just a sad man & a sick girl -r.

Tu traînais encore dans les rues de la ville comme un zombie. Tu ne ressemblais à rien. A rien du tout. Tu puais l'alcool bon marché, tu ne marchais même pas droit. On pouvait te repérer des kilomètres à la ronde. L'esprit embrumé par tout ce qui se passait dans ta vie. La conversation avec Adilyn aurait dû être un électrochoc et pourtant tu continuais de boire. Tu n'arrivais pas à remonter la pente, à faire comme si tout allait bien, puisque rien n'allait bien. Tu allais tout perdre, ce n'était pas encore arrivé, même si tu pensais que c'était foutu de toute manière pour toi. Tu ne voyais pas pourquoi tu devrais te battre pour quelque chose que tu n'avais déjà plus. C'était idiot, tu le savais mais l'alcool n'aidait pas vraiment à mettre les idées en ordre dans ta tête. Tu aurais aimé en finir avec tout ça, avec ta culpabilité, avec ta vie. Tu ne pouvais pas, parce que tu étais incapable de faire un acte aussi lâche mais aussi parce que tu avais peur de mourir. Tu avais peur pour Abygaël aussi. Il fallait que tu puisses subir sa colère si tu décidais de l'abandonner et non pas faire ce qui te chanter. Mourir était trop facile et pour peu que tu te ratais, tu serais sûrement encore plus dans la merde. Alors tu avançais encore dans les rues sombres de la ville, à la recherche d'un endroit où te poser, d'un endroit où t'installer pour cuver ta nuit. Il fallait un endroit calme, un endroit isolé où personne ne viendrait te trouver, où les flics ne chercheraient pas spécialement à te trouver pour te faire souffler et savoir si tu es ivre ou non. Tu finissais par arriver à ce qui semblait être le terrain vague abandonné, celui où un espèce de skate parc avait été aménagé. Rien de bien fou, quelques rampes en bois et puis c'est tout. Bowen n'était pas très réputée pour ça. Tu grimpais jusqu'à un des bords, les pieds dans la partie creuse, le dos allongé et tu regardais une nouvelle fois là nuit. Tu ne pouvais rien distinguer ce soir, les étoiles étaient cachées par les nuages.

Il y a des soirs où elle n'arrive pas à recoller les morceaux. Des soirs où elle se sent triste, seule, abandonnée. Des soirs où elle pense à sa défunte mère, à son traître de père, mais plus souvent, à son meilleur ami. Son Wallace, son âme-soeur, sa moitié, ce petit bout d'homme qui s'est accroché à la vie jusqu'au bout qu'elle a aimé de toutes ses forces même après qu'il ne soit parti sans rien lui laisser, à part une énorme vide dans le cœur. C'est son cœur qui est en morceaux, ce cœur déjà si fragile, qui résiste du mieux qu'il le peut malgré tout ce qu'elle lui inflige. Ce soir est un de ces soirs-là. Et dans ces moments-là, il n'y a qu'une chose qui arrive à soulager Théia, à enlever ce poids sur ses épaules qui l'empêche de dormir. Regarder les étoiles dans un endroit calme, peu fréquenté, voir pas du tout. Elle est tombée un peu par hasard sur ce terrain abandonné, mais a directement senti que c'était ce genre d'endroit qu'elle cherchait. Elle a grimpé sur cette rampe de skateboard abandonnée, tout au-dessus. Malheureusement, les nuages cachent les étoiles. Plutôt que de se concentrer sur du visuel, Théia ferme les yeux et écoute les différents bruits autour d'elle. Le vent qui souffle dans ses oreilles, les oiseaux qui se remuent dans les branches des arbres. Et des bruits de pas. Curieuse, elle se redresse et regarde le nouvel arrivant marcher en titubant jusqu'à la rampe avant de s'y asseoir. Il ne semble pas l'avoir vue, il a l'air trop préoccupé par des pensées qui ne doivent pas être des plus agréables, vu son visage aux traits si tristes. Théia s'assied sur le rebord de la plateforme où elle se trouve, ses pieds pendant dans le vide. « Je vois que je ne suis pas la seule à avoir besoin de me vider la tête. » Sa voix est calme, remplie de douceur afin d'éviter à l'inconnu d'être surpris par sa présence. Malgré la pénombre, elle est restée assez longtemps dehors pour que ses yeux puissent s'habituer, et ainsi distinguer clairement le visage de l'homme.

Tu avais eu tellement de mal à te hisser sur le bord. Tu avais bien cru que tu allais te casser la gueule et glisser au moment de te tourner pour que tes fesses touchent le rebord. Mais tu avais tenu bon, sans vraiment savoir par quel miracle. Tu avais levé la tête vers le ciel, ne remarquant absolument pas la silhouette qui pourtant se trouvait à ta droite. Tu l'avais regardé en montant et tu ne l'avais pas vu. Incapable de distinguer quoique ce soit. Tu voulais juste voir le ciel, qui était couvert. Bien la peine d'avoir fourni autant d'effort pour en arriver là, tu étais presque déçu de ce que tu découvrais. Mais tu n'avais pas la foi de faire demi-tour. Pas tant que tu n'aurais pas décuver un peu. Enfin, la voix à côté de toi te fit sursauter. Tu ne t'y attendais vraiment pas et pourtant, si tu avais été plus attentif, tu l'aurais su. « Oh ! » avais-tu lâché simplement. Tu avais essayé de te relever pour faire face à ton interlocuteur mais tu en étais incapable. Tu restais allongé, les jambes dans le vide, essayant de se coller le plus possible à la paroi, et tu tournais la tête lentement vers la source du son. « Je ne voulais pas vous déranger. » De toute façon, même si tu voulais la laisser seule dans cet endroit, tu en serais incapable. Maintenant que tu avais posé tes fesses et que tu t'étais allongé, tu n'avais plus la force de bouger. Tu n'avais plus la force de rien pour être honnête. Mais tu n'allais pas t'en cacher, si ta présence la dérangeait, elle n'aurait qu'à se bouger, elle semblait en meilleur état que toi. Mais vu le tien, tu ne savais pas si tu pouvais vraiment te fier à ce que tu voyais, à ce que tu ressentais. Tout tournait autour de toi, au point que tu ne distinguais même pas le visage de la jeune femme. Si ça en était vraiment une, la voix sonnait aussi floue à tes oreilles et plus tu essayais de te souvenir ses mots, plus ils étaient déformés par ton esprit alcoolisé.

Même si elle a toujours aimé regarder les étoiles dans un endroit calme, Théia n'a jamais été une grande fane de la solitude. Quand elle n'a personne à qui parler, elle a trop tendance à se perdre dans ses pensées. La présence de cet homme ne la dérange donc absolument pas, au contraire même. Elle l'accueil avec un grand sourire qu'il ne peut certainement pas voir à cause de l'obscurité. Chose qu'elle n'a pas encore remarqué et qui ne la percute que maintenant, il sent l'alcool. À plein nez. D'ailleurs, il titubait avant de s'asseoir. « Désolée, je ne voulais pas vous faire peur, » dit-elle suite à son sursaut. Théia continue de le regarder du haut de sa plateforme, ses jambes bougeant d'avant en arrière. En réalité, elle hésite à le rejoindre. Malgré la forte odeur qu'il dégage et qui doit certainement être due à un mélange de plusieurs boissons, l'homme semble perdu. De plus, malgré le fait qu'il soit ivre, il arrive encore à parler correctement et poliment. « Vous ne me dérangez pas du tout. Et puis, de toute façon, cette rampe ne m'appartient pas. » Finalement, Théia se laisse doucement glisser le long de la rampe afin de rejoindre l'individu. Elle reste à un bon mètre, mais ce rapprochement l'aide à enfin distinguer quelques traits fatigués de son visage. « J'espère que vous ne comptez pas être malade. Je n'ai jamais été très douée pour soutenir les personnes qui sont en train de vider leur estomac devant moi. » Une petite moue dubitative déforme ses lèvres. Théia rejoint ses jambes contre sa poitrine avant de les entourer de ses bras, son regard curieux toujours posé sur l'homme. Elle prend un risque en s'approchant d'un homme ivre, il risquerait certainement de ne pas savoir contrôler ses gestes si jamais il ne veut pas de sa présence. Sauf que Théia n'est pas toujours dotée d'un sens de la déduction très développé, et que son coté curieux finit toujours pas prendre le dessus.

Elle s'excusait de t'avoir fait peur. Ce n'aurait pas été le cas si tu avais fait attention. Tu n'allais pas non plus la blâmer de se tapir dans la nuit, elle était libre de le faire. Et toi aussi tu devais la surprendre, ton état et ton odeur devait te trahir, mais ça te passait bien au-dessus de la tête. « C'n'est rien » Tu haussais les épaules, mais si allongé contre le support, elle n'avait pas du le distinguer. Ton regard lui essayé de ne pas la quitter pourtant tu voyais tellement flou - et l'obscurité n'aidant pas - tu n'étais pas sûr de regarder du bon côté. C'est quand elle prit la parole que le son te semblait venir de l'autre côté, que tu tournais la tête en riant. Si tu vomissais c'était que t'étais un petit joueur, et connaissant ton passé d'alcoolique tu pouvais dire sans trop de difficulté que tu n'en étais pas un. « Ça devrait aller, ne vous inquiétez pas. » Tu redressais ton regard vers les étoiles. Cherchant la grande Ourse parce que c'était la seule que tu connaissais. Tu n'allais pas faire l'intéressant sur ça. Et puis tu ne savais même pas si elle avait envie de discuté avec un homme qui a un peu de difficulté à articuler là que l'alcool coule dans ses veines. Tu n'étais pas intéressant, il n'y avait rien à dire sur toi, et tu ne voulais pas troubler le silence de la nuit qui était presque un doux son à ton oreille. Pourtant, tu ouvrais la bouche pour murmurer quelques mots à l'attention de la jeune femme. « Je ne voulais pas troubler votre méd.. médati.. méditation ! » Une personne qui venait là, ne venait pas pour regarder les étoiles, non, elle venait ici pour se vider la tête. Faire un point sur sa vie, sur soi, son entourage. Se posant des questions sur tout et rien, se remettant en question. Comme tu étais venu le faire, ivre parce que sinon ce n'est pas drôle.

Le sourire de l'homme la rassure sur le fait qu'au moins, il n'est pas sur le point de faire un coma éthylique là, juste devant elle. Sa voix est celle d'un homme qui doit être plus âgé qu'elle d'une bonne dizaine d'années, grave et presque apaisante avec ce ciel noir au-dessus de leurs têtes. Elle ne répond pas, et le laisse profiter de l'air frais de la nuit comme elle le faisait quelques minutes avant son arrivée. Théia est tentée de lui demander pourquoi il est là, mais elle craint de le déranger. À la place, elle écoute le silence qui règne, parfois accompagné des quelques bruits des arbres ou des objets présents qui craquent à cause de leur vieil âge. Elle étend ses jambes devant elle, s'appuie sur ses mains, et laisse aller sa tête en arrière pour regarder les étoiles. Même si elle est sans lune, c'est une belle soirée. Calme, paisible, sans un énième problème qui pourrait troubler cette ambiance presque trop romantique pour deux inconnus. À nouveau, la voix de l'homme à coté d'elle rompt ce silence, ce qui la fait tourner la tête dans sa direction. Un large sourire étire ses lèvres. « Je ne suis pas du genre à méditer. Je pourrais, j'ai déjà essayé même. Mais je trouve ça un peu trop ennuyant. » Elle pousse un soupir, exaspérée par elle-même de parler autant pour ne rien dire. Pour éviter de créer un malaise, Théia décide de retourner la situation et de s'intéresser à lui. « C'est quoi votre nom ? » demande-t-elle, peut-être un peu trop curieuse. Car même si ils ne risquent pas de se revoir un jour, elle aime pouvoir donner un petit nom aux visages qui lui sont familiers. Elle s'assied en tailleur et se tourne une nouvelle fois pour se mettre face à lui, sa tête appuyée sur sa main et sa longue chevelure brune flottant librement dans le vide.

Elle n'était pas là pour penser. Incapable de se concentrer selon ses dires. C'était amusant, c'était un bon endroit pour faire un point sur sa vie tout en regardant le ciel. C'était d'ailleurs pour ça que tu étais venu ce soir, pour savoir ce que tu pouvais faire de ta vie. C'était devenu un si grand bordel, tu avais fini par replonger dans l'alcool, que tu avais le sentiment de te noyer. Tu avais la tête sous l'eau, et une main invisible qui exerçait une pression dessus pour t'empêcher de remonter prendre ta respiration. Comme si la vie s'acharnait contre toi. Tu avais vécu trois ans en ermite, puis tu avais décidé de sortir, de reprendre le cours de ta vie. Tu avais rencontré Adilyn sur la plage. Puis d'un coup, tu avais une fille, une soeur, un secret avoué et une bouteille d'alcool vide sur les bras. C'était un peu trop pour toi. « Pour regarder le ciel ? L'observatoire de la ville est conseillé alors, la vue est à couper le souffle ! » Tu avais été qu'une seule fois à l'observatoire, tu avais su apprécier la beauté des lieux. Pouvoir admirer les étoiles, s'imaginer le ciel si grand, si grand. Il dépassait tout, il te dépassait toi. Tu avais eu le sentiment d'être une poussière par rapport à tout ça, comme si ta vie n'était rien comparé à la vie d'une étoile, aux millions d'années qu'il avait fallu qu'elle attende pour qu'une nuit, elle puisse briller de mille feux, en sachant qu'aujourd'hui, l'étoile en question pouvait être morte et que vous ne le sauriez que dans des millions d'années. Enfin pas toi, puisque tu serais mort depuis déjà bien trop longtemps. Et tu ne savais pas si dans des millions d'années la Terre serait encore ce qu'elle est. « Xavier, et toi ? » demandais-tu doucement. Tu avais à nouveau tourné le regard vers elle, te redressant pour être assis. Maintenant que ta tête te tournait un peu moins, tu pouvais te tenir comme tu voulais. Tu pouvais même tenter de faire du skate, mais tu n'en avais pas sous la main. Puis elle ne voulait pas nettoyer ton vomi, alors ton sang encore moins.

Théia n'a jamais vraiment été très douée pour réfléchir à sa propre existence. Elle sait que si elle le fait, que si elle s'arrête dans un endroit trop calme où elle pourrait enfin laisser libre court à ses divagations, elle perdra le cap. Elle entendrait les battements irréguliers de son cœur, et la voix des médecins dans sa tête qui lui diront qu'elle ne va pas bien, qu'elle n'est qu'un cas rare de la médecine et rien d'autre. Fascinante, étrange, une bombe prête à exploser à tout moment. Sauf qu'avant d'être un cas médical, elle est une personne désireuse de vivre. Alors elle ne pense pas. Elle a appris à oublier qui elle est derrière son habituel entrain, sa joie d'être vivante, et à ne garder son coté malade seulement dans un coin de sa tête. « Vous semblez vouloir me voir partir, non ? » demande-t-elle avec un sourire amusé aux lèvres. Malgré ses paroles, elle mémorise l'endroit qu'il vient de lui proposer et qu'elle n'a encore jamais vu pour un autre jour, et pour peut-être y trouver de l'inspiration pour ses films. Il lui donne son prénom et elle sourit à nouveau, ravie de connaître enfin son identité. « Théia, » dit-elle à son tour. Pendant un court instant, elle regarde le ciel avant d'à nouveau porter toute son attention sur lui. « Racontez-moi votre histoire, Xavier. » Car après tout, personne ne vient dans ce genre d'endroit sans une histoire à raconter. Peut-être qu'il ne voudra pas faire part de la sienne, et qu'il trouvera Théia un peu trop intrusive dans sa vie à son goût. Peut-être même qu'il partira, mais elle en doute un peu vu son état. Sans savoir si il va lui répondre ou non, elle reste exactement dans la même position sans bouger, son regard rivé sur lui. Théia a toujours été curieuse, à vouloir connaître chaque détail d'une personne, et trouver les secrets qui peuvent être enfuis en eux. Et puis, à force de vivre sans se soucier de demain, elle a fini par avoir cette mauvaise habitude de poser les questions qu'elle devrait garder pour elle.

Tu hochais la tête en souriant. Non, tu ne voulais pas qu'elle parte. Si tu avais été moins ivre, tu aurais pu remarquer son visage d'enfant, ressentir la sensibilité qui se dégageait d'elle, comme si elle était une d'une pureté. Un peu comme un ange. Mais tu ne voyais pas tout ça, tu savais juste qu'elle avait une voix douce et qu'elle était apaisante pour toi. Alors non, tu ne voulais vraiment pas qu'elle s'en aille. « Non, j'vous donne juste un bon plan pour voir les étoiles. » Ce qu'elle notait dans un coin de son esprit. Le jour où elle irait, elle pourrait repenser à toi, à ce conseil. Ou pas d'ailleurs, peut-être qu'il ne fallait pas qu'elle pense à toi. Ce n'était pas une bonne idée. « Un prénom de la mythologie, comme mon second prénom. » Tu t'étais mis à rire. Tu n'aimais pas tellement ton second prénom. Deüs. Comme un dieu. Ce n'était pas de la mythologie grecque maintenant que tu y pensais, mais tu étais trop sou pour faire la différence entre le grec et le latin. Pourtant ce n'était pas du tout la même chose. Tu riais encore quand tu pensais que ta mère avait eu un sacré sens de l'humour en t'appelant Xavier Deus. A croire que le Dieu était là comme pour veiller sur toi. Sauf qu'il n'avait rien fait de tel. Au contraire, tu avais eu une vie assez misérable quand tu y pensais. Et elle semblait intéressée pour la connaître de A à Z. Ce n'était pas une bonne idée, pourtant, tu étais prêt à tout lui dire, mais pas sans la mettre en garde. « Vous êtes sûre de pouvoir l'entendre ? Il paraît que c'est une terrible histoire. » annonçais-tu dans un murmure. Tu aurais pu ajouter que tu étais un monstre, mais tu te retenais. Tu lui donnais déjà un bon aperçu de la couleur. Si avec tout ça elle restait là, à t'écouter toute la nuit à parler comme un fou sans prendre peur, alors peut-être que tu aurais de l'espoir. Mais si elle grimaçait, si elle prenait peur et décidait de s'en aller, alors tu savais que tout serait fini. Pour de bon.

C'est la première fois qu'on lui fait cette réflexion par rapport à son prénom, et c'est une remarque qui la fait sourire. Théia, ça a été choisi par sa maman. Cette maman qu'elle a perdu alors qu'elle n'avait que cinq ans, et dont elle n'a que des souvenirs flous conservés grâce à des photos. Elle aimait la mythologie, alors elle a donné à sa fille unique le nom d'un titan comme si elle s'imaginait donner la vie à un être colossal, indestructible. À la place, Théia est devenue tout le contraire. Faible à cause de sa santé, une poupée de porcelaine qu'on manipule avec précaution et qu'on a peur de faire tomber au risque de la voir éclater en morceaux. Étrangement, en apprenant que lui aussi possède un nom de cette catégorie, ça la fait se sentir attachée à lui. Comme si le simple fait d'avoir deux prénoms originaux pouvait créer un lien entre des êtres qui ne se connaissent pas. À la remarque de Xavier, Théia pourrait revenir en arrière. Lui dire non, ne pas s'immiscer dans la vie de cet homme, et enfin le laisser tranquille une bonne fois pour toute. Sauf qu'à la place, elle hoche lentement la tête sans le quitter des yeux. « Vous savez, j'ai entendu beaucoup d'histoires au cours de mon existence. Des belles comme des plus sombres, des qui finissent bien et d'autre très mal. Sauf que, de mon point de vue, je pense que chacune d'elle méritait d'être racontée. Comme la vôtre. » Elle esquisse un nouveau sourire et profite de quelques secondes de silence pour regarder Xavier plus en détails. Physiquement, c'est un bel homme. Charmant, au beau sourire, sauf qu'il donne l'impression de renfermer quelque chose qui le consume de l'intérieur. « Faisons un compromis. Vous me racontez votre histoire, puis je vous raconte la mienne. » Peut-être que ça l'aidera à se lancer, ou peut-être qu'il n'a pas envie de la connaître et qu'il se foutra tout simplement de son offre. Théia ne peut pas savoir avant d'avoir essayé.

Tu prenais le marché comme il était une histoire, contre une histoire. Tu étais prêt à déballer tout peut-être en arrondissant les angles tout de même, tu ne voulais pas non plus être comme Oliver Twist. Tu n'étais pas si à plaindre que ça au final. « Je m'appelle Xavier Deus Black, je suis français. Le Black a été mon nom lorsque j'ai eu 18 ans. Je suis né sous X, je n'ai jamais connu mes parents et j'ai toujours grandi en foyer. J'ai été pris dans des familles un bon nombres de fois que je ne pourrais pas les compter sur les doigts d'une main, mais à chaque fois ça n'allait pas. Soit parce qu'ils allaient être parents d'un autre enfant, soit parce que je n'étais pas l'enfant qu'ils désiraient avoir. Au final, j'ai grandi dans un foyer froid, lugubre, où je n'avais pas vraiment d'amis. » Tu marquais un temps. Une pause dans ton récit. Ton monologue allait être assez long a raconter. « Mais j'ai eu la couture. On se moquait de moi parce que j'étais un garçon et que je fabriquais des robes pour les poupées des filles, mais je suis toujours passé à côté. » C'était les seules fois d’ailleurs où tu arrivais à passer au dessus. Par la suite l'image des autres étaient importantes pour toi. « A dix-huit ans j'ai pris mon envole. J'ai travaillé comme un forcené pour intégrer l'école de mes rêves, pour obtenir un diplôme de Tailleur. Je ne dis pas que ça toujours été facile, les fins de mois surtout pouvaient être terribles. » Tu te souvenais de ces repas pris dans les centres pour sdf, des poubelles de magasins que tu fouillais parfois pour prendre les produits périmés mais pas trop. Ce n'était pas le grand luxe, c'est vrai, mais tu n'avais jamais eu honte de ce que tu avais du faire pour survivre, pour lutter. « Je me suis marié très jeune, j'aime l'amour. J'aime les femmes, mais attention, une femme ne s'arrête pas à son physique, je suis totalement contre l'idée d'aimer une femme parce qu'elle est d'une beauté. Je l'aime parce qu'elle est drôle, douce, gentille, attentionnée, ou même folle. » Il y avait peu de choses qui pouvaient t'empêcher d'aimer une femme. La principale étant si son cœur était pris. Tu ne voulais pas lutter, tu ne voulais pas briser une autre union. Tu n'étais pas un goujat non. La fidélité était quelque chose de bien trop important pour toi pour te permettre de le faire. « Mais ça a fini en divorce après 6 mois. C'était différent, comme si y avait plus d'amour, plus de passion. C'était devenu monotone. Alors on divorcé. Puis j'ai connu autre femme quelques mois plus tard, que j'ai demandé en mariage et qui s'est enfui sans me donner une nouvelle. » Katherine, la mère d'Aby. Tu ne savais pas trop si tu devais le glisser là ou après. Peut-être que ça serait plus cohérent si tu terminais l'histoire de tes amours ratés. « Puis il y a eu une seconde Mme Black, mais pareil, un mariage éphémère. Et une troisième madame Black. Morte. » C'était concis, court et efficace. On ne pouvait pas dire que tu étais très loquace sur les détails, mais quand il s'agissait de cette femme là, tu essayais d'être bref. Tu ne voulais pas trop en dire. « Et j'ai découvert il y a peu que j'avais une fille et une soeur. C'est perturbant non ? » demandais-tu en te redressant.

Attentive au début de son récit, Théia ne prête plus la moindre attention aux étoiles qui brillent au-dessus d'eux. Son regard est rivé sur Xavier, sur ses lèvres qui bougent au rythme des paroles qui s'en échappent. Le début de sa vie lui semble banal, une vie presque normale d'enfant solitaire. Sauf qu'il n'a pas fallu longtemps avant que ce récit ne prenne une autre tournure, rendant ainsi cet homme en face d'elle bien plus particulier qu'il ne l'est déjà. Elle l'écoute, ne le coupe pas une fois, hoche de temps en temps la tête. Xavier parle d'une traite comme si ce discours avait été préparé à l'avance. À sa description de la femme idéale, Théia ne peut s'empêcher de sourire. Elle aime cette façon de voir la femme, car c'est comme ça qu'elle voit les hommes. Elle n'aime pas seulement qu'un visage, mais aussi une âme. Un humour, une façon de penser, une passion qui sort de l'ordinaire et qui offre un charme en plus. Sauf que rapidement, ce sourire sur ses lèvres s'efface. Chaque histoire a son passage triste, parfois plus long chez certaines. Celui de Xavier semble ne même pas être terminé vu sa façon de l'évoquer. Un divorce, puis un autre, et enfin un décès. En entendant ce morte lâché à la va-vite, Théia ressent un pincement au coeur. La mort l'a déjà secouée plus d'une fois, à cinq puis à dix-neuf ans. Elle sait ce que c'est que de perdre un être cher, mais pas une amante. Cependant, la conclusion de ce récit la fait hausser les sourcils. Ce n'est peut-être pas une fin si malheureuse au final, à moins qu'il ne lui aie pas tout dit. « N'est-ce pas une bonne nouvelle ? » demande-t-elle, curieuse. Théia pense ensuite à son histoire. À la façon dont elle va lui raconter les choses, ce qu'elle dira et ce qu'elle gardera pour elle. Son passage triste n'est peut-être pas aussi long que celui de Xavier, mais il reste cependant bel et bien là, tel une plaie encore à vif. « De mon coté, c'est une sœur que je me suis découverte, » dit-elle avec un sourire. Elle inspire profondément avant de commencer. « Je suis née sous le nom de Théia Hamilton, dans le New-Jersey. Je l'ai appris il y a seulement un mois, mais mon père a eu une autre fille avant moi. Zoey, que j'ai rencontrée il y a peu. Lorsque j'avais cinq ans, ma mère est décédée d'un accident de la route. Je ne me souviens pas de cette époque où j'ai vécue seule avec mon père, mais je ne peux qu'imaginer comme ça a dû être difficile pour lui car... » Elle soupire avant de continuer. « J'ai une déformation cardiaque. Mon coeur s'est arrêté de grandir trop tôt, ce qui fait que je dois suivre un traitement depuis que je suis toute petite pour éviter une soudaine crise cardiaque. J'ai souvent dû me rendre à l'hôpital afin de faire des examens pour vérifier son état. Ma relation avec mon père est devenue compliquée, mais j'avais Wallace. » Un sourire étire ses lèvres. « Wallace est... était mon meilleur ami. Je le voyais un peu comme un âme-soeur amical. On partageait tout ensemble, et il a fini par venir avec moi à l'hôpital à la place de mon père. Quand on a emménagé ici, il m'a suivie car il ne voulait pas que je sois seule. J'habitais chez ma tante, dans la même rue que lui. Il était ma bouée de sauvetage, celui qui m'empêchait de sombrer à cause de tous ces médicaments et les visites qui étaient de plus en plus difficiles à supporter. L'an passé, il est tombé malade. Un cancer, incurable. Il est décédé en seulement quelques mois. » Une larme coule sur sa joue qu'elle se dépêche d'effacer du revers de la main. « Je me suis raccrochée à mon unique passion pour ne pas perdre pied : la réalisation de films. J'ai commencé à tourner mes propres séquences, je m'investissais tellement que j'en oubliais le monde réel. Aujourd'hui me voilà, étudiante en art, diplômée dans deux ans. » Après ce discours, elle lève des yeux encore brillants vers Xavier avant de lui offrir un sourire discret.

Une bonne nouvelle ? Oui, bien sûr que ça l'était. Tu n'avais jamais aimé être l'enfant solitaire, l'orphelin de Paris. Tu n'avais peut-être pas voulu d'une famille quand tu avais 20 ans, mais aujourd'hui les choses étaient différentes, tu ne voulais plus être seul et la vie t'avait aidé à te trouver ta famille. A te donner ce que tu avais pu souhaiter dans tes insomnies d'enfants. « C'est assez compliqué. J'ai toujours été seul, à devoir prendre soin de moi tout seul, je ne sais pas si je serais un bon en sachant que je n'ai jamais eu de modèle.. » La peur d'être un mauvais père, de ne pas savoir faire les choses, de ne pas savoir poser des limites, de ne pas arriver à te positionner auprès d'Abygaël. Après elle allait bientôt avoir 10 ans, tu ne te rendais pas compte mais c'était une la moitié de son enfance, tu avais raté tout ça, tu n'avais pas été là parce que tu n'avais pas été invité à partager sa vie, mais tout de même, dix ans ça faisait bien trop d'années à rattraper. Tu n'étais pas certain d'y arriver rapidement, tu avais peur de passer encore à côté de certaines choses, surtout si tu continuais de faire ton ivrogne. Mais c'était fini de parler de toi, à son tour. Tu te redresses pour poser ton regard sur elle - où à l'endroit que tu penses être son visage - et tu l'écoutes. Raconter son enfance, sa maladie, son ami, sa mort, ça te déchire le coeur. Elle est si jeune et son histoire est bien trop triste pour toi. Tu sens monter les larmes mais tu ne les laisses pas apparaître, elle ne doit pas avoir besoin qu'un inconnu pleure sur son sort. « C'est une bien triste histoire.. En plus tout le monde doit vous traiter avec des pincettes non ? » C'était ça d'être malade. Tout le monde devait la prendre en pitié, pensant qu'elle est trop faible pour faire la moindre chose, prêt à se mettre derrière elle au cas où elle ferait un malaise. C'était bien triste comme relation, ce n'était pas une façon de vivre. « Et vous n'avez pas peur ? » demandais-tu curieux. Tu ne savais pas ce que c'était de savoir qu'à chaque instant son coeur pouvait décider d'arrêter de battre. Dans le fond, elle n'était pas si différente que toi, le tien aussi pouvait décider de s'arrêter là, s'il le voulait. Pourquoi devait-elle plus fragile que toi sous prétexte que son coeur était un peu plus petit ?

Tout en l'écoutant, Théia hoche pensivement la tête. Elle ne peut que comprendre ce qu'il ressent, elle qui s'est rapidement retrouvée sans mère et avec un père à moitié absent. Elle avait bien son oncle et sa tante, mais jamais ils n'avaient pu avoir la place dans son coeur qu'auraient dû avoir ses parents. Elle aussi s'était occupée d'elle-même, et ce n'a pas été une mince affaire avec tous les problèmes qu'elle a dû assumer. La mort de Wal, sa maladie, un loyer qu'elle a d'abord eu du mal à payer, son colocataire qui s'est fait la malle. Elle est toujours là pourtant, et lui aussi. « Il n'y a qu'une façon de le savoir, c'est d'essayer. » Elle sourit à nouveau. Théia a fini par apprendre à rester positive, à voir le bien là où il n'y pratiquement que du mal. Elle préfère vivre, apprendre, tenter les expériences que lui propose la vie avant qu'il ne soit trop tard pour elle. Du coup, elle ne peut s'empêcher de fourguer à Xavier ce genre de conseil qu'elle même suivrait. Vient ensuite son histoire, triste et un peu trop longue. Le genre d'histoire à plomber l'ambiance mais qui, étrangement, lui donne l'impression d'enfin pouvoir respirer. Théia, elle n'a jamais déballé tout du début à la fin comme ça, sans réelle raison. D'habitude, elle se contente de la partie "maladie", où encore elle ne fait que dire qu'elle a de petits problèmes pas bien graves. Jamais elle n'a parlé de ses parents, de Wallace, mais ça lui fait du bien. Elle hoche la tête. « Oui, assez souvent. C'est d'ailleurs pour ça que j'évoque rarement cette anormalité chez moi, pour éviter d'être regardée de travers. » Tout était plus simple avant. Quand personne ne savait, quand son coeur était encore assez fort que pour réussir à faire semblant d'être normale. Sauf que c'est comme ça qu'elle est, et qu'il lui est impossible de modifier le passé. Théia a fini par s'y faire, ce qui n'est cependant pas le cas pour tous ceux qui la connaissent et qui ont bien souvent peur pour elle. La question de Xavier lui fait l'effet d'un spasme dans tout le corps. Elle réfléchit un instant, regarde le vide à coté de lui, puis finit par secouer négativement la tête. « Avant, j'avais peur. Peur de mourir comme ça, en pleine rue, en faisant mes courses. Peur de ne pas pouvoir avoir une vie, de devoir finir dans un hôpital à cause de mes traitements qui deviendraient trop récurrents. Mais plus maintenant. Je suis là, bien vivante, et je peux faire presque autant qu'une personne lambda. Je me contente de ce que j'ai et j'en suis heureuse, je ne vois pas pourquoi je perdrais mon temps à me préoccuper de mon état pendant tout ce qu'il me reste de ma vie. » À nouveau, elle lui offre un sourire.

Parler d'Aby te faisait penser à elle, à son anniversaire qui approchait et au fait que tu serais incapable d'assumer si tu continuais de boire. Mais même cette pensée te paraissait futile, tu te disais que tu avais encore le temps d'arrêter, que tu aurais le temps de gérer les choses, de lui préparer une surprise, d'autant plus que sa robe était presque finie, il ne manquait que quelques petites retouches. Tu étais fier de toi, mais était-ce suffisant ? Tu le saurais bien assez vite de toute façon. Pour le moment tu préférais chasser cette pensée, tu ne voulais pas être triste, pas plus que tu ne l'étais déjà. « Vous semblez confiante... » Plus que toi en tout cas. Pas que tu ne voulais pas essayer, au contraire, tu voulais donner le meilleur de toi, mais en ce moment cette partie là tu ne savais pas trop où elle était. Il n'y avait qu'un Xavier alcoolique, un Xavier qui doute et qui a peur de chaque mot. Le plus dur était de te faire confiance, de croire en toi, de croire en le fait que tu pouvais y arriver. Si tu avais ça, tu ne serais sûrement pas là, assis à faire le point sur ta vie. « Vous avez tout à fait raison, rien de pire que la pitié des gens. » Tu la connaissais que trop bien. Quand tu parlais de ton enfance, le regard des autres changeaient, ils te prenaient en pitié parce que tu n'avais pas eu de vie de famille, parce que tu n'avais pas eu de parents aimants, comme si tu étais différents. Au fond, l'étais-tu vraiment ? « J'aime votre manière de penser, votre manière de vivre et de voir la vie. » ajoutais-tu doucement. Elle était différente des autres, elle était malade et ne semblait pas se soucier vraiment de sa maladie. Elle tenait à vivre sa vie comme si elle était une personne normale avec un coeur normal. Tu ne pouvais que trop bien comprendre son envie de le cacher, de faire comme si de rien. « Si j'peux donner un conseil, ne sombrez pas dans l'alcool pour noyer vos peines. C'est idiot, ça sert à rien et on se sent encore plus mal après ! » Les paroles dignes d'un ivrogne. Ça oui, tu pouvais le dire. Ça ne servait à rien, ça empirait les choses et ça ne te permettait même pas de te sentir mieux. L'alcool était un poison, tu le savais et pourtant ça ne t'avait pas empêché d'en boire tout une bouteille ce soir. Tu ne t'étais pas privé, tu t'étais mis dans un état pitoyable au point que tu allais finir par lui faire peur avec tes élucubrations.