Quelqu'un sur qui compter [Wooshka]

Quand Annushka parla de pieds déformés, un frisson parcourut le dos de Woody et sans doute qu’une grimace avait trahi son semblant d’indifférence. Étant très visuel, il avait eu des images en tête et cela n’avait rien d’agréable. Il se demandait comment on pouvait volontairement se faire aussi mal pour un sport, un art. Dans d’autres disciplines, comme le vélo de montagnes, les blessures était accidentelles. Là, les danseurs et danseuses avaient pleinement conscience des risques et des effets de la danse sur leur corps. « Faudra que je vois un spectacle d’une bonne troupe de ballet, question de comprendre un peu mieux. » Question de comprendre un peu mieux pourquoi ils se torturaient autant pour la danse. Peut-être qu’en voyant à quel point c’était magnifique, il se poserait moins de questions. Il ne voulait pas vexer Annushka avec son opinion, ce pourquoi il montrait tout de même une certaine retenue dans ses commentaires.

Ce fut finalement au tour de Woody de parler de sa passion, passion qu’il ne pouvait plus pratiquer depuis quelques années maintenant. Il rigola quand elle lui affirma devoir lui demander un autographe. « Je ne pense pas que ça ait une quelconque valeur, maintenant. » Des champions mondiaux, il y en avait eu d’autres après lui, et il y en aurait encore un tas. Il avait été le champion durant trois années consécutives, certes, mais d’autres avaient conservé ce titre plus longtemps. Peut-être aurait-ce été son cas si cette maladie ne l’avait pas frappé.

À l’annonce de l’exercice de marche, Annushka ne perdit pas une seconde et se redressa, posant les deux pieds par terre, le deuxième avec douceur. « Pour le moment, utilise quand même tes béquilles pour te rendre à l’autre bout de la pièce, où il y a les rampes. » Woody ne tenait pas à ce qu’elle s’effondre en s’y rendant. Une fois arrivés là où les deux rampes parallèles se trouvaient, Woody débarrassa Annushka de ses béquilles et lui indiqua d’aller se placer à l’une des extrémités du passage de rampes. « Utilise tes deux bras pour soutenir ton poids au fil de tes pas, et essaie de mettre peu à peu davantage de poids sur ta jambe. Vas-y à ton rythme ; si tu la sens trop faible ou que tu as mal, retiens-toi à l’aide de tes bras. » Lui indiqua le physiothérapeute.

Annushka eut un léger sourire quand elle vit l'air dégoûté de Woody. Elle savait que personne ne pouvait cautionner qu'on se déforme les pieds, qu'on s'éclate les ongles pour un sport. Mais c'était plus que ça, c'était une passion. Elle ne s'attendait pas à ce que les autres comprennent.

-J'ai des DVD's de mes spectacles, si tu veux.

Humblement, elle pouvait dire qu'elle faisait parti d'une bonne troupe de ballet. Elle n'en avait jamais été une danseuse étoile malheureusement, elle aurait pu le devenir. Le destin en avait décidé autrement. Peut-être qu'elle avait quelque chose de grand à accomplir à Bowen. Elle aimait se dire, parfois, que Dieu avait fait cet accident pour qu'elle se retrouve ici parce qu'il pensait qu'elle y serait plus heureuse qu'en Russie.

La brunette leva les yeux vers lui dans un regard emprunt de bienveillance. Elle haussa doucement les épaules à sa remarque. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? C'était tellement subjectif la valeur. C'était bien pour cela que parfois on parlait de "valeur sentimentale" par exemple.

-Ce n'est pas la valeur qui compte. Un bout de papier signé n'a jamais eu une quelconque valeur.

Pour Annushka, ce qui comptait dans ces autographes, c'était le souvenir. La preuve qu'un jour dans sa vie, on avait rencontré quelqu'un de grand, dans un quelconque domaine, qu'on avait approché une légende, quelque chose comme ça. Woody avait été champion alors, même si maintenant il n'était plus rien, à un moment de sa vie, il avait approché la perfection dans son sport.

Annushka hocha la tête lorsqu'il lui dit de se rendre à l'autre bout de la salle avec ses béquilles, ce qu'elle fit. Elle n'avait pas l'intention de le contrarier, et puis c'est vrai que c'était beaucoup plus raisonnable. Elle le laissa prendre ses béquilles une fois rendue jusqu'aux barres, s'appuyant dessus. Elle écouta attentivement les consignes de son physiothérapeute avant de se lancer dans l'exercice. Concentrée, elle enchaînait ses pas, ne mettant que peu de poids sur sa jambe faible au début.

-Si j'avais des barres, je pourrais le faire chez moi ?

Sans plus attendre, Annushka proposa à Woody ses DVD’s de spectacle. Ainsi, non seulement il pourrait voir de quoi avait l’air de vraies grandes troupes de ballet, mais il verrait aussi le talent de sa patiente elle-même. Il sourit. Même si l’idée de passer un vendredi soir à regarder des spectacles de danse ne l’encourageait pas dans sa masculinité, il faut dire que l’offre lui plaisait quand même. Après tout, Woody adorait le sport, et la danse était un sport malgré certains dires, alors il devait bien laisser sa chance au ballet non ? Il hocha la tête, finalement, avec entrain. « J’aimerais bien les voir, ouais ! Tu pourras me les amener à ton prochain rendez-vous ? » Proposa Woody. Annushka serait sans doute très ravie que son physiothérapeute s’intéresse ainsi à sa passion. Et puis, au stade où ils en étaient, ils avaient dépassé la relation bien simple et professionnelle de patient-professionnel. Ils n’allaient pas sortir en boîte ensemble mais il considérait quand même la jeune femme comme une amie.  

Ils parlèrent ensuite de la passion de Woody, celle dans laquelle il avait été champion avant de tomber dans l’oubli. Après qu’il ait accepté de lui signer éventuellement un autographe malgré que ça n’ait plus aucune valeur dans ce monde, Annushka lui assura que ce n’était pas la valeur du papier signé qui comptait. Il sourit. « Pourtant ça peut se vendre très cher sur Ebay. » Blagua-t-il. Il aurait aimé avoir la même vision que la brunette, malheureusement Woody savait trop bien à quel point c’était faux dans certains cas. Ses autographes s’étaient autrefois vendues bien chères entre fans, pour maintenant ne même plus figurer dans les ventes ou les échanges. Il avait été grand, mais pas assez pour qu’on s’en souvienne.

Retournant à la séance d’aujourd’hui, Woody guida Annushka jusqu’aux barres où elle commença à marcher, très tranquillement, sans mettre de poids sur sa jambe en peine réadaptation. La brunette, toujours prête à en faire plus, lui demanda si elle pourrait le faire chez elle si elle trouvait un moyen d’avoir ce même système de barres. Woody réfléchit un moment. « Si t’arrives à en avoir des solides, et que t’as quelqu’un qui pourrait te surveiller pendant tes exercices, c’est certain que c’est un bon exercice. Mais pas trop souvent, et pas trop longtemps. Ta jambe a besoin de repos entre les exercices. Et je n’aimerais pas que tu le fasses seule, les risques de chute sont trop élevés. » Lui-même se tenait assez près d’Annushka, au cas où ses bras faiblissent et qu’elle lâche prise. Il serait là pour la rattraper, toujours.

Annushka était réellement heureuse de l'entrain de Woody face à sa proposition. Elle aimait énormément faire partager sa passion, montrer aux non-initiés la beauté de la danse alors si en plus il s'y intéressait sans qu'elle n'ait besoin de le pousser davantage, elle ne pouvait rien demander de mieux.

-Oui, aucun problème.

Woody ne semblait pas d'accord avec son point de vue. Pourtant, Annushka était convaincue qu'il se dévalorisait. Elle secoua doucement sur la tête quand il parla des prix que cela pouvait avoir. Elle le savait et elle avait toujours trouver cela complètement dingue, ça ne restait pas moins des bouts de papiers après tout. Parfois le monde perdrait la tête.

-Je ne pense pas que le prix de quelque chose lui donne sa réelle valeur.

Les prix étaient vraiment quelque chose de subjectif basés simplement sur un système d'offre et de demande. Ca n'indiquait en aucun cas la grandeur qu'avait pu avoir Woody à un moment de sa vie.

Alors que la brunette faisait son exercice, elle demandait à son physiothérapeute si elle pourrait en faire de même chez elle. Elle s'arrêta quelques secondes dans ses allers et venues pour se concentrer sur sa réponse. Elle hocha doucement la tête avant de se mettre à réfléchir.

-Ma tante pourrait me surveiller, je pense.

Elle avait dit ça, réfléchissant à haute voix. C'était aussi sa tante qui pourrait lui acheter des barres. Elle savait qu'elle le ferait si c'était bien pour sa rééducation. Elle finit par relever les yeux vers Woody avec un grand sourire.

-Merci, je ferais attention, promis.

Puis elle se concentra de nouveau sur son exercice, suivant les consignes, essayant de mettre de plus en plus de poids sur sa jambe sans pour autant se casser la figure. Elle voulait vraiment remarcher comme avant, et même plus encore.

Annushka avait une vision trop belle, trop rose et trop sage de la valeur des objets, ou dans ce cas-ci, d’une signature. Woody le voyait avec l’œil d’un ancien sportif qui avait encore la compétition dans le sang et, même s’il en avait gagné, des concours, il savait qu’au final, cette compétition, il l’avait échouée. Il était perdant. Il avait dû se retirer alors que sa carrière venait à peine d’être lancée. Il était encore tellement jeune, à ce moment-là. Le pire était qu’avec du recul, il savait maintenant qu’il aurait pu continuer encore quelques années sans danger. Sa maladie commençait à peine à se faire sentir dans sa vie de tous les jours. Toutefois, ses médecins et sa famille avaient préféré le pousser vers la retraite sportive, pour éviter le pire. Sans doute était-ce le mieux pour sa santé physique, mais psychologiquement, ça l’avait changé. « J’sais pas. » Avait répondu Woody, surtout pour clore le débat. Ils n’étaient pas ici pour changer leur façon de voir de l’un et de l’autre. Et le physiothérapeute pouvait se montrer très têtu quand il le voulait. Ils passèrent donc aux exercices un peu plus sérieux, et surtout plus demandant pour Annushka. Certes, la phase des massages et des exercices sur lit étaient plus qu’agréables pour elle, mais il faudrait souffrir et travailler un peu pour la remettre sur pieds bien comme il faut. Ils allèrent donc aux barres et Woody lui donna alors quelques conseils advenant le cas qu’elle désire pratiquer seule chez elle. La brunette continua à avancer, progressant de quelques pas sur le petit parcours des barres, sous les encouragements et les directives de Woody. « Tu le sens comment, ton pied ? Ça te fait mal si tu mets du poids ? Tu te sens d’aplomb ? » Plusieurs questions pour obtenir la même information, c’était sa façon de soutirer le plus d’informations possibles de ses patients afin d’avoir une meilleure idée de leur état. Annushka se débrouillait bien, pour le moment. Beaucoup auraient abandonné, ayant trop mal aux bras à force de se soutenir, ou ayant trop mal à la jambe blessée. Elle était persévérante, ça, il devait le lui donner.

Woody ne semblait pas du même avis qu'elle sur la valeur de sa signature. Elle aurait voulu insister, essayer de lui démontrer le contraire mais elle n'avait pas envie d'empirer les choses. Ca devait être quelque chose dont il n'aimait pas parler, elle devait au moins respecter ça.

L'heure était venue de travailler sérieusement et c'est ce que fit Annushka en allant aux barres. Elle essayait de faire de son mieux, mettant, au fur et à mesure, plus de poids sur sa jambe.

-Quand je mets un peu de poids, ça va.

Elle tenta d'en mettre un peu plus, plus que quand elle tentait de marcher sans béquille, mais elle sentit sa cheville faiblir. Heureusement, même si elle avait peu de force dans les bras, elle réussi tout de même à se mettre d'aplomb.

-Là c'était trop... Je crois que ma jambe est encore un peu fragile.

Elle releva la tête vers lui, tentant de lui faire un doux sourire, même si au fond de son cœur ça l'attristait un peu. Elle savait bien que le combat n'était pas fini et qu'il faudrait beaucoup d'échec avant une réussite mais ça ne lui remontait pas toujours le moral pour autant.

-Est-ce que je pourrais essayer avec une bottine ?

Woody hocha la tête quand Annoushka lui parla de la fragilité de sa cheville. Évidemment, après un accident du genre et une convalescence aussi longue, sa cheville – et sa jambe au complet bien sûr – avait bien du travail à faire pour rattraper le temps passé au repos. Tous ses muscles, déjà affaiblis, étaient énormément tendus par l’effort à donner, et ses os avaient beau être bien consolidés, ils présenteraient encore des douleurs pour un moment. « C’est normal, c’est à force de mettre peu à peu du poids dessus que ta jambe va se renforcir comme avant. Tu verras, tu vas bien vite te rendre compte des progrès. » Le temps passé dans le plâtre et en béquille paraissait souvent long pour les patients, mais une fois la physiothérapie commencée, les améliorations se faisaient rapidement sentir. Bref, alors qu’Annushka continuait l’exercice, celle-ci s’arrêta, leva la tête vers lui et lui demanda si elle pourrait essayer avec une bottine. Woody hésita un moment. « C’est vrai que c’est recommandé dans certains cas, et que ça pourrait sans doute t’aider à déjà délaisser les béquilles mais … » Il réfléchit un moment, avant de continuer : « Il ne faudrait pas que tu prennes l’habitude de marcher en bottine non plus, car t’auras beau avoir l’impression de marcher par toi-même, en réalité, ce sera la bottine qui te permettra de le faire aussi bien. La bottine travaille à la place des muscles et de la plante du pied, du coup, tu ne t’amélioreras pas aussi vite que si tu te pratiquais à marcher directement sur ton pied avec ta jambe libre. » Expliqua-t-il, d’un ton qui se voulait aussi neutre possible, juste pour l’informer. « Mais on peut tout de même essayer, en planifiant à quels moments tu marcheras avec, et à quels moments tu devras te pratiquer à marcher sans aide. » Proposa-t-il. « Quelle est ta pointure de pied ? »

Annushka eut un sourire et hocha doucement la tête quand il lui dit qu'elle verrait vite ses progrès. Elle espérait, elle avait hâte, vraiment hâte. Elle voulait retrouver un quotidien un peu normal.

-J'espère. Je vais essayer en tout cas, de mettre du poids sans m'écrouler par terre... Il n'y a pas de chance qu'elle se re-casse hein ?

Elle avait l'impression de poser des questions totalement stupides. Néanmoins ça l'inquiétait un peu, elle avait peur que si elle forçait trop, ça finisse mal alors qu'elle ne voulait que guérir.
Elle lui demanda alors si elle pouvait utiliser la bottine, un peu pour se rassurer. Il commença à lui dire que ça serait sans doute utile mais il ne semblait pas pour qu'elle l'utilise à longueur de journée.

-Oh oui... Je comprends. Ce serait stupide de l'utiliser quand je ne sors pas alors.

Elle ne voulait pas marcher toute sa vie avec une aie, elle voulait pouvoir marcher normalement, par elle-même, elle voulait se rétablir, pas être handicapée toute sa vie. Elle avait acquiescé toutes les explications du physiothérapeute d'un signe de tête. Elle comprenait bien ce qu'il voulait lui dire, où était le problème.

-Je fais du 36.

La bottine serait tout de même plus pratique et plus présentable que des béquilles. Elle se remit donc à faire ses petits pas à l'aide des barres pour renforcer sa jambe fragile.

-Et est-ce qu'il y a d'autres exercices que je peux faire pour muscler ma jambe ?

À la question inquiète d’Annushka, Woody secoua la tête avec un sourire pour la rassurer. « Non, à moins de faire la casse-cou. Ton orthopédiste m’a transféré tes radiographies avec ses commentaires, et tout est bien consolidé, alors il n’y a pas de risque. La douleur vient surtout du fait que tu as été immobilisée longtemps, alors c’est la raideur qui va se casser, pas les os … Et ce sera un bon signe. » Il lui fit un clin d’œil en souriant, espérant avoir chassé les doutes de la jeune femme. « Évidemment, si ça te fait trop mal, ne force pas. Et mets de la glace. À ce stade, ça ne réduira pas l’enflure, mais ça réduira le mal. » Lui conseilla le physiothérapeute. Annushka lui posa alors des questions sur une bottine. Elle devait avoir fait ses recherches de son côté pour proposer une telle alternative. Woody lui donna son opinion sur le sujet et elle acquiesça en disant que ce serait stupide de l’utiliser quand elle ne sortait pas. Il la regarda avec un sourire amusé. « Ce ne serait pas stupide, mais ce serait trop facile. » Et tout comme il fallait souffrir pour être belle, selon l’expression, il fallait aussi souffrir un minimum pour se rétablir. Ainsi allait la vie. Woody demanda alors à sa patiente qu’elle était sa pointure, et il hocha la tête avant de disparaître à l’arrière pendant trois minutes, avant de revenir avec une bottine à sa taille. Woody la déposa sur le côté des barres. « On va l’essayer une fois que tu auras remarché jusqu’ici. » Petite motivation, puisqu’Annushka avait déjà franchi une bonne partie de la distance opposée, et qu’elle devait maintenant revenir. Tout en s’exécutant, elle demanda si d’autres exercices pouvaient être faits pour muscler sa jambe. « Oui, je vais te les montrer un par un, et je vais t’imprimer un plan récapitulatif avec les photos, les descriptions et le nombre de répétitions requis pour chaque exercice. Une sorte d’aide-mémoire. » Expliqua-t-il.

Annushka fit un sourire à son tour aux explications de Woody. Elle était rassurée à présent, elle ne risquait pas de se casser la jambe de nouveau et de porter, encore pour plusieurs mois, un plâtre. Ca avait vraiment été un moment détestable pour elle.

-Heureusement, je n'ai pas l'intention de faire de bêtises.

Bon c'est vrai que parfois elle omettait de mettre ses béquilles mais bon elle n'en profitait pas pour faire des choses insensées.

-D'accord.

Elle hocha doucement la tête, de la glace elle en avait toujours dans le congélateur alors il ne devrait pas y avoir de problème. Néanmoins, elle n'avait pas l'intention de s'arrêter à la première douleur, elle savait qu'elle devait prendre un peu sur elle pour aller mieux.
Stupide était peut-être un peu fort, Annushka pouvait avoir comme excuse que l'anglais n'était pas sa langue maternelle pour ne pas toujours employé les bons termes, mais en l'occurrence elle trouvait réellement stupide de n'utiliser qu'une bottine si ça ne soignait rien. Son physiothérapeute disparu pour aller lui chercher une bottine. Annushka l'attendit sagement, n'osant pas bouger s'il n'était pas là, il risquerait de la gronder.

-Trop facile !

Elle lui fit un grand sourire, commençant à avancer jusqu'à la bottine, concentrée. Elle ne voulait pas faire un faux pas et que Woody s'inquiète. Continuant lentement son bout de chemin, elle écouta sa réponse, jusqu'à arriver jusqu'à la bottine, sourire aux lèvres.

-Merci beaucoup, je suis sûre que ça me sera d'une grande aide.

Annushka releva sans broncher le défi qui était de revenir à la marche jusqu’à Woody avant de pouvoir essayer la bottine. Elle réussit d’ailleurs haut la main et le jeune homme fit mine de l’applaudir – sans toutefois le faire trop fort, ne voulant pas attirer toute l’attention sur eux. « T’es une guerrière, Annushka. » Il lui donna une petite tape amicale dans le dos, pour l’encourager, avant de s’asseoir et de l’inviter à s’asseoir face à lui. Il attrapa la bottine afin d’expliquer à la jeune femme le fonctionnement. « Quand tu la mets, assure-toi que ton talon est bien au fond de la botte, et après tu attaches toutes les ganses. Il faut que ce soit assez serré, sans devenir inconfortable, mais pour que ta jambe soit stabilisée. » Il tendit finalement la bottine à sa patiente. « Vas-y, essaie-la. » Woody désirait qu’elle le fasse par elle-même de sorte à ce qu’elle puisse la mettre aisément une fois chez elle, mais aussi pour s’assurer que c’était bien la bonne pointure pour elle. La brunette s’exécuta et, une fois sa jambe enfermée sous l’orthèse, le physiothérapeute se leva. « Marche, maintenant, et constate la magie. » Il sourit. Annushka allait assurément réaliser qu’avec cette botte, elle ne boitait même plus et que ses déplacements seraient bien plus faciles dorénavant. « Bon, par contre, comme je t’ai dit, n’y prend pas trop goût. Je veux que tu la mettes seulement lorsque tu sais que tu marcheras sur de longues distances. Dans les autres cas, un simple bandage compresseur suffira à maintenir au moins ta cheville stable. » Woody jeta un œil à l’horloge posée au mur de la salle d’évaluation générale, et revint poser ses yeux sur la brunette. « Le temps file, je vais te montrer les exercices que tu devras faire dans les prochains jours avant que tu ne partes, ok ? » Il tapota le petit lit pour que la demoiselle retourne s’y installer.

Annushka eut un sourire ravi devant les applaudissements de Woody, même s’ils étaient loin de ceux des spectateurs lors de ses représentations. A son commentaire, elle hocha la tête. Une guerrière, elle ne savait pas si c’était le terme exact mais en tout cas c’était sûr, elle allait se battre pour guérir le mieux et le plus vite possible.

-Je me bats pour en devenir une en tout cas.

Ce n’était pas encore tout à fait ça, mais au moins elle faisait du mieux qu’elle pouvait. Puis, docile, la brunette s’installa face à lui pour l’écouter. Elle acquiesça d’un signe de tête à ses mots avant de se saisir de l’objet et de l’essayer. Comme il venait de lui expliquer, elle attacha bien sa bottine pour qu’elle la serre assez. Elle leva ensuite les yeux vers Woody pour s’assurer que tout était correct avant de se lever et d’esquisser quelques pas, un grand sourire aux lèvres.

-C’est vrai que c’est magique !

Sous le charme, elle continua d’avancer de quelques pas dans la pièce. Tout était vraiment plus aisé. Dommage que cela reste de la triche et ne l’aide pas à guérir, ça aurait été bien plus agréable que de faire des exercices. C’est d’ailleurs ce que lui rappela la physiothérapeute et elle hocha doucement la tête en lui esquissant un petit sourire.

-Oui, promis, je ne les utiliserais pas trop souvent. Mais c’est vrai que c’est bien mieux que les béquilles. J’ai un peu moins l’impression d’être handicapée…

Ce qui était pourtant encore fondamentalement le cas. Elle était handicapée, qu’elle le veuille ou non. Même si ce n’était que temporaire, bien heureusement pour elle.
L’heure sembla les rappeler à l’ordre et Annushka obtempéra sans rechigner, venant s’installer sur le lit, très attentive à ce qu’il allait lui expliquer. La Russe était une bonne élèves il n’y avait pas à en douter.

-Dommage que je ne puisse pas te réserver pour tout l’après-midi.

Elle lui avait dit ça avec un sourire enjoué, sans aucune arrière-pensée. Elle était bien trop innocente.

Un sourire prit place sur les lèvres de Woody. « Le simple fait que tu dises que tu te bats, te fais en devenir une. » Les guerrières, après tout, étaient faites pour se battre. C’était une description essentielle du terme. Annushka avait beau croire qu’elle n’en deviendrait pas une tant qu’elle ne se serait pas totalement remise sur pieds, Woody savait que ce n’était pas la destination finale qui comptait, mais bien le chemin parcouru. Et avec la botte qu’elle était en train de s’installer sur la jambe, Annushka en parcourrait un peu plus encore, même si en quelque sorte ce serait de la triche. Il la connaissait maintenant assez bien pour savoir qu’elle n’en abuserait pas.

De la voir marcher, sous le charme de cette orthèse, avec un grand sourire aux lèvres, rendait Woody heureux. Il n’était sans doute pas l’homme le plus droit, le plus bienveillant ou le plus respectable de Bowen, mais quand il s’agissait de la santé des autres, le physiothérapeute ne tournait pas le dos. Ne baissait pas les bras. Sans doute parce qu’il savait, d’une certaine façon, ce que ces gens vivaient lorsqu’ils perdaient l’usage d’une fonction de leurs corps. Il s’apprêtait à toutes les perdre, les unes après les autres. Woody rappela tout de même à Annushka de ne porter cette botte que lorsque vraiment nécessaire, parce qu’à la voir traverser de mur en mur la salle, il s’imaginait bien qu’elle s’attacherait un peu trop à ce truc. « C’est sûr, ça te redonne une certaine autonomie, une indépendance face aux béquilles. » Dit-il en hochant la tête, comprenant tout à fait le sentiment de la jeune femme.

Le temps était venu d’expliquer les exercices à Annushka, car leur heure tirait à sa fin et Woody avait d’autres rendez-vous après le sien. Il rit à sa remarque. « Tu n’as qu’à me réserver un après-midi durant lequel je ne travaille pas. » Avait-il rétorqué avec un sourire en coin, amusé. Il l’aiderait volontiers en dehors de ses heures, parce qu’Annushka et lui s’entendaient bien, tout simplement. Travailler avec elle n’était pas vraiment travailler. « Bon, alors. » Reprit-il, avec une inspiration. « Tiens, voilà le plan de match pour les prochaines semaines. Je te l’ai fait imprimer en allant chercher la bottine. » Sur la feuille qu’il lui tendait étaient détaillés six exercices à faire à la maison, que Woody prit le temps de lui expliquer dès maintenant en les reproduisant lui-même pour lui donner une bonne visuelle. « As-tu des questions ? » Demanda-t-il.

Annushka eut un petit sourire à la réponse de Woody. Elle était heureuse qu'il la considère ainsi. Dans sa vie de tous les jours, elle n'était pas forcément ce qu'on pouvait appeler une battante mais pour guérir sa jambe c'était autre chose.

-Merci.

Elle hocha doucement la tête aux paroles du physiothérapeute. Oui plus d'autonomie, c'est de ça qu'elle avait besoin. Elle en avait marre de se sentir assistée depuis tant de mois. Il la comprenait, il était sûrement un des seuls à sembler comprendre et c'était pour ça qu'elle lui faisait autant confiance.

-Oui, mais j'espère pouvoir marcher définitivement toute seule assez vite.

Elle eut de nouveau un sourire quand il lui propose de réserver un après midi où il ne travaillait pas. C'était une bonne idée. Surtout que dans l'esprit d'Annushka ça ne sonnait pas une seule seconde tendancieux. Elle le regarda ensuite faire les exercices, attentive, se référant en même temps à la feuille pour être sûre de bien comprendre. Elle acquiesça d'un petit signe de tête à chaque mouvement qu'il effectuait pour montrer qu'elle écoutait et qu'elle comprenait.

-Non je crois que ça va, merci beaucoup.

Elle lui offrit un large sourire, très heureuse de sa séance.

Évidemment, n’importe qui avait le désir de marcher tout seul le plus rapidement possible après un processus de guérison. Mais la route était longue. Même lorsqu’Annushka pourrait marcher sans bottine et sans béquille, la douleur se ferait sentir pendant des mois. Toutefois, Woody se gardait ce discours pour un moment plus avancé du traitement, ne voulant pas qu’elle baisse les bras. Une étape à la fois, comme on dit. « Ça viendra, t’en fais pas. Chaque chose en son temps. » Lâcha Woody, l’air bienveillant alors qu’il était en train de répéter à Annushka ce qu’il disait à tout le monde. Pourtant, il n’avait pas la même relation avec elle. Il devait quand même se montrer avec elle comme avec tous les autres. Quand elle parla du fait qu’elle aurait bien aimé passer l’après-midi avec lui, pour continuer les exercices, Woody osa tout de même proposer de le faire en dehors de ses heures de travail. Pourquoi pas ? Elle sourit sans répondre, ce qui laissait la porte ouverte à cette idée. À la fin de la séance, Woody lui demanda si elle avait des questions, ce qui n’était pas le cas. « Très bien alors. Je te souhaite une bonne fin de journée et appelle-moi si tu as des questions avant ton prochain rendez-vous … ou si tu veux fixer une date pour l’après-midi en question. » Il sourit, la salua, et retourna à ses occupations pour préparer l’arrivée de son prochain patient.