mr self destruct (nevaeh)

Il avait entendu le cri de sa sœur déchirer l’air, emporté dans le vent jusqu’à ses oreilles. Il avait attendu, parce qu’il savait qu’elle allait courir le rejoindre, et parce qu’il n’arrivait tout simplement pas à bouger ne serait-ce que son petit doigt. Il ne savait pas si c’était seulement le choc qui en était la cause, ou s’il avait déclenché une poussée cruelle de sa maladie qui le maintenait au sol pour le punir d’avoir osé la défier. Avec le mauvais karma de Woody, ce ne serait pas bien surprenant. Derrière lui, il entendit des pas rapides, puis le sable vola non loin de lui, où le visage de Nevaeh prit rapidement place. Il ouvrit les yeux et la regarda, grimaçant de douleur. Elle lui demandait si ça allait. Il avait toujours préféré mentir à sa sœur, pour la préserver, pour la maintenir dans une ignorance confortable. À ses yeux, ça avait toujours été la seule manière de la protéger. Il lui mentait donc toujours, depuis qu’ils étaient tout petits, à chaque fois qu’elle aurait pu s’inquiéter pour son frère. Son plus gros mensonge était certainement de lui cacher sa maladie. Mais là, couché au sol après cette chute, Woody n’arriva même pas à trouver comment lui mentir. Il n’allait pas. Il n’allait vraiment pas. Et pas que pour cette chute. En général. Woody était en train de chuter, et ce serait de plus en plus difficile de se relever, de remonter la pente. Sa maladie l’essoufflait, l’étouffait, et sa résilience commençait à lui manquer. « Je … j’arrive plus à bouger … » Il inspira profondément, essayant de bouger tout son corps à la fois, envoyant des signaux à tous ses muscles, en vain. « Appelle une ambulance, Nev’. » Elle s’exécuta, pendant que Woody fermait les yeux pour s’empêcher de pleurer. Il devait être fort, pour elle. Il devait faire comme si tout allait bien aller, même si ce ne serait sans doute pas le cas. Dans le cas contraire, les deux céderaient à la panique, et il ne le fallait pas. Woody n’en reviendrait jamais indemne. Quand sa sœur eut raccroché, Woody ouvrit les yeux et la regarda, de son regard brillant de tristesse. « Je suis désolé Nev’ … je suis vraiment désolé. J’aurais pas dû te traîner jusqu’ici, je savais que c’était une mauvaise idée … Mais je voulais pas l’accepter. » Il soupira, détachant son regard d’elle pour fixer le ciel au-dessus de lui.

Ne pas céder à la panique était le principal objectif de Woody, parce que ça sœur était déjà dans cet état et ça ne servirait à rien de s’abandonner tous les deux à celle-ci. Pourtant, en lui-même, Woody n’avait qu’une seule envie : éclater en sanglots, crier à plein poumons, blasphémer dans toutes les langues. Pour sa sœur, il demeura calme, lui demandant simplement d’appeler les secours. Il se doutait bien qu’elle ne le porterait pas et, de toute façon, c’était préférable pour lui de rester bien en place. Qui sait, peut-être s’était-il brisé quelque chose. Peut-être que sa maladie n’avait rien à voir là-dedans – bien qu’il était prêt à parier qu’elle était la fautive autant de l’accident en lui-même que des séquelles qu’il ressentait actuellement. Woody hocha doucement la tête, le seul mouvement que son corps s’autorisait encore à faire. Ils étaient dans les montagnes, les routes pour s’y rendre n’étaient pas faciles. Il était normal que ça prenne un peu de temps. « C’est bon, ça ne fait pas mal, je peux attendre. » C’était bien ça, le problème. Ça ne faisait pas mal. Il ne pouvait pas vraisemblablement avoir perdu toute sensation en trente secondes, la sclérose en plaques était une maladie plus vicieuse, plus rusée, qui se faufilait en Woody doucement, attaquant sans prévenir des parties de son système nerveux. Pas d’un coup, pas comme ça. La mort était lente. Ce qui était sans doute encore pire. Nevaeh s’installa à côté de lui, glissant sa main sur le visage de son frère et se pencha pour l’embrasser. Woody ressentit le besoin de prendre la main de sa sœur dans la sienne, mais son bras ne bougea pas pour rétrécir l’espace entre eux. Ses yeux se remplirent de larmes alors qu’il s’excusait à sa sœur d’avoir été aussi con, téméraire et irresponsable, alors qu’il savait fort bien ce que ça pouvait lui coûter. « Tu sais bien que même si tu m’avais dit non, j’t’aurais pas écoutée … J’suis une tête de mule, je serais allé sans toi. Et j’me serais ramassé dans le même état, mais seul. » Nevaeh n’était aucunement fautive. C’était tout Woody. Toujours Woody. Il foutait la merde partout où il allait, même sur son propre chemin. « Merci d’être là. » Dit-il, la voix tremblante, parce que la peur commençait à le gagner peu à peu. « J’veux pas que ce soit la fin, pas maintenant … j’suis encore tellement jeune putain. » Il prit une grande inspiration, le souffle court, tremblotant. Ils entendaient les sirènes au loin, bien au loin.

Pour une fois, Woody s’ouvrait complètement, il se montrait dans la plus grande des faiblesses. Il avait déjà pleuré pour sa maladie, certes, même dans les bras de Nevaeh quand il le lui avait confié pour la toute première fois il y avait quelques mois de cela. Cette fois, cependant, sa sœur ne sembla pas aussi prête que lui à baisser les bras, pas même à l’entendre perdre espoir. « Arrête Woody ! Tu n'as pas le droit de dire ça ! Tu comprends, tu n'as pas le droit. Pas à moi. Les secours vont arriver, ils seront bientôt là, alors arrête de dire ce genre de choses ! » Elle s’accrochait, à lui autant qu’à l’espoir, serrant sa main dans la sienne comme si elle voulait raviver les terminaisons nerveuses de l’homme qui ne recevaient plus aucun signal. Malheureusement, il ne sentit même pas ce contact. C’était comme si tout son corps venait de s’endormir. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il daigne se réveiller de nouveau, un jour. Devant la colère de sa sœur, Woody ravala ses larmes, se rappelant que son orgueil avait toujours été le plus important, et qu’une simple chute ne ferait pas de lui un lâche. « T’as raison, ils vont arriver, on va aller à l’hôpital, et tout va bien aller. Pour le moment … » Il n’avait pu s’empêcher de rajouter cette limite dans le temps, parce que Nevaeh avait beau se perdre dans son positivisme, elle ne devait pas perdre de vue que cet accident était le premier d’une longue liste. Certes, Woody ne rembarquerait pas sur son vélo de sitôt, mais plusieurs incidents le guettaient s’il ne songeait pas à bientôt ralentir la cadence de sa vie. Cette chute, c’était un signal d’alarme. À lui de voir s’il l’écoutait ou s’il continuait à porter ses œillères, pour prouver au monde entier qu’il était invincible.

Le temps passa et, finalement, un bruit de sirène retentit finalement de plus en plus près, jusqu’à ce que cela en devienne presque assourdissant. « Ils sont là. Je vais chercher nos affaires ok. Je reviens vite. » Woody hocha la tête, seul mouvement qu’il était en mesure d’accomplir présentement. Il entendit les pas de sa sœur s’éloigner rapidement, et quand des pas s’approchèrent de nouveau, il s’agit de ceux de deux ambulanciers et de la civière qu’il transportait. Sa sœur ne tarda pas à les rejoindre, d’ailleurs, ce qui apaisa Woody. Les ambulanciers posèrent des questions à Woody et à Nevaeh, concernant la chute. Ils se penchèrent sur Woody pour évaluer la situation avant de l’embarquer. Finalement, à deux, ils levèrent Woody en le tenant bien immobile, pour le faire glisser jusque sur la civière qu’ils avaient abaissées jusqu’à un niveau assez bas. « Nev’ … » Appela Woody alors qu’il était stabilisé et couché sur le lit mobile. Il voulait la supplier d’embarquer avec lui, de rester avec lui à l’hôpital, de ne pas le lâcher, parce qu’il avait besoin d’elle, mais à la place, le jeune homme lui demanda : « Tu peux t’occuper de mon vélo ? » Il se doutait bien qu’il n’y avait pas de place pour son vélo dans l’ambulance, et même s’il se foutait bien pour le moment de le laisser là puisque ça ne lui avait apporté que du malheur, sa fierté avait repris le dessus et il préférait faire croire à Nevaeh qu’il était en contrôle. Pourtant, en-dedans de lui, c’était le chaos grandissant.

Il baissa les yeux vers Nevaeh qui se rapprochait de lui, de la civière sur laquelle il était allongé, vulnérable. « Woody s'il te plaît. » Il ferma les yeux, comme si le fait de ne plus voir pourrait éliminer tous ses sens, dont son ouïe, et qu’il n’aurait plus à entendre les supplications de sa sœur qui ne voulait qu’être là pour lui. Hélas, il l’entendait encore. Et sans doute était-ce préférable de ne pas le souhaiter le contraire, puisque sa maladie se chargerait bien vite de lui enlever toutes ses capacités restantes. Aussi bien s’accrocher à ce qui fonctionnait encore de lui. Voyant qu’il ne répondait pas, sa sœur ajouta : « Tu peux pas me demander de t'abandonner comme ça. Pas maintenant, je veux venir avec toi. » Elle avait raison, et pourtant, il le faisait. Il le lui demandait. Égoïstement, cruellement, Woody tentait d’écarter sa sœur de ce chemin, de cette pente glissante, de peur qu’elle tombe avec lui. Si de mauvaises nouvelles l’attendaient à l’hôpital, Woody préférait y faire face seul. Si on lui annonçait que c’était la fin de sa vie telle qu’il la connaissait, Woody voulait encaisser le choc par lui-même et laisser les autres en-dehors de ça. « Tu n’auras qu’à me rejoindre plus tard, Nev’. » Quand tout aurait été dit, quand il aurait pleuré toutes les larmes de son corps, quand il ne resterait plus rien à faire d’autre que de rentrer chez lui et d’éteindre la lumière. À tout jamais. « Je reviendrais le chercher, s'il faut je t'en payerais un neuf mais ... ne me laisse pas là. » Il esquissa un sourire amusé devant la tête dure qu’était sa sœur. Ce n’était pas un sourire heureux, c’était un sourire exaspéré, exténué. Les ambulanciers commençaient déjà à l’embarquer dans l’ambulance. Ils n’avaient pas vraiment le temps d’écouter ce mélodrame fraternel. Woody non plus, peut-être bien. « Nev’ … » Mais il n’avait plus d’argument. Et lui sortit le coup fatal. « Promet moi que c'est ce que tu veux et je le ferais. » Il soupira, les larmes lui montant de nouveau aux yeux. Il baissa ceux-ci sur sa sœur, qui ne lâchait pas le morceau, qui ne lâchait pas sa main. « J’te déteste, Nev’ … j’te déteste que tu me connaisses autant et que t’utilises ça contre moi. » Déclara-t-il. Elle savait qu’il était incapable de faire des promesses dans le vide, des promesses qu’il savait ne pas pouvoir tenir. Surtout auprès d’elle et de Felix. Certes, Woody ne détestait pas sa sœur, mais présentement, il lui en voulait d’insister autant. Son malheur, il aurait voulu le vivre seul. Il détestait qu’elle ait à le voir dans cet état, et plus vite il pouvait écourter ce moment, plus vite son égo s’en remettrait. « Allez, monte ! » Lança-t-il alors que sa civière était maintenant bien stabilisée à l’arrière de l’ambulance et que l’ambulancier qui conduisait était retourné dernière son volant. La brunette s’assit à côté de lui, en face de l’ambulancier qui s’occupait de Woody, et le camion démarra et roula sous le bruit des sirènes témoignant de l’urgence de la situation.