More like friends [Wooshka]

Annushka avait eu la surprise de voir le profil de Woody apparaître sur l'application de rencontre de Bowen. Elle n'avait pas besoin de lui demander ce qu'il recherchait, elle savait bien qu'il ne voulait rien de sérieux. Alors, sans doute trouverait-il sont bonheur sur l'application, c'est ce qu'elle lui souhaitait en tout cas. Lui avait été un peu plus curieux, quand il lui avait demandé comment s'était passé ses rendez-vous et la jeune femme était étrangement timide sur la question. Sûrement avait-elle peur de son regard à lui.

Ne s'étant pas vu depuis longtemps, depuis le yoga en plein air pour tout dire, ils avaient décidés de prendre un café ensemble en fin d'après-midi. La jeune femme était toute guillerette à cette idée. Elle adorait voir Woody, même si la situation entre eux semblait s'être un peu compliquée, elle essayait de ne pas trop y penser. Vêtue d'une robe légère et de petits talons, elle s'était installée en terrasse. Peu de temps après, elle vit Woody traverser la rue pour la rejoindre et lui fit un signe de la main pour qu'il la repère facilement.

-Woody ! Ça va ? Ça fait longtemps !

Elle appréhendait un peu, Annushka. Elle appréhendait d'avoir des nouvelles sur son état de santé, de savoir qu'il allait de moins en moins bien. De se sentir impuissante. Et lui, à quel point est-ce qu'il était impuissant de sa propre situation ?  

Ce fut tout une surprise pour Woody également, de voir le profil d’Annushka défiler devant ses yeux alors qu’il regardait les différentes femmes inscrites sur cette application de rencontre. Pourtant, il s’agissait d’une application conçue pour Bowen spécifiquement, alors il n’aurait pas dû être étonné de reconnaître pas mal de visages. Mais celui d’Annushka, il ne s’y attendait pas. Il avait l’impression que les gens là-dessus cherchaient des trucs pas mal plus passagers, alors qu’elle, il le savait, elle cherchait le grand amour. C’est bien pour cela que Woody était en constant conflit avec lui-même par rapport à Annushka. Elle lui plaisait, l’attirance entre eux était indéniable, mais ça ne pouvait pas aller plus loin. Ça ne devait pas aller plus loin. Pas tant qu’ils ne seraient pas parfaitement sur la même longueur d’ondes. Cela ne l’avait pas empêché de bow down face à son profil, ce qu’elle avait fait aussi. Ce sont ces retrouvailles virtuelles qui les conduisirent à se retrouver aujourd’hui, en fin de journée, pour un café dans un petit bar-resto du centre-ville. Woody gara sa voiture en parallèle sur la rue et attrapa sa canne à l’arrière avant de sortir. Il ne quittait plus jamais son domicile sans elle, désormais, lui qui avait voulu nier le plus longtemps possible en avoir besoin. Il aperçut Annushka seule à une table de la terrasse alors qu’il traversait la rue. Il la salua à son tour d’un signe de main et d’un sourire. Arrivé à sa hauteur, il lui fit la bise. « Salut Ann’. Ça va, et toi ? » Il s’assit face à elle. « C’est vrai que ça fait longtemps. Depuis la retraite de yoga, non ? C’était quoi, ça … en avril ? » Il haussa les sourcils et lâcha un léger sifflement, surpris de constater que le temps passait aussi vite. Et qu’en plus de l’avoir ghostée à cette retraite de yoga, il avait en plus omis de la rappeler pendant tout ce temps. Pourtant la voilà, la belle Ann’, douce, gentille et heureuse de le revoir. Avait-elle donc un seul défaut ?

Annushka était enthousiaste, heureuse. Est-ce que sa réaction n'était pas un peu excessive face à Woody ? Il était, à la base, qu'un physiothérapeute. Mais il était devenu son ami, et elle tenait à lui, même si leur relation pouvait, parfois, avoir quelque chose de conflictuel.

-Ça va très bien !

La jeune femme hocha doucement la tête.

-Oui je... Je ne me rendais pas compte que c'était si loin, mais tu dois avoir raison.

Elle se mordit légèrement la lèvre en se souvenant qu'à cette fameuse retraite, il lui avait finalement posé un lapin inattendu. Mais elle ne voulait pas aborder le sujet. Elle avait peur de le mettre mal à l'aise. Sans doute avait-il seulement oublié, ça pouvait bien arriver à tout le monde.

-Tu t'es bien amusé pendant l'événement ? Enfin je veux dire, est-ce que ça t'a fait du bien ? Moi j'ai essayé la méditation, et maintenant j'essaye d'en faire régulièrement à la maison.

Ne sachant jamais trop où poser sa canne dans ce genre de moment, Woody tourna la tête à gauche et à droite avant de simplement décider de la glisser sous la table, en prenant bien soin de ne pas la faire dépasser là où les gens circulaient. Annushka avait l’air heureuse, enthousiaste, et ça ne pouvait que lui mettre un sourire sur le visage sans avoir à se forcer et ce, malgré les remords qu’il traînait. « T’as dû être occupée, toi aussi, pour ne pas avoir vu le temps passer. » Souligna-t-il avec un sourire, sous-entendant que lui-même avait eu un emploi du temps bien chargé alors que ça n’avait pas été pire que d’habitude. Il voulait juste justifier son silence, pas celui à la retraite, mais celui d’après. Parce que celui de la retraite de yoga, il allait devoir l’expliquer un peu plus clairement que ça. Annushka méritait bien cela. D’ailleurs, elle aborda l’événement, revenant sur le week-end sans pour autant reparler de ce point de rencontre manqué pour l’heure du lunch prévu ensemble. « T’y arrives comment par toi-même ? » S’intéressa Woody à propos de la méditation. « Ça m’a fait du bien, ouais. Ça m’a permis d’essayer des styles de yoga que j’avais jamais trop faits. » Il prit une courte inspiration, silencieuse, avant d’ajouter : « Tant qu’à être dans le sujet, j’voulais m’excuser pour l’heure du midi, on avait prévu se retrouver là et j’ai … j’ai passé ce moment avec quelqu’un d’autre. Je m’en veux. » Admit-il, ayant même du mal à soutenir le regard d’Annushka tellement il s’était senti coupable. Mais quand il était question de Freja, Woody se montrait égoïste et con.

Occupée ? La jeune femme se le demandait à présent. Est-ce qu’elle avait été si occupée ces derniers mois ? C’est vrai qu’elle avait commencer en tant que bénévole dans le refuge, justement pour avoir moins de temps pour se morfondre. Alors effectivement… Au moins les choses avaient été plutôt efficace quand on y réfléchissait.

-Oui, j’ai trouvé quelques occupations.

A sa question, Annushka sortit son téléphone pour lui montrer une application qu’elle avait toujours juste téléchargé.

-En fait j’ai d’abord un peu essayé toute seule de reproduire ce qu’on avait fait pendant la retraite mais ça ne marchait pas trop alors j’ai regardé des vidéos sur YouTube et puis finalement on m’a conseillé cette application, je trouve que ça fonctionne super bien.

Elle avait un large sourire sur les lèvres. Elle n’était pas très “nouvelles technologies” dans l’âme. Mais il fallait admettre que ça pouvait tout de même être fort utile. Quand c’était bien utilisé, c’était une bonne chose, non ?
Woody s’excusa ensuite pour leur rendez-vous qu’il avait manqué. Annushka secoua doucement sa tête, il semblait désolé et elle ne lui en voulait pas. Elle n’avait pas de place pour la colère contre quelqu’un qu’elle appréciait.

-Ce n’est pas grave si tu as oublié. J’ai déjeuné avec quelqu’un d’autre au final, ce n’est rien.


Woody était certainement avec quelqu'un qui comptait pour lui, et elle n'avait pas l'intention d'interférer dans ses relations avec les autres ou quelque chose comme ça.

-Comme tu le vois, ce n'est que parti remise après tout !

Alors qu’Annushka parlait d’avoir trouvé quelques occupations, Woody releva un regard intéressé vers elle. « Ah ouais ? Quel genre d’occupations ? » Un nouvel emploi ? De nouveaux passe-temps ? Le jeune homme s’inspirerait bien un peu de ce qu’elle faisait, si ça pouvait s’appliquer à lui aussi. Viendrait un temps – plus vite qu’il ne l’aurait voulu sans doute – où il ne pourrait plus s’adonner aux mêmes activités qu’actuellement. Même le yoga, il ne pourrait le pratiquer toute sa vie. La méditation, en revanche, c’était le genre d’occupation plutôt mentale. Justement, Annushka avait une application pour s’y mettre sérieusement, en solo. Woody s’avança légèrement sur la table afin de regarder l’écran de téléphone de la brunette. « Je ne la connais pas celle-là, elle doit être plus récente que celles que j’ai déjà essayées. Je vais la tester. » Et pour ne pas oublier le nom, il sortit son propre téléphone et alla dans le store pour télécharger l’application. Après cette courte pause, Woody ne délaissa pas le sujet de la retraite de yoga, voulant prendre le temps de s’excuser auprès d’Annushka de l’avoir laissée tomber ce midi-là. S’il ne l’avait pas ramené sur la table, sans doute en aurait-elle fait fi, mais elle méritait qu’il s’excuse, pas qu’il tasse l’incident en-dessous de la nappe comme si elle n’était rien du tout. Cependant, quand elle mentionna qu’il avait juste oublié, Woody jugea préférable de surfer cette vague plutôt que de lui avouer qu’il avait plutôt fait le choix de passer la journée avec Freja plutôt qu’avec elle, en toute connaissance de cause. Il ne voulait pas blesser Annushka pour rien. « Avec ce gars avec qui t’es allée parler ? » Lui demanda-t-il, content de savoir qu’elle ne l’avait pas attendu, toute seule, toute l’heure du lunch. « Absolument ! D’ailleurs, voyons voir quels cafés ils ont, il est much needed en ce moment … » Il ouvrit la carte des cafés spécialisés pour y faire son choix avant qu’un.e serveur.se ne vienne les voir.

Woody s'intéressa à ses nouvelles occupations ce qui fit sourire Annushka. C'était là qu'on reconnaissait un véritable ami, il ne se contentait pas d'écouter passivement. Il s'intéressait, réellement.

-Eh bien, il y a la méditation bien sûr. Même si c'est peu de temps par jour. Et je suis finalement devenue bénévole au refuge de la ville. Vraiment... J'ai vite fait d'y passer un temps incroyable. Je ne vois pas les heures passer !

Elle se mit à rire. Caresser les boules de poils, les nettoyer, les installer confortablement dans les boxe, les promener... Donner de l'amour. C'était ce pour quoi Annushka était faite. On lui donnait seulement trop peu l'occasion de l'exprimer. Et c'était bien ce qui lui manquait... Elle s'en voulait, d'être ainsi, d'avoir besoin de quelqu'un. Elle aurait voulu être forte et indépendante, mais ce n'était pas ce qu'elle était. Et elle n'arrivait pas à le devenir.

La jeune russe sourit et acquiesça d'un signe de tête quand il lui dit qu'il essaierait l'application.

-Tu me diras ce que tu en penses ! C'est toi l'expert ici.

Elle rit légèrement avant d'arranger ses cheveux.

Ils parlèrent ensuite de la retraite et elle acquiesça à sa question.

-Oui, Juliann. Je l'ai rencontré sur l'application de rencontre en fait, alors je voulais aller lui passer le bonjour en vrai.

Elle sourit. Elle avait passer de bons moments avec lui. Elle doutait que ça aille vraiment plus loin, mais au moins, il pourrait peut-être devenir un bon ami. Elle eut un petit rire à ses mots, penchant doucement la tête sur le côté.

-Tu es fatigué en ce moment ?

S'il avait besoin de café... Il y avait peut-être une bonne raison, non ? Elle jeta un petit coup d'oeil sur la carte, mais au fond, elle savait déjà ce qu'elle allait prendre. C'est une serveuse qui s'approcha d'eux, et après l'avoir salué poliment, Annushka commanda un café noisette, avant de tourner le regard vers Woody pour qu'il leur fasse par de son choix.

Woody s’était toujours senti bien petit face aux gens qui faisaient du bénévolat. C’était un tel don de soi, de donner de son temps sans rien attendre en retour. Il n’était pas fait pour ça, Woody. Il n’avait pas la bonté et la générosité de s’impliquer comme Annushka le faisait. Mais ce n’était plus un secret, que la russe était une bien meilleure humaine que lui. Il l’avait su dès la première seconde. C’était d’ailleurs la principale raison de son incessant recul face aux rapprochements qu’ils avaient pu avoir. Il regrettait rapidement ses impulsions, puisqu’il s’était promis de ne pas la blesser, Annushka. « Il doit y avoir des situations difficiles, quand même. Les animaux maltraités et abandonnés, c’est crève-cœur. » Woody était du genre à avoir le cœur serré pendant un film quand un truc arrivait à un animal, et de s’en foutre quand ça arrivait à un humain. Cette conversation lui fit penser à son chien, Allan Poe, à qui il avait dû dire au revoir l’année dernière. Il ne comptait plus avoir d’animal de compagnie à présent, sa maladie l’empêcherait bien trop vite d’en prendre soin. Bref, après avoir installé l’application dont parlait la brunette, ils enchaînèrent sur l’épineux sujet de la retraite. Épineux pour Woody. Annushka, quant à elle, semblait ne pas avoir pris trop mal l’absence de Woody sur l’heure du lunch. Parce qu’elle était bien trop indulgente face à lui. Il fut cependant rassuré d’apprendre qu’elle n’avait pas été seule, même si le nom le fit tiquer. « Juliann … Rencontré sur BBT … » Il fronça légèrement les sourcils. Ça ne pouvait qu’être le même Juliann que sa sœur, rencontré sur BBT. Elle lui avait fait part de ses doutes quant à sa capacité de ne s’intéresser qu’à elle, et voilà que Woody apprenait qu’il parlait aussi avec Annushka. Et combien d’autres ? « Tu devrais quand même faire attention avec tous ces mecs sur les apps. Avoir l’air d’avoir de bonnes intentions par écrit, c’est facile, mais après … » Il haussa les sourcils. Il rentrait dans un jeu dangereux, et auquel il ne devrait peut-être pas jouer. Ce n’était pas sa place. Se concentrer sur la carte des cafés était le mieux. Annushka releva sa fatigue. « Euh … Bah … Pas plus que … J’sais pas … » Balbutia-t-il. « Un peu. » Un oui aurait suffi. Il n’y avait pas de mal à être fatigué. Il commanda un macchiato à la serveuse qui s’était approchée d’eux.

Annushka hocha doucement la tête aux mots de Woody. Bien sûr, elle n'allait pas lui faire croire que tout était tout rose au refuge. S'ils avaient besoin de son aide, c'était bien pour adoucir le quotidien des animaux qui n'avaient pas ou plus de famille.

-Oui bien sûr, ça fait mal au cœur de les voir arriver, parfois dans un sale état, sans histoire, sans savoir ce qu'ils ont vécus, parfois pour des raisons débiles comme "il est trop vieux" ou "nous allons avoir un bébé". Mais les voir devenir plus beau et plus heureux de jour en jour, c'est ce qui donne envie de se donner à fond pour eux.

Le sujet dévia sur la retraite de yoga et la journée qu'elle avait finalement passé avec Juliann. Elle pencha la tête sur le côté, un peu intriguée alors que Woody semblait surpris par le nom qu'elle venait de donner.

-Tu le connais ?

Ce fut à elle de froncer les sourcils quand il commença à la mettre en garde. Elle aimait beaucoup Woody, il le savait. Mais elle n'attendait pas de lui qu'il lui explique ce qu'elle devait faire et ne pas faire. Même s'il était plus rationnel et moins naïf qu'elle.

-Woody, ce n'est pas dans ma nature de "faire attention aux gens". Je ne vais pas me méfier de ceux avec qui je discute, je ne suis pas comme toi et je n'ai pas l'intention de le devenir.

Méfiante n'était clairement pas ce qui la caractérisait. Et il n'avait pas à s'inquiéter pour ça. Il n'avait aucune responsabilité vis-à-vis d'elle.

-Et j'ai peut-être l'air stupide, et naïve, mais je suis une grande fille.

Elle fut de nouveau un peu surprise qu'il bégaye pour simplement lui dire qu'il était fatigué. Elle ne voulait pas enfoncer le couteau ou quoi que ce soit. Elle ne le forcerait jamais à parler de sujets qu'il voulait éviter, mais si jamais il avait besoin... Enfin, il savait qu'elle était là.

-Tu as beaucoup de travail en ce moment ?

Elle sourit à la serveuse qui leur apporta les café et trempa délicatement ses lèvres dans le sien pour en prendre la température.

Woody soupira en secouant la tête en entendant les raisons qu’évoquaient Annushka pour certains abandons d’animaux. Bien sûr, il ne tombait pas de nues, il était bien conscient du problème avant que la brunette ne mette les pieds dans un refuge. Mais ça n’en était pas moins affligeant. Il n’aurait jamais abandonné son chien, Woody. En même temps, Allan Poe avait été son meilleur ami, son confident, pendant bien des années. « C’est sûr que c’est une sacrée récompense de les voir se remettre sur pieds, enfin ... sur pattes. » Il esquissa un sourire, tout d’un coup plus aussi fermé à l’idée de faire ce genre de bénévolat. Mais entre l’ouverture et le saut, il y avait encore un large écart. Le même genre d’écart qu’il pouvait y avoir entre les paroles d’un homme et ses actes. C’est d’ailleurs là-dessus que Woody s’enligna quand Annushka lui parla de Juliann, avec qui elle avait passé la journée à la retraite de yoga puisque le trentenaire lui avait fait faux bond. « Je le connais de nom, c’est tout. Ma sœur le connaît. » Il n’était plus dans les mises en garde, Woody. Il se mêlait carrément de ce qui ne le regardait pas en mettant l’emphase sur des détails qu’il n’avait pas à révéler et dans quel but ? Pour qu’Annushka renonce, recule ? Et pourquoi ? Il ne le savait même pas lui-même. Il agissait sous l’impulsion. Il haussa les sourcils à la réponse de l’ancienne ballerine, quelque peu blessé par ses propos. Certes, il ne souhaitait à personne de devenir comme lui. Mais de l’entendre de la bouche de la brunette, ça faisait mal. « Message reçu. » Lâcha-t-il en hochant la tête. La jeune femme ajouta qu’elle avait peut-être l’air stupide et naïve, mais qu’elle était une grande fille. « Je sais ça. T’es pas juste une grande fille, t’es une femme. Et c’est justement pour ça que je préfère juste t’avertir que ce Juliann, il semble les aimer beaucoup, les femmes. » Il haussa les épaules. Il n’avait pas envie de se prendre la tête avec Annushka. La discussion glissa vers sa fatigue, sa fatigue lourde à traîner, pesante à endurer, celle qui le clouait de plus en plus au lit. « Ouais, euh, c’est ça, ça roule pas mal à la clinique. » Mentit-il avant de lever sa tasse jusqu’à ses lèvres pour se mieux se taire.

Woody semblait vouloir lui faire passer un message sur Juliann en arguant que sa sœur le connaissait. Mais Annushka, elle ne comprenait pas vraiment où est-ce qu'il voulait aller. Contre quoi la mettait-il en garde ? Si c'était contre les hommes en général et le fait que certains jouent avec les sentiments des femmes qu'ils essaient de conquérir, on avait déjà mit la jeune russe en garde suffisamment de fois dans sa vie. Elle n'avait pas besoin de plus. Et Juliann ne lui faisait rien miroiter du tout, elle n'avait rien à lui reprocher.

-Et elle a eu des problèmes avec lui, ta sœur ?

La jeune femme eut un petit soupir, détournant le regard. Elle n'avait jamais eu l'intention de blesser Woody. Ce n'était pas son genre. Mais pourquoi se mêlait-il de ça ? Et pourquoi est-ce qu'il insistait encore ? Ca lui faisait mal au cœur. Est-ce qu'il s'en rendait seulement compte ?

-Toi aussi tu aimes les femmes, et pourtant nous sommes amis, non ? Si ce que tu essayes de me dire, c'est qu'il ne me conviendra pas pour une relation amoureuse... Ne t'inquiète pas. Je m'en doute. En fait, à peu prés personne ne me conviendrait.

Son cœur se serra, et elle se mordit violemment la lèvre pour ne rien dire de plus.

-Désolée, il faut que j'aille aux toilettes.

Elle se leva, tournant les talons pour se diriger vers la dite porte. Après l'avoir verrouiller derrière elle, elle ne put se retenir plus longtemps d'éclater en sanglots. Les larmes coulaient sur son visage, silencieusement, ou presque. Elle tentait d'étouffer au maximum le bruit de ses pleurs, entre ses mains. Elle finit par s'asseoir, le dos contre le mur, recroquevillée sur elle-même. Pourquoi le lui rappelait-il ? Pourquoi lui rappeler qu'elle était si seule et que, quoi qu'elle fasse, elle le serait toujours autant. Pourquoi lui rappeler qu'aucun homme ne saurait lui convenir ? Qu'elle était, visiblement, trop exigeante ? Ou bien trop chiante ? Trop coincée, pas assez libérée, par dans l'air du temps ? Elle savait tout ça, elle savait mais elle espérait toujours. Elle espérait qu'un jour, elle n'ait plus à répondre à ses ami.e.s par un "j'attends le bon" avec un sourire forcé.

Ses pleurs finirent par se calmer et elle essuya son visage. Elle vérifia dans le miroir que sa tristesse ne se lisait pas trop, que ses larmes ne s'étaient pas imprimées dans son visage. Elle prit une grande respiration, elle devait simplement penser à autre chose. Elle poussa finalement la porte des toilettes pour retourner s'asseoir en face de Woody avec un essai de sourire mi-convaincant.

-J'espère que mon café n'est pas trop froid, désolée.

À la question d’Annushka, Woody se remémora sa conversation avec Nevaeh, quand elle était venue dîner chez lui pour qu’ils se vident le cœur autour de trop de bouteilles de vin. Elle avait parlé du fait que Juliann ne semblait pas pouvoir se contenter de sa sœur seulement, qu’il avait besoin de se garder des options ouvertes, une connerie du genre. Et si Woody n’avait pas été bien mieux que ça par le passé, il préférait quand même que des hommes de ce genre ne s’approchent pas trop des femmes qu’il aimait. Et Nevaeh comme Annushka étaient des personnes qu’il ne voulait pas voir souffrir. « Disons qu’il semblait avoir un peu de mal à se brancher, et que je voudrais pas qu’il te mène en bateau toi aussi. » Conclut-il. La discussion dérapa bien trop rapidement, pour ce qui devait être un agréable café entre amis. Les dernières paroles d’Annushka laissèrent Woody sans voix, et il n’arriva pas à réagir convenablement avant qu’elle ne se dérobe devant lui. Il avait gardé le silence, tel l’idiot qu’il était, la bouche entrouverte mais ne trouvant rien d’intelligent ou de rassurant à répondre. Annushka s’éclipsa vers les toilettes, et lui se prit la tête dans une main, massant son front les yeux fermés en soupirant longuement. What the fuck is wrong with you, pensa-t-il. En même temps, les paroles de l’ancienne ballerina l’avaient laissé sans mot parce qu’à quelque part, il y avait eu de la vérité dans son discours. Et il n’aurait pas su comment la contredire sans lui mentir. Après tout, c’était exactement pour cette raison-là que Woody ne lui convenait pas non plus. Il ne pourrait jamais être à la hauteur des attentes qu’elle avait envers l’amour. Alors s’il passait son temps à la protéger de tous ceux qu’il jugeait également trop impurs pour elle, Annushka ne vivrait jamais la belle histoire à laquelle elle avait droit autant que les autres. La brunette revint après ce qui lui avait paru une éternité. Elle avait les yeux éteints. Il la regarda avec tristesse. « Je suis désolé, Ann'. Je ne voulais pas que cette conversation prenne une tournure comme celle-là … Je voulais pas te faire de la peine, c’est con, j’voulais justement éviter que t’en aies en te prévenant de tout ça mais au final c’est moi qui fait le mal … » Leurs cafés étaient effectivement froids, comme leur lien qui avait tout d’un coup perdu de sa chaleur si rassurante. « Je me suis mêlé de trucs qui me regardent pas. Excuse-moi. J’sais que j'ai pas mon mot à dire. » Encore moins alors que lui-même l’avait repoussée il y avait de cela plusieurs mois maintenant.

Annushka essayait de ne rien laisser paraître, mais elle était très mauvaise comédienne. Pourtant, elle non plus ne voulait pas que ce café tourne au désastre. Elle voulait seulement passé un bon moment avec son ami, se confier, peut-être, et être là pour lui si jamais il en avait besoin. Ce qui était sûrement le cas, mais ce dont il aurait du mal à assumer, elle le savait. Mais les choses ne s'étaient définitivement pas passé comme prévu. Elle secoua doucement la tête avant de pousser un petit soupir.

-Ne t'inquiète pas, je sais très bien que tu ne cherchais pas à me faire du mal.

Elle le savait. Elle savait que ce n'était pas ce que voulait Woody. Mais c'était quand même ce qui s'était passé.

-C'est juste que... Sache que je ne me fais pas d'illusion sur les hommes, alors ne t'inquiète pas trop pour moi. C'est gentil de vouloir prendre soin de moi mais...

Mais ? Comment lui dire gentiment qu'il était trop intrusif ? Qu'il ne réfléchissait pas, qu'il pouvait se montrer blessant ?

-Tu es un peu maladroit.

Elle bu une gorgée de son café froid avant de poser délicatement sa main sur celle de Woody.

-Ne t'en fais pas, je n'irais jamais loin avec un homme dont je ne suis pas sûre de ses sentiments à mon égard et de ses intentions.

Elle n'allait pas se perdre dans els bras du premier venu qui lui dirait des mots doux, parce que ce serait bien trop suspect. Et puis, elle avait toujours les mêmes principes, immuables, qui faisaient fuir tous les hommes.

Woody retint un soupir de soulagement quand Annushka lui assura qu’elle savait qu’il ne voulait pas lui faire du mal. À force de lui en faire involontairement, on ne sait jamais, elle aurait pu commencer à croire que c’était ce qu’il cherchait obstinément. Il hocha doucement la tête quand elle lui expliqua qu’elle ne se faisait pas d’illusions sur les hommes. Une légère grimace de culpabilité se dessina sur le visage du trentenaire alors que l’ancienne ballerine lui avouait qu’il était un peu maladroit. « Je sais. J’m’y prends mal. Disons que je suis pas très habitué d’être aussi … » Il hésita, chercha ses mots, la fin de son mot s’étirant puis restant en suspens. Il haussa les épaules. « De m’inquiéter pour les autres, quoi. » Compléta-t-il même si ce n’était pas tout à fait ce qu’il aurait voulu dire. Hormis avec sa famille, Woody avait toujours laissé les autres se planter avec un certain plaisir, parfois. Il aimait prédire les mauvaises décisions, pouvoir se dire que lui aurait mieux fait … toutes ces conneries réfléchies dans le seul et unique but de se remonter l’estime. La russe continua en lui disant de ne pas s’en faire, qu’elle n’irait jamais loin avec un homme dont les sentiments et les intentions étaient incertains. « Good. J’peux pas prétendre comprendre tout à fait les raisons qui te poussent à vouloir attendre, pour le mariage et tout, mais si c’est ce que tu veux, alors c’est ce que je te souhaite. » Il ne voudrait pas la voir s’écrouler de déceptions comme lors de sa rupture avec Xavier. Elle méritait cet homme dont elle rêvait. Un homme qui n’était pas lui. Un homme dont il espérait l’existence, à Bowen ou dans le coin. Woody prit son café froid et en prit une gorgée, malgré le goût un peu moins intéressant de ce dernier.

Annushka esquissa un petit sourire au coin des lèvres. Il n'avait pas l'habitude de se préoccuper des autres Woody, en dehors de son petit cercle familial probablement. Elle ne lui en voulait pas tant que ça. C'était aussi de sa faute si elle était aussi fragile, vulnérable, et qu'elle ne s'imposait pas assez. Après tout, si elle lui avait dit plus tôt qu'elle ne voulait pas de ses conseils, les choses auraient peut-être été différentes, il se serait peut-être moins immiscé dans sa vie. Mais est-ce que tout cela ne venait pas du fait... qu'elle avait envie de l'avoir dans sa vie, qu'il ait une place plus importante que ce qu'elle lui donnait pour l'instant ?

-Je sais bien. Moi aussi parfois je veux bien faire, et pourtant, je fais mal.

Elle haussa doucement les épaules quand il lui avoua ne pas comprendre les raisons de ses principes, mais tout de même lui souhaiter qu'elle puisse avoir ce qu'elle veut. Elle savait que peu de gens comprenaient. Que personne ne comprenait, en fait. A part, peut-être, ceux qui faisaient partis de la même communauté qu'elle. Elle n'essaya pas d'expliquer, parce qu'elle savait que son ami ne pouvait pas voir les choses comme elle. Et ça n'avait pas d'importance, parce qu'il respectait quand même ses choix et c'était, aux yeux de la jeune femme, une preuve d'amour.

-Merci Woody, ça compte beaucoup pour moi.

Elle posa tendrement sa main sur celle de son ami en prenant une nouvelle gorgée de son café.

-Tu sais, si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, ou juste de parler à quelqu'un... Je serais toujours là pour toi.