bless those tired eyes (abygaël)

Depuis que Lennox avait vu le bonheur dans les yeux de Léo quand il regardait son fils, et toute la fierté dans sa voix quand il parlait de lui, le notaire avait comme eu le sentiment que quelque chose manquait à sa vie. Tout semblait hors de sa portée, à présent. Lou était dans le coma depuis bien trop longtemps déjà, et l’espoir se réduisait d’heure en heure. Andreas le troublait au point où Lennox ne savait plus du tout comment agir en sa présence. À tous les soirs, le trentenaire revenait chez lui pour se sentir encore plus seul que jamais. Et il ne voulait pas retourner à la case départ, même s’il lui semblait ne jamais en avoir réellement bougé. Il avait fait quelques progrès, en prenant ses médicaments à tous les jours et en ne touchant plus à une goutte d’alcool depuis l’été. Ceux-ci n’étaient pas négligeables. Toutefois, le vide qu’il ressentait dans son cœur s’agrandissait et le pesait de plus en plus. Il avait besoin de combler le manque, il avait besoin de nourrir sa vitalité. Il pensait de plus en plus au fils de Léo. À ce qu’un enfant pourrait lui apporter, peut-être. Un peu d’innocence, un peu de douceur et, surtout, un amour inconditionnel. C’est ainsi que, la veille, il avait appelé dans un foyer pour enfants orphelins, pour enfants abandonnés, pour enfants aussi seuls et perdus que lui, et qu’il prit rendez-vous en tant que candidat pour une éventuelle famille d’accueil. Lennox, en père adoptif. C’était plutôt inimaginable. Inconcevable. Et pourtant, le voilà qui franchissait la porte d’entrée, accueillit par une femme dans la quarantaine qui lui demanda d’attendre quelques minutes dans la pièce d’à côté. La directrice serait prête à le recevoir bientôt. Lennox hocha la tête, le cœur serré, l’angoisse au plafond, et se rendit dans la pièce d’à côté. Il figea, longuement, quand il réalisa que bon nombre des enfants du foyer se trouvaient là, eux aussi. Et dans leurs regards, Lennox se reconnut. L’enfant perdu, l’enfant confus, l’enfant déçu par la vie et torturé par le mal. Il déglutit, de moins en moins convaincu de sa visite.

Un jour de plus ici, un jour de plus sans aucune solitude, surveiller de près à cause de mes deux fugues, ils n'ont plus confiance en moi et ils ont raison. Si jamais je trouve un moyen de sortir d'ici pour aller voir papa à nouveau ou Adilyn. Je ne les ai pas vus depuis le séisme. Ils me manquent, tous les deux. J'aimerais que les choses soient plus simples, mais non, je suis coincée dans ce fichu foyer avec tous ces autres enfants. On est tous bloqué ici, mais le problème c'est qu'il y a toujours du bruit, jamais de calme. C'est ça que je trouve le plus insupportable, j'ai du mal à lire dans ces conditions, c'est difficile de m'enfermer dans ma bulle avec tous ces sons qui me parasitent. Je suis dans la salle commune à lire un livre qui ne m'intéresse même pas. Lors de ma dernière fugue j'avais déchiré le seul exemplaire d'Alice au pays des merveille que j'avais, c'est d'ailleurs à cause de cette fugue que je n'ai plus le droit de rester seul dans ma chambre la journée, j'étais passée par la fenêtre de la chambre au nez et à la barbe des éducateurs. Par la même occasion je me suis privée de mes seuls moment de solitude. J'en ai marre de ce bouquin, vraiment, je le pose et lève les yeux dans l'espoir de trouver quelque chose qui pourrait m'intéresser, dépitée. Je vois un homme entrer par la pore pas très loin de moi, il n'a pas l'air d'aller très bien. Je ne sais pas s'il m'a remarqué, mais son regard me rappelle un peu le mien, triste. « Monsieur ? Ca ne va pas ? » J'ouvre les yeux rond, c'est sorti tout seul, qu'est-ce qui m'a pris ?

Une toute petite voix s’éleva de parmi tous ces petits visages d’anges déchus avant leur temps. Le regard de Lennox se tourna immédiatement vers la jeune fille qui lui avait demandé, ou plutôt qui avait relevé, qu’il n’allait pas. Si jeune et déjà capable de déceler avec tant de facilité la douleur et la tristesse. C’était injuste. À son âge, elle n’aurait pas dû être capable de lire en Lennox ces sentiments bien trop sombres. Si certains adultes, que la vie avait probablement malmenés à plusieurs occasions, n’arrivaient pas du premier regard à comprendre la souffrance du notaire, alors pourquoi cette gamine l’avait-elle compris bien trop vite ? Cela lui déchirait le cœur, encore plus, et son regard s’assombrit un peu plus. En raison de la tristesse d’un autre, pour une fois qu’il ne se concentrait pas que sur lui-même. Il esquissa un faible sourire et pencha légèrement la tête sur le côté, s’approchant de la fillette. « Mais bien sûr que ça va. Et toi, est-ce ça va ? » Mentir pour préserver l’innocence, voilà la seule solution qui s’était présentée à Lennox. Pourtant, il détestait qu’on le couvre de mensonges, lui. Il détestait qu’on fasse comme si tout allait bien alors que tout allait mal. Pourquoi essayait-il de convaincre cette fille que la vie n’était que lumières et fleurs alors que c’était tout le contraire ? Elle semblait d’ailleurs le savoir tout autant que lui. Malgré cela, Lennox avait ressenti le besoin de ne pas confronter la jeune fille à ses démons. Peut-être y avait-il encore un brin d’espoir pour elle, alors aussi bien l’entretenir. Le notaire s’agenouilla à côté d’elle, afin d’être à sa hauteur, et fronça légèrement les sourcils. « Pourquoi m’as-tu demandé ça ? » Ou plutôt, comment avait-elle compris ?

Après que les mots aient franchi la frontière de mes lèvres, son regard se pose sur moi, son regard je le vois mieux a présent, il a l'air triste, mais il tente de la cacher par un sourire, a moins que je me trompe, je peux toujours me tromper, mais j'ai en envie de croire qu'il y a quelqu'un qui peut comprendre ma douleur. Il me dit que ça va, si c'est vrai tant mieux pour lui, par contre il me demande si moi ça va. Je n'ai pas cette question même si je venais de la lui poser, un peu différemment, mais le sens reste le même. On répond toujours oui, car dire non ce n'est pas poli, les adultes le fond toujours, maman me le disait toujours quand elle était sobre, alors que quand elle buvait elle pleurait et se disait à elle-même a quel point elle n'allait pas bien. « Non... ça ne va pas, je suis ici. » Car si tout allait bien je serais avec mes parents en train de passer des moments en famille, à rire et à jouer, à me raconter des histoires, à sourire, à m'ouvrir au bonheur qui me serait présenté. Mais ici où est le bonheur ? Il y a l'espoir, pour certain l'espoir de retrouver leurs parents, l'espoir d'avoir une vie meilleure, une vie plus simple. J'ai aussi une dose d'espoir, l'espoir de revoir ma maman même si je lui en veux, l'espoir que mon père aille mieux, l'espoir de retrouver Adilyn en bonne santé (la dernière fois que je l'ai vu étant quand elle était à l'hôpital après qu'elle se soit fait tirer dessus), l'espoir de quitter cet endroit. Mais pour le moment je suis bloquée ici et je ne peux rien y faire. Il me demande ensuite pourquoi je lui ai demandé ça. Je hausse des épaules avant de répondre. « Votre regard, peut être. Vous n'avez pas l'air d'aller si bien que ça.» Je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui les mots sortes tous seul, d'habitude je n'aurais pas osé dire ça à un adulte, j'aurais pris mon temps avant de parler. Mais je n'aurais pas été honnête.

Pourquoi mentir à un enfant sur ce qui l’attend ? Pour ne pas le désillusionner, sans doute. Pour le laisser vivre son innocence avant que la vie d’adulte ne le frappe de plein fouet, en lui montrant la grande déception qu’est réellement la vie. Pour le laisser profiter des quelques années de bonheur enfantin qui était mis à leur disposition avant qu’on les leur arrache cruellement pour ensuite les asseoir sur les bancs d’école et les façonner comme on le désire. Comme la société le désire. Toutefois, Lennox voyait bien dans le regard de la fillette qui l’avait interpellé, qu’elle était déjà désillusionnée face à la vie. Tous ces enfants orphelins l’étaient. Il n’y avait déjà plus d’espoir pour eux, et ils avaient au maximum dix ans. Lennox n’avait pas à lui mentir, elle était capable de tout entendre et, surtout, elle était capable de déceler la tristesse dans ses yeux. Elle l’avait elle-même tellement ressentie, déjà. Pourtant, Lennox avait fait mine d’aller bien, contrairement à elle qui se montra bien franche à son égard. Il baissa les yeux, se sentant mal à l’aise par rapport à elle. Il se reconnaissait tellement dans son attitude et, pourtant, lui n’avait pas toutes les raisons du monde d’être ainsi. Elle, si. « Tu ne t’amuses pas ici ? » Quelle question. Bien sûr qu’elle ne s’amusait pas. Il n’y avait pas assez d’argent offert à ce genre de foyer pour permettre aux enfants de s’épanouir. Ils attendaient que les heures passent, que quelqu’un veuille bien d’eux. Lennox demanda alors à la jeune fille pourquoi elle lui avait demandé s’il allait bien comme elle l’avait fait. Sa réponse le laissa surpris un moment. Puis, il esquissa un faible sourire. « On se ressemble un peu, je pense. Pas vrai ? » Demanda Lennox avec douceur. C’était décidé. Si on lui donnait le feu vert pour accueillir un enfant chez lui, ce serait elle. Elle l’avait frappé en plein cœur.

M'amuser ici ? Je ne sais pas comment je pourrais m'amuser, certes il y a plein de jouets, on peut regarder des filmes si on veut, mais rien de tout cela ne m'intéresse. Il y a bien des livres, mais je ne suis pas franchement d'humeur à lire. J'ai trop de choses en tête qui se mélange et s'embrouille dans mon esprit. Je passe mon temps à me demander ce qui pourrait empirer ma situation actuelle. Je suis au fond du trou. Donc m'amuser ne fait pas parti du tableau. Et de toute manière quoique je fasse il y a toujours du monde autour de moi, que ça soit les autres enfants ou les éducateurs, ils sont là a chaque instant. « Trop de monde. » Je dis ça comme si ça suffisait a résumé toute la situation, mais j'aurais trop de choses à dire sinon, trop de choses à raconter à cet inconnu venu de nulle part. Après ça il me demande pourquoi je lui ai demandé si ça n'allait pas. Il ne réagit pas tout de suite après ma réponse, il y a comme un moment de flottement avant qu'il ne fasse un petit sourire et me réponde. Si on se ressemble, peut être, un peu. Oui ce regard triste, tous les deux on l'a. Tous les deux on souffre. Surement pour des raisons différentes, mais on souffre. « Sans doute. » J'essaye de deviner en le regardant pourquoi il a ce regard triste, que peut-il bien avoir vécu lui ? Me poser cette question, m'empêche le temps de quelque seconde de me concentrer sur mes problèmes. Comme une sorte de divertissement, est-ce mal ce que je fais ? « Pourquoi avez-vous ce regard, vous ? » Quand les mots sortent de ma bouche je sens que je vais regretter ces paroles, je ne voudrais pas que l'on me pose cette question, car ça ferait que tout me reviendrait en tête. Ou peut-être que c'est justement ce que je veux, peut -être que je veux que l'on s'intéresse à moi, qu'on m'aide, m'aide à passer a autre chose. Pas de la manière dont les éducateurs et les psychologue le font sans vraiment me comprendre. L'aide de quelqu'un qui me comprend, quelqu'un qui qui c'est ce que c'est de souffrir. Peut être est-ce un appel à l'aide. Ou peut être pas, peut être ai-je seulement le besoin de faire couler quelqu'un d'autre dans le simple espoir d'oublier mes problèmes le temps de quelque seconde, je ne sais pas...

Lennox la comprenait tellement, cette gamine. Lui aussi étouffait dès qu’il y avait trop de gens dans une pièce. Il étouffait dès que des inconnus lui parlaient alors que lui ne voulait qu’un peu de solitude. D’ailleurs, à cette pensée, il espéra ne pas générer ce sentiment chez la jeune fille. Une petite voix intérieure lui disait que ce n’était pas le cas, et qu’ils devaient se parler, tous les deux. Lennox hocha donc la tête à la remarque de la fillette. « Je ne m’amuse pas non plus quand y’a trop de monde. » Avoua-t-il à la jeune fille, comme pour tenter de lui faire comprendre qu’elle n’était pas seule dans cette situation. Que c’était peut-être normal de se sentir ainsi, surtout dans sa situation. Quand elle acquiesça au fait qu’ils se ressemblaient sans doute un peu, Lennox lui sourit tristement. Parce que ce n’était pas forcément une bonne chose, ce n’était pas flatteur pour elle. La brunette lui demanda alors pourquoi lui, il avait ce regard. Dans son cas à elle, la réponse était assez claire. Dans son cas à lui, c’était plus complexe à expliquer. Lennox avait tout ce dont il avait besoin, à priori. Mais ce n’était pas aussi facile d’être heureux. « Tu vois ces gens qui sourient et rigolent autour de nous ? » Demanda Lennox en regardant lui-même autour de lui, croisant le regard et les sourires d’autres enfants qui s’amusent, de parents qui viennent recueillir un enfant, de ces enfants qui quittaient enfin ce foyer. Il regarda de nouveau la jeune fille à qui il s’adressait. « Le sourire ne me vient pas aussi facilement … J’ai de la difficulté à être heureux. » Résuma-t-il en de mots simples. Pas besoin d’aller dans les détails du cas de Lennox devant une gamine. Même si, au fond, Lennox était persuadé qu’elle aurait exactement su de quoi il parlait.

Je hoches de la tête il me comprend, c'est rare, je l'aime bien, il n'y a pas besoin de dire trop de choses avec lui c'est simple de parler. Tous les deux on connait cette nécessité d'être seul, de rester à l'écart. Tous les deux on sait ce que c'est de ne pas se sentir à sa place au milieu des autres. Maintenant je le regarde plus attentivement, voir si je décèle quelque chose de nouveau, j'essaie de le comprendre comme il me comprend, je lui demande même pourquoi il a ce regard si triste, je suis curieuse de savoir, mais il ne me répond pas directement. Son explication sonne bien triste, elle n'a rien de concret. Mais ça me suffit, ça me suffit comme je le comprends, moi aussi je regarde ces personnes, ces personnes qui ont un sourire que je n'ai pas, ces personnes qui savent se montrer heureux. Ces personnes qui sont loin d'être moi. « Je me demande si un jour j'y arriverais, ça à l'air si facile, mais ça me parait si lointain. » Je le regarde à nouveau, j'ai envie de voir cette lueur de compréhension dans ce regard j'ai encore envie d'avoir cette sensation d'être comprise c'est presque agréable, c'est reposant de ne pas avoir à me justifier. « J'aimerais tellement quitter cet endroit. Vous, pourquoi êtes-vous venu ? » Oui pourquoi être venu dans ce lieu respirant la solitude de tous ses pores, cet endroit dans lequel trop d'enfants se trouve obligé de vivre. Il vient de son plein gré alors que moi je voudrais tellement le quitter.

Leurs regards se perdirent sur ces autres personnes, ces personnes qui semblaient rayonner alors même qu’elles se trouvaient dans un endroit si triste, si déconcertant. Lennox n’avait jamais la force de sourire, alors encore moins dans un endroit qui façonnait des enfants qui deviendraient comme lui. Vides. En détresse. En échec. Lennox reporta son regard sur la petite fille, qui fit de même automatiquement, comme si leurs regards suivaient la même trajectoire. Comme s’ils se cherchaient. Et bien le notaire l’avait trouvée, et si on le lui permettait, il ne la perdrait pas de vue. « J’espère que tu y arriveras. Venant de quelqu’un qui n’a jamais été capable, je peux te dire que c’est difficile d’être nous, même en vieillissant … » Il n’aurait sans doute pas dû aller aussi loin dans ses commentaires, condamner cette gamine avant même que la vie ne lui rentre pleinement dedans. Mais c’était plus fort que lui. Il avait l’impression qu’elle le comprenait. Qu’elle comprendrait. Lennox avait si longtemps cherché à rencontrer quelqu’un avec qui les mots ne seraient qu’accessoires, avec qui le regard dirait tout. Il n’avait jamais pensé trouver cette personne en une gamine de quelques années. La jeune fille lui demanda alors pourquoi il se trouvait ici, alors qu’elle, elle cherchait tellement à quitter l’endroit. Il lui sourit faiblement. « J’essaie justement d’aider, pour qu’un enfant puisse quitter cet endroit … » Il aurait aimé que ce soit elle. À être tous les deux si bas, peut-être arriveraient-ils à remonter un peu la pente à deux, avec un peu de volonté. Au moins, il ne risquait pas d’attirer quelqu’un d’autre dans sa descente ; elle était déjà en chute libre comme lui. « Je dois rencontrer de ces adultes qui sourient trop, et ils décideront si je peux accueillir un enfant chez moi. » Expliqua-t-il.

Oui être heureuse, j'aimerais tellement pouvoir l'être, j'aimerais tellement ne plus avoir à penser toutes ces choses qui rendent ma vie si compliqué, je voudrais pouvoir sourire facilement, sans m'inquiéter de quoi que soit d'autre. Mais c'est impossible pour moi, c'est trop compliqué, et pourtant j'espère qu'un jour je pourrais. Mais quand je le regarde et que je l'écoute, cette idée me parait encore plus inatteignable, pourquoi y arriverais-je alors qu'il n'y arrive pas. Il a l'air aussi triste quoi moi peut être plus, et pourtant il est libre, libre de faire ce qu'il veut, il n'est plus coincée par son âge, il n'est plus dépendant du bon vouloir de ceux qui sont ses parents, des personnes qui se disent responsable de votre bonheur, mais qui ne font que vous abandonnez lâchement dès que les choses deviennent difficiles. « C'est dommage. » Mes mots sont lasses, à ce moment je n'ai pas le courage de me dire que les choses peuvent être différentes, il y a tellement de tristesse réunie entre nous qu'elle ne laisse pas de place à l'espoir, seulement à la dure réalité. On ne peut pas faire autrement que la subir. Pourtant, je lui demande pourquoi il est là, dans ce lieu où je suis coincé. Sa réponse est comme une graine, une petite graine qui germe dans mon esprit, finalement tout n'est peut-être pas perdu, peut-être vais-je pouvoir sortir d'ici, peut être me ferrât-il sortir d'ici. « J'espère qu'ils diront oui. » Je regarde la pièce qui nous entoure avant de reposer les yeux sur lui. « Vous pourriez me promettre quelque chose si je vous le demandais ? » Je le regarde avec cette petite nuance d'espoir, dans les yeux, qu'il a planté dans mon esprit. « S'ils disent oui, emmenez-moi s'il vous plait. »

Quand Lennox révéla à la petite fille la raison de sa venue dans ce foyer rempli de tristesse et de sentiment d’abandon, elle lui répondit qu’elle espérait qu’ils accepteraient. Que la direction accepterait que Lennox devienne le père adoptif, en quelque sorte, d’un de ces enfants. D’elle, se surprit-il à penser. D’ailleurs, après avoir fait le tour de la pièce des yeux, balayant du regard chaque enfant au sourire trop facile pour les circonstances, elle regarda de nouveau Lennox en lui demanda de lui promettre quelque chose. Lennox fronça les sourcils, redressant légèrement les épaules devant le sérieux de cette requête. « Me demander quoi ? » Ne jamais promettre avant de connaître l’objet de la promesse, voilà ce que Lennox avait appris au fil du temps. Parce qu’il avait trop longtemps été celui qui promettait de décrocher la Lune alors qu’il n’avait même pas la force de sauter sur place. Toutefois, en entendant de quoi il était question, quand la petite lui demanda de l’emmener avec lui s’il le pouvait, le cœur de Lennox fondit. Elle avait ressenti la même connexion que lui, forcément. Elle arrivait à lire dans ses yeux et dans son cœur le même besoin que lui lisait dans les siens. Sinon, elle n’aurait jamais osé proposer une telle chose. Elle n’aurait jamais supplié un parfait inconnu de la prendre avec elle, à moins d’être au comble du désespoir et d’avoir lu le même désespoir dans les yeux de l’autre. L’autre, c’était Lennox, et son choix était déjà fait depuis bien longtemps. Elle n’aurait même pas eu à le demander. « Je te le promets. » Lui affirma-t-il avec émotion dans la voix. « Je te promets que si je le peux, je le ferai. » Il esquissa un sourire aux lèvres tremblantes, avant d’entendre derrière lui une voix d’adulte qui demanda Monsieur Nowakowski. Lennox tourna la tête vers elle et hocha la tête. Il regarda la gamine une autre fois. « C’est moi, ça. Souhaite-nous bonne chance ? » Proposa-t-il, puisque même temps, leur destin à tous les deux était entre les mains de cette femme, de ce conseil qu’il s’apprêtait à rencontrer, de leur décision. Il se leva, adressa un dernier regard à la jeune fille, et disparut derrière une grande porte où trois personnes l’attendaient.

Quand il me demande ce que je veux lui demander, alors je lui répond que je veux qu'il me fasse sortir sortir d'ici que je veux qu'il m'emmène avec lui, je ne veux pas rester ici et j'ai comme une sorte de confiance envers cet inconnu au regard triste qui se crée. Il y a quelque chose je le sens et c'est ce qui me rend suffisamment rassurer pour osé lui demander une telle promesse. J'ai peur d'y croire, car même mon vrai père se trouve incapable de me faire la moindre promesse, même mon père ne peut pas faire la promesse qui nous rendrait capable de vivre ensemble. Et quand cet inconnu arrive à me promette que s'il peut m'emmener il le fera je suis prise entre deux sentiments. La joie d'avoir une chance de quitter ce lieu, qui plus est avec une personne qui semble me comprendre et la tristesse de savoir que même un inconnu arrive à me faire une promesse alors que mon père en est incapable. « Merci. » Il y a beaucoup de gratitude dans ce merci, la gratitude d'une enfant abandonnée pars tous, qui enfin entrevois de l'intérêt dans les yeux d'une personne, la gratitude d'une enfant perdue qui pense enfin trouver quelqu'un sachant la comprendre et peut-être la guider vers quelque chose de meilleurs. La gratitude d'être enfin acceptée. Je le vois se retourner avant de me dire que c'est à son tour, je n'ai pas entendus son nom mais j'ai cru entendre que ça commençait par Nos. « Bonne chance. » Je lui fais un petit sourire, le plus grand que je puisse faire pour le moment, je croise les doigts, car une réponse positive de leur part veut dire mon départ prochain. J le regarde s'éloigner et passer la porte. Je fais les cent pas en attenant qu'il sorte de cette pièce, je m'imagine déjà en train de faire ma valise pour partir vers un nouveau lieu. Quand enfin la porte s'ouvre, je pose mes yeux pleins d'espoir sur son visage, c'est comme si le temps s'arrêtait pour moi, je veux savoir.

La petite brunette lui souhaita bonne chance alors que Lennox venait de lui annoncer que son nom avait été appelé, que c’était à son tour d’entrer dans ce bureau où leurs sorts à tous les deux étaient entre les mains de la directrice du centre et de ses conseillers, ou une équipe du genre. Lennox n’avait même pas idée à qui il aurait à faire, mais peu importait, seul le résultat comptait. Il tenterait de faire la meilleure impression possible, qu’il s’agisse d’une seule personne ou d’une rangée d’administrateurs. Lennox se leva après avoir murmuré un léger « Merci » peu convaincu, parce que le trentenaire n’avait jamais vraiment eu de chance, alors rien n’indiquerait que la vie serait clémente à son égard maintenant. Il se remit tout de même sur pieds, debout, droit, et tourna les talons afin d’aller rejoindre la dame qui l’avait interpellé. Il lui serra la main, sourit, se présenta, et tenta d’avoir l’air le plus normal possible. Alors qu’il était l’être le plus brisé qui puisse exister. Quand il fut assis, les mauvaises nouvelles ne tardèrent pas à fuser. On lui énuméra les raisons pour lesquelles on ne pouvait lui confier un enfant, pour le moment. Et ces raisons étaient nombreuses et cruelles, parce qu’elles lui rappelaient à quel point son existence était un échec monumental. Tentative de suicide, alcoolisme, cure de désintoxication suivie d’une rechute, intense solitude, perte récente d’un être cher. Pour eux, Lennox était bien trop instable et imprévisible pour qu’on puisse lui confier la garde d’un enfant qui avait besoin de tout le contraire. Et ils avaient bien raison. Lennox ne pouvait leur en tenir rigueur. Sans doute aurait-il tiré cette jeune fille vers le bas, même s’il aurait prié à tous les soirs pour qu’il leur pousse des ailes. Lennox accepta donc la défaite et quitta ce bureau oppressant, pour revenir dans la salle principale. Les yeux de la brunette se levèrent immédiatement vers lui ; elle l’attendait, sans doute. Quand il croisa son regard innocent, les yeux de Lennox s’embuèrent alors qu’il secouait la tête de gauche à droite, lentement. Il alla à sa rencontre et s’abaissa une autre fois pour être à sa hauteur. « Je suis désolé … Je suis vraiment désolé … C’est non. » C’était ce qu’ils avaient décidé. Non. Non, Lennox et Abygaël n’auraient pas droit à un nouveau départ. À une seconde chance.

Quand je vois ses yeux, je comprends et ça fait mal, très mal. J'ai espéré bien trop fort je n'aurais pas du, je suis une idiote. Pourtant, je sais bien que les choses ne se passent jamais comme on j'espère, rien n'est jamais facile. Et pourtant je me suis laissée prendre à rêver, à espérer. La chance je n'en ai pas, elle m'a quittée quand celui que j'appelais papa est parti, depuis les choses ne se passent jamais comme elle devrait, comme je le voudrais. Il s'approche tout de même pour se mettre à mon niveau et s'excuser. Je refuse de pleurer, mais la tristesse doit se lire dans mes yeux, comme je lie la sienne dans les siens. Je baisse les yeux, je ne veux pas affronter ce que les autres voies dans mes yeux, même si je sais qu'il me comprend, c'est trop lourd à porter sur le moment. « Ce n'est pas de votre faute... » C'est moi qui me suis fait des idées toutes seule, il a déjà été bien gentil de venir me parler. « C'est la faute de mes parents si je suis là. » Je soupire, je n'ai pas l'intention de lui raconter ma vie, mais c'est vrai, si j'avais eu des parents normaux je ne serais pas là c'est tout. « Merci, quand même... d'avoir essayé. » Je relève les yeux vers lui, je me doute qu'il va devoir s'en aller maintenant et moi je vais devoir retourner à mon ennui, à me dire que je suis bloquée ici pour encore un bon bout de temps. J'aimerais encore lui parler, mais je ne suis pas sûr de pouvoir le revoir un jour.

Tout comme il ressentait une tristesse indéfinissable, qu’il ne s’attendait pas à ressentir aujourd’hui, Lennox arriva à lire dans les yeux de la jeune fille ce même profond chagrin. En quelques minutes à peine, un espoir commun était né entre eux, qui les avait liés d’une manière inexplicable. Malheureusement, ce lien venait de se briser en même temps que leur espoir d’une vie meilleure, d’une vie avec un sens, une direction. Quand elle lui dit que ce n’était pas de sa faute, Lennox baissa les yeux. Si, c’était de sa faute. Parce qu’il n’arrivait pas à mettre sa vie sur les rails, parce qu’il n’arrivait pas à être quelqu’un de bien, quelqu’un de droit. Il dérapait, sans cesse, que ce soit vers la mort ou les mauvaises tentations. Les administrateurs de ce foyer l’avaient bien vu, eux, à quel point Lennox était un chaos vivant. Pourquoi ne l’avait-il pas réalisé plus tôt, bien avant de se couvrir de ridicule de cette façon ? Bien avant de réduire à néant les souhaits et les espoirs d’une gamine qui ne méritait pas une telle cruauté ? Il releva les yeux vers l’enfant quand elle le remercia d’avoir essayé. Il hésita à lui demander son prénom. De mettre un nom sur son visage angélique ne serait que douleurs, parce que ça la rendrait vraie, bien trop vraie, et son prénom et son visage seraient un rappel constant de son échec. Pourtant, il osa : « Comment tu t’appelles ? » Parce qu’il ne voulait pas l’oublier, au fond. Il voulait qu’elle soit un constant rappel de son échec. De cette façon, peut-être arriverait-il enfin à se détacher de ce qu’il détestait être. Peut-être deviendrait-il une meilleure version de lui-même et pourrait, un jour, la sortir de cette solitude dans laquelle elle grandissait ?