just a sad man & a sick girl -r.

Théia sait pertinemment qu'elle ne peut pas comprendre ce qu'il ressent. Elle n'a pas son âge, pas son vécu, jamais elle n'a été mère et elle est tout bonnement trop jeune que pour connaître ce genre d'événement qui chamboule une vie. Sauf qu'elle essaie. Elle tente de se mettre à sa place, de visualiser ce qui peut bien passer dans la tête de cet homme devant elle qui découvre avoir une fille qu'il ne peut qu'aimer. « C'est votre fille, il n'y a pas raison de ne pas l'être. Tout ce qu'elle veut, c'est avoir un père qui l'aime quoi qu'elle fasse. Qui soit là pour ses anniversaires, à Noël, qui puisse la prendre dans ses bras quand elle a peur du noir. Une sorte de héros. » Lentement, un sourire distrait étire les lèvres de la brunette. Petite, elle a bien trop souvent été jalouse de l'amour porté par les pères de ses copines. Elle, elle n'avait qu'un paternel malheureux, souvent absent, trop occupé par ses propres démons que pour se rendre compte qu'il avait chez lui une enfant qui ne demandait qu'à passer un peu de temps avec son papa. Heureusement pour Théia, son oncle a suffi à lui offrir en quelques années l'amour dont elle a manqué presque toute sa vie. Elle se souvient encore trop bien de tout ce que lui a fait découvrir ce petit homme déjà âgé, de leurs longues balades dans les forêts, ou jour où il lui a appris à rouler à vélo quand elle avait douze ans. Elle l'aimait autant qu'un père, comme lui l'aimait autant que la fille qu'il n'avait jamais pu avoir. Les paroles de Xavier la sortent de ses pensées et font s'agrandir son sourire. Elle aussi aime sa propre façon de penser, elle aime ce qu'elle a réussi à faire de sa vie qui, pourtant, n'a longtemps tenu qu'à un fil. À son conseil, elle hoche doucement la tête. « Je ne l'oublierai pas, » dit-elle d'une voix calme, totalement détendue. Théia tend ses jambes vers la rampe, puis se laisse glisser jusqu'à se retrouver à coté de Xavier. Si près, elle arrive à un peu plus sentir l'odeur de l'alcool qui s'est imprégnée dans ses vêtements. Ça ne la dérange cependant pas, elle a été habituée à connaître bien pire durant son adolescence. L'odeur de la bière froide qui traîne sur la table du salon, mélangée au tabac et autres substances qu'elle n'a jamais consommées. « Et bien, vous savez quoi ? Moi je pense que vous êtes quelqu'un de bien. Vous méritez votre bonheur, alors à partir de maintenant, je vous interdit de baisser les bras ! » s'exclame-t-elle avec un nouveau sourire.

Tu l'écoutais te dire ce qu'elle pensait de la situation. Contenu de ce qu'elle avait pu te raconter un peu plus tôt sur sa relation avec son père, tu pouvais en déduire que c'était aussi ce qu'elle aurait voulu pour elle plus jeune. Elle devait avoir le double de l'âge d'Aby. Tu avais déjà raté dix années d'anniversaires, dix années de présence à pouvoir être un odèle pour cette petite fille. Elle qui en plus avait déjà eu un père par le passé. Tu savais qu'elle pourrait faire la comparaison, te trouver nul par rapport à celui qu'elle avait pu avoir. Mais c'était la fin des propos de la jeune femme qui te laissait perplexe. « Je n'ai rien d'un héros... » Tu étais un tailleur parisien, venu te cacher dans une ville où tu pensais être en sécurité. Venu aussi pour oublier ta vie, pour fuir tes problèmes. Et tu avais fini par recroiser Gaby, Katherine avait su te trouver elle aussi, ainsi que l'alcool. Autant dire que le héros, c'était plutôt un gros loser qui avait peur de sa vie. Tu soupirais doucement, te laissant glisser un peu plus dans le mal qui te collait à la peau depuis le début de la soirée. Elle avait fini par s'allonger à côté de toi, te disant que tu n'avais plus le droit de baisser les bras. « Vous êtes amusante, je vous aime bien, Théia le titan ! » déclarais-tu simplement en tournant ton regard vers elle. Tu avais envie de la prendre dans tes bras, de lui faire un câlin. Tu aurais aimé être son père, tu aurais aimé lui donner l'amour qu'elle voulait. Mais tu ne pouvais pas, pas avec elle, mais tu le pouvais avec Aby. Tu te devais même de le faire, parce que tu pourrais passer ta vie entière à t'en mordre les doigts par la suite. « Je tâcherais de m'en souvenir et quand je voudrais baisser les bras, je repenserais à vous, à votre force. » déclarais-tu en relevant le regard vers le ciel. Cette rencontre avait été étonnante, mais forte agréable. C'était toujours bien de pouvoir tout dire à une inconnue, de ne pas se sentir jugé par ce qu'on a pu faire ou par ce que l'on fait.

Ce qu'il ne réalise pas, c'est que n'importe qui peut être un héros. Il ne faut pas avoir sauvé le monde, être l'homme le plus riche ou celui avec le plus d'ordre dans ses affaires pour devenir quelqu'un de bien aux yeux d'une personne. Nos actions ne définissent pas qui nous sommes, nos erreurs restent des erreurs, pas des choix. Après tout, autant que n'importe qui d'autre, Xavier reste un être humain. Un homme torturé par ses démons du passé, rabaissé par l'alcool et par ce qu'il lui fait ressentir quand il ne parcourt plus ses veines. Théia aimerait le lui dire. Elle voudrait lui faire un discours sur la beauté qui peut sommeiller en chacun d'eux. Sauf qu'elle n'a pas l'impression qu'il retiendra quelque chose de ses mots, vu son état. Et puis, peut-être qu'elle est trop naïve aussi. Elle a déjà fréquenté des individus ayant sombré, elle en a vu des personnes mauvaises, trop enfoncées que pour savoir remonter à la surface. Qui ne peuvent être sauvées. Sauf que Xavier, elle sent qu'il a un bon fond. Sans savoir pourquoi, elle aimerait l'aider. Lui faire gagner confiance, l'épauler, le pousser vers la vraie vie. Elle qui a failli perdre la sienne, elle ne peut imaginer qu'un être en bonne santé puisse vouloir passer à coté. « Il n'est pas trop tard pour le devenir. » Elle lui sourit, un grand sourire qui creuse ses joues en deux fossettes et qui se reflète même dans ses yeux. À nouveau, elle se perd dans la contemplation du ciel. Les étoiles, l'absence de lune. Les mots de Xavier ajoutent un peu plus de douceur à cette nuit déjà si calme. Sans pouvoir s'en empêcher, Théia sourit un peu plus. « Moi aussi je vous aime bien, Xavier le français. » Elle se tourne à son tour vers lui, et ils se regardent comme si ils étaient prêts à se montrer toute leur affection l'un envers l'autre. Sauf qu'aucun des deux ne bouge. À la place, il dévie le regard et elle le baisse vers ses pieds. « Je compte sur vous pour ne pas l'oublier, » dit-elle simplement, ravie d'avoir pu rendre à cet homme un minimum d'entrain.