checkpoints (cosima)

Et voilà, les cloches de la dernière période de la journée, de la dernière période de l’année scolaire, même, venaient de retenir au lycée de Bowen. August regarda tous ses élèves, avec un sourire fier au coin des lèvres, après qu’ils aient passé les vingt dernières minutes du cours à parler de ce qu’ils feraient de leurs vacances, de leurs meilleurs souvenirs de l’année, de leurs projets futurs. « Merci à tous pour cette belle année. N’hésitez pas à repasser par ma classe ou mon bureau, dans les prochaines années, si l’envie vous prend. J’aime toujours avoir de vos nouvelles. Allez, foutez le camp, et passez un bel été ! » Lança August en s’asseyant sur le coin de son bureau, saluant un par un chaque élève qui sortait, tapant dans la main de ceux qui lui présentaient la leur, souriait aux timides sourires de certains autres. Puis, dans les dernières élèves à partir se trouvait Cosima. Alors qu’elle passait à côté de lui, August l’interpella. « Hé, Cosima, tu veux bien rester un moment ? » Il lui sourit, avec un de ces sourires rassurants dont il avait l’habitude d’offrir. Il n’avait aucunement l’intention de la gronder pour quoi que ce soit ; elle avait été l’une de ses meilleures élèves, après tout. Elle devait bien se douter des raisons de son besoin de lui parler même si c’était la fin des classes et qu’elle avait sans doute bien hâte de regagner sa maison, ou la plage ou les restaurants. « Assieds-toi, si tu veux. » Dit August alors que la classe s’était complètement vidée de tout autre être humain. Ne restait plus que lui, Cosima, et la petite chenille dans son bocal, qui n’avait pas eu le temps de devenir papillon avant la fin de l’année scolaire. « Tu sais, même si c’est les vacances d’été, que tu n’es plus mon élève, j’veux que tu saches que tu peux toujours passer par mon bureau d’ici la fin du mois de juillet, et que pour le reste des vacances, je serai facilement joignable par téléphone. » August lui sourit tout en la regardant avec sérieux, pour qu’elle ne doute pas de ses intentions de l’aider jusqu’au bout. « Alors si t’as envie de parler, besoin de te confier ou besoin de conseils, tu viens me voir, ça me fera plaisir de continuer à t’écouter. » Lui assura-t-il, toujours avec son visage doux.

Alors qu’August essayait le plus subtilement possible – en vain – d’amener Cosima à continuer à lui parler, à se confier, malgré l’arrivée des vacances scolaires, la jeune femme baissa les yeux et lui sourit timidement. Elle hocha la tête, ce qui tout de suite détendit le professeur et le soulagea. Au moins, elle aussi avait ce besoin de le revoir, peut-être. De savoir qu’il serait là, du moins. Tout comme August avait ce besoin de continuer à aider Cosima, pour sentir qu’il pouvait faire une différence dans sa vie, pour avoir l’impression qu’elle n’était plus aussi seule à traverser ce brouillard qu’est l’adolescence. D’abord, comme première demande, Cosima lui demanda s’il était possible pour lui de faire en sorte qu’elle se retrouve dans une nouvelle classe l’an prochain, surtout loin de Ludivine et de sa bande qui la suivait sans cesse dans ses prises d’opinion et ses actes blessants. August avait bien vu ce petit clan, cette clique dont on ne peut jamais s’échapper dans un lycée. Le professeur avait parlé individuellement à ces élèves, à plusieurs reprises, non pas seulement pour Cosima mais pour d’autres jeunes aussi, et pour leur attitude en général. Rien à faire, ces kids se croyaient les rois du monde. August reposait ses espoirs sur le temps, en ce qui les concernait. La maturité viendrait, un jour. Il sourit doucement à Cosima. « J’ai cru remarquer, oui. Écoute, Cosima, je ne peux rien te promettre, car je ne m’occupe pas de la répartition des élèves dans les classes. Mais je pourrai sans doute faire une demande spéciale. La direction se fie souvent à moi, comme je connais pas mal tous les élèves. Je vais faire de mon mieux. » En même temps, il se disait aussi que Cosima allait devoir apprendre à tenir tête à ces bêtes, mais il savait aussi qu’elle avait eu son lot de mauvaises expériences et que s’il pouvait alléger sa toute dernière année, il le ferait. La jeune femme lui demanda alors s’il faisait ça parce qu’il avait pitié d’elle, prétextant ne pas avoir besoin d’un prof’ sur le dos, ce qui lui attirerait encore plus de moqueries. August secoua la tête et fronça les sourcils. « C’est pas ça du tout, Cosima. La pitié, j’connais pas ça, moi. L’entraide et l’écoute, par contre, oui. Et plus jeune j’aurais parfois eu besoin de quelqu’un à qui me confier autre que ma famille, alors j’aimerais jouer ce rôle pour des gens qui en auraient besoin aussi. T’auras personne sur ton dos pour ça. C’est entre toi et moi. » Lui assura August, le regard bienveillant.

À l’entendre parler de son père, August se faisait de plus en plus de soucis. Il avait déjà rencontré son père, lors de réunions de parents obligatoires, et il avait bien sûr remarqué son penchant pour l’agressivité, et la résolution de conflits non pacifique. Ça ne lui plaisait pas tant que ça, mais il se disait que Cosima était assez grande pour se faire sa propre tête et se développer comme il le voulait. Mais d’un autre côté, August savait bien à quel point l’influence des parents et de l’éducation reçue pouvait former une personne. « Non, non. Pas à ton père. Je préfère largement qu’on règle ça par l’administratif que par les poings. » Dit-il avec un mince sourire, même si derrière ce sourire se cachait toute son inquiétude. Elle lui parla ensuite de l’accident de moto de son père, dont il avait eu vent mais il ne savait pas où en était son état de santé depuis. Il était encore dans le plâtre, visiblement. « Oui, j’imagine que ça doit être difficile. C’est ton emploi d’été, donc, le garage ? Tu t’y connais pas mal ? » S’intéressa-t-il. Il espérait aussi que son père la rémunérait un peu pour le coup de main, aussi, parce que ça avait beau être de l’entraide dans la famille, Cosima avait aussi besoin de se ramasser un peu d’argent comme tous les jeunes adultes de son âge. La jeune femme demanda finalement à August s’il avait autre chose à lui dire, ou si elle pouvait y aller. Il secoua la tête, se calant dans sa chaise de bureau peu confortable. « Non, c’est tout ce que j’avais à dire. Alors si t’as rien de plus à dire non plus pour le moment, j’te retiens pas, va profiter. » Il sourit, tout de même déçu que Cosima n’ait pas été aussi réceptive qu’il ne l’aurait pensé. Peut-être était-il temps qu’il cesse de la protéger ainsi et qu’il la laisse voler de ses propres ailes, en quelque sorte. Et puis, elle avait raison, il avait beau s’inquiéter, il n’était qu’un prof’, il ne pouvait pas y changer grand-chose. « J’peux pas faire bouger des montagnes, mais j’peux t’aider à transporter un certains poids jusqu’en haut. » Déclara-t-il, s’improvisant poète un moment. « Et pour Ludivine … » Commença-t-il, un sourire en coin, quand même amusé par l’audace de Cosima. « Je ne pense pas avoir assez de poids dans une telle décision … » Il aurait voulu embarquer dans la blague, mais August était professeur, il ne pouvait pas parler en mal des autres élèves à un autre élève.