Yo Bruh...faut qu'on parle- ft Andreas

Dans sa poitrine, son cœur battait à tout rompre, près à exploser. Elle se tenait droite, immobile, devant la porte d’Andreas. Elle avait peur, mais elle ne savait pas trop de quoi. C’était Andre après tout... et peut-être que c’était justement la raison de ce stress immense qui lui triturait les entrailles. Elle se sentait coupable. Son frère avait vécu un des moments les plus difficiles de sa vie et elle avait répondu à sa détresse par le silence. Mais c’est qu’elle avait besoin de lui…et son départ avait laissé dans sa bouche le goût amer de la trahison. Elle avait tant besoin de lui qu’elle avait traversé le monde pour aller le retrouver dans ce trou de continent océanique. Elle n’était pas assez orgueilleuse pour aller à l’encontre de son désir d’aller le voir, de lui parler, de le prendre dans ses bras et de rire avec lui.

Dehors la pluie battante ne donnait pas de répits. Son petit imper de mauvaise qualité était trempé. Elle fixait la porte depuis un moment déjà sans oser frapper. Elle leva la main, forma un point avec ses doigts et lentement le descendit presque aussitôt. Elle répéta son manège quelques fois. Elle secoua ses jambes en pliant les genoux comme une enfant.

«Merde Lila, qu’est-ce que tu fais là» murmura-t-elle.

Elle n’avait pas fait toutes ces heures d’avion pour venir fixer une porte du regard. Elle s’imaginait retourner à Oslo et appeler son frère : «Elle est bien belle ta porte!» De toute façon…bien que la scène lui semblait comique, elle ne pouvait pas se permettre de retourner en Norvège. Toutes ses économies étaient passées dans le transfert de sa vie à Bowen. Et Oslo lui semblait maintenant hostile. Elle ne se sentait pas prêt à affronter ses rues. Elle ne calcula pas le temps passé…mais éventuellement l’envie d’aller au toilette se fit sentir et elle avait beau se tortiller dans tous les sens…son corps avait ses limites.

Elle cogna. Sonna. Cogna.

Il y eut un moment de silence. Elle n’entendait que le bruit des gouttes de pluie qui se fracassaient sur le sol. L’idée qu’il pouvait ne pas être à la maison lui traversa pour la première fois l’esprit et elle se trouva un peu bête. Elle avança son visage de la vitre de la porte pour regarder à l’intérieur si une silhouette semblait s’approcher. Elle ne vit que son propre reflet et fronça ses sourcils. Son visage portait encore les marques de son agression. Quelques pansements recouvraient le côté de son front, le dessus de son œil et sa joue…il lui avait porté beaucoup de coup au visage. Heureusement, Andreas n’allait pas pouvoir voir les ecchymoses sur son corps.

Elle espérait qu’il allait mieux. Elle espérait que ce temps passé ici l’avait aidé. Mais elle se doutait qu’il devait encore être blessé et elle appréhendait l’expression de son visage. Elle appréhendait l’état dans lequel elle allait le retrouver.  Elle aurait dû prendre des nouvelles…Elle était nerveuse de lui parler de leur père malade, nerveuse de lui parler d’elle, malgré qu’elle soit venu parce qu’il était le seul qu’elle voulait vraiment voir. Elle avait simplement hâte qu'il ouvre cette porte pour pouvoir enfin affronter tout cela.

Et il fallait vraiment qu'elle pisse.

En voyant son visage, elle ne savait plus si elle envi de rire de l’expression de son frère ou de pleurer sous le coup de l’émotion. Finalement, alors qu’elle se jetait dans ses bras, ce fut un mélange des deux qui fila entre ses lèvres. Elle enfouit sa tête dans le creux de son torse et s’agrippa à lui. Cette odeur si familière…c’était à la fois étrange et réconfortant de la sentir à nouveau et si loin de la maison. Ils restèrent là un moment, alors qu’il exprimait sa surprise de la voir devant sa porte en lui demandait ce qu’elle pouvait bien faire là. Elle ne l’écoutait pas, profitant seulement du sentiment d’avoir son frère entre les bras, bien solide et bien palpable. Ils finirent toutefois par entrer. Il resta derrière elle, refermant la porte. Elle parcourut l’endroit du regard. Il ne semblait pas trop mal installé, quoiqu’elle semblait arriver en plein séance de déballage si on portait attention aux boîtes et au sacs qui étaient dispersés sur le sol.

Sans attendre, elle identifia la salle de bain et s’y engouffra. Tout en faisait ce qu’elle avait à y faire, elle cria par la porte.

«Pfff…t’as une auto??».

Elle se lava les mains, essuya ses joues humides, s’assura que le pansement sur son front n’avait pas décollé sous la pluie et passa la tête par l’entrebâillement de la porte.

«Et je ne savais pas trop dans quel état je te trouverais…tu es parti si vite…pour ce que j’en sais ça aurait pu être une fausse adresse…tu semblais si heureux de te débarrasser de moi..», lança-t-elle de ce ton arrogant et comique qu’on ne se permet qu’entre fraternels.

Elle sortit de la salle de bain, un sourire scotché aux lèvres malgré la remarque qu’elle venait de faire. Pour tout dire, maintenant qu’elle se trouvait ici, et qu’elle l’avait devant elle, cette rancune semblait devenir sans importance. Elle voulait simplement qu’il aille mieux. Elle savait que seul on n’arrivait jamais à grand chose. Elle s’approcha de lui et passa une main sur sa joue. Elle fronça les sourcils.

«Tu manges bien? Tu as l’air pâle….t’as les yeux rouges? Tu as pleuré? Tu t’es pris un joint? Thabites seul ici? Tu travailles? Non c’est pas maman qui m’a demandé de te demander tout ça…. »

Elle sautilla sur place en pinçant les lèvres, comme si un surplus d’émotion la traversait, elle continua en riant carrément.

«God. Je suis ici. On est en Australie! En Australie! Tu te rends comptes? On va voir des kangourous!!»

Elle ajouta, pris par une émotion plus profonde qui la calma un peu :

«Et on est ensemble…Je suis désolée de ne pas avoir pris de tes nouvelles…Je suis là maintenant,  je te ferai des hjemmelagde kjøttkaker et on les mangera ensemble.»

Elle le dit autant pour lui que pour elle.  Elle savait qu’il avait rencontré son ancien petit ami autour des présentes dates…et elle connaissait son frère…Il devait ne penser qu’à ça. Elle se l’imaginait très bien tourner en rond, perdu dans ses réminiscences. De son côté, s’inquiéter pour lui et prendre soin de lui, ça lui occuperait l’esprit. Elle n’avait pas évité de répondre à sa question pour rien. Évidemment, elle était venue pour lui, et une partie d’elle avait toujours su que cela se terminerait ainsi. Toutefois, elle appréhendait le moment de lui expliquer pourquoi elle avait pris, elle aussi, si subitement cette décision, elle apréhendait de lui expliquer le déclencheur de ce revirement d’attitude envers lui.  

Oui. Bon. S’éloigner un peu…Il y avait toujours des limites. L’Australie! Ce n’était pas s’éloigner «un peu», c’était carrément s’exiler ça! Elle était heureuse de le revoir, et l’aperçut de ce visage familier la calmait…mais elle n’en avait pas fini avec lui…pas tout à fait. Et il devait bien s’en douter. Elle trouverait bien quelques moyens d’encore lui faire sentir comment elle avait peu apprécié cette façon dont il avait fuit en sauvage.

Pour ce qui était des questions….elle lui avait menti un peu. Quoi? Un petit mensonge n’a jamais tué personne. En réalité, elle avait reçu la demande explicite de leur mère de prendre des nouvelles d’Andreas et elle comptait bien remplir sa tâche. Bon. Il avait une maison, un job, même une auto. Ça semblait aller pour l’instant. Mais elle n’en avait pas fini avec lui. Elle regarda sa main qui prenait la sienne, la retirant de sur son visage. Elle sourit. Petit indépendant, va!

« C’est pas drôle si je peux pas les draguer» fit-elle dans une moue capricieuse. «Et s’ils sont mignons, je t’avertis, je ne peux rien te promettre!»

En plus, plus son frère lui interdisant quelque chose, plus cette dernière lui semblait attirante.

« C’est lequel le plus mignon? Aiden ou Félix?» fit-elle dans un clin d’œil.

Elle échappa un petit rire.

« J’adore ça. Maintenant je peux te demander ton avis sur ces choses là!! »

Elle fronça ensuite les sourcils.

« Tu ne gardes pas tout les beaux australiens rien que pour toi toujours! Ils sont ambulanciers? »
Oui. Elle avait encore des questions! Son frère l’avertis ensuite que les kangourous ne trainaient pas nonchalamment dans les rues de Bowen. C’était à son tour de faire d’avoir un air dépité. C’était nul ça. Elle se sentit alors naïve et elle ne voulait pas que son frère se moque d’avantage d’elle. Elle haussa les épaules dans une petite attitude arrogante et laissa tomber un « Je le savais ça! » d’adolescente. Elle continua, d’un ton un peu plus optimiste : « De toute façon, j’ai trouvé l’adresse d’un empailleur en ville! J’irai regarder des kangourous là-bas! »…Elle avait toujours eu un intérêt pour la chasse, la faune et la flore. Son obsession pour les oiseaux empaillés avait longtemps été une source de moqueries inépuisable dans la famille.

Elle prit le verre d’eau entre se mains et le porta lentement à ses lèvres après avoir remercier Andreas. Les paroles de son frère la touchèrent. Elle répondit tout aussi doucement à son sourire, plantant ses grands yeux dans son regard bleuté. Elle se figea toutefois en entendant sa question. Elle fixa l’eau un moment, hésitante.

- J’ai eu un accident…en boite de nuit.

Les larmes commençaient déjà à mouiller ses cils et sa respiration à se saccader. Cela la frustrait. Elle ne voulait pas qu’Andreas pense qu’elle n’était venue qu’à cause de ses problèmes à elle. Elle voulait aussi être là pour lui… Elle secoua la tête en soupirant.

- Disons que, malgré mes blagues, ton Aiden et ton Félix peuvent être tranquilles…Je vais éviter les garçons un petit moment je crois…

Elle disait cela, mais probablement que son cœur d’artichaut allait avoir tôt fait de la faire mentir. Elle essayait de se convaincre que ce ne serait pas le cas. Elle finit son verre d’eau comme on cale un verre de bière et passa la langue sur ses lèvres. Elle rapporta son attention sur lui.

- …C’était dans ces dates-ci n’est-ce pas? Le début…tu sais…

Elle garda le silence quelques secondes.

- Tu peux m’en parler si tu veux Andre... ou on peut te changer les idées. C’est comme tu veux.

Elle fixa son verre vide.

- Je suis sûre que dans tous les cas on peut remplir ça avec de l’alcool non?

Lila fit un grand sourire un peu pervers à son frère pour le taquiner tout en haussant outrageusement les sourcils :

-Féliiiix , ah ouaaais!

Elle poussa même la blague en faisait un petit sifflement.  Rien ne valait le visage que faisait son frère quand il l’imaginait avec des hommes, son teint en devenait presque blême. Elle savait bien que s’était son instinct de grand frère protecteur qui prenait le dessus. Avant, cela l’avait toujours agacée au plus haut point et les «t’es pas mon père» et les «pour qui tu te prends pour vouloir contrôler ma vie?» fusaient dans tous les sens…Maintenant, elle se demandait si elle n’aurait pas dû l’écouter un peu plus souvent, même qu’elle était venue jusqu’en Australie pour sentir à nouveau cette aura protectrice l’envelopper. En réalité, Andreas ne pouvait pas faire grand chose…elle seule pouvait vivre sa vie et en traverser les étapes, les meilleurs comme les pires…mais un peu de support peut toujours aider et maintenant qu’elle se tenait devant lui, elle se demandait même comment il avait pu penser qu’il pouvait se passer d’elle et elle de lui. Quoi? Une petite sœur peut aussi être protectrice…

Elle leva ensuite un sourcil dubitatif.

- «Tous» pour toi pfff…tu veux qu’on compte? Ricana-t-elle.

- Tu es même pas capable de retenir leur métier!

Après avoir lancé son idée de visiter l’empailleur, son grand frère préféra simplement éviter le sujet, comme d’habitude, et s’approcha plutôt de son visage. Elle murmura, alors qu’il examinait son pansement :

- Tu pourras pas toujours ignorer mon amour pour les animaux taxidermisés tu sais….Je vais t’en offrir à ta fête je pense bien…eheh…un kangourou tiens!

Penser à l’origine de sa blessure était difficile et elle préféra pour l’instant lui lancer une réponse évasive…mais cela sembla l’inquiéter davantage…Elle se demanda alors s’il n’aurait pas été plus simple d’en parler tout de suite…de percer l’abcès si l’on veut…Par chance, il savait se montrer rassurant et ses mots la calmèrent…Elle profita de ce moment un peu plus sérieux pour lui demander comment lui se débrouillait…Elle avait une aussi bonne mémoire que son frère en réalité! Même s’ils ne partageaient pas les mêmes gênes.

Sa réponse à lui aussi fut évasive….décidément…ils avaient appris du meilleur en réalité…avec ce père cachotier…Elle accepta avec plaisir l’alcool, se souvenant dans un sourire le dernier moment où elle avait bu avec lui. Il lui avait tenu les cheveux alors qu’elle rejetait cette tonne d’alcool qu’elle avait consommé… s’était sa première cuite après tout!

- Promis, aujourd’hui je n’abuserai pas! Je me suis améliorée depuis tu sais.

Elle leva son verre, élargissant davantage son sourire.

- On trinque à nos retrouvailles voyons! À quoi d’autre?

Elle avait failli dire : «à la découverte de notre demi-frère»….mais elle savait bien qu’il ne l’avait toujours pas appris…

Elle prit une gorgée et commença à faire le tour de l’habitation.

- C’est joli quand même…

Elle marchait tranquillement, l’air de rien, puis bifurqua vers les chambres…Elle reconnut facilement celle de son frère, déposa son verre sur la commode et se lança sur le lit. Elle resta là quelques secondes, appréciant le moelleux des couvertes, l’odeur de son frère, puis fixa le plafond. Elle se releva sur les coudes et parcourut la chambre du regard à la recherche d’indices.

- Alooooors, fit-elle.

- Est-ce que tu as eu des «invités» depuis ton arrivée ici?

S’ils étaient incapables d’aborder tout de suite leurs blessures, autant potiner un peu non?