don't touch me | bérénus

«J'aurais dû.» Tu dis cela sans intonation, sans émotion, sans sourire, sans intensité. Parce que tu en viens presque à regretter de ne pas l'avoir fait. Regrettes-tu? Devrais-tu? La réponse est non. Non, tu ne devrais pas. Tu ne peux pas. Tu n'es pas un type bien, tu le sais. T'es con. T'es pas que con, t'es un connard. Un vrai connard, du genre bâtard. Un pauvre type, en somme. «Pourquoi j'devrais éviter?» Tu ne comprends pas pourquoi tu devrais, alors que ce que tu dis est véridique. Tu observes avec inquiétude les nombreux cotons étalés sur le comptoir, tout prêt de l'évier. Ils sont imbibés de sang séché. Tu es mauvaise menteuse. J'dois plutôt faire peur à voir. Que tu dis tristement, en poussant un soupir. Ceux qui se sont permis de te tabasser ce soir, tu ne les laisserais pas filer la prochaine fois. Même s'il t'en coûtait ton intégrité et ta belle gueule, tu sais qu'il fallait que tu te venges, que tu leur montres que tu n'es pas qu'un gosse qu'on peut se permettre de mettre à terre, et laisser pour mort. Tu admires la jeune femme un instant, le regard perdu, un silence de mort s'étant installé dans l'appartement. Lorsque tu reviens à toi, tu déclares d'une voix faible, basse et presque inaudible: «Il serait peut-être temps que je retourne chez moi. Il se fait tard, et je ne voudrais pas t'importuner plus longtemps. Merci... pour, ça. Enfin.. Pour tout ça.», dis-tu en pointant d'un coup de nez les cotons et le sang, et l'alcool, et tout le paquet, à côté, sur le comptoir. Tu ne sais pas pourquoi elle s'était donné tout ce mal, mais c'était sympa de sa part. Tu ne méritais pas qu'on s'occupe de toi, comme ça.

Tu n'es pas très évocatrice, Bérénice. C'est moi qui te fait cet effet?, demandes-tu, légèrement amusé par la situation, bien que celle-ci soit plutôt dramatique, vue les circonstances. Tu persistes à vouloir te montrer dragueur devant la jeune femme, parce que c'est d'abord et avant tout cette facette de toi que tu laisses entrevoir, mais aussi parce que tu ne veux pas qu'elle voit plus loin derrière, qu'elle comprenne qu'il y a autre chose. Qu'il y a plus. Tu ne lui fais pas peur, et pourtant tu devrais. Ce n'est déjà pas très rassurant d'être en compagnie d'un homme qu'on connaît à peine, encore pire lorsque cet homme a la gueule en sang. Tu t'apprêtais à te lever, tu t'apprêtais à partir. À fuir. Retourner chez toi pour ne pas dormir de la nuit, pour passer une nuit entière à réfléchir, à te torturer l'esprit comme tu as l'habitude de le faire. Mais Bérénice te propose de rester. Elle te propose de discuter. Comme si c'était intéressant de discuter avec toi. Comme s'il y aurait quelque chose de profond à tirer d'une discussion avec toi. Tu devrais te taire et partir. Tu devrais décliner l'offre et fuir. Mais c'est toute autre chose que tu laisses comprendre, en répondant: T'as quelque chose de fort? Du whisky? De la vodka? Du rhum? J'suis pas trop jus d'orange... Un petit rictus s'échappe d'entre tes lèvres, puis c'est à nouveau le silence. À ce que Bérénice t'avoues, tu décides d'enfin te lever de cette foutue chaise pour te retrouver face à face avec la demoiselle. Enfin, façon de parler. Tu dois faire au moins une tête de plus qu'elle, voire une tête et d'mi. Tu t'mets à réfléchir à pleine vitesse. Si bien que le mécanisme en vient à se briser. Un défaut de fabrication, p'têtre. Tu n'arrives à aucune conclusion, aucune possibilité réaliste. Dans le silence le plus total, un silence où il n'y a que les respirations des deux protagonistes présents dans le pièce qui puissent s'entendre, ta main droite vient se glisser sur la hanche de la fleuriste. Sans nécessairement chercher son consentement, ni à savoir s'il serait mieux de faire marcher arrière, tu la pousses doucement contre le comptoir derrière elle, devant toi. Ton corps se fond contre le sien. Ton corps meurtri qui ne cherche qu'un peu de réconfort, qu'un peu de normalité, se fond contre le sien, tout comme tes lèvres s'accrochent aux siennes. Chez toi, réfléchir avant d'agir n'a jamais porté ses fruits. Ton impulsivité te fait souvent perdre tes moyens, et c'est d'ailleurs pour cette raison que tu te retrouves en si piteux état ce soir. C'est aussi pour ça que tu t'es permis de l'embrasser. D'embrasser cette jeune femme qui ne veut pas de toi. Qui veut juste discuter. Qui ne veut pas que tu lui arraches ses vêtements, pour passer la plus belle des nuits de sa vie. Et tu ne comprends pas. Tu ne comprends jamais rien, car t'es con. T'es vraiment con.

Ça t'étonnerait qu'elle ait de l'alcool fort. Elle n'a déjà pas l'air d'être bien portée sur l'alcool, ça t'étonnerait qu'elle garde comme toi un placard rempli de diversités alcoolisées. Mine de rien, l'idée de boire est vite chassée, remplacée par la soudaine envie d'embrasser cette jeune femme. C'est plus fort que toi. La pulsion, l'impulsion te font littéralement perdre le contrôle. Tu sais qu'elle ne veut pas. Tu sais qu'elle n'acceptera jamais ce que tu t'apprêtes à faire, mais tu ressens ce soir ce besoin indéniable de l'avoir contre toi, malgré l'interdit. L'interdit, les barrières qu'elle a instaurées lors de votre dernière rencontre. Lors des premières, aussi. Des barrières claires et nettes, impossibles à franchir, que tu essaies pourtant d'escalader, d'affronter. « Angus … Non ... » Tu la sens pousser contre toi, te repousser. Ses bras frêles ne parviennent pas à te dégager de contre son corps. Tu devrais reculer, t'éloigner et l'écouter, ne pas poursuivre dans ton élan d'impulsivité. Mais non. Non, tu persistes, tu te colles un peu plus, comme si c'était possible. Et étrangement, ce l'est. Et elle se joint à toi dans votre balade de langues, de baisers. Elle entoure ta nuque de ses petits bras, et tu deviens fou, comme toujours lorsque tu te perds dans les bras d'une femme. Elles te rendent dingue, elles pourraient faire ce qu'elles veulent de toi. Bérénice pourrait littéralement faire ce qu'elle veut de toi, bien que tout puisse donner l'impression du contraire. D'un rapide coup de main sur le comptoir, tu étales les trucs qui s'y trouvaient plus loin, dégageant l'espace. Tu l'attrapes par les hanches pour la soulever avec une certaine aisance et la dépose fesses contre comptoir. Tu souris en lâchant ses lèvres un instant, tentant de retrouver ta respiration dans tout cet empressement. Tu baisses la tête, et respire à grands coups. Respire, inspire, respire, inspire... J'suis désolé. J'devrais pas, je sais que tu veux pas. Et j'respecte ça, j'te l'ai dit... Désolé. Merde, c'tait plus fort que moi, j'suis con... Tu avales ta salive difficilement, toujours en quête de ton souffle, te trouvant particulièrement con, dans l'moment.

Elle en a envie. Autant qu'toi t'en as envie. Autant que tu en as envie, depuis le début. Dans toute affirmation, il y aura toujours un mais. Une pause, une incertitude, une condition. L'instant présent ne fait pas exception à la règle, bien que l'on ait parfois l'impression d'être différents, singuliers. Bérénice, elle est belle. Elle est belle, désirable, attachante, charmante, différente. Chaque fois que tu tentes de le lui faire remarquer, elle rougit. Tu ne sais pas si son innocence te plaît ou si c'est un trait parmi tant d'autres, mais ce soir, tu te sens vaguer dans un tout autre monde, dans un univers que tu voudrais partager, corps et âme. Corps, surtout. Car ton âme n'est pas celle que l'on aurait envie de découvrir, bien loin de là. Tes jours sombres, tes macabres secrets, ton passé merdique, rien de tout ça ne donne envie. Tu t'es excusé auprès d'elle de ton élan un peu trop passionné, un peu trop soudain. Mais la bombe des révélations qui s'annonce est toute aussi soudaine, voire bien plus, que le reste. « Je … je suis vierge. » Jamais. Jamais, tu ne te serais attendu à ça. Quoique, Sainte-Nitouche comme tu t'es permis de la traiter lors de votre dernière rencontre, tu aurais dû t'y attendre. Il n'y a rien de mal à être vierge. Rien du tout. Sinon que tu ne sais comment t'y prendre. Tu t'assures toujours - ou presque, qu'elles ont de l'expérience. Que tu n'auras pas à voler la virginité d'une pauvre fille qui rêve du grand amour. De l'amour avec un grand A. Tu ne peux pas faire ça à Bérénice. Tu t'éloignes d'elle, le visage dans les mains. Elle mérite bien mieux qu'un sale type comme toi, un type qui ne fait que passer d'une fille à une autre. C'est ce que tu fais. C'est ce que tu es. Tu aurais bien besoin d'ce verre, finalement. Là, maintenant. Hum... je vois. C'est tout ce que tu trouves à dire. C'est tellement con, tellement idiot, tellement ridicule. Mais c'est tout ce que tu trouves à balancer. J'peux.. j'peux utiliser ta salle de bain? J'aurais bien besoin d'une douche, si ça t'dérange pas trop.

«J'vais pas partir.», dis-tu un peu trop sèchement à ton goût. C'est pour cette raison, que tu aimes tant coucher, sans sentiments. Tu tires un coup, tu prends ton pied et tu dégages. C'est simple, aussi simple que de résoudre 2 + 2. Mais tout ne semble pas aussi simple, maintenant. Pourquoi? Tu la connais à peine, cette Bérénice. Petite fleuriste rencontrée par hasard, le destin semble être têtu à vouloir faire croiser vos chemins, encore et encore. La jeune femme t'avait montré le chemin vers la salle de bain, dans laquelle tu venais de t'enfermer, en silence. Il te faut passer de longues minutes sous la douche avant de pouvoir reprendre tes esprits. Tout ton corps te fait souffrir de par les nombreux coups de poings et de pieds que tu as reçus, plus tôt en soirée. Ton visage est horrible à voir dans la glace. Tu soupires, poings contre le comptoir, avant de te sécher à l'aide d'une serviette qui traîne. Tu l'as laissée poireauter derrière la porte de la salle de bain, en silence, alors qu'elle semblait dans un tout autre état. Tu t'en veux. C'est bizarre, mais tu t'en veux. Elle est vierge, putain. Comment t'avais pu lui faire ça? T'en avais aucune idée, mais tu te sens coupable, terriblement coupable. Tu enfiles ton jean, et préfère mettre de côté ton chandail imbibé de sang. En prenant une grande respiration, tu sors finalement de la salle de bain, en cherchant la jeune femme des yeux.

Tu arrives dans la cuisine et quelle n'est pas ta surprise de retrouver Bérénice, un verre à la main, et une bouteille de whisky sagement posé sur la table à manger. Étonné, tu t'approches de la jeune femme en secouant la tête de gauche à droite. Quand le chat n'est pas là, les souris dansent? Un peu d'humour dans un moment pareil, est-ce que cela peut aider? Tu aimerais bien y croire. Tu t'assois sur la chaise face à la jeune femme, attrapant la bouteille pour y boire directement, sans te gêner. En l'espace de quelques secondes, tu vides ce qui semble ressembler au quart de la bouteille. Un peu trop bruyamment, tu la déposes sur la table, pas trop gêné non plus par ta semi-nudité. Je suis désolé, pour ce qui s'est passé. J'aurais dû savoir me contrôler. Tu souris difficilement en plongeant ton regard ténébreux dans le sien. En silence, tu l'observes longuement, cherchant quoi dire. Tu n'es pas dans ton élément. Pas ce soir. Pas après tout ce qui s'est passé, avant d'arriver ici, et après. On peut discuter maintenant, si tu veux. Mais... tu m'as dit tout à l'heure que tu comprendrais si je voulais partir. Toi, préfères-tu que je parte? Je comprendrais. J'ai été un vrai con, Bérénice.

Elle t'avoue qu'elle se serait attachée. Beaucoup trop attachée à toi. À cet aveu, tu détournes la tête pour te perdre dans un autre univers, pour t'imaginer à quel point ça aurait été tordu, une telle situation entre vous deux. Nerveusement, tu ris en te pressant la nuque d'une main. Il faut que tu trouves quelque chose à dire pour te sortir de là, pour retrouver ton toi. Naaaah, j'sais bien. Ça aurait été une grosse erreur. J'me suis emmêlé les idées, j'ai fait n'importe quoi. Pour retrouver un peu de contenance et par le fait même, tes bonnes vieilles habitudes, tu poses une main sur la table en te penchant légèrement vers la demoiselle. Par contre, c'est un fait: t'embrasses plutôt bien, pour une sainte-nitouche. Un sourire amusé se forme sur tes lèvres, alors que tu attrapes de nouveau la bouteille d'une main et te l'enfile plutôt rapidement. Innocemment, tu hausses des épaules lorsqu'elle te dit que tu n'es pas con, et bla-bla-bla. Tu soupires en déposant la bouteille bruyamment sur la table et rencontre à ton tour les beaux yeux de la jeune femme. J'me rabaisse pas, Béré. C'pas dans mes habitudes d'me taper sur la tête pour me mettre à terre. Mais j'ai été con, et c'est loin d'être faux. Je me suis jeté sur toi comme un sauvage sans bonnes manières. Non, c'est non. Et j'aurais dû respecter ta volonté, plutôt que de jouer avec les limites.