into the night + Hazel

Il n'avait rien à faire là ce soir. Ce n'était pas son rôle, pas la place d'un lieutenant. Il aurait dû être planqué dans une camionnette banalisée à surveiller des dealers en planque et à siroter un café. Mais non, il avait fait le choix de venir patrouiller ici seul dans le centre nautique pour surveiller les équipements suite aux nombreux vols dont le propriétaire avait fait part au commissariat. En fait, il avait seulement choisit ce poste cette nuit pour éviter de se retrouver avec Annaëlle une fois de plus. Mais cette situation ne pouvait plus durer, il fallait qu'il prenne sur lui, ou qu'il accepte la réalité des choses, qu'elle était revenue dans sa vie, qu'il allait la voir tous les jours, qu'elle avait réouvert la blessure qui avait eu tellement de mal à se refermer. Finalement, il ne savait plus si c'était une si bonne idée de se retrouver seul ce soir. A penser. Habituellement, c'était seul et accoudé à un bar qu'il se perdait dans les méandres de sa vie et pas face à la mer, qui ne faisait que solenniser le moment. Un mouvement dans le noir perturba son champ de vision. Il s'arrêta net et porta une main sur la crosse de son arme, tentant de faire le moins de bruit possible. Il fronça les sourcils à la recherche de l'origine de ce mouvement. Mais il n'y avait plus de mouvement. Seulement un bruit. Une voix faible. Il s'approcha lentement de l'embarcadère où était stationné quelques uns des bâteaux à moteurs du complexe qu'il inspecta un par un. Sans lâcher son arme qu'il n'avait pas encore dégainé, il finit son exploration en tombant sur un bateau dans lequel se trouvait une silhouette de femme. Il s'arrêta net et lâcha d'une voix assurée: « Police de Bowen sortez de ce bateau, mains sur la tête. »

Elle sort tout juste du cabaret, vêtue de son habituel manteau rouge et de ses hautes bottes noires à talons. Hazel devrait rentrer chez elle vu l'heure déjà tardive, profiter d'un bon sommeil réparateur plutôt que de traîner dans les ruelles de Bowen, proche du centre nautique. Sauf qu'elle est à sec, et qu'elle sait qu'elle ne pourra pas s'endormir si elle n'a pas ses habituelles pilules magiques. Les bras croisés contre sa poitrine, elle attend un signe de son dealer attitré. Il est dans un de ces bateaux, elle le sait car il lui a bien souvent parlé de sa passion pour la mer pendant leurs transactions. Après un dernier SMS, elle finit par entrer dans l'un d'eux et échange le pax contre quelques billets avant de le laisser s'en aller. N'étant pas décidée à rentrer tout de suite, Hazel s'assied sur un des bancs en bois présent dans l'embarcation et s'allume un joint. Elle ne compte rester là que quelques secondes, juste le temps pour elle de tirer un peu avant de se faufiler à nouveau dans les ruelles les plus insalubres. Sauf qu'elle se perd dans ses pensées, comme trop souvent ces derniers temps. Elle pense à Nolan, encore et toujours. À lui, à eux deux, à qui ils étaient et ce qu'ils sont devenus. Des étrangers, presque. Elle soupire. Alors qu'elle s'apprête à éteindre son joint, une voix se fait entendre hors du bateau. « Et merde, » lâche-t-elle pour elle-même. Manquait plus que ça, un flic. Elle se lève, mains sur la tête comme l'homme devant elle vient de le lui demander. Elle a envie de jurer dans toutes les langues, de sauter dans l'eau et de nager jusqu'à s'épuiser. « Je comptais pas voler ce bateau si c'est ce que vous pensez, il est à un ami. » Comme si ça allait convaincre le flic de la laisser partir. Elle le regarde à travers cette mèche de cheveux qui recouvre son oeil gauche, son joint éteint toujours entre son index et son majeur.

Il fait tellement noir qu'il est en attente de voir qui va sortir de l'embarcation. Quand sort enfin de la pénombre une femme. Par réflexe il la détailla rapidement en la voyant s'avancer en obtemperant pour sortir du bateau. Sacrée tenue. Presque indécente. Mais surtout assez inappropriée pour être seule sur un bateau. Elle ne devait vraiment pas être là par hasard. Cependant, il la croyait quand même. Elle n'avait pas une tête de voleuse de bâteau. Et puis sûrement pas avec cette tenue. Mais il n'avait pas envie de la laisser partir comme ça, si facilement. Surtout que la vraie bande de malfrats n'avait pas l'air de vouloir montrer le bout de son nez ce soir. Mais ce qui était sûr c'était qu'elle n'avait dans tous les cas rien à faire là. Alors il décida de ne pas la lâcher pour autant, ayant un peu envie de s'amuser ce soir. « Vous auriez pas pu trouver plus original comme excuse ? » lâche-t-il un léger sourire sur les lèvres. Il fallait avouer que s'il avait été à sa place, c'est exactement ce qu'il aurait dit. Maintenant qu'elle était à sa portée, il aurait pu l'attraper et lui passer directement les menottes. Mais maintenant qu'il peut la voir et que son visage est éclairé par les quelques lampadaires au loin, il est totalement convaincu qu'il n'a pas affaire a une dangereuse criminelle. Juste une petite hors la loi. Mais hors la loi quand même. « Et puis vous savez je suis pas aveugle, vous pouvez me donner ce que vous avez dans votre main ? » Il tend la main devant elle et attends qu'elle le lui donne. Il aurait pu être bien caché mais c'était une odeur qui ne le trompait pas. Et c'est surtout qu'il s'était lui même laissé aller plusieurs fois à quelques petits joins quand il n'allait pas bien. Mais chut. Personne ne doit le savoir.

Ce regard qu'il porte sur sa tenue lui donne envie de péter un plomb. N'a-t-il donc jamais vue une danseuse de cabaret de toute sa vie ? Est-il trop prude pour ça, Monsieur le gentil flic ? Sauf qu'au lieu de se montrer hautaine, chose qui ne lui ressemble pas, Hazel préfère se taire. Elle s'avance, mains toujours posées sur le haut de sa tête, et plante son regard dans celui de l'homme devant lui. Il a de la chance d'être plutôt mignon sinon, elle le détesterait déjà. Sa question lui fait pincer les lèvres. « On n'a plus le droit de se détendre au bord de la mer maintenant ? » demande-t-elle avec un regard suppliant, espérant au fond d'elle qu'il la laisse partir pour cette fois. Elle pense à la drogue qu'elle a dans la poche, et elle espère qu'il ne va pas se mettre à la fouiller car avec ça, elle pourrait très bien se retrouver en taule la jeune Hazel. Dans ce cas-là, elle serait réellement dans le pétrin. Sans argent pour s'en sortir, sans personne pour la sauver. Elle est seule dans cette grande ville, et elle se voit mal sonner à Nolan pour la tirer de cette situation dans laquelle elle s'est toute seule mise. Elle regarde la main tendue du flic avant d'y poser son joint presque terminé. « Ecoutez, j'ai vraiment eu une journée difficile. J'ai voulu me détendre un peu, mais je ne suis pas une dealeuse je vous assure. Juste une danseuse de cabaret minable, qui ne plaît qu'aux pervers. » Elle esquisse un faux sourire avant de baisser les yeux, honteuse de sa propre vie. Sur le moment, elle n'est plus rien. Elle aimerait disparaître.

Son petit air sûre d'elle et en même temps d'enfant perdue prise sur le fait contrastait totalement avec ce que pouvait renvoyer cette tenue. Et ca rendait la situation un peu coquasse. « Y a d'autres manières pour se détendre que de squatter un bateau vous pensez pas ? » Il n'avait pas envie de la laisser partir. Il n'aimait pas plus que ça arrêter les gens, mais il aimait bien remettre les gens dans le droit chemin. Il savait qu'elle ne risquerait pas grand chose, il ne la chargerait pas, il voulait juste lui faire un peu peur, et comprendre que la loi n'était pas là simplement pour faire jolie, et ainsi en quelque sorte donner un sens à son boulot.  « Et puis, on a tous des journées difficiles vous savez. » Il pense à Annaëlle et à tout ce qui peut tourner autour d'elle, tout était toujours beaucoup trop compliqué. Sa main tendue ne tarde pas à recevoir la fin du joint qu'elle était en train de fumer quand il est arrivé. En attendant, il comprenait un peu mieux sa tenue. Il n'avait pas voulu la détailler autant tout à l'heure, mais il fallait avouer que ce n'était pas une tenue commune. « C'est pas la peine de vous apitoyer sur votre sort, ça changera rien à ce que vous faisiez. » Il y avait été confronté à des excuses, et bizarrement c'était toujours les mêmes. Une vie misérable, une mauvaise passade, une incartade rarissime, tout était possible. Alors cela ne lui avait fait ni chaud ni froid. « Et puis dans tous les cas, dealeuse ou non, il y a toujours intrusion dans une propriété privée. » Il insiste un peu sur ce point car il sait très bien que ce n'est pas un joint qui l'autorisera à l'arrêter et à l'amener au poste. Il fouille dans sa veste et en sort des menottes. « Vous me tendez vos mains ? »

Ce flic commence à lui taper sur les nerfs. Hazel se retient de lever les yeux au ciel, de lui cracher en pleines faces les raisons de pourquoi non, elle n'a aucun autre moyen de se détendre étant donné sa situation. Il se fout pratiquement d'elle, et ça la blesse dans son égo après la confession qu'elle vient de faire. Immédiatement, son visage se referme. Ses sourcils se froncent, son regard devient dur, et ses mâchoires se serrent. Elle donnerait tout pour ne plus être là, avec ce type. Elle aimerait se glisser dans les couvertures de son motel pourri et dormir pendant plusieurs jours. « Quelle compassion, waw, » souffle-t-elle sans le regarder. Elle se fiche d'être impolie envers lui, il n'avait qu'à l'être avec elle. Hazel a toujours détesté les flics. Pas parce qu'ils représentent un danger pour elle qui une consommatrice récurrente, plutôt parce qu'elle les a toujours trouvés hautains, trop vaniteux. Elle lève à nouveau les yeux vers lui. « Concrètement, personne n'habite ici, » tente-t-elle en haussant les épaules. « Ce n'est pas comme si j'avais essayé de les cambrioler. » Elle soupire, comprenant très bien que c'est peine perdue. En voyant les menottes, elle sent ses jambes défaillir. Hazel va finir en taule. La voilà condamnée à finir avec un casier judiciaire, à ne jamais avoir de meilleur boulot. « C'est vraiment nécessaire ? » demande-t-elle en tendant tout de même ses mains vers le policier.

Il lève les yeux aux ciel, presque désespéré de voir tant de nonchalance face à sa situation. Mais il savait pertinemment qu'elle avait raison. Tout en sachant surtout qu'elle ne risquait pas plus qu'une nuit en cellule. Mais ça, il était le seul à avoir le pouvoir là dessus et donc le seul à le savoir. Alors il continuait de lui faire croire qu'elle aggravait son cas. Ce qui n'était théoriquement pas faux. Certes, on était loin du cambriolage, mais ça aurait très bien pu être le cas vus les derniers évènements auxquels ils avaient été informés.. « Je faisais pas une promenade de santé ce soir, j'étais à la recherche de cambrioleurs. Et hop vous êtes apparue. Coïncidence ? » Il lui lance un regard interrogateur, le sourcil levé. Probablement que oui, mais au moins elle lui permettrait d'occuper un peu sa soirée. Et qu'elle fasse preuve de résistance l'amusait encore plus. « Non, non c'est juste que ça me fait plaisir. » Oui il était cynique. Et oui il faisait tout pour l'énerver. Mais elle avait le don pour rajouter le petit commentaire en plus qui provoquait ce lèger énervement chez Jayson qui se ressentait dès qu'il ouvrait la bouche. Elle jouait sur un terrain dangereux, comme si elle n'avait pas vraiment conscience de la personne en face de laquelle elle se trouvait. On croirait presque qu'elle cherchait le conflit.  « Merci bien ! » Mais malgré tout, elle lui tendait ses mains, alors il lui passa les menottes, juste histoire d'avoir le dernier mot, montrer qu'il avait le dessus, simple question de respect. « Par contre, va falloir marcher un peu je suis pas garé tout près. »