You make it right / f&t

J’ai plus rien… Ni briquet, ni cigarettes, ni joint, ni seringue, ni cachets, ni capotes… Encore moins d’argent. Je me rappelle plus des douze dernières heures, je me suis réveillé sur un banc dans un parc. Merde, pourquoi ça n’arrive qu’à moi ?

Est-ce que quelqu’un m’en veut ? Peut-être le barbu tout là-haut ? D’ailleurs, pourquoi ce serait un barbu ? C’est peut-être un petit canon. Ou une grosse à lunettes qui sait ? Tyee t’es sérieux ? Au lieu d’essayer de te rappeler ce que t’as foutu de ta journée tu t’imagines Dieu en Bikini ? Bordel, je me fatigue.

En fait je n’ai pas rien, il me reste mon portable. Je le sens vibrer dans ma poche. A moins que ce soit une énorme sextoy. C’est bien mon phone et l’écran est bien pété. Sûrement une des conneries faites pendant mon trou de mémoire. J’arrive à peine à lire le message de Fleur. Je me coupe à moitié les doigts en lui répondant, c’est bien parce que je l’aime.

« OK mais j’ai pas d’argent, je t’attends là-bas. »

Je crois que les lumières de McDo ont été inventées par le diable. Ces putains de néons blancs qui t’arrachent la rétine comme le feraient des nazis SM. Même avec mes lunettes de soleil je souffre à cause d’eux. N’empêche, c’est chelou comme situation. Si encore c’était Jordan qui m’invitait à 2h du mat’, ce serait pas choquant. Mais là c’est Miss Fleur Parfaite qui boit du thé et qui ferme ses jolis yeux à 20h.

Elle doit avoir des problèmes. Rien que ça me fait encore plus mal. Fleur c’est un peu toute mon enfance. La seule parmi les consanguins de Bowen qui m’a souri, ouvert les bras. On est tellement différents et tellement… Pareils ? Putain je suis défoncé, ça n’a aucun sens.

La voilà, belle simplement. C’est ça que j’aime chez elle. Elle me sourit, mon cœur accélère, et elle me serre. Je me blotti contre elle, comme si un danger me menaçait. Peut-être que ce danger c’est mon désir.

- Je serai toujours là pour mon fantasme de jeunesse !

Je dis ça en riant, mais c’est tellement vrai. Je la regarde dans les yeux et caresse sa joue. J’essaye de faire un sourire rassurant, mais sur ma face on lit l’inquiétude.

- Je m’inquiète pour toi, tu sais ? Tu vas tout me raconter pendant que je bouffe. J’espère que t’es pas à découvert parce que j’ai la dalle !

C’est Marc qui l’empêche de dormir ? Putain, je me suis inquiété pour rien ! Fleur tombe toujours sur des fils de putes et vient pleurer dans mes bras quand c’est fini. Pfff, maintenant je suis aussi détendu qu’après avoir pris de la morphine ! Quoi qu’est-ce qu’il a le petit employé Mcdo à me regarder ? C’est parce que je me suis mis à l’aise qu’il fait la gueule ? Oh ça va, j’ai les pieds sur la table et je prends un peu toute la place sur la banquette, et alors ? Les travailleurs de nuit sont toujours casse –couilles !

Elle est sacrement bien foutu Fleur… Ouais je matte son cul et ouais elle l’a sûrement remarqué. De toute façon je peux tout me permettre avec elle, elle m’aime trop pour me juger.

- Prend-moi un Sprite, grandes frites et deux Big Mac steuplaît. La weed ça creuse. Alors, t’as revu le « beau » Marc et après ? Tu m’as revu aussi et ça te met pas dans cet état. Enfin, j’espère que si tu faisais des insomnies à cause de moi tu m’appellerais pour que je te… « fasse dormir ».

Je sais pas si c’est parce que je suis défoncé mais je me fais rire. Du genre, gros fou-rire débile, tu vois ?

Elle aimerait être comme moi ? C’est vrai que je suis sexy, drôle et intelligent mais personne ne voudrait être dans mon état. Les banquettes de McDo sont confortables, un peu comme le banc où je me suis réveillé ce matin, totalement mort. Il faut que je parle, sinon je vais m’endormir…

- Tu m’as moi dans ta vie, c’est déjà bien non ? Puis, je suis pas sûr que tu veuilles être à la place d’un type qui se réveille dans un parc en se rappelant plus de ce qu’il a fait la veille…

J’ai du mal à parler, les mots sortent en retard et difficilement. Ma tête tourne, les couleurs augmentent, mon esprit… J’ai une remontée de LSD. J’ai dû en prendre avant mon coma sur le banc. Je regarde Fleur, son corps danse devant mes yeux, j’entends des soupirs, des gémissements… Tout ça c’est dans ma tête… Il ne faut pas… Mais l’excitation est tellement forte… Je prends de grandes inspirations pour me calmer… Putain, qu’est-ce qu’elle est bonne… NON TYEE ARRÊTE BORDEL !

Je tremble comme une feuille, je suis en sueur et je crois qu’elle peut voir que je suis mi excité, mi paniqué…

- Fleur… Je suis éclaté… Et j’ai envie de toi, pardonne-moi… Pour l’instant je suis lucide mais…

Mais c’est le trou noir, à nouveau.

D’abord le son, des cris qui résonnent dans ma tête. Mon prénom, crié plus fort et plus de fois que pendant l’orgasme. Ensuite l’image, Fleur penchée sur moi, paniquée, et le caissier. Surtout Fleur. Ses cheveux s’agitant autour de son beau visage tendu, ses lèvres pincées si proches de moi. Mes lèvres sur les siennes, ma langue jouant avec la sienne, mes dents attaquant sa bouche… Je ne sais pas si tout ça fait partie du trip ou si ça se passe vraiment. En vrai, je crois que j’en ai rien à branler.

Le caissier soupire et retourne vite à son poste, encore un de ces puceaux que l’amour met mal à l’aise. Je presse Fleur contre moi avec une main sur sa taille en continuant de labourer sa bouche avec mes dents, de masser mes lèvres avec les siennes et de faire danser nos langues. J’aurais dû faire ça depuis bien longtemps, on aurait sûrement moins souffert tous les deux. Elle m’aurait canalisé, empêché de descendre aux Enfers. J’aurais mis son cœur à l’abri, je l’aurais…

J’ai arrêté de l’embrasser. Je lui caresse lentement la taille d’une main et de l’autre la joue puis les cheveux. Surtout je plonge mon regard dans le sien, ça vaut mieux que de longs discours.

Qu’est-ce que j’ai fait ? Est-ce que je suis con à ce point ? Y’a moyen. C’est Fleur qui est contre moi, pas une inconnue que je suis dans les toilettes d’un bar. Il ne faut pas qu’elle souffre, pas à cause de moi… Ça fait combien de temps que je réfléchis comme ça, assis à côté d’elle ? J’sais pas mais ça doit faire chelou.

- T’as raison… C’est une connerie, je suis défoncé… On oublie ça, d’accord ?

Je suis gêné comme un enfant que cœur touché par le prêtre. Quoi ? Je fais pitié ? Je t’emmerde. C’est simple de juger derrière ton écran ? T’aurais fait mieux à ma place ? J’arrête pas de la regarder du coin de l’œil en me mordant la lèvre… Avant de mordre dans un de mes Big Mac que le caissier m’apporte.

La bouffe me sort toujours de situations critiques, comme un repas de famille par exemple. Puis faut avouer que même si ça donne le cancer, c’est vachement bon le McDo. Je prends une poignée de frites pour l’engouffrer dans la petite bouche de Fleur. Non c’est pas parce que j’ai envie de la toucher… Elle doit avoir faim…

Pitié, pas ça. J’ai vraiment pas envie que ça parte en dispute et l’autre puceau qui me joue non plus d’ailleurs. Tu le sens le regard de Fleur semblable à ceux des juges de Nuremberg ? (petite référence aux cours d’Histoire des années lycée où tu préférais matter la poitrine naissante de ta voisine plutôt que d’écouter ton prof marxiste et sous prozac) Il faut que je me justifie, encore une fois ? Bordel, les gens ne peuvent pas comprendre que « Tyee est vraiment un déchet et que la drogue lui fait faire n’importe quoi » ?

Puis, pourquoi tout aurait une explication ? Il y a une multitude de choses qui sont irrationnelles et qu’on accepte sans problème. Genre, un jour tu décides que tu passeras le reste de ta vie avec une personne, que vous baiserez régulièrement, aurez des enfants, prendrez une maison à crédit et finiraient enterrés ensemble sans réelle raison. Mais bon, on est pas là pour débattre sur le sens de la vie ni même sur pourquoi ta mère aurait mieux fait d’avorter. Non, maintenant il faut être sérieux. Je regarde Fleur avec une sorte de douceur, de gentillesse :

- Princesse, je suis un véritable déchet, je me drogue, je bois, je baise et ça tu le sais. Je réfléchis moins souvent avec mon cerveau qui tombe en ruine qu’avec le truc entre mes jambes. Et si je l’écoutais là, je t’emmènerais dans les toilettes pour te faire l’amour passionnément. C’est aussi pour ça que je t’ai embrassé. Mais tu es une fille trop bien pour coucher sans avoir de sentiments et je suis trop un connard pour en avoir. Alors il vaut mieux qu’on oublie tout ça… Je tiens trop à toi pour te perdre.

Puis je lui remets des frites dans la bouche.