Singin' sweet songs of melodies pure and true

Depuis que le band d’Isaiah était tombé à l’eau, que tous les membres qui en faisaient partie étaient partis poursuivre des études dans les grandes villes australiennes sauf lui, il n’avait plus vraiment pris le temps de se remettre à gratter. Ses compositions étaient bien rangées dans sa boîte fouillis, sa guitare posée dans le coin du salon, et il vaquait à ses autres et nombreuses occupations. Ce matin, par contre, alors qu’il s’était accordé à lui-même un congé – et à Sacha par le fait même – puisqu’ils avaient bien bossé ces derniers jours et que les commandes étaient presque toutes réglées, il avait décidé de se rendre sur la plage pour jouer quelques notes. Pourquoi pas se remettre à composer. Il avait toujours aimé écrire des paroles de chanson et les jouer sur de beaux accords. Il n’était pas poète et ne maîtrisait pas les mots comme d’autres écrivains le feraient, mais il savait transmettre un message malgré tout. Il s’était donc installé sur des rochers, les pieds submergés de temps en temps par les vagues qui se déroulaient jusqu’à ce point où la mer et la terre se confondaient. Quand une ombre apparut non loin de lui, Isaiah leva les yeux vers l’homme se tenant devant le soleil. Il échangea un sourire avec ce dernier, parce qu’il le regardait et l’écoutait, sans doute. C’était toujours plaisant de mettre de la musique dans les oreilles des autres. Auparavant, quand il voyageait beaucoup à travers le monde, Isaiah prenait quelques moments de sa journée pour jouer sur le bord des trottoirs des plus grandes artères des villes. Ça lui permettait de se faire un peu de sous, puisqu’il laissait l’étui de sa guitare ouvert à ses côtés. À Bowen, il ne jouait plus dans les rues pour l’argent, juste pour le plaisir. C’était le point positif de la vie de sédentaire : il n’avait plus besoin de courir après les vingt-cinq cents pour se payer une sandwich. Isaiah continua à jouer en bougeant à son tour la tête au rythme de la musique, au rythme des mouvements de l’autre. Il se laissa envahir à son tour par cette énergie. Puis, lorsque les dernières notes de sa chanson se firent entendre, le blond le complimenta sur son morceau. Ses paroles étaient saccadées, manquaient de verbes et de compléments. Isaiah ne s’arrêta pas là-dessus. Isaiah ne s’arrêtait jamais à ces détails. « Merci, ça fait super plaisir à entendre ! Je m’attendais à être rouillé, mais tu me prouves que je peux encore me débrouiller ! » Des prochains mots qui sortirent d’entre les lèvres de l’homme, Isaiah conclut que l’homme lui demandait s’il le dérangeait. « Non, pas du tout ! J’passe le temps. » Et c’était vrai, au fond. Il ne préparait pas une carrière internationale. Il jouait quelques notes sur le bord de l’eau. Rien de plus important qu’une rencontre inopinée. « Tu joues ? » Demanda Isaiah en soulevant légèrement sa guitare, prêt à la lui prêter et à l’écouter si jamais.

Isaiah haussa les épaules, le bras toujours tendu vers le jeune homme, sa guitare en main, et cela même si ce dernier venait de lui dire qu’il ne savait pas jouer. Ne pas savoir faire quelque chose ne devrait, selon lui, jamais être un obstacle à l’essayer, justement. « Ça s’apprend, comme n’importe quoi ! » Dit-il avec un sourire. Merci de souligner l’évidence ! C’était surtout une façon de faire comprendre à ce Jim – du moins, de sa façon de s’exprimer, Isaiah avait déduit ce prénom – que ça ne devait pas l’arrêter. Le blond reprit toutefois la parole pour lui apprendre qu’il avait déjà essayé de jouer de la guitare mais qu’il avait réussi à casser les cordes. L’artiste rigola doucement, en hochant la tête et en replaçant sa guitare contre son ventre. « Une corde c’est pas grand-chose, c’est surtout pas très difficile à remplacer. » Il essayait constamment de voir le positif de ce monde, Isaiah. Faire déculpabiliser les gens, aussi. Et leur montrer que tout était possible quand on y mettait un peu du sien. « Si tu changes d’avis … j’te montrerai quelques accords avec plaisir … tant que tu ne m’exploses pas un œil avec une corde qui casse ! » Il le taquinait un peu. Après tout, la condition de cet homme, qui lui était inconnue, ne les empêchait pas de s’embêter un peu pour le plaisir. Il avait l’air cool et sociable, et c’était tout ce que ça prenait chez quelqu’un pour qu’Isaiah se montre tout aussi ouvert. Quand Jim lui tendit la main en se présentant, officialisant alors son prénom, l’ébéniste attrapa ladite main et la serra en déclarant : « Isaiah ! » d’un ton de voix enjoué. Le blond s’était assis sur un rocher non loin de lui et le pria de continuer. Le jeune homme hocha la tête et décida de jouer des chansons connues, plutôt que ses compositions écrites à la va-vite et pas du tout travaillées. « Et surtout, si tu connais les chansons … m’laisse pas chanter seul. » Il débuta alors avec les notes de sa version acoustique de Losing My Religion, se disant que cette chanson était assez connue pour que n’importe qui puisse se joindre à lui, et surtout Jim. En même temps, il n’avait pas trop songé à sa demande et si ça se trouve, avec son problème d’élocution, l’homme ne pourrait pas chanter, du moins pas de façon fluide. Tant pis, il pouvait essayer, ou pas. Dans tous les cas, ça donnerait un bon résultat, un résultat vrai et beau.

Isaiah se contenta d’hocher la tête, cette fois, face au second refus de Jim d’essayer la guitare. Il y avait de ceux qui préféraient vivre à travers un sens en particulier, sans doute Jim se laissait-il bercer par le son qui se portait jusqu’à ses oreilles. De son côté, l’artiste avait ce besoin de vivre à fond à travers tous ses sens. Il avait besoin de voir pour apprécier la beauté du monde, mais savait également ressentir cette beauté du bout de ses doigts, en humant les différentes fragrances qui l’entouraient et en écoutant le sifflement du vent à travers les arbres, les fleurs, les bâtiments construits de la main des hommes. Et puis sa voix, sa voix, Isaiah s’en servait pour parler plus fort que les autres, pour que son message se rende à destination, pour qu’on l’entende et qu’il puisse convaincre les autres, à leur tour, de laisser leur voix s’élever au-dessus des préjugés, des croyances populaires et des idées préconçues. Pour aujourd’hui toutefois, son chant n’avait pour but que de rassembler, et déjà son intention semblait se diriger dans la bonne direction puisque Jim était venu jusqu’à lui. Ils se présentèrent l’un à l’autre, Jim répétant difficilement le nom en trois syllabes de l’homme. « C’est ça ! » Confirma Isaiah en hochant la tête. Il était vrai que même sans trouble du langage, son prénom avait une prononciation plutôt inhabituelle, ce qui ne facilitait en rien la tâche du blond. Sa persévérance portait fruits. Le jeune ébéniste commit une légère gaffe en proposant à Jim de chanter avec lui s’il connaissait les paroles, mais il n’était pas du genre à se confondre en excuses, surtout parce que personne n’avait été blessé. La preuve, Jim rit de bon cœur après l’avoir repris, puisqu’il avait déjà bien du mal à parler. Isaiah lui sourit, avant de commencer à jouer la mélodie que Jim sembla reconnaître. Leurs corps se balançaient au rythme des vagues et des notes, Isaiah chantait en regardant les lèvres de l’homme remuer en harmonie avec les siennes. Puis, contre toute attente, une magnifique voix s’éleva dans le vent. Une seconde voix. Qui accompagna celle d’Isaiah dans un duo inespéré. Le guitariste continua de jouer, ne voulant pas freiner Jim dans son élan, et refrain après refrain, sa voix prenait place sans aucune timidité. Lors du tout dernier refrain, Isaiah se tut, laissant Jim être le seul à chanter les paroles de la chanson. Quand il joua les dernières notes, un léger et court silence s’installa, pendant lequel Isaiah regarda Jim avec un sourire. « I thought that I heard you sing. Je n’aurais pas pu choisir une chanson plus appropriée. » Déclara-t-il en regardant Jim.

À la fin de la chanson, Jim complimenta la musique et, surtout, l’artiste qui l’avait fait vibrer entre eux. Le jeune homme afficha un grand sourire, toujours flatté par ce genre de remarque, même s’il ne le faisait pas pour qu’on lui lance des fleurs. « C’est gentil ! Une de mes préférées de mon répertoire. » Déclara-t-il. Puis, la remarque d’Isaiah quand à son choix de chanson des plus appropriés ne sembla pas faire réaliser à Jim le petit miracle qui venait de se produire grâce à la force de la musique. Même que le blond le regarda avec un regard confus et des points d’interrogation auraient pu se lire dans ses iris s’ils s’étaient trouvés dans un dessin-animé. Cela fit sourire Isaiah tout en l’intriguant énormément. N’avait-il réellement pas eu conscience de sa voix qui s’était levée avec la sienne, emportées dans le vent pour souffler aux oreilles des baigneurs des paroles et des rimes mélodieuses ? Était-il détaché de lui-même au point de ne pas avoir reconnu sa propre voix ? « Oh, pour rien. » Avait alors déclaré Isaiah, se surprenant lui-même de ne pas chercher à égayer le visage de Jim en lui apprenant qu’il était capable de chanter. Que les barrières que son cerveau mettait entre sa voix et lui n’étaient peut-être pas infranchissables, au final. Isaiah eut envie de chercher plus loin, de comprendre, et surtout d’amener Jim à le réaliser par lui-même. Ce serait encore plus beau, pas vrai ? De le voir réaliser tout ce dont il était capable ? « Dis-moi, Jim, quelle est ta chanson préférée ? Je pourrais peut-être essayer de te la jouer. » Proposa-t-il. Forcément, il connaîtrait les paroles de sa chanson favorite, et alors, Isaiah pourrait entendre une seconde fois sa belle voix délivrer des mots les uns après les autres, harmonieusement, laissant ceux-ci couler sans entrave.  

Isaiah avait bien évidemment pu lire la confusion dans la réaction de Jim quand il ne s’était pas expliqué quant à son commentaire des plus mystérieux. C’était encore plus curieux qu’il ne se justifie pas. Toutefois, le jeune homme n’avait pas l’impression que c’était à lui de révéler à Jim sa capacité à chanter. Il le connaissait à peine, il n’avait pas encore ce rôle à jouer dans sa vie. Toutefois, il ferait volontiers sien le rôle de l’amener à comprendre par lui-même ce dont il était capable malgré son handicap vocal. Isaiah demanda donc à Jim quelle était sa chanson préfére, de sorte à ce qu’il puisse la jouer et l’amener à la chanter sans qu’il ne le réalise, tout comme avec la chanson précédente. Du moins, l’ébéniste espérait que cela fonctionnerait. Jim choisit une chanson de Bob Marley, l’une de ses plus célèbres. « Aaaah, un homme qui connaît ses classiques, j’adore ! » Il reprit sa guitare contre lui, dans une position prête à jouer, tout en restant tout aussi détendu. « Bien sûr que je peux la jouer ! Bon, ce sera pas la perfection, parce que c’est pas mon style habituel, mais je l’ai déjà jouée ! » Il pratiqua d’ailleurs quelques accords avant de commencer, pour être certain d’être en mesure de la jouer de A à Z sans avoir de trou de mémoire ou de faux accords. Après avoir fait le tour, il tourna la tête vers Jim, qui attendait. « Prêt ? » Quand il eut l’accord de son seul et unique spectateur – mais quel spectateur ! -, Isaiah commença à jouer à la guitare cette chanson au style jamaïcain. Doté d’une mémoire exceptionnelle seulement pour retenir des paroles de chanson, Isaiah réussit à chanter dès le premier couplet. En même temps, Bob Marley était un artiste qu’il appréciait énormément. Il aurait d’ailleurs aimé vivre à l’époque où il était encore vivant. Mais il avait quand même de bons artistes comme modèles actuellement. Bref, une fois le refrain arrivé, Isaiah guetta les lèvres de Jim et le son sortant d’entre celles-ci. « Don’t worry about a thing, ‘cuz every little thing is gonna be alright ! » Chantaient-ils en harmonie. Isaiah souriait à pleines dents, malgré qu’il ne cessa pas de chanter cette fois. Du moins, pas jusqu’aux dernières notes, où les paroles n’étaient qu’une répétition du refrain jusqu’à ce que la musique s’éteigne. Isaiah laissa s’effacer les sons de sa guitare bien avant, et se tut au même moment, pour n’entendre que Jim terminer la chanson. Il sourit, à la fin. « Tu as vraiment une voix magnifique, on voit qu’elle a un message à transmettre … et tu réussis très bien à le faire ! » Comprendrait-il, cette fois, ce qu’Isaiah avait tenté de lui faire entendre ?   

Isaiah éclata de rire quand Jim lui confia bien l’imaginer dans le style reggae. Il n’avait pas tout à fait tort, d’ailleurs, ce qui prouvait que parfois, je dis bien parfois, il était possible de se fier aux apparences. En même temps, quoi s’imaginer d’autre, en voyant Isaiah, les pieds dans l’eau, guitare à la main, cheveux ébouriffés par le vent, pousser la chansonnette sous le soleil australien. Il ne manquait effectivement que le joint entre ses doigts et l’image était complète. « Oh, ouais, j’me vois plutôt bien aussi j’avoue que j’en ai bien d’autres caractéristiques ! » Ajouta Isaiah en riant, venant sans doute confirmer la pensée de Jim. Lui se fichait bien qu’on puisse le prendre pour un fumeur d’herbe, c’était ce qu’il était et même il en faisait pousser chez lui, alors … Il aurait été bien idiot de se prendre la vexe pour une raison pareille. Isaiah reprit donc sa guitare et attendit d’avoir le feu vert du blond avant de commencer à jouer les quelques notes de reggae qui donneraient tout son rythme à la chanson de Bob Marley. Comme l’artiste l’avait espéré, Jim recommença à chanter sans même se rendre compte de sa voix. Il sourit en le regardant, laissant sa voix les bercer tous les deux. Au début, il l’accompagna autant avec la voix qu’avec la guitare, puis ce ne fut que la guitare, pour ensuite n’être rien du tout … rien d’autre que la voix fluide de Jim. Quand ce dernier rouvrit les yeux et réalisa que c’était bel et bien sa voix qui s’élevait entre eux deux, ses mots recommencèrent à être découpés. Sans même le vouloir, le sourire d’Isaiah se dissipa quelque peu, surtout par surprise. Lui était loin d’être doué dans la compréhension du corps humain, il ne comprenait aucunement ce qui pouvait expliquer que d’une seconde à l’autre, Jim puisse perdre sa capacité à parler – ou chanter – sans difficulté. « Oui, oui, tu chantais. » Confirma Isaiah avec un hochement de tête et un sourire d’espoir, un espoir qui brillait également dans ses yeux. « Tu chantais bien mieux que moi, d’ailleurs. » Lui assura Isaiah, davantage pour lui faire comprendre que oui, il chantait normalement. Il chantait comme n’importe qui. Comme s’il n’avait aucun trouble. Aux yeux d’Isaiah, ça, c’était magique. Jim réessaya de chanter, en vain encore une fois. Il avait trop conscience de ce qui se passait, et ça le bloquait. « On dirait que ton corps se rappelle comment chanter, mais que ta tête l’en empêche … » Constata Isaiah, traduisant dans une simple pensée ce qu’il percevait. Dès que Jim avait pris conscience de son chant, son trouble du langage était réapparu. L’ébéniste posa sa guitare dans le sable, loin de l’eau, complètement derrière le rocher sur lequel il se trouvait. Il se rapprocha un peu plus de Jim, brisant cette distance bien trop respectable entre eux. « Tu n’as pas toujours eu cette difficulté à parler, hein ? » Demanda Isaiah.

Isaiah secoua la tête de gauche à droite quand Jim lui dit qu’il en faisait trop, qu’il chantait mieux que lui. « Come on, de tous les bands de musique dans lesquels j’ai été, on me refusait même les back vocals parce que j’ai pas l’oreille. » Dit-il avec un rire. Il exagérait juste un tout petit peu, mais il était vrai qu’il n’avait jamais été le chanteur de ses groupes de musique parce qu’il y avait des gens bien plus talentueux que lui pour prendre ce rôle. De toute façon, il se contentait facilement de ne jouer que de la guitare, c’était son instrument de musique de prédilection, après tout. Enfin, ça et l’accordéon, mais rares étaient les personnes qui savaient qu’il en jouait. La plupart du temps, il jouait quelques mélodies dans le sous-sol de chez lui, dans son atelier d’ébéniste, alors qu’Ezekielle devait sans doute se mettre des bouchons dans les oreilles. Ce son n’était pas pour tout le monde. Finalement, Jim réessaya de chanter, mais rien à faire, sa voix saccadée revenait de plus belle. Isaiah exposa sa théorie à deux sous, lui qui n’avait aucune étude pertinente en la matière. En même temps, son raisonnement lui semblait logique. Jim acquiesça, d’ailleurs. « Mais maintenant tu sais que tu peux. Et si tu peux chanter, Jim, tu peux parler … parler de manière fluide, je veux dire. » Isaiah ne voulait rien lui enlever. Jim parlait, même si c’était de manière saccadée, il arrivait à parler, à s’exprimer, à communiquer verbalement avec les gens. Ce n’était pas donné à tout le monde. « Il suffirait que tu ne te forces pas autant … » Il posa sa guitare dans le sable et vint rejoindre Jim, parce qu’avant de se mettre à inventer des théories et de changer son monde, il se devait au moins de connaître la source de ce problème de langage chez Jim. Il le lui demanda alors, après avoir pris place à côté de lui. Il hocha la tête. « Et … et que dirais-tu qu’en parallèle avec tes cours pour réapprendre à parler normalement, on continue à jouer de la musique et chanter ensemble, toi et moi ? On a vu tous les deux de quoi t’étais capable aujourd’hui. On arrivera de nouveau à le faire. » Il était optimiste, Isaiah. Il l’avait toujours été. « Même que, si la personne qui te donne des cours accepte, on pourrait jumeler les deux ensemble … Faire ses exercices mais avec la musique ! » Il partait dans ses idées, là, et Jim allait devoir l’arrêter, parce que lui était prêt à révolutionner le monde. Leur monde.