Pretty things never last - Nevaeh

La porte de chez lui se ferme dans un claquement, ses mains plongent dans les poches de son pantalon, et son regard se lève vers sa rue qui semble sans fin. Voilà une éternité qu'Oscar n'a plus pris le temps de marcher, qu'il a délaissé les trottoirs pour les routes parfois trop encombrées de Bowen. Mentalement, il calcule combien de temps il lui reste avant qu'une petite tornade blonde ne vienne saccager son salon. Précisément cinq heures et vingt minutes. Dans cinq heures et vingt minutes, Luce va débarquer et lui réclamer le dernier Harry Potter ainsi qu'une tasse de chocolat chaud avec, en supplément, du coulis de caramel. Il la connaît pas coeur sa fille. Il sait également que si elle découvre la boîte vide de Nesquick qui traîne depuis une semaine sur le rebord de l'évier, elle criera à l'injustice. Alors qu'il remonte la rue principale, Oscar arrive au niveau des appartements. Il lève les yeux vers ces hauts immeubles, s'imagine posséder le dernier étage de l'un d'eux, avec vue panoramique sur Bowen. Alors qu'il se perd dans ses rêveries, de l'agitation venant du palier de cet immeuble qu'il admire le ramène à la réalité. Une jeune femme, d'abord seulement caractérisée par des cheveux bruns, comme environ 60% des femmes de cette ville. Ce n'est que lorsqu'elle se retourne qu'Oscar sent son coeur bondir dans sa poitrine. Nevaeh. Le prénom résonne dans sa tête comme si il avait passé ces dernières années à se le rappeler pour ne pas l'oublier. En même temps, comment oublier un prénom aussi original ? Planté là, tel un arbre, il hésite entre aller la saluer ou faire comme si il ne l'avait pas vue. Au fond, il a envie d'aller lui parler. Savoir comment elle va, ce qu'elle devient, si elle préfère toujours les barbus. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il ne devrait pas rester là. Debout en plein milieu du trottoir, il ressemble à un psychopathe qui observe sa proie, attendant de voir dans quelle poche elle glissera ses clés. Fatigué de se poser trop de questions, Oscar finit par marcher d'un pas décidé jusqu'à elle. « Hey, » lâche-t-il, ne sachant pas trop quoi dire de plus. Il finit par ajouter « Et ouais, l'Anglais est de retour, tous aux abris. » Six ans déjà, six ans qu'ils ne se sont plus vus. Et pourtant, Oscar a l'impression que la dernière fois où ils ont ri ensemble remonte à la semaine dernière. En tout cas, elle n'a pas changé Nevaeh. Elle est toujours aussi craquante.

La revoir lui fait l'effet d'un choc électrique dû au fait que tout son corps n'était clairement pas préparé à la retrouver, Nevaeh. Que ce soient ses membres qui étaient soudainement figés, ou son cerveau qui se mettait petit à petit à tourner au ralentit. Car même si Oscar était à l'époque un éternel fêtard, il n'a jamais été de ceux qui jonglaient avec ses relations sans y accorder la moindre importance. Surtout pas avec elle. Elle avec qui il a ri, elle qu'il a aimée sincèrement, elle qui l'a repoussé pour il ne sait quel québécois plus attirant, plus drôle, plus tout. Machinalement, un sourire étire ses lèvres à mesure qu'il la regarde. Elle a l'air étonnée de le voir, ce qui est compréhensible étant donné que normalement, Oscar devrait actuellement se trouver en Angleterre. Elle prononce son prénom, et lui hoche la tête pour affirmer que c'est effectivement lui, pas un clone ou il ne sait quel inconnu qui lui ressemblerait et qui chercherait à entrer en contact avec elle en se servant de son identité. Une pensée stupide, tout droit issu de son esprit embrouillé. « Je pensais pas non plus, » répond-il d'abord. Ce n'est pas faux, Oscar ne pensait réellement pas revenir en Australie lorsqu'il est retourné chez lui. Il pourrait mentionner Luce, lui dire la réelle raison de sa venue ici, sauf qu'il ne s'en sent pas capable. Il l'a pourtant bien fait avec Leola, alors pourquoi pas Nev ? Au fond, il sait pertinemment pourquoi. Parce qu'elle a été plus importante que n'importe qui d'autre à ses yeux, et qu'il se sent incapable de lui dire qu'il a été voir une autre après qu'elle ne l'ai quitté. Son ventre se noue, et Oscar a soudainement l'impression d'être à nouveau un ado immature et pas habitué à ce genre de situation.« Mais je suis content de te revoir, Nev. » Pour accompagner ses mots, il s'approche d'elle après qu'elle n'aie fait le premier pas, et l'entoure délicatement de ses bras pour la serrer contre lui. Elle sent bon, et ses cheveux sont aussi doux que dans ses souvenirs. Il lui suffirait de fermer les yeux pour se remémorer tout un tas de souvenirs qui le ramèneraient directement dans le passé, alors Oscar se force à les garder grand ouverts. Il finit par se détacher d'elle et plante son regard dans le sien sans perdre son rire. « Qu'est-ce que tu deviens ? » demande-t-il simplement, même si l'envie de savoir si elle est finalement avec Mr. Parfait lui brûle les lèvres.

La sentir dans ses bras lui procure un sentiment de légèreté agréable, et c'est une étreinte qui n'est pas aussi gênante qu'il l'aurait pensé. Même si il y en a eu une autre après elle, même si cette seconde relation a eu plus de répercussion dans sa vie puisqu'un enfant est né de cette dernière union, ça a toujours été différent avec Nevaeh. Oscar se souvient encore parfaitement de toutes ces fois où elle a ri de ses blagues stupides, des moments légers qu'ils ont vécus en tant que jeunes adultes qui ne profitaient que trop bien de la vie. Ils étaient biens, heureux, ils avaient le monde à leurs pieds. Puis il y a eu ce type, CJ, un autre rival que Oscar a un moment détesté avant de comprendre qu'il n'y était pour rien. Ça n'a été la faute de personne, car après tout lui-même est bien placé pour dire qu'on ne contrôle pas ses sentiments. Mais même si bien des années ont passé, il ne peut empêcher cette étrange sensation qui lui noue l'estomac. Il aurait pu croiser n'importe qui, n'importe quel vieil ami, n'importe quelle inconnue, pourtant le destin a choisi de la mettre elle sur son chemin. Et sincèrement, ce n'est pas le genre d'événement imprévisible qui le pousserait à maudire le destin. Au contraire. Au bout de quelques courtes secondes, Oscar finit par la lâcher et pose son regard sur ce visage qui lui semble toujours le même qu'il y a six ans. Ils posent presque la même question en même temps, ce qui lui tire un sourire amusé. « Disons que j'ai eu envie de refaire un tour à Bowen, » dit-il sans vouloir mentionner tout de suite la véritable raison de sa venue en Australie. Il veut d'abord profiter de ce temps avec elle, comme si rien n'avait changé, avant d'à nouveau ramener la réalité entre eux. C'est ensuite à elle de parler, et Oscar l'écoute sans jamais l'interrompre. Il sourit à nouveau quand elle lui parle de son job, de sa colocation, du meilleur ami. Sauf que lentement, le sourire sincère laisse place à un plus faux, plus forcé. CJ, encore et toujours lui. Elle doit vraiment l'aimer, ce qui fait de lui un type sacrément chanceux aux yeux d'Oscar. Puis l'annonce tombe comme le ciel qui s'écraserait sur sa tête, laissant enfin la réalité créer un fossé entre eux, dégageant au passage l'Oscar et la Nevaeh du passé. « Waw, t'es fiancée. C'est... » Il baisse un instant les yeux, passe une main dans ses cheveux bouclés, sourit nerveusement puis reporte son attention sur elle. « C'est génial Nev, je suis ravi de te voir si épanouie. » Et il est sincère, même si au fond de lui il aurait peut-être préféré l'entendre dire qu'elle était toujours célibataire. « Mais puisqu'on est dans les grandes annonces, saches que de mon coté, je suis devenu papa. » C'est à lui d'attendre sa réaction, un peu impatient.

Même si il sait qu'il devrait s'interdire d'être heureux en entendant cette question qu'elle vient de lui poser, Oscar ne peut s'empêcher de ressentir un élan de joie suite à ces quelques mots alignés l'un à la suite des autres. Elle veut le voir rester. Du moins, c'est ce qu'il s'empresse d'encrer dans sa tête. Il sait pertinemment qu'au mieux, ils ne pourront jamais qu'être amis. Qu'elle lui parlera de CJ, de son mariage avec lui, peut-être de leur future maison et de leurs futures enfants. Que lui devra se contenter de l'écouter avec un sourire qui, peut-être, n'arrivera jamais à être sincère. Au fond de lui, Oscar sent encore cette minuscule part de lui qui reste attachée à Nevaeh. Il voudrait la couper, être certain qu'il ne se mettra pas à penser à elle lorsqu'ils se sépareront et qu'ils partiront chacun de leur coté, mener leur propre vie sans empiéter sur celle de l'autre. Il aimerait tellement pouvoir la considérer comme une amie, rien de plus. Peut-être qu'il y arrivera à force d'essayer, quand enfin il aura trouver celle qui arrivera à totalement la remplacer. Mais en attendant, ce sourire qu'elle a fait naître en lui de vieux sentiments qu'il croyait enterrés depuis longtemps. « Oui, je vais rester, » répond-il finalement avec un sourire avant d'apprendre la fameuse nouvelle. Voilà déjà l'annonce mariage, à quand la maison et les enfants ? Son coeur se serre, mais son sourire persiste. « Non, enfin oui évidemment ! Sois pas désolé, je suis certain que ce sera un superbe mariage. » Comment pourrait-il ne pas l'être avec Nevaeh comme mariée ? Elle aussi semble étonnée par cette annonce qu'il vient de faire, il se contente dans un premier temps d'un simple hochement de tête avant de répondre. « J'ai une fille, Luce, mais je ne vois plus sa mère. Enfin, juste pour la petite. » Il ne sait pas pourquoi il s'est senti obligé de le préciser, comme si c'était plus important que de simplement prononcer le prénom de sa fille. En effet, ils ont l'air de deux idiots là comme ils sont. À nouveau, Oscar opine. « Va pour le café. » Elle se rattrape rapidement, et il ne sait pas si l'oubli de ses clés est un mensonge pour ne pas le faire entrer, ou une réalité qui prouverait qu'il est devenu bien trop parano. « T'es toujours aussi tête en l'air à ce que je vois, » lâche-t-il avec un léger rire. Oui, il s'en souvient maintenant. La paranoïa laisse place à quelques souvenirs de sa maladresse, sa manie à oublier tout partout, des détails qu'il n'avait pas oublié mais qui avaient fini par se dissiper dans son esprit. Plongeant ses mains dans ses poches, il marche en direction du centre sans vraiment savoir où ils vont.