincèrement heureux pour toi et ça te touchait au plus profond de ton être. « Et toi Alfie, que deviens-tu ? » demandais-tu un peu curieuse. Après tout, ça allait faire presque 3 mois que tu n'avais pas eu l'occasion de le voir, tu l'avais fait fuir quelques temps avant, une nouvelle fois, et maintenant qu'il était de retour dans ta vie, tu voulais en savoir plus.

Si Alfie ne s'excuse en général pas auprès des gens qu'il a blessé, ce n'est pas parce que c'est un être sans cœur et qui se nourrit du malheur des autres. Non, loin de là même. Son problème, c'est ce voile qu'il ne cesse de mettre sur ses émotions. Joie intense, tristesse, affection surtout. Il donne l'impression de s'en foutre, et ça l'aide à ne pas s'attacher. Le seul sentiment qui a tendance à parfois trop s'emparer de lui, c'est sa colère. Ça s'est d'ailleurs remarqué ces derniers temps, à plusieurs reprises. Lily répond positivement à sa question par rapport à son couple avec ce Zach. « Ça en fait au moins un de nous deux qui a trouvé ce qu'il voulait. » Enfin, c'est pas comme si Alfie a un jour songé à l'idée de se mettre en couple. Non pas qu'il se plait à passer de filles en filles, quitte à en voir passer plusieurs dans son lit la même semaine. C'est juste que l'amour, il ne connait pas. C'est un sentiment qui lui est inconnu, et qu'il n'espère même pas ressentir un jour. C'est à présent au tour de Lily de l'interroger, et elle lui pose une question qui lui donne toujours envie de répondre "rien". Oui, juste rien. Sa vie ne change pas, et il est toujours la même personne qu'il y a trois mois, un an, peut-être pas cinq. « Pas un grand homme, ça c'est clair, » dit-il en riant légèrement. « Je te raconterais bien que j'ai trouvé un job et un nouvel appart, mais c'est pas vraiment la partie la plus palpitante de ma vie. Donc... » En réfléchissant, il mord une bouchée de son hamburger et se perd pendant quelques secondes dans sa contemplation du vide. Il finit par reposer son regard sur Lily. « Tu sais, j'ai l'impression que moi aussi, j'ai changé. Je veux dire... je m'en fiche un peu de retourner seul chez moi plutôt qu'avec une fille. J'ai rencontré pas mal de gens ici en deux ans, et certaines de ces personnes m'ont un peu ouvert les yeux. » Alfie dévie le regard vers son burger, comme si cette révélation n'était pas qu'un bilan de ce qu'il est devenu ces derniers mois.

Au moins un des deux. Oui c'était clair que tu étais heureuse de l'avoir trouvé, comme s'il était ce que tu attendais depuis que tu étais en âge de partager ta vie. Soit une dizaine d'année à peu près. Et en même temps, s'il était là dans ta vie aujourd'hui, c'est parce que tu avais eu le courage de lui dire, de lui déclarer ta flamme. Toi qui évite de t'emporter trop facilement quand il s'agit de dire à un homme que tu l'aimais, tu t'étais lancée dedans les pieds joints, pensant que la chute serait difficile mais au contraire. « Parce que je cherche ça aussi. Et puis l'amour ça te tombe dessus, comme ça, au détour d'un regard, d'un sourire. On ne choisit pas de tomber amoureux, tu sais ? » C'était plus simple si on pouvait dire à l'autre qu'il nous aimait et qu'on l'aimait aussi et hop, ça fait comme les chocapics. Mais non, ce n'était pas du tout comme ça que marchait l'amour. C'était une torture, on subissait, tombant amoureux de personne qu'on aurait aimé éviter mais bon, c'était ça aussi le jeu de la vie. Aimer, être aimer. « Tu es quelqu'un de bien Alfie. Peut-être que tu n'en as pas conscience, mais rien que le fait que tu viennes t'excuser, ça fait de toi quelqu'un de gentil. D'honnête et de vrai. » Peut-être qu'il n'avait pas le sentiment d'être un grand homme, mais personne ne lui demandais d'en être un. Même les grands hommes pouvaient être des tricheurs et de menteurs, au moins il avait l’honnêteté et c'était déjà une très grande qualité. « Ha oui ? Moi je suis bien curieuse de savoir ce que tu fais maintenant ! » ajoutais-tu, un grand sourire sur la visage. Effectivement, tu étais curieuse de tout et puisqu'il avait lui-même parlé de son nouveau job et de son appart, tu voulais qu'il développe un peu plus . Tu l'écoutais parler en mangeant doucement ta salade, entendant qu'il avait l'impression de changer. Tu ne pouvais pas dire si c'était vrai ou non, tu n'étais pas lui, mais tu pouvais toujours lui dire la manière dont tu le voyais toi. « Je crois que je ne t'ai jamais vu comme un très grand séducteur, peut-être parce que j'ai été amoureuse de toi, et que j'ai imaginé pas mal de choses dans ma tête, mais j'veux dire, t'as toujours été clair sur ce que tu voulais, j'ai même eu le sentiment que quand tu t'éloignais c'était pour me préserver de moi-même et de mes sentiments, comme si tu te souciais vraiment de moi. » Peut-être que c'était pour se préserver lui. Au fond, tu ne savais pas vraiment, mais avec le recul, tu pouvais penser que c'était aussi pour toi. Il n'avait jamais été méchant avec toi, toujours clair sur ce qu'il attendait de tout ça. C'est toi et ton petit coeur qui vous étiez emballés, votre faute à vous deux et non la sienne. Et puis, au moins, ça pouvait changer. Il n'était pas comme Woody ou Milo. Lui au moins, semblait vraiment t'apprécier, tu n 'étais une fille qui lui faisait simplement pitié.

C'est vrai qu'au fond, il n'a jamais cherché ce genre de relation. Jamais ça ne lui ne lui a frôlé l'esprit de s'imaginer se mettre avec une personne, vivre une relation sur le long terme avec elle. Alfie s'est toujours dit que ce genre de bonheur à deux, ce n'est pas pour lui. Il n'est pas romantique, pas attachant, ni attaché. Il ne se battrait pas pour une fille, et il serait incapable de lui promettre de la rendre heureuse. Et puis, il ne sait pas comme faire ça, amener le bonheur dans la vie d'une personne. Il l'écoute et se perd en même temps dans ses pensées, mais sa dernière question/réflexion le ramène sur Terre. Sans savoir pourquoi, un sourire étire ses lèvres. Lily a toujours été si douce, tellement à fond dans cette histoire de "tomber amoureux". Il trouve ça beau, et se surprend parfois à avoir envie de penser pareil. Peut-être que la vie serait plus réjouissante pour lui, et ça lui éviterait de se faire casser le nez encore une fois par un petit copain jaloux. Il hausse les épaules avant de pousser un léger soupire. « Peut-être, mais je ne crois pas que ce soit susceptible d'arriver à tout le monde. » Comme lui, par exemple. En vingt-cinq ans, jamais il n'a ressenti d'émotion particulière en présence d'une personne. C'est comme si il en était incapable, comme si lui ne pourrait jamais aimer. Ça lui passe totalement au-dessus ce genre de sentiment, à croire que vivre en se fichant de tout et tout le monde a suffit à refermer son cœur. « J'ai toujours été honnête avec tout le monde, je ne suis pas un monstre non plus. » Il rit légèrement. « Mais tu sais, c'était pas la première fois ni la dernière qu'une fille s'attache comme ça et que moi, j'en suis juste incapable. Alors parfois, je passe pour le gars sans cœur qui se tape toutes les filles de la ville alors que c'est pas vrai. Je me les suis pas encore toutes tapées. » Il sourit d'un air amusé, histoire de ne pas sombrer trop loin dans la conversation trop sérieuse. Il n'a pas l'habitude de parler de tout ça mais, étrangement, ça le soulage presque. Lily est si compréhensive, et étonnement si gentille avec lui. Le sujet dévie vite fait sur lui, sur son boulot et son appart, le genre de sujet qui aurait été évité si Lily n'était pas si curieuse. Il s'avance et s'accoude sur la table. « Je suis serveur dans un café. C'est pas le grand luxe, mais au moins ça m'évite de manger des pâtes tous les jours. » Il vient de terminer son hamburger et a repoussé l'assiette pour pouvoir y mettre ses coudes. Pendant que Lily lui parle, il la regarde en l'écoutant attentivement. Quand il l'observe comme ça, qu'il l'entend s'exprimer avec toute la douceur du monde, il ne peut s'empêcher de se demander comment elle, une fille tellement bien, a pu s'intéresser à un type comme lui. Ils sont tellement différents tous les deux, pourtant ça ne les a pas empêché d'avoir été attirés l'un par l'autre. Cependant, le mot "amoureuse" lui fait un léger pincement au cœur. Ça n'a jamais été dans ses habitudes de blesser une fille, il n'a toujours que fréquenter celles qui ne veulent rien de sérieux, celles qui se servent de lui pour passer à autre chose. Alfie n'a jamais été un premier choix, plutôt une sorte de plan de secours. « Tu vois trop le bien chez les gens Lily, » dit-il en lui offrant un énième sourire. Et pourtant, elle a raison. Il n'a jamais voulu la blesser, c'est d'ailleurs pour ça qu'il est parti. « Bon, c'est fini de parler de moi. Raconte-moi ta vie, dis-moi ce que tu fais, de quoi se composent tes journées. » Il préfère dévier la conversation sur elle. Non seulement il n'aime pas parler de lui, mais il a également toujours eu du mal quand ça parle sentiments.

Alfie ne semblait pas convaincu par tes propos. Peut-être parce qu'il n'avait jamais succombé au bonheur de l'amour. Même si l'amour apporte toujours son lot de soucis et que le bonheur peut parfois disparaître très rapidement. Et même si tu as vécu des relations catastrophiques, tu ne cesseras jamais de croire en cette magie. Celle qui fait naître des papillons au creux de l'estomac et qui te fait voir la vie avec des étoiles dans les yeux. C'était peut-être niais, mais tu assumais ce que tu étais, en l'occurrence, une grande romantique. Une amoureuse de l'amour. « L'amour touche tout le monde, un jour ou l'autre, qu'on le veuille ou non ! » Tu lui fis un grand sourire. S'il y avait une chose que tu savais c'était que même les cœurs de pierre finissaient par s'attendrir et devenir de vrais petits cœur tout mou, prêt à aimer. Tu n'avais aucun doute là-dessus et même s'il ne tombait pas amoureux, ça ne voulait pas dire qu'il était sans cœur. Il avait juste plus de mal à s'attacher, à aimer quelqu'un, mais sans pour autant ne pas l'apprécier. « Tu n'es pas sans cœur, tu m'as prévenu, c'est moi.. Moi qui m'attache trop facilement, moi qui craque au premier sourire, et qui me fait des films. Tu es quelqu'un de bien Alfie, n'en doute jamais. » Tu ne le quittais pas des yeux. Il avait peut-être raison en disant que tu voyais le bien chez tout le monde. Tu étais peut-être incapable de détester, ou d'être en colère envers les autres, mais parce que tu n'y voyais aucune raison. Alfie était un homme bien. Assez bien pour ne pas jouer avec toi, assez bien pour s'excuser de son comportement lors de ton anniversaire qui t'avait mis assez mal à l'aise. Tu n'avais pas eu l'occasion de rencontrer beaucoup d'hommes comme lui, rien que Woody par exemple n'aurait jamais la bonté d'âme d'Alfie. « Effectivement, c'est un métier comme un autre. » Tu hochais la tête en terminant ta salade. Attrapant ton verre d'eau pour en prendre quelques gorgées et après quoi, il te demandait de changer de sujet. De parler de toi. Mais il n'y avait pas grand chose à dire en fait. Il y avait ton père et ta demie-soeur, mais tu n'avais jamais été dans les confidences avec lui, pour aborder le sujet. A défaut de parler de ta famille, il y avait toujours ta carrière professionnelle. « Très bien, alors je suis en train de reprendre ma librairie. Je ne sais pas si tu te souviens, mais j'avais une petite boutique, et même si j'aime arranger les maisons, ce n'est pas mon truc. » Ton truc à toi, c'était les livres. Tu en avais tellement chez toi, tu passais beaucoup de temps à la bibliothèque de la ville pour mettre ça de côté plus longtemps dans ta vie. Tu avais besoin de reprendre ton univers, de rouvrir la boutique et de te sentir à nouveau toi-même.

A-t-elle raison ? L'amour touche-t-il réellement tout le monde ? Alfie fait semblant d'y réfléchir, car il sait tout au fond de lui que la réponse est "non". Enfin, en réalité, il n'a jamais vraiment pris le temps de se poser la question. Il ne sait pas de quoi sera composée sa vie après tout, peut-être qu'à quarante ans il rencontrera une femme dont il tombera totalement sous le charme, avec qui il vivra heureux et aura des enfants. Enfin non, pas d'enfant. Il se voit très mal père, jamais il ne pourrait représenter l'exemple de quelqu'un. « Je reviendrai vers toi si ça arrive, » dit-il en riant. Car si, par le plus grand des hasard, quelqu'un arrive à voler le cœur d'Alfie, il en serait le premier étonné. Il en a rencontré des filles bien, il suffit de regarder Lily pour le constater. Sauf qu'elle n'était pas que bien, elle était trop bien. Trop bien pour lui, trop bien pour qu'il continue à lui briser le cœur. Ses paroles rassurantes le font sourire, encore, à la limite de la crampe tellement les muscles de son visage sont en mouvement. Il soutient son regard, et arrive même à voir la sincérité de ses mots briller dans ses pupilles. Si il avait pris la décision d'aller parler à Lily, ce n'était pas pour la simple et unique raison qu'il avait ressenti le besoin de soulager sa conscience. Mais parce que, contrairement à beaucoup d'autres "don-juan" sur cette Terre, Alfie a toujours eu un bon fond qui ne lui a que trop fait défaut durant sa jeunesse. C'est une faiblesse qu'il a trop cachée, et qui a fini par être dévorée par l'image du "je-m'en-foutiste" qu'il s'est lui-même créée. Perdu dans ses pensées, il se ressaisit assez rapidement pour entendre Lily parler d'elle, de son boulot et de sa boutique. « Ravi de voir que tu as trouvé ta voix, » répond-il alors que le serveur s'approche d'eux pour débarrasser leur table. Discrètement, il lui demande l'addition avant d'à nouveau porter son attention sur Lily. « Bizarrement, je t'imagine bien mieux en tant que "la craquante petite libraire à lunettes". Même si tu ne portes pas de lunettes, » dit-il avec un sourire amusé. Le serveur revient vers eux avec la souche, et Alfie sort son porte-feuille de la poche arrière de son jeans. « Laisse-moi te payer ton repas, ça doit pas coûter une fortune une salade, » dit-il sans même regarder le prix. Alfie a toujours été très peu soucieux quand il s'agit d'argent. Lui qui n'a vécu qu'avec presque rien, dépensant la moindre somme qu'il arrivait à gagner, il n'a jamais vraiment été à intéressé à l'idée de tout garder pour lui sur un compte où il ne s'en servirait probablement jamais plus.

Si tu n'avais pas été assise, tu aurais sûrement sautiller sur place, peut-être même en lui sautant dans les bras pour ce qu'il venait de te dire. Tu serais la première qu'il viendrait voir. Ça ne tombait pas dans l'oreille d'une sourde. Et même s'il ne le faisait jamais, ça n'était pas grave. Il venait quand même de te confier pas mal de choses, de s'ouvrir à toi. Tu ne pensais pas un jour avoir une conversation aussi franche avec lui et ça te faisait du bien. « Je crois que j'en serais la première ravie ! » Peut-être pas surprise, parce qu'il n'y avait aucune raison que ça n'arrive pas. Même si ça devait prendre des années, tu savais au fond de toi qu'il y aurait quelqu'un pour son cœur. Tout comme chaque personne existant sur cette Terre. C'était peut-être un peu fleur bleue, une vision trop romantique, mais tu étais amoureuse, tu n'arrivais pas à voir la vie différemment à présent. Il était ravi pour toi, et comme unique réponse, tu te contentais de lui offrir un grand sourire. « J'peux toujours en porter, pour le style. Je me suis demandée si ça serait pas amusant. » C'était le cliché de la bibliothécaire plus que de la libraire. Mais tu y avais songé. Pour t'amuser, pour voir ce  que ça pouvait donner. Même si tu ne cherchais pas non plus à essayer de draguer tes clients, tu aurais du mal à te sortir d'une situation comme ça. Pour la simple et unique raison que tu étais trop gentille, trop polie. « En effet, merci Alfie. Pour le repas, pour ta sincérité ! » confiais-tu, un sourire sur les lèvres. Tu te hissais sur la pointe des pieds pour lui déposer un baiser sur la joue. Ce n'était pas tout ça, mais ta pause ne pouvait pas durer plus longtemps, tu avais un boulot à faire, et il fallait que tu retournes à la librairie. Tu le quittais au coin de la rue, te retournant une dernière fois pour le saluer de la main et au moment de regarder à nouveau la route, tu esquivais de justesse un poteau. A une seconde près, tu aurais eu le droit à un nouveau bleu et une douleur dans la jambe.