Singin' sweet songs of melodies pure and true

Ah, certes, il n’était pas un cas extrême. Il avait une voix qui s’endurait – sinon, il ne la ferait pas subir à tous les passants en la leur imposant quand il jouait sur la plage. Toutefois, il savait qu’il n’avait pas un avenir dans le chant, pas aussi bien défini qu’il pourrait en avoir un à la guitare. D’ailleurs, à force de rejouer, à force d’échanger avec Jim et de chantonner avec lui, Isaiah avait cette envie de retrouver des gens avec qui jouer dans un garage. Cette époque lui manquait énormément. Depuis que son ancien band s’était séparé, faute de temps, faute de motivation, faute de succès, Isaiah n’avait pas cherché à reformer un quelconque groupe. L’envie était là, maintenant. Toutefois, ce ne fut pas une idée à laquelle il s’accrocha pour le moment, et autant il avait envie de proposer à Jim un quelconque rôle à jouer là-dedans, c’était sans doute trop tôt. D’autant plus qu’il venait à peine de réaliser qu’il pouvait chanter, alors de se lancer à pieds joints dans une aventure pareille, c’était sans doute trop précoce. Trop risqué. Isaiah était bien impulsif dans ce qu’il disait mais là, il tourna sa langue sept fois et jugea que ce serait un sujet à aborder plus tard. S’il y avait un plus tard. Bref, pour le moment, Jim avoua ne pas être aussi optimiste. Ça, ce n’était pas nouveau. Personne ne positivait autant que l’artiste. Quand il le reprit sur le fait qu’il ne se forçait pas, Isaiah secoua la tête. « Non, désolé, je voulais pas dire ça. Enfin, si … mais je voulais pas prétendre savoir comment tu le vivais. » Dit-il en souriant. Il ne présentait aucune gêne, aucun malaise, à s’excuser de la sorte. Il savait reconnaître ses erreurs et n’avait pas à se sentir coupable d’avoir parlé trop vite. C’était humain. Et l’humain peut se montrer maladroit. Mais dans sa prochaine proposition, il n’en fut rien. Isaiah sembla avoir eu une très bonne idée, du moins c’était ce qu’il semblait lire dans le regard enjoué de Jim. « La Sara qui t’aide, c’est Sara Liao ? » Demanda-t-il avec curiosité. Si c’était le cas, Isaiah la connaissait via d’autres connaissances. Surtout via Ally, en fait. Elle avait travaillé pour elle, pour sa galerie d’arts. Et puis Sara avait eu une relation amoureuse avec Woody, un homme qu’Ally et Isaiah avaient détesté ensemble avec un malin plaisir. Maintenant que sa petite rousse était partie de Bowen, il sentait que cette haine lui passerait, il n’entretenait pas par lui-même son ressentiment. « Ton sauveur ? Arrête, j’mérite pas tant. Un ami, par contre, ça je pense que ce sera approprié. » Suggéra Isaiah. Les amis étaient là pour s’entraider. Jim proposa qu’Isaiah choisisse une nouvelle chanson. Il hocha la tête, reprenant sa guitare et sa position. « Voyons voir … » Il réfléchit un peu, tout en pratiquant quelques notes. Il commença alors à jouer Good Riddance de Green Day, du temps où ils étaient encore écoutables. « Tu connais ? » Demanda Isaiah avec un sourire.

Jim lui assura que ce n’était pas grave, qu’il n’avait pas mal pris son commentaire. Isaiah hocha la tête et rigola quand le blond savait bien qu’il ne se prenait pas pour Monsieur Je-Sais-Tout. Effectivement, même que l’artiste détestait les gens qui pensaient tout savoir sur tout. Certes, il avait certains sujets qui lui tenaient plus à cœur et sur lesquels il était prêt à débattre assez longtemps pour sa position, mais il était aussi très capable d’admettre lorsqu’il se trompait ou lorsqu’il ne possédait pas assez de connaissances sur un sujet. « Ah alors ça non, j’suis loin de tout savoir ! » Renchérit-il en riant, ne s’attendant pas à une réplique là-dessus. C’était tout simplement pour souligner qu’il savait pertinemment que personne ne pouvait détenir le savoir absolu, pas même la personne la plus intelligente et éduquée de ce monde. Ils parlèrent finalement de l’idée de joindre son aide à celle de Sara, qui aidait Jim dans son langage. « On ne se connaît pas personnellement ! Je ne sais même pas si elle sait que j’existe, en fait ! Mais on a quelques connaissances en commun. » Admit-il avec un sourire. Après tout, ce n’était certainement pas Woody qui lui aurait parlé d’Isaiah. Sans doute que Woody n’avait même pas conscience de son existence, en fait. Et pour ce qui est d’Ally, Isaiah n’aurait pas été surpris que son prénom n’ait jamais été mentionné dans une conversation. Après, elles étaient certes amies mais leur relation se déroulait surtout sur la base de la galerie d’arts d’Ally et de l’emploi qu’elle avait offert à Sara. Bref, ce n’était pas bien grave de toute façon, il savait que Sara était une femme douce et gentille, alors il ne faisait aucun doute qu’Isaiah se lierait bien vite d’amitié avec elle. « Ne te sens pas mal ! Même si l’évolution est pas géniale, y’a une évolution quand même. » Ou pas, mais vous l’aurez maintenant compris, Isaiah était un optimiste fini. Dès qu’on lui parlait d’un moins, il le transformait en plus. Le guitariste commença finalement à jouer un nouvel air, mais Jim avoua ne pas le connaître. Dommage, il adorait cette chanson ! Il continua à jouer, un peu moins fort, pendant que son nouvel ami lui proposait de jouer Californication, si l’envie était là bien sûr. Isaiah ne se sentit aucunement obligé de changer de mélodie, mais il le fit tout de même, jugeant qu’il était plus plaisant de jouer une chanson qu’ils connaissaient tous les deux. « Allons-y pour les Red Hot alors, c’toujours gagnant ! » Sans plus tarder, les notes de Good Riddance se transformèrent graduellement en les notes de Californication.

Jim se posait beaucoup trop de questions, réfléchissait trop, s’inquiétait pour des trucs qui ne méritaient pas autant de remise en question. Enfin, c’était le point de vue d’Isaiah, qui prenait tout tellement à la légère. Pour le moment, ça ne lui avait jamais ni attiré d’ennuis, ni amené les foudres de qui que ce soit. Au contraire, l’artiste s’entendait bien avec tout le monde ou presque, et ce malgré son je-m’en-foutisme mêlé à de l’optimisme démesuré. Il était difficile de s’emporter contre Isaiah, de toute façon, puisqu’il avait toujours son sourire bête sur le visage et qu’il levait toujours le drapeau blanc si jamais les choses se corsaient. Il préférait désamortir une bombe plutôt que de la laisser exploser. « En tout cas, pour ce qui est de mon aide à moi, sache que j’ai beaucoup de temps devant moi et que je cherche toujours à avoir quelque chose à faire, alors tu ne me le feras jamais perdre, mon temps. » L’adage le temps, c’est de l’argent, sonnait comme de la vraie foutaise aux oreilles de l’ébéniste. Le temps c’était du bonheur, voilà tout. Le temps, chaque être humain devait le saisir et en faire exactement ce qu’il désirait. Pour Isaiah, aider les autres était une bien plus belle manière de le passer que de faire de l’argent pour mieux la dépenser. Avec ses dernières paroles, Isaiah espérait avoir convaincu Jim d’être bien à l’aise de ne pas progresser aussi vite qu’il ne le voudrait. Il avait vécu un sacré traumatisme, et le corps humain était une machine des plus géniales, oui, mais on ne pouvait pas non plus lui demander de miracle. Il était chanceux d’avoir encore toute sa tête. De vivre. Bref, le guitariste avait recommencé à jouer, d’abord un air inconnu aux oreilles de Jim, et finalement il décida de jouer la demande spéciale du blond. Il préférait largement pouvoir éveiller chez lui des souvenirs plutôt que de la nouveauté. Le sentiment était toujours plus plaisant. D’autant plus que la musique semblait avoir un effet miracle sur Jim, sur sa condition. Isaiah ne laisserait pas passer une occasion supplémentaire de le laisser trouver sa voix. Retrouver sa voix, plutôt. Comme de fait, aux refrains, Jim s’époumonait avec les paroles des Red Hot. Incapable de s’empêcher de participer, Isaiah chantait lui aussi à tue-tête cette chanson des plus connues. La tête basculée vers l’arrière et les yeux clos, ses doigts ne cessant pas pour autant de jouer l’accompagnement, Isaiah chantait avec un grand sourire sur les lèvres, laissant leur musique éveiller tous ses sens. Il ouvrit d’ailleurs les yeux pour croiser le regard de Jim et y lire tout le bonheur qui l’habitait. C’était comme ça qu’Isaiah vivait. À travers son propre bonheur et celui des autres. Mêlés les uns aux autres. La chanson se termina et le brun fit une finale avec un tas de notes aléatoires, laissant aller son médiator contre les cordes comme bon lui semblait. Il rigola quand plus aucun son ne s’éleva. « Wow, quelle puissance ! » Dans leur voix, dans la musique, dans les paroles. Dans tout. « Écoute, va falloir que je rentre bientôt mais … putain, avec Sara ou pas, pour t’aider ou pas, j’tiens à ce qu’on remette ça. On chantera comme des ados dans un garage s’il faut ! » Lâcha-t-il avec un grand sourire. Parfois, certains moments bien spéciaux ne pouvaient se reproduire et il fallait s’accrocher au souvenir qu’on en gardait. Cependant, dans ce cas-ci, Isaiah savait que ce n’était que le début.

Jim sembla plutôt content d’entendre Isaiah lui dire qu’il avait plein de temps devant lui. C’était l’avantage de travailler à son compte, de choisir le nombre de commandes de meubles qu’il acceptait, de bosser selon son propre horaire, etc. Évidemment, ce n’était pas comme ça pour tous les ébénistes, parce que certains désiraient faire un maximum d’argent et donc travaillaient sans relâche. Dans le cas d’Isaiah, l’argent n’avait jamais été une priorité et tant qu’il arrivait à payer ses comptes, manger et s’amuser – et Isaiah n’avait pas le bonheur dispendieux -, c’était suffisant. Il avait la chance de partager sa vie avec une femme toute aussi peu matérialiste que lui, préférant largement les moments simples et chaleureux aux grandes sorties coûteuses et éphémères. Leur seul égarement dans ce mode de vie : voyager. Ils avaient beau sous-louer leur appartement lorsqu’ils partaient, prendre les vols les moins chers, dormir dans des auberges de jeunesse ou à la petite étoile, les dépenses montaient vite lorsqu’ils vivaient à l’étranger. De toute façon, ces voyages se faisaient plus rares maintenant qu’ils étaient tous les deux à Bowen. D’où le fait qu’Isaiah avait un maximum de temps libre à offrir à des gens comme Jim, dont il appréciait énormément la présence. « Super ! Par contre j’vis à l’époque de la préhistoire et je n’ai pas de téléphone, mon ancien a rendu l’âme et je ne suis pas pressé de le remplacer. » En fait, il détestait avoir un téléphone portable. Il était vrai que ce pouvait être pratique d’en avoir un pour des urgences, mais il se fiait beaucoup aux cabines téléphoniques mais surtout à la générosité des gens qui se trouveraient sur son chemin. « J’te refilerai mon adresse, si tu veux, t’auras qu’à passer voir si j’suis là quand t’as envie. Ou alors c’est moi qui t’appellerai. » Peu pratique, je vous le concède. Isaiah vivait dans un monde déconnecté des nouvelles technologies. Évidemment, il ne se trouvait sur aucun réseau social, ce qui le rendait encore plus difficile à contacter. Et pourtant, quand on le voulait vraiment, on finissait toujours par le trouver à quelque part, quitte à lui envoyer un pigeon voyageur en dernier recours. Bref, une fois cette question réglée, Isaiah joua la demande spéciale de Jim, chanson des Red Hot Chili Peppers. À la fin, il laissa sortir de lui toute la joie qu’il avait ressentie pendant ce moment bien unique. Isaiah rigola quand Jim lui dit qu’il était plus doué à la guitare qu’au chant. Il ne le prit pas mal du tout, il savait qu’il n’était ne chantait ni comme une casserole, ni comme John Lennon. Il était un entre-deux moyen. « Heureusement que t’es là, c’est vrai, sinon je crois que la plage serait déserte en ce moment ! » Il n’y avait déjà pas beaucoup de monde, mais quelques personnes ici et là profitaient de la vue, de la chaleur, et peut-être du spectacle, qui sait. « Tu rigoles mais j’ai longtemps rêvé de jouer avec mes pieds ! » Il continua de rire, jusqu’à ce que vienne le temps de rentrer. « Sounds good. Tu me tiendras au courant pour ce que pense Sara de notre idée, mais dans tous les cas on se reverra, ouais. » Il rangea sa guitare dans son étui et se leva. « T’as un papier ou un crayon ? Ou alors plus simple euh … un téléphone ? J’vais te laisser mon adresse. » Comme ça Jim passerait quand il le voulait. Éventuellement, ils trouveraient un meilleur moyen de communication.

Il était vrai que bien des gens de l’entourage d’Isaiah avaient tenté de le convaincre de se procurer un nouveau téléphone portable rapidement. Avant son arrivée à Bowen, l’ébéniste n’en avait tout simplement pas, après tout il jouait au globe-trotter dans tous les pays du monde et ne restait jamais assez longtemps pour entretenir des relations à long terme. Un portable ne lui aurait servi à rien d’autre que l’encombrer. Toutefois, en arrivant à Bowen et en débutant une vie de sédentaire, Isaiah s’était lié à bien des gens, s’était fait de nombreux amis, et il avait finalement cédé sous la pression. Il s’était procuré un vieux flip-phone à sa deuxième année à Bowen, et il l’avait utilisé jusqu’à son tout dernier souffle – ou plutôt son tout dernier appel -, qui était survenu il y avait quelques mois de cela. Depuis, Isaiah ne s’était aucunement précipité dans un magasin de téléphones pour s’en acheter un nouveau. Jusqu’à maintenant, il n’avait pas vraiment eu de problème, sauf qu’il devait avouer que face à Jim, l’artiste devait avoir l’air un peu con. Bon, ça à la limite il s’en fichait, d’avoir l’air con, mais il faut dire qu’il aurait été plus simple de pouvoir se téléphoner pour fixer des rendez-vous. Pour Isaiah, ce n’était pas plus grave que cela, ils finiraient bien par se retrouver s’ils le voulaient. Et lui le voulait. « Parfait, j’passerai à ces moments-là. Et sinon, le hasard fait tellement souvent bien les choses que je te croiserai peut-être à quelque part dans la ville. » Lui aussi aimait bien se balader, sans raison, juste pour prendre l’air, profiter de l’endroit, des gens. Rencontrer. Admirer. Bref, les deux hommes jouèrent un dernier air pour la route, enfin c’est ce qu’Isaiah conclut en terminant, parce qu’il devait rentrer. Ils s’échangèrent leurs coordonnées, comme ils l’avaient prévu un peu plus tôt. « J’vais essayer de retenir la tienne, j’vais la redire dans ma tête pendant tout mon trajet de retour, ça devrait être bon. » Lança Isaiah à la blague, même si au fond ce serait réellement ça qu’il ferait. Il avait de la chance, il avait assez bonne mémoire. Dès qu’il rentrerait, il la noterait sur le frigo. « Bonne fin de journée Jim, à très bientôt !! » Dit-il, ajoutant le très pour lui faire comprendre qu’il tenterait bien vite de le joindre. Jim était l’une de ces rencontres qu’on n’oublie pas.