One shot, one chance | Siam

Plus le temps passe et plus j'ai la flemme d'aller travailler, mais je suis obligée de le faire rien que pour payer mon salaire, bien que maintenant on s'approche plus d'un hôtel chez moi qu'une maison de grand-mère. Au moins, ça me fait faire mon deuil et je pense moins à elle, sauf quand quelqu'un s'approche un peu trop près de la porte de sa chambre, auquel cas je ne peux pas me retenir de m'énerver, une habitude, c'est un secret, personne ne sait à qui était cette maison avant que je débarque dedans, du moins, personne qui ne connaissait pas ma grand-mère. Toujours est-il que voir les mêmes pochtrons chaque fois aux mêmes places, comme si leurs culs étaient collés aux tabourets, ça m'énerve et, j'ai hâte de rentrer chez moi, pourtant pas de chance, j'ai encore une bonne heure à subir les gros dégueu qui reluquent mon cul pendant que j'vais servir ailleurs ─ et merde, en plus y'a rien à voir, j'suis super plate, c'n'est pas comme si une bombe servait des bières. Du coup, je m'isole souvent pour aller faire le boulot plus rapidement, comme ça, un bon coup sur leurs culs à la fermeture et puis je serais en paix pour rentrer chez moi. En priant que personne ne vienne m'aborder. Je jetais mes yeux un peu partout dans la salle avant de voir une blonde sans verre, je m'approchais alors d'elle, verre et chiffon dans les mains, en train d'en astiquer un puis, une fois mes yeux vraiment poser sur elle, je me retenais de rire.  « Seule ? »  C'est pas celle-là qui avait essayé de me draguer ? « Que puis-je vous servir ? » C'était plus conseillé de tutoyer des clients réguliers, pour qu'ils se sentent comme chez eux, mais moi, j'la connaissais pas elle. Et si elle m'avait dit son prénom, alors je l'avais déjà oublié. De toute façon, la conversation qu'on avait eue m'était totalement sortie de la tête, il y a juste un détail qui me chatouillait l'esprit.  

J'avais besoin de boire un verre, mais plus un seul alcool potable chez moi, j'avais déjà tout bu. J'avais honte de moi, mais j'étais comme ça et je ne pouvais pas m'en empêcher. C'était pas si grave, la ville avait une tonne de bars à disposition, donc je décidais de retourner à celui qui était le plus près de chez moi. J'avais pas envie de prendre la voiture et encore moins de devoir marcher trop longtemps.
Rien que retrouver l'ambiance d'un bar me faisait du bien. Je me sentais plus socialisée bizarrement, c'était ridicule, puisque je parlais à personne, mais le sentiment d'être entourée me donnait directement le sourire... Du moins... Jusqu'à ce que je remarque la serveuse. Merde, j'avais oublié cette mésaventure. C'était la même que l'autre fois, celle que j'avais draguée lamentablement. Bon, trop tard pour reculer, j'allais devoir assumer. Je décidais de m'assoir après une longue réflexion. J'avais honte, terriblement honte. Elle s'approchait de moi en plus, merde. Elle demandait si j'étais seule. C'était une blague? Qu'est ce que ça pouvait bien lui faire? Si elle se souvenait de moi, elle allait finir par croire que j'avais aucun ami.
- Ouais. Ca pose un problème? Je savais même plus son prénom, mais je me souvenais qu'il y avait un "No" dedans. Hmm... Arno? Nan, c'était pas ça. Je savais plus du tout son prénom certes, mais je savais que je lui devais des excuses pour mon attitude lamentable de l'autre fois. Elle demandait ce qu'elle pouvait me servir, mais je choisissais d'ignorer cette question pour l'instant.
- Ecoute Nono, je suis désolée pour la façon dont je me suis comportée l'autre fois... Je m'étais promise de pas revenir ici après ça... Bon, pas sure qu'elle en ait quelque chose à faire, mais on ne sait jamais.

Je voyais son malaise dans son regard, et le pire, c'est que ça me faisait presque plaisir, mais je crois que ça aurait été la même chose pour une personne que je ne connaissais pas. Quoi que, elle, elle m'a quand même draguée alors que je suis tout sauf homosexuelle. Peut-être que j'ai eu une révélation pour Matthew qui finalement était mieux en tant que simple ami, mais je n'allais pas tomber dans les bras d'une femme pour me consoler. Déjà que j'donne mal de l'amour, j'n'me vois pas le donner à n'importe qui. J'inspirais, en m'approchant d'elle lui faisant presque le même commentaire que je m'étais autorisé de lui faire la première fois que nous nous soyons vues, mais ça me faisait presque rire. « J'ne sais pas, ça dépend du point d'vue. Ça peut être un problème pour vous comme moi j'peux m'en foutre vu que j'suis au travail et j'suis payée pour être là. »  Je riais, ce n'était pas méchant pour sa part, juste parce que je détestais qu'on me pose la question qu'elle venait de poser. J'ai d'autres problèmes à résoudre que me faire un sang d'encre pour une femme que j'connais à peine et qui boit seule dans un bar. Après tout, ils étaient plusieurs à venir me faire la causette parce qu'ils étaient un peu trop seuls. Mais moi j'm'en fous, je suis derrière mon bar, ils payent et ça me fait mon salaire. Je grimaçais quand elle m'appelait Nono. Mes oreilles sifflaient et je fermais les yeux pour oublier cette mauvaise phase, mais impossible. « Aïe. Vous vous rendez compte que vous me demandez des excuses et dans la même phrase vous m'appelez Nono ? »  Je posais le verre et le chiffon sur la table puis je croisais les bras. « Vous ne vouliez pas revenir à cause de ça … ? Je n'allais le dire à personne hein. »  Je haussais les épaules, je pensais sérieusement que ce n'était qu'une cliente passagère mais si elle ne passait pas juste à cause de moi, ça m'emmerdait un peu. C'n'est pas pour autant que j'lui faisais la gueule, elle avait de la chance, j'étais de bonne humeur. « Vous voulez rien boire, sérieusement ? »  Surtout que j'pourrais boire, moi aussi. Tout le monde s'en fout.  
 

Je me rendais compte à quel point j'étais juste ridicule en cet instant même. C'est vrai quoi, je l'avais draguée, je m'étais prise un vent, et alors? Ca arrivait. Ca voulait pas dire que j'étais désespérée pour autant. Mais ma façon d'agir actuelle était déplorable, d'ailleurs la serveuse allait finir par croire que j'avais totalement craqué sur elle - ce qui n'était pas le cas - elle était mignonne, oui. Mais elle n'était pas intéressée, alors j'avais lâché l'affaire. D'ailleurs, elle s'en foutait carrément que je sois seule. Elle était bizarre cette fille, elle posait des questions mais se foutait des réponses. J'avais un peu du mal à saisir. Peut-être que c'était un truc obligatoire dans son contrat, poser des questions connes pour se montrer un minimum aimable.
- Ouais, ok... Je répondais simplement. Je crois qu'au final j'avais besoin d'un verre, j'étais pas super bien là. Elle m'avait rappelé ma solitude constante, c'était affreux comme sensation.
Elle s'appelait pas Nono, et c'était pas non plus un surnom qu'elle semblait apprécier, tant pis. Je me souvenais plus de son prénom, j'avais tenté de jouer avec ma mémoire mais ça avait été un fail total. Encore heureux que je l'avais pas appelée Arno, elle m'aurait sans doute foutue dehors.
- Désolée, j'ai oublié votre prénom en fait. Je haussais les épaules, d'un air désolé. Elle m'avoua qu'elle n'allait parler à personne de la drague foireuse de l'autre fois. C'est dingue, j'aurais pensé le contraire. Mais ça m'arrangeait qu'elle se montre aussi sympa.
- Merci... Je me mordais la lèvre inférieure, parce que j'étais un peu gênée. J'observais les gens dans le bar, mais fort heureusement, personne n'écoutait notre conversation.
- Je vais prendre une bière. Je vous emmerderais pas comme l'autre fois, promis. Je fis un sourire.

Je crois que c'est plus fort que moi, à chaque fois que je croise une petite tête inconnue, il faut que j'embête cette personne, alors qu'elle ne fait que commander une boisson. C'est pour ça que j'avais été voir la blonde la dernière fois, j'aurais sans doute m'abstenir parce qu'elle semblait bien vouloir me draguer la dernière fois. Pourtant, étant la pire des chieuses, j'm'étais fondue dans le jeu pour ensuite bien la détruire. Ça m'avait plu, parce que c'est dans ma nature, mais j'n'avais pas réellement pensée à elle, la honte qu'elle avait dû ressentir. Et bien, que ça m'avait traversée l'esprit quelques petites secondes, ça n'était pas restée encrée pour que je m'en aille. La voir ici, lui faire le même commentaire que je m'étais amusée à lui faire la dernière fois m'arracherait presque un sourire si j'aimais sourire. Malheureusement pour elle, mais pas que, je déteste montrer mes dents. « Aino. Mais je suis curieuse de savoir à quel prénom vous étiez en train de penser. »  Arnaud peut-être, mais c'est beaucoup trop masculin pour moi. J'veux bien qu'on trouve que j'ai un côté garçon manqué en moi, mais j'ne suis pas un homme. « Si ça peux vous rassurez, je ne me souviens pas du votre non plus, j'sais même pas si vous me l'avez donné. »  On ne peut pas vraiment m'en vouloir, j'ai autre chose à foutre que retenir des prénoms de filles qui ne passent qu'une fois tous les trente-six du mois. « Ne me remerciez pas, j'aurais très bien pu le faire, mais j'avais d'autres anecdotes de la journée à raconter à mon frère, c'jour-là. »  Je riais cette fois, fallait pas non plus qu'elle me prenne comme un héros, je n'ai rien fait justement, j'aurais pu ouvrir ma gueule, crier sur tous les toits que c'te femme était une lesbienne en chaleur. J'l'ai pas fait. Puis en même temps, après quelques semaines, ma pseudo-réputation dans ce bar a été ruinée par une rumeur comme quoi je vivais dans une caravane et j’y accueillerais des clients ... comme une pute, quoi. Je secouais la tête avant de l’écouter de nouveau. « Oh vous pouvez, les clients sont d’un ennui aujourd’hui, puis en plus, y’a personne pour surveiller si j’bois alors, j’en profite. » Je soufflais cette phrase pour qu’il n’y ait qu’elle qui l’entende, j’voulais pas me ramasser des bouteilles sur la gueule. « Bière alors ! J’arrive. » Enfin, plus elle. La bibine. Je parcourais le bar pour prendre sa boisson puis occasionnellement m’en servir une, je revenais vers elle, avant de la servir. « Par contre, c’est l’seul que j’compte boire avec vous, j’tiens pas à rouler sous les tables pendant qu’un client vole la caisse, vous comprenez ? »

C'était dingue, mais j'avais l'impression qu'il n'y avait aucune perspective d'évolution dans notre relation, à moi et cette serveuse. Y avait comme un mélange de sympathie et de mépris, mais rien de plus. Certains moments, je la trouvais sympa, et d'autres beaucoup moins.
Merde, elle voulait savoir avec quel prénom je l'imaginais. Je fis fonctionner mon cerveau à la vitesse de l'éclair, parce que Arno, c'était hors de question. Je pouvais pas balancer ça.
- No... Norah. Ouais, ça vous va bien. C'était le premier truc qui m'était passé par la tête. En réalité, ça lui allait pas si bien que ça. Aino, c'était beaucoup mieux. Elle aussi, avait oublié mon prénom. J'hésitais un moment avant de lui redonner, j'avais pas trop confiance. Je savais bien qu'elle était que serveuse, et que de toute façon nos discussions ne devaient intéresser personne... Mais si un jour j'étais trop bourrée et que je déconnais à nouveau avec elle, je pourrais me retrouver avec une sale réputation.
- Siam. Je finissais tout de même par avouer. Je regrettais instantanément mon geste puisqu'elle avoua à demi mots qu'elle aurait pu tout raconter à propos de l'autre fois. Dieu merci, elle avait trouvé plus intéressant à dire à son frère, mais tout de même. Mon visage affichait une mine peu rassurée par ce qu'elle venait de me dire. Je ne pris même pas la peine de répondre, tellement la situation devait l'amuser. Pas moi justement. Il fallait que je reprenne le dessus sur cette situation. Tiens, justement, elle comptait boire, parce que personne ne la surveillait. C'était pas une faute professionnelle ça? Si elle balançait quoi que ce soit sur moi, je me servirais surement de ça. Enfin, pas sure que ça intéresse grand monde, mis à part son boss... Mais l'heure n'était pas aux magouilles et à la pseudo vengeance. Je continuais de jouer la carte de la fille sympa. Elle allait me chercher ma bière, et elle s'en était prise une également, m'annonçant que ça serait sa seule. Je la remerciais, avant d'ajouter :
- Pas de problème, ça serait dommage qu'un incident se produise à cause de votre insouciance en effet. Je lui fis un sourire, avant de boire une gorgée.
- Vous en faites pas, votre secret sera bien gardé.

Norah, ce n'était pas si moche et c'était toujours mieux que ce que je m'imaginais, je ne l'aurais pas mal prise si elle m'avait annoncé Norbert, mais ça toucherait sans doute mon cœur quand même. J'ai un prénom, il ne sert pas à rien, pour le moment, j'pouvais bien comprendre qu'elle ne l'avait pas retenu, peut-être que si elle revient, elle saurait mon prénom définitivement si ça ne se passe pas mal aujourd'hui, parce que je ne compte pas jouer la lesbienne une deuxième fois, lâchez des doutes comme ça, je ne voudrais pas qu'une rumeur se lance sur moi, je ne voudrais pas que l'on me prenne pour une lesbienne non plus, ça allait bien deux secondes, merci. « Aino me va mieux. » Je ne disais pas ça sur le ton de l'ironie, c'était vrai, je me voyais mal avec un autre prénom maintenant, je n'avais même pas de second prénom. Je n'avais aucun plan sur lequel m'entraîner. Qu'importe, ça viendra un jour, je deviendrais une menteuse et j'inventerais une autre identité, ça me préparera à ce genre de situation. « Ok, Siam. » je hochais la tête, répétant le prénom quelques fois en tête pour ne pas l'oublier, pas une seconde fois. Je regardais bien sa tête après que j'lui lance que j'aurais très bien pu faire une belle rumeur sur sa tête, ça se trouve il ne me manquait que le prénom, elle n'avait pas dû s'en soucier sur l'instant. Je comptais pas passer ma soirée à m'ennuyer au comptoir, pendant que le peu d'alcoolique qu'il y avait beuglait en levant leur verre pour que je leur reverse, ce soir, je pouvais boire un petit verre moi aussi, puis si je ne le buvais pas en entier ce n'était pas bien grave, parce qu'il fallait bien que je rentre chez moi. Je servais nos boissons avant de lui donner le sien ne premier, normal. Elle était la cliente et je n'allais pas me faire passer en première ─ même si l'envie de boire était présente, j'aurais bien volé son verre pour la peine, mais il ne fallait pas la faire fuir, encore. Elle a pas intérêt à dire quelque chose, j’lui ferais payer son verre double. Comme simple réponse, je levais le menton. « Un secret chacun, ça va. » Même si j’espère que je ne devrais pas m’en servir. « Puis au pire, il y a un autre serveur avec moi … quelque part. » Je levais les yeux vers le monde, voir ce qu’il faisait, priant pour qu’il ne fasse pas comme moi. « Bon, je ne sais pas trop où, mais il doit vagabonder vers les femmes. » Je roulais des yeux avant de boire une gorgée de ma bière.

Aino ! C’était donc ça, le fameux prénom original. Comment avais-je donc pu oublier? Il fallait dire, qu’après le fiasco de l’autre fois, j’avais évité de penser à la serveuse et que j’avais tenté de tout oublier. Si son prénom m’avait échappé, le vent monumental qu’elle m’avait foutu était encore bien présent dans mon esprit. « Je n’oublierai pas cette fois » Je réponds avec un faible sourire. Elle me mettait mal à l’aise cette fille, je savais pas expliquer pourquoi. Maintenant que j’avais eu mon verre, j’allais pouvoir me détendre un peu : l’alcool me faisait toujours du bien, même en faible quantité. Et puis, voir Aino transgresser les règles en buvant aussi me faisait sourire. Au moins, si elle avait un jour envie de balancer quelque chose de mauvais sur mon compte, je saurais lui rendre la pareille en expliquant comment elle gérait son service à son patron. C’était toujours oeil pour oeil, dent pour dent avec moi. Voyez vous, je détestais tout bonnement être en position de faiblesse, et c’était actuellement le cas… Elle m’avoua que de toute façon, il y a avait un autre serveur capable de gérer le service -même si elle n’était pas foutu de me dire ou il se trouvait- « Les serveurs m’ont l’air sérieux ici… » Balançais-je ironiquement. Ca n’était pas réellement pour me moquer, c’était juste une constatation. Entre elle qui buvait et l’autre qui draguait on ne sait ou… Le bar était vraiment bien tenu. Mais je n’étais personne pour juger. Le métier de serveur ne devait pas être facile tous les jours, surtout avec des clients chiants comme moi. J’étais quasiment sure que je serais incapable de servir correctement les gens. Je viderais toutes les bouteilles à moi seule, c’était évident. « C’est pas trop dur, ce boulot? » Je finissais par demander, curieuse d’avoir son point de vu là dessus.

Et merde, elle faisait encore chier à dire que les serveurs n'étaient pas sérieux, ça se voit qu'elle n'était pas à notre place, d'accord, parfois c'était mieux de faire quelque chose dans notre boulot, sauf que personnellement, j'ai dû doubler mes heures pour payer mon loyer mais finalement, à la maison c'est devenu un vrai squat, on est plus de cinq dans cette maison que je ne considère même pas comme être la mienne, donc je paye encore moins mon loyer. Je lâchais un soupir, posant mon regard sur elle d'un air blasé. « Puis même au pire, qu'est ça aurait pu vous foutre ? Vous avez vot'bière, c'est déjà bien. »  Qu'elle me laisse boire tranquille si elle ne veut pas se recevoir mon verre dans sa gueule. Pour une fois que j'voulais faire plaisir à un client en ne le laissant pas seul. C'était sans doute ça le problème, peut-être que la solitude c'est son truc, pas le mien, c'est pour ça que je fais un job comme ça ; si on oublie le fait que je n'ai pas de diplôme pour me décrocher un autre emploi. Dans tous les cas, les gens comme ça finissaient toujours pas s'ôter la vie, ça craint. La solitude ça n'aide personne, ça change quelqu'un et jamais en positif, même moi, depuis que j'ai mes colocataires, dont un qui me sert un peu de punching-ball, ça va mieux, ma grand-mère me manque moins, mais qu'importe. « Ça dépend des clients, parfois ils méritent leur assiette dans la face plus que sur la table. »  Je haussais les épaules, ça m'était arrivé une fois de mettre une assiette dans la gueule d'un client, mais il l'avait bien mérité, quelle idée de me prendre pour une esclave. Je suis serveuse, mais pas servante, faut qu'il apprenne à faire la différence. « Donc, euh, pas vraiment. Faut savoir aussi parfois gérer les embrouilles entre les gens, mais ça va. Ça n'arrive une fois tous les trente-six du mois alors, je n'ai pas à me plaindre. »   Faut aussi me séparer moi d’autres clients, mais ce n’était qu’un détail, elle, elle n’en aurait rien à foutre ou alors ça lui ferait encore un ragot en plus sur moi, ça lui ferait trop plaisir de pouvoir me balancer au boss. « Et vous, c’quoi votre job ? » J’la vois bien coiffeuse, surtout qu’elle ne boit pas tout le temps alors ça ne doit pas être son genre de couper des têtes.

Elle a saisi l'ironie et apparemment elle n'a pas apprécié, vu l'agressivité avec laquelle elle me répond. Fallait qu'elle se calme, elle n'était que serveuse, ce bar ne lui appartenait pas, alors pourquoi prendre les choses autant à coeur? Plus le temps passait plus j'avais l'impression que notre relation basculait vers le négatif. Tant pis, on ne pouvait pas plaire à tout le monde de toute façon, ça serait plaire à n'importe qui. « C’est bon du calme. Je disais ça pour plaisanter... » Par sure qu'elle me croit, mais bon, je tentais quand même. Elle avait raison après tout, qu'est ce que ça pouvait me foutre? Si j'étais serveuse, il était évident que je serais nulle à un point inimaginable. Je connais pas les noms de cocktail, je buvais comme un trou et j'arrivais même pas à ouvrir les bouteilles toute seule. J'haussais les sourcils en l'entendant parler de mettre des assiettes dans la tronche des gens. J'espérais qu'elle ne parlait pas de moi, j'étais insupportable avec elle, certes, mais pas au point de me manger une pêche. « C'est radical... Mais ça s'comprend. » Je commentais, compréhensive. A la clinique vétérinaire, moi aussi j'avais pu avoir à faire à des clients chiants. Le genre hypocondriaque pour leurs animaux, à toujours me les amener alors qu'il n'y a rien à soigner. M'enfin, faire un contrôle de routine me rapportait quand même des sous, je n'faisais pas de consultation gratuite moi. Aino, elle a les embrouilles en plus à gérer. Ca devait pas être évident entre clients bourrés, mais elle m'avoua que ça n'arrivait pas souvent. J'en étais un peu étonnée. « Tant mieux alors. » J'affichais un sourire, puis je bus une gorgée de ma bière. Elle demandait mon job. « Vétérinaire. Alors si t'as un chien, un chat ou même un cheval qui a un soucis, n'hésite pas. » Je me mets à rire bêtement.

Je faisais un mouvement de main, je ne voulais pas me lancer dans un autre débat, me créer une autre embrouille si j’avais une bière dans une main ce n’était sûrement pas pour me prendre la tête avec une fille que je disais vouloir donner une deuxième chance. Parce qu’elle venait tout juste de risquer de frôler la case de fille chiante dans mon esprit, c’est pas la meilleure des cases sachant que c’est un véritable foutoir à l’intérieur. Si je n’avais pas fait une case spéciale pour Sacha, elle aurait fait partie de la pire équipe du Monde. « J’avais compris. » Je tournais mes yeux vers elle, sirotant une gorgée de ma bière avant de soupirer. « Sinon je ne serais plus là depuis longtemps. » On m’a dit qu’il était préférable de s’enfuir, parce qu’un client avait raison et que moi je n’avais qu’à servir des bières, puis le fait qu’elle me rejette à moitié m’aiderait grandement pour mon boulot. « Les gens autour comprennent vite aussi quand ça s’passe. » Amusée, je regardais un peu les autres clients en m’accoudant de mon côté du bar, je ne retiens jamais les têtes des gens qui se trouvaient à côté, sauf s’ils se trouvaient insistants lors d’une de mes embrouilles alors je ne serais pas s’il y en avait un qui pourrait se sentir visée si jamais je clamais ça haut et fort. « Après, ils s’embrouillent sans doute dehors, mais ça, ce n’est plus vraiment mon problème, sans doute de ceux qui habitent à côté, mais bon, c’est eux qui ont décidés d’acheter à côté d’un bar, hein. » Moi j’étais pas trop reculé, mais je n’étais sûrement pas à côté de toute l’ambiance du centre-ville, je me contentais de garder la maison de ma grand-mère, sa sorte de manoir qui se remplissait peu à peu avec les nouveaux locataires. Puis j’dois bien avouer que je m’ennuierais de mon p’tit jardin tranquille. « Wa. J’imaginais pas du tout ça, moi. » Je grimaçais avant de reprendre. « Oula, pas de ça chez moi, j'y suis allergique. »  Je haussais un sourcil, merde, elle n'était pas du tout coiffeuse, elle c'était le genre de fille à l'école qui était amoureuse des animaux. Ça craint. « C'est pas un métier trop dur ? Genre … quand il faut piquer les animaux là ? C'est moche. »  Au fond, je ne sais pas si c'est moi la plus méchante à ne pas aimer les animaux ou si c'est eux quand ils opèrent les animaux. Mais cette pensée me donnait plus envie de vomir qu'autre chose. « Ark. Chacun son domaine, hein. »  Lançais-je dans sa direction avant de boire une gorgée de ma bière. 

Les embrouilles dans les bars, c'était fréquent. Fallait dire, l'alcool n'arrangeait rien. Deux gars en colère, quelques grammes d'alcool dans le sang et cela pouvait vite tourner à la catastrophe. Certains bars du coin étaient mal réputés à cause des embrouilles, alors je les évitais et je venais ici. Ici c'était cool, j'avais encore jamais entendu d'avis négatifs. Y avait juste cette serveuse, que j'arrivais pas trop à analyser. En fait je savais pas si elle m'aimait bien ou si au contraire elle me trouvait casse bonbons. Habiter à côté d'un bar, ça devait pas être facile non plus. Trop bruyant. J'aimais bien les ambiances festives, mais quand j'avais décidé de dormir, je voulais un silence total. « Ouais, tant pis pour eux. Si ça les dérange trop, ils déménagent au pire. » Je répondais, absolument pas compatissante. Je bus une autre gorgée, ma bière arrivait à sa fin, malheureusement. Je me mis à rire, elle m'imaginait pas vétérinaire. C'est vrai, j'avais pas trop la tête à être fan de Grand Galop, mais les animaux restaient tout de même une de mes passions. Elle, elle en semblait quasiment dégoutée, elle était d'ailleurs même allergique. Je la plaignais, sérieusement. Avoir un chien ou un chat, ça pouvait vraiment apporter pas mal de bonheur à un foyer. La question typique, celle de l'euthanasie. Je trouvais cette question malsaine, mais j'allais quand même satisfaire sa curiosité. « C'est jamais une partie de plaisir, c'est sur. Mais on ne fait ça qu'en dernier recours, quand l'animal souffre trop. » J'avais parfois dû piquer quelques animaux et j'avais eu du mal à retenir mes larmes. Mais c'était pour leur bien... « Comme tu dis, chacun son domaine. » Je terminais ma bière d'une traite. J'avais plus assez d'argent pour me recommander quoi que ce soit, j'avais emporté qu'un billet. Et puis, valait mieux que j'économise un peu au lieu de tout dépenser en boite de nuit et en alcool. « Bon, je vais pas abuser plus de temps. Faut que j'y aille. » Je lui tendis son billet, lui indiquant qu'elle pouvait garder la monnaie, fallait bien que je lui laisse un bon pourboire, elle avait été sympa avec moi.

J'étais heureuse qu'elle me soutienne au moins dans quelque chose, les locataires à côté savaient dans quoi ils s'embarquaient, c'était eux après tout qui avaient voulu habiter ici, peut-être que c'était plus pratique pour les alcoolos, ils ont juste à descendre les marches puis à traverser la route pour arriver là, poser les pieds sous la table pour enfin voir quelqu'un arriver pour servir des repas et des bières. Une belle vie. Je hochais simplement la tête, buvant une gorgée de ma boisson qui allait bientôt être vide, qu'importe, je ne reprendrais pas une deuxième de la soirée, je ne voulais pas me retrouver à ne plus pouvoir rentrer chez moi après, et je ne resterais sûrement pas faire des heures supplémentaires, ça ferait bien trop plaisir à mon boss. Notre conversation tournait sur son métier, vétérinaire, mon pire cauchemar, je déteste les animaux, sans raison, mais ils ne sont pas mignons, alors je me désintéresse vite à ce qu'elle faisait dans la vie, j'aurais encore préférée la voir croque-mort. « Ouais je vois … au fond c'est un mal pour un bien. » Je n'aimais peut-être pas les animaux, mais je n'aimais pas voir les souffrances des êtres-vivants, parce que ma grand-mère a souffert pendant ses derniers moments, mais je n'oserais même pas la comparer à un chien. Tout comme elle, je finissais ma bière avant de tourner mes yeux vers elle. « Bon timing, j'allais partir re-bosser après une bière. » Je regardais l'argent qu'elle me donnait puis fût rapidement étonnée par le pourboire, je ne m'attendais pas à ce qu'elle m'en donne un, mais si ça pouvait m'aider à me faire un peu d'argent de poche, qui ne partirait pas pour payer ma maison, c'était cool. « Euh … merci. Puis à bientôt Siam. »