Chaos in the calm + Tamsin

Chaos in the calm

Tamsin & Jackson

Elle aurait pu se laisser fondre contre ce cou qu'elle balayait de son souffle. Elle aurait pu tout oublier, jusqu'à toutes ces années d'absence, jusqu'à ces mois de tourmente, pour peu qu'il se saisisse des mots qu'elle lui donnait et qu'il l'emmène, oui, le plus loin possible, le plus longtemps. Tant qu'il était là. Tant qu'elle pouvait le respirer, l'entendre et le toucher. Même si elle osait peu le dernier, sentait que les barrières étaient encore érigées, que bien que la méfiance ne soit plus à l'ordre du jour, il suffirait de peu pour qu'il se détourne à nouveau, animal blessé et échaudé. Il ne fallait rien précipiter. Elle-même ne se sentait pas prête à retomber dans le tourbillon insondable de la fusion qui les animait.

Pourtant, elle le suivit. Parce qu'il avait accédé à sa requête, qu'il n'avait pas ni eu peur, ni hésité, elle se laissa porter par son entrain. Évidemment, on les regarda s'éloigner. D'abord interloqués de surprendre leur cheffe constante et immuable filer à l'australienne, on ne tarda pas à esquisser quelques sourires de connivences et à retourner à la fête. Elle leur était indispensable pour certaines choses, mais pour d'autres, ils savaient qu'elle avait besoin de son espace. D'une vie à elle, celle qu'elle avait négligé depuis son retour. Ils lui en reparleraient, la charrieraient certainement un peu, voudraient connaître le dénouement. Et alors, Tamsin s'auréolerait de mystère, préservant jalousement ce moment qu'ils auraient partagé, juste tous les deux, enfin. Parce qu'elle était faite ainsi, mais aussi pour Jackson le discret, celui dont toute l'existence cherchait à être étalée dans la presse et qui se battait pour se préserver.

La rumeur à la fois brute et délicate des vagues. L'odeur des embruns et la sensation du vent marin sur son visage. Il n'avait pas oublié. Son ancien amant se souvenait à quel point elle aimait la plage et tous les secrets qu'elle recelait. Comme si cet endroit était une extension d'elle-même, sa folie douce à elle. Elle sentit son cœur se gonfler d'aise, sa tête se nichant au au creux du bras qu'il avait passé autour de ses épaules. Les yeux clos, elle appréciait le déchainement enfantin des éléments mêlé au silence qui s'était installé entre eux. Ce n'était pas comme s'ils n'avaient rien à se dire, au contraire. Tant de sujets auraient pu être abordés ! Mais cet instant-là, cette balade tranquille et tendre, pouvant faire prétendre à n'importe qui un couple comme un autre, appartenait au silence. Ses mèches blondes échappées de sa queue-de-cheval virevoltait follement autour d'elle. Et si on exceptait leurs respirations, rien ne semblait pouvoir troubler ces retrouvailles. Tes amis vont me détester de t’avoir enlevée. reprit-il finalement, sourire aux lèvres, les traits si détendus qu'elle manqua se pincer pour vérifier qu'elle ne rêvait pas. " Aucun risque. Je crois qu'ils t'ont déjà adopté. " répondit-elle sur le même ton. " C'est toi qui sembles heureux, à présent. " Et elle ne pouvait que partager cette sensation. " Tu n'as pas oublié la plage, Jax. " Un simple constat, et pourtant, l'émotion transpirait dans sa voix. Qui aurait pu se vanter d'avoir tant été aimée au point que des années plus tard, l'autre se souvienne encore de ses préférences et manies ? Elle aurait voulu perdre son sourire que son corps aurait trouvé ce désir grotesque. Le simple fait de le regarder la remplissait d'euphorie. Laquelle faillit se ternir alors que ses prunelles tombaient sur l'alliance qui lui sciait toujours l'annulaire gauche.

Soudain, elle s'arrêta et se détacha de lui. Non pas parce que cette vision l'avait ramené sur terre, qu'un regret quelconque l'avait assailli. Au contraire. Elle en avait tellement assez des regrets, du passé. Avançant vers le bord de l'eau jusqu'à ce que cette dernière lui lèche les pieds, elle tira sur son doigt jusqu'à ce que l'anneau se détache de sa peau. Dans un élan souple du bras, elle l'envoya au loin. L'or scintilla un instant au soleil, avant de se perdre définitivement dans la mer. Son mariage avorté ne méritait guère mieux que d'aller nourrir les poissons. Elle pivota alors vers le peintre, une expression satisfaite animant ses traits. " J'ai l'impression que tout ce que j'ai fait là-bas n'avait pas beaucoup de sens. Alors qu'ici ... Ici, ça en a. Tellement plus que je n'aurais pu l'imaginer. " souffla-t-elle, la voix plus assurée qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. Elle avait vu l'expression de Jackson quand ses yeux étaient tombés sur la bague. Le fait qu'elle ne l'ait pas encore retiré avait semblé le heurter plus qu'elle ne l'aurait voulu. Alors elle s'en était débarrassée. Définitivement.

 

Tamsin & Jackson

Non, il n’avait rien oublié, d’elle, d’eux, de cette époque qu’il considérait aujourd’hui comme bénite parce qu’il n’en avait gardé que le meilleur, le reste il le mettait de côté, il l’occultait comme pour entretenir le mythe de sa muse. Il se souvenait des mots prononcés, des confidences, des rêves et des envies de Tamsin, il se souvenait du nom de son parfum et de la couleur qu’elle préférait, de son endroit favori dans le monde et de ceux à Bowen. Il avait une mémoire sélective mais qui fonctionnait plutôt bien si on considérait que la plupart des héroïnomanes perdaient de grandes capacités neurologiques au fur et à mesure des années, lui y avait échappé, c’était une chance, même s’il n’en était pas conscient, d’ailleurs son addiction lui avait donné la possibilité d’entretenir le souvenir puisque lorsqu’il basculait dans les limbes il la voyait tournoyer autour de lui, dans ses délires elle n’était jamais vraiment parti bien que ce soit cruel et particulièrement vicieux. Il avait aussi, enchaîné au cœur, les moments les plus sombres de leur relation, ça allait ensemble, ces souvenirs là étaient son garde fou, la gouttière de sécurité pour éviter de faire les mêmes erreurs, pour ne pas faire confiance trop vite à ce destin qui semblait vouloir les réunir à nouveau, pour se rappeler qu’elle était déjà parti une fois et qu’elle pourrait recommencer. Mais ce soir cette partie là était remisée au placard, ce soir il voulait l’impressionner, la garder pour lui seul et se vautrer dans cette sensation de bien-être qu’il n’avait plus ressenti depuis trop longtemps, celle qui le faisait se sentir bien vivant et même… heureux, lui qui pensait que le bonheur était un luxe qu’il ne pouvait se permettre.
Pour Jackson les meilleurs moments étaient ceux volés, il n’avait pas besoin de beaucoup parler, de toute façon il ne savait pas, faire la conversation, il était trop maladroit pour ça, alors cette balade silencieuse ne le dérangeait pas. Bien au contraire, il se sentait bien dans cette discrétion qu’il trouvait plus intime encore, quand beaucoup  se perdaient en flot de mots pour éviter la gêne, partager le silence avec Tamsin sans être mal à l’aise c’était preuve qu’ils étaient simplement bien. Pourtant une fois installés sur la plage ce fut lui qui brisa le calme, pour éviter de penser qu’il mourrait d’envie de l’embrasser, pour ne pas brusquer les choses et tout gâcher. Il sourit en baissant la tête, heureux, il l’était, même s’il ne pensait pas que ça pouvait être si flagrant. Il m’effraie toujours autant, l’océan, son immensité, sa force. Je n’ai que rarement foulé le sable en cinq ans… mais il faut croire qu’elle aussi t’es resté fidèle, cette plage, elle n’a pas bougé, elle n’a pas changé, elle attendait ton retour. Souffla-t-il en fuyant son regard qui pouvait trahir le vrai sujet de cette confidence. Comme moi. Elle avait demandé lors de leurs retrouvailles, ce qu’il avait fait de sa vie durant tellement d’années, c’était sa réponse, détournée. Il n’avait pas changé, il n’avait rien fait qu’attendre, hiberner, espérer presque, c’était con et bien faible, mais il n’avait aucune autre ambition dans la vie après tout, il n’avait jamais eu de grande aspiration et puis il avait été bien trop déçu par le passé pour se laisser le droit de rêver à une vie différente, à une carrière ou à une vie de famille. Il se laissait porter et c’était souvent sa mélancolie qui servait de moteur à sa vie.
Son regard ricocha sur l’alliance qu’elle portait encore, elle brillait dans les dernières lueurs du jour et le cœur de Jackson se serra, parce que la regarder lui rappelait douloureusement que quand lui s’interdisait de vivre, Tamsin, elle, avait avancé, elle s’était donné une chance, avec un autre homme. Elle dû remarquer son malaise et leurs regards se croisèrent une seconde avant qu’elle ne se lève brusquement. Jax ne pu s’empêcher de laisser son cynisme l’emporter, pensant que venait le temps des regrets, qu’elle réalisait qu’un autre l’attendait, qu’elle n’avait rien à faire ici, à revenir sur son passé, que lui n’avait plus rien à lui apporter. Il l’observa un instant, fronçant les sourcils en comprenant son geste, hésita, se dit qu’il s’était peut-être trompé, ça ne serait pas la première fois, avec elle. Et puis il se leva à son tour, la rejoignit sans bruit et resta dans son dos, se sentant maladroit, puis se décida à caresser ses bras nus, il baissa la tête et fondit dans sa nuque pour s’enivrer de son parfum délicat. Tu n’avais pas à faire ça Tam… Pourtant il se sentait bien plus léger de savoir cet anneau dans l’océan plutôt qu’à son doigt. Elle se retourna et il lui sourit tendrement, le vent jouait avec ses mèches folles, les faisant danser autour de son visage, c’était une vision presque divine. Ça a eu du sens, à un moment sûrement… Tu l’as aimé, cet homme ? Il t’a rendu heureuse ? La réponse pourrait l’égratigner encore un peu, mais il s’y était préparé. Il la connaissait, Tamsin la passionnée, la romantique, il ne pouvait concevoir qu’elle ait épousé un homme sans amour, c’était bien trop éloigné de ce qu’il savait d’elle.

Chaos in the calm

Tamsin & Jackson

Elle se rappelait de la demande. Clinquante, tonitruante et tape-à-l'oeil, en plein milieu d'une réception. Celui qui deviendrait son mari avait mis un genou à terre et sorti l'écrin pourpre, ses dents blanches et parfaitement alignées souriant, les yeux humides de la lumière qu'il attirait sur eux par sa petite mise en scène. Sa spécialité. Après la longue tirade, certainement honnête mais larmoyante qu'il lui avait servi, il s'était empressé de lui passer la bague à l'annulaire. Elle avait à peine eu le temps de souffler sa réponse. Car soufflée, elle l'était. Elle se souvenait des premiers temps, des premiers mois. L'église, la belle robe, les photographes, les invités en Gucci, Versace et Vuitton qui applaudissaient la sortie des mariés et se goinfraient au buffet de mets fins. Puis, l'appartement, si grand, si vide, si impersonnel. Lui qui lui réclamait un enfant, l'abandon et l'abnégation totale. Elle qui restait passive, s'emportait parfois. Lui pensant que oui, enfin, il la tenait, sa Tamsin, la sienne, rien qu'à lui. Mais elle, qui, toujours, lui rappelait qu'elle ne s'abandonnait pas complètement. Ce qu'il avait été chercher ailleurs l'occasion sur laquelle elle avait sauté à pieds joints pour reprendre sa liberté, tout en lui faisant croire - en se persuadant - que c'était sa décision à lui.

Bien sûr que les souvenirs étaient toujours présents. Cependant, ils se déroulaient comme dans un vieux film, patinés par le temps, aux contours de plus en plus flous et inesthétique. Tels les coquillages que le sel avait rongé jusqu'à le transformer en sable, elle sentait que ces années-là, censées être parmi les plus belles de sa vie, se faisaient avaler par le ressac et prenaient le large, au profit d'un présent et peut-être d'un futur à la hauteur de ses rêves. Des espoirs à ce point moins ambitieux mais tellement plus en adéquation avec ce qu'elle était. Et ces doigts qui parcouraient ses bras, ce souffle brûlant dans sa nuque ... Elle avait fermé les yeux un instant avant de pivoter et d'offrir à Jackson l'esquisse d'un sourire délicat. Elle avait eu beau faire, elle avait eu beau chercher, rien n'avait pu remplacer toutes ces sensations. Toutes celles qui naissaient en elle à proximité de cet ancien amant, si torturé, si bourru mais si empathique et tendre. Il avait révélé toutes ses facettes, des meilleures aux pires. Il l'avait révélé. Il l'avait porté. Alors oui, il fallait s'en douter, elle aimait Jackson. Elle sentait la passion gronder au plus profond d'elle-même et les sentiments la submerger. Bien qu'elle eut tenté d'occulter cette réalité, tandis que leurs regards se croisaient, elle dut se rendre à l'évidence. Plus tard, elle s'en effraierait, elle penserait à prendre ses jambes à son cou, ou simplement à s'en éloigner, par crainte de souffrir encore. Mais pas aujourd'hui, pas maintenant. Néanmoins, elle se garda bien de confesser ce pêché. Pas maintenant. se répéta-t-elle. Elle n'était pas prête pour ça. Lui non plus. Pas encore. Peut-être jamais, qui savait ? Et soudain, cela ne semblait avoir aucune importance, puisque ce qu'il vivait en ce moment avait plus de saveur que n'importe quel aveu. " J'aimerais te répondre que oui, Jax. Parce que le contraire t'étonnerait bien trop et que tu en voudrais davantage. Parce que tu voudrais comprendre, savoir, quel cheminement j'ai fait lorsque j'ai accepté de passer cette alliance ... " répondit-elle finalement, d'une voix douce et profonde, faite de la chaleur de la bienveillance. " ... Mais la vérité, c'est qu'en cet instant, ça n'a aucune importance. Profitons de ce que l'océan et la plage nous donnent. Tu veux bien ? " Et alors qu'il acquiesçait, se rendant à ses dispositions finalement peu disposées, elle se retourna vers l'onde tumultueuse, se laissant aller contre le torse du peintre. Ferma les yeux. Aussi éphémère que fut le bonheur, elle en voulait en goûter chaque seconde. Remplacer chaque souvenir par ceux qu'ils se créaient.