in the moment we're lost and found (andreas)

Encore une fois, Lennox avait fait du mal à Andreas de par ses simples paroles. À croire qu’ils ne savaient faire que ça : se blesser. Et se plaire, aussi. Sans pour autant se donner le droit d’aller plus loin. Sans doute était-ce cela le plus douloureux, le nœud du problème. Ils avaient cette attirance indéniable, cette connexion intense. La tentation n’était que grandissante plus ils apprenaient à se connaître. Pourtant, même si entre eux, ce ne serait pas compliqué, le monde autour d’eux complexifiait leur relation. À chaque fois que l’un ou l’autre réalisait que ce qu’ils faisaient n’était pas bien pour telle ou telle personne, ils freinaient. Blessant l’autre. C’était au tour de Lennox, là, de passer Andreas sous la douche froide en mentionnant qu’ils ne pouvaient pas se montrer en public, pas alors que Lou venait à peine de rendre l’âme. Il pensait autant à Lou et aux autres qu’à lui-même, dans cette décision. Et même s’il savait qu’Andreas comprenait, il savait aussi qu’au fond de lui-même, le norvégien prenait mal cette demande. Lennox baissa les yeux sur son propre verre d’eau, et se dit que lui aussi aurait aimé se liquéfier, à ce moment. Disparaître. Ne revenir que lorsqu’il pourrait aimer Andreas comme il méritait d’être aimé. « Ça ne me réjouis pas non plus, tu le sais, hein ? » Demanda Lennox, afin de s’assurer que l’ambulancier savait à quel point il avait envie, lui aussi, de sauter quelques étapes et d’être avec lui. Complètement avec lui. « C’est juste que … j’ai un peu peur des réactions … et je suis encore vulnérable, je … je sais pas comment je réagirais si on me pointait du doigt, si on me jugeait … » Avoua Lennox. Andreas ne savait peut-être pas exactement de quoi il parlait en parlant de sa vulnérabilité, parce qu’ils n’avaient jamais abordé précisément les problèmes de Lennox. Toutefois, il avait sous-entendu ses tentatives de suicide et avait dit à Andreas qu’il ne buvait pas d’alcool. L’équation pouvait se faire à partir de là.

Finalement, le norvégien changea de sujet pour des révélations qui ne s’annonçaient pas des plus joyeuses, encore une fois. Lennox avait reculé oui, sur la défensive comme Andreas le disait, parce qu’il avait l’impression que cette nuit devant être réconfortante en était plutôt une de choix difficiles et de confidences blessantes. Même si c’était une étape cruciale dans leur relation, Lennox avait mal. Il appréhendait donc l’objet de sa confession. Il l’écouta toutefois bien attentivement, sans l’interrompre, tentant d’encaisser d’abord le fait qu’il était escort-boy, sans pour autant coucher avec des gens. Mais il était quand même payé pour accompagner des gens seuls et désespérés d’un peu de compagnie. Lennox déglutit, cherchant à comprendre ses propres sentiments par rapport à ça. Il regarda Andreas dans les yeux, figé, avant de déclarer d’un ton sérieux : « Mais … tu vas arrêter, maintenant, pas vrai ? » Il savait bien qu’il venait de lui dire que pour ça, il aurait besoin d’économies, mais Lennox ne voulait tout simplement pas accepter que le norvégien voit d’autres personnes, homme ou femme, dans le cadre d’un rendez-vous. Rémunéré ou pas, il verrait d’autres gens. C’était dur à comprendre pour un homme qui n’avait aucune confiance en lui. Il s’imaginerait constamment Andreas tomber éperdument amoureux d’un autre que lui. « Si c’est vraiment l’argent le problème, je peux aider. Si ça peut faire en sorte que tu n’aies pas à … à faire ça. » Lennox et l’argent, c’était toujours un rapport bien particulier quand il se mêlait à l’amour. Il avait acheté un piano des plus dispendieux à Lou, rien que pour voir son sourire, rien que pour l’entendre jouer. Il était bien capable de rembourser les dettes d’Andreas si c’était pour pouvoir passer plus de temps avec lui et, surtout, s’assurer qu’il serait le seul dans son cœur. C’était malsain, et il n’avait pas envie de retomber dans ses mauvaises habitudes, mais pour lui c’était la seule option.

Le présent de Lennox était tellement chamboulé qu’il avait bien du mal à entrevoir son futur. Sa tentative de suicide, son alcoolisme, sa cure de désintoxication, sa rechute, le séisme, sa rencontre avec Andreas, le décès de Lou et, maintenant, cette nouvelle relation avec l’ambulancier. L’année 2016 avait certainement été chambardée pour le notaire. Il espérait que la prochaine année serait un peu plus calme, plus rangée, et surtout, plus simple. Il n’avait plus envie de se prendre la tête avec lui-même, il n’avait plus envie de culpabiliser pour toutes ses décisions et toutes ses actions, plus envie de s’en vouloir d’exister. Peut-être qu’Andreas l’aiderait à changer, pour le meilleur. Mais pour ça, Lennox allait devoir lui ouvrir la porte et pas que l’entrouvrir. Le laisser passer complètement. Le laisser rentrer totalement dans sa vie. Certes, pour les premières semaines, ce serait plus secret, mais il avait l’espoir qu’après quelques mois, il pourrait vivre son bonheur au grand jour. Si ses amis en étaient des vrais, ils comprendraient et seraient heureux pour lui. Et pour les autres … comme Andreas venait de le dire, il y en aurait toujours pour critiquer n’importe quoi. Lennox avait été jugé toute sa vie et ce n’était certainement pas en sortant du placard – en quelque sorte – que ça s’arrangerait pour lui. L’Australie n’était pas aussi ouverte que d’autres pays, ça il en était bien conscient. Après tout, le mariage entre personnes du même sexe était illégal, ça en disait long. Lennox allait devoir faire une croix sur cette partie de sa vie, son désir de se marier et d’avoir des enfants. Il passerait de fiancé à petit ami qui ne serait jamais plus qu’un conjoint. Ça en faisait beaucoup à encaisser, mais il y arriverait. Et les autres aussi s’y feraient, tôt ou tard. « Je sais … j’en suis bien conscient … mais j’ai eu une année difficile et je pense que j’ai besoin de prendre un peu de recul face à tout ce qui s’est passé … un coup de plus et je pourrais retomber, tu vois. » Il haussa les épaules. « Je veux juste prendre le temps d’être plus solide. » Il ne l’avait jamais été, solide, le pauvre Lennox, mais il se disait qu’avec un homme comme Andreas à ses côtés, tout était possible. Le norvégien capitula, levant les mains et affirmant qu’il le lui laisserait, ce temps, même si ce ne serait pas facile. Lennox sourit et porta à son tour la main de l’homme à ses lèvres. « Merci … » Il serra un peu plus fort sa main avant de la laisser pour porter la sienne à son verre. De toute façon, Andreas était entré en terrain dangereux avec sa révélation mystère. Dès qu’il sut de quoi il s’agissait, Lennox ressentit de nouveau cette jalousie malsaine qu’il éprouvait à chaque fois qu’il s’attachait à quelqu’un. Imaginer Andreas avec une autre personne … qu’il l’aime ou non, cette autre personne, c’était trop en demander au notaire. C’est pourquoi il proposa de l’aider monétairement, si ça pouvait lui permettre de lâcher ce deuxième boulot. Andreas refusa, ce qui ne manqua pas de heurter les sentiments du trentenaire. « Je te crois … Je te crois pour le moment mais les choses peuvent changer et … et peu importe, c’est pas seulement ça le problème … » Lennox soupira. Andreas n’allait plus rien vouloir de lui à force de voir son vrai visage. « J’suis … je … ça va me rendre malade de te savoir avec d’autres personnes soir après soir. De savoir que tu vis des moments importants pour ces personnes, avec elles … J’sais pas ça … ça me plaît pas. » Il baissa les yeux. Il ne savait plus quoi dire si ce n’était qu’il aurait voulu qu’il quitte ce boulot pour lui. Mais c’était con, ils ne se connaissaient pas assez pour que Lennox lui demande un truc pareil. Lennox ne devait pas tout foutre en l’air cette fois. Mais c’était tellement difficile d’aller contre sa propre personne …

Andreas se montrait tellement compréhensif, alors que Lennox lui ne l’était pas du tout envers lui. Il lui avait parlé de son deuxième boulot, qu’il n’avait que pour joindre les deux bouts, et le notaire lui demandait presque de tout laisser tomber. Il était injuste, tellement égoïste, de mettre en péril le bonheur, le confort et la stabilité d’Andreas rien que pour calmer sa jalousie. Bien qu’il en soit conscient, cela n’empêchait pas que c’était plus fort que lui et qu’il avait du mal à se contrôler dans cette jalousie maladive. Ce n’était pas la première fois, il aurait dû apprendre de ses erreurs. Il avait été laissé tellement souvent parce qu’il se montrait trop demandant, dépendant et jaloux. C’était une partie de lui, mais il pouvait y travailler. Lennox était juste trop lâche, trop faible, trop occupé à vaincre sa dépression pour s’attarder à ses autres défauts. Par chance, Andreas ne sembla pas trop offusqué par la réaction du trentenaire, même qu’il était encore une fois très doux et ouvert à la discussion, aux solutions. Il ne devait pas le laisser filer, lui. « Non, non, c’est pas les amis, j’veux pas que tu penses que je suis comme ça … C’est juste par rapport à ton boulot, j’sais pas ça … ça me rend inconfortable. J’ai jamais été confronté à ce genre de métier, et j’suis pas très à l’aise … » Il haussa les épaules. Il aurait aimé dire à Andreas qu’il se ferait à l’idée, qu’au fil du temps il prendrait l’habitude et que ça ne le dérangerait plus, mais il savait que c’était faux. Alors il préféra se taire plutôt que de mentir. Tout comme Andreas, il voulait débuter cette relation du bon pied. Pour ça, il devait se montrer honnête, mais quand ce n’était pas à son avantage. « Et j’veux pas qu’on passe tout notre temps ensemble, même si je sais que moi j’en serais capable … faut continuer à avoir nos vies séparées sinon, ça ne fonctionnera pas. » Dit-il. Ça, il l’avait bien retenu de ses anciennes relations. Quand il se montrait trop envahissant, il les éloignait de lui. Et il ne voulait pas perdre Andreas.

Ce dernier s’approcha de Lennox et déposa un baiser sur ses lèvres, laissant leurs corps à une proximité bien dangereuse. Le notaire le regarda dans les yeux quand le norvégien lui dit qu’il pourrait prendre moins de rendez-vous et, peut-être, peu à peu, tout lâcher. Il haussa tout légèrement les sourcils, touché par cette proposition. « Tu serais prêt à faire ça ? » Demanda-t-il. Il réalisait bien sûr à quel point ce qu’il était en train de faire était égoïste, mais après tout, Andreas l’avait proposé … « J’en suis conscient et … et je veux … je veux vraiment pas que tu t’en sentes obligé. Je … je vais essayer de gérer ce que je ressens, si tu gardes ce boulot. On aura qu’à bien communiquer, être honnête, et voir comment ça se passe … Mais … mais c’est certain que … que ce serait plus facile sans …. » Il baissa les yeux. Il se trouvait tellement con. C’était sans doute à force d’agir ainsi que Lennox en venait à se détester lui-même. Et que les autres le détestaient aussi et l’abandonnaient. « Je suis désolé d’être comme ça. J’ai beaucoup de trucs sur lesquels je dois travailler, sur ma personne … Ça, c’en est un gros bout … » Avoua-t-il. Au moins, il en prenait conscience et en parlait. Il fallait bien débuter à quelque part.

Le jeune homme posa une main sur la joue de Lennox, lui demandant de ne pas être désolé, lui assurant que ça allait. Il ne lui en voulait pas, au contraire, il semblait se rapprocher de lui. Comment Lennox avait-il pu tomber sur l’homme qui le comprendrait, qui arriverait à le calmer, à le soutenir ? Le notaire ne voulait toutefois pas qu’Andreas le fasse au détriment de lui-même … C’était de cette façon-là qu’il pourrait bien vite s’autodétruire, lui aussi. Lennox l’avait pourtant bien mis en garde, il lui avait dit que c’était ainsi que devenaient les gens qui s’attachaient à lui. Si Andreas ne faisait pas davantage attention à lui-même, il se perdrait. Et Lennox ne voulait pas qu’Andreas se perde ; il était parfait là où il était. « Okay … » Répondit Lennox, peu convaincu, et peu convaincant aussi. Sans doute pour le rassurer encore plus – comme s’il ne l’avait pas déjà assez fait -, Andreas lui dit qu’il l’appréciait et qu’il voulait réellement l’aider, quitte à faire tous ces sacrifices dont il avait été question ce soir. Il riait à ses paroles sur le fait que lui aussi avait à avoir peur, puisque Lennox pourrait aisément se retrouver un mec plus jeune. « Laisse-moi en douter … J’ai déjà pas mal de chance que tu aies posé les yeux sur moi … » Il sourit à sa propre remarque, ajoutant : « Enfin, t’avais pas eu trop le choix sur le coup … » Dit-il pour leur rappeler leur première rencontre, qui ne datait pas de si longtemps que ça, en fait. Andreas avait été obligé de s’occuper de Lennox, ce jour-là. Si seulement il avait su qu’il rencontrait alors l’homme qui prendrait soin de lui pour encore un bon moment ! Suite à ce moment pas mal plus doux et tendre, Andreas proposa d’aller dormir sur le canapé, s’il se dépliait. C’était le cas, heureusement. Sinon, Andreas aurait sans doute demandé à dormir sur le canapé pendant que Lennox dormait dans son lit. Cette idée aurait été raisonnable, mais Lennox n’en avait pas envie. « Oui … D’autant plus que … c’est le temps dont on a besoin … On y verra plus clair un peu plus tard. » Enfin, sur certains aspects. Pour le boulot d’Andreas, le problème était bel et bien actuel, mais ils avaient convenu que le norvégien tenterait de diminuer ses rendez-vous et de voir comment il s’en sortait. De son côté, Lennox tenterait lui aussi de repenser à tout ça et de faire des compromis à son tour. Il ne pouvait quand même pas tout avoir, ce serait injuste pour l’ambulancier. Le notaire posa donc son verre d’eau vide dans l’évier, et alla vers le canapé qu’il déplia avec l’aide d’Andreas. Il se rendit ensuite dans une penderie d’où il sortit des oreillers et des couvertures supplémentaires, achetés dans l’éventualité où Lennox aurait de la visite. C’était la première fois qu’il les utilisait. Avec Andreas encore une fois, il prépara le lit et, quand ce fut fait, il alla fermer les lumières ouvertes sur leur passage et revint s’allonger auprès de l’homme. Il ne savait trop quelle distance mettre entre eux. Il posa sa tête sur l’oreiller, face à face avec le norvégien, et attrapa au moins sa main, et laissa ses pieds s’entremêler à ceux du jeune homme.