Jaysea ♦ Le hasard (ne) fait (pas) bien les choses

Sixième journée de travail non-stop et Chelsea devrait encore patienter avant de pouvoir profiter d'un jour de repos. Et pourtant elle en avait un sérieux besoin... Heureusement pour elle, sa hiérarchie se montrait arrangeante et compatissante. De ce fait, lorsqu'elle ressentait le besoin de prendre un peu de recul, et lorsque c'était possible, il lui suffisait de troquer sa blouse d'urgentiste pour passer quelques heures aux consultations ordinaires, un service bien souvent aussi peuplé que les urgences elles-mêmes. Ce jour-là, elle n'avait pas eu besoin de demander son changement d'affectation. A peine arrivée, son supérieur aux urgences lui avait indiqué de passer la matinée aux consultations où un sérieux manque de personnel se faisait ressentir. Sans un mot, sans en être particulièrement satisfaite pour le coup, Chelsea prit le chemin du service en question. A peine arrivée à l'accueil, après avoir rapidement salué ses collègues, elle s'empara du premier dossier situé sur la pile en attente. Sans réelle motivation, elle se dirigea vers le box 16 indiqué en évidence sur le dossier. De ce fait, elle ne prit pas connaissance du nom du patient vers qui elle se rendait ni même de ce qu'elle aurait à traiter. Bien décidée à entamer sa journée, alors qu'elle arrivait à destination, elle rencontra une aide-soignante avec qui elle s'entendait particulièrement bien puisqu'elle avait été sa marraine lors de son arrivée dans l'établissement. Cette bonne dame, consciente de l'état de fatigue de sa protégée dès le premier coup d'oeil insista pour qu'elles aillent toutes les deux prendre un café. Chelsea eut beau prétexter qu'elle ne pouvait pas faire attendre son patient, sa marraine parvint à lui faire entendre raison, argumentant qu'"ici elle n'était pas aux urgences et qu'il fallait en profiter". La jeune femme n'était pas tout à fait d'accord mais céda finalement à l'invitation, quelques instants de répit ne lui feraient pas de mal après tout. Dans la petite salle de repos, Chelsea retrouva des visages familiers d'anciennes étudiantes en médecine de sa promotion. Parmi elles, deux s'enthousiasmaient d'avoir vu un patient prendre la direction d'un box. Aux dires de ces deux filles, elles n'avaient pas vu un si beau modèle depuis bien longtemps et enviaient ouvertement celle d'entre elles qui devrait le prendre en charge. Chelsea écouta distraitement cette conversation. Voilà bien longtemps que le physique des hommes ne lui faisait plus le moindre effet, depuis sa rupture plus exactement. Elle avait beau essayé de faire en sorte de s'intéresser à un beau garçon, le résultat restait le même, elle finissait rapidement par se lasser. Dans leur excitation, les deux infirmières lancèrent des pronostics afin de savoir qui aurait la chance de se rendre dans le box de l'Apollon. Le tour de table arriva sur Chelsea qui communiqua, sans grand enthousiasme le numéro du box où elle devait se rendre. Cette seule évocation la décida d'ailleurs à mettre un terme à sa pause café et à reprendre la direction de son box. Avant de sortir de la pièce, elle s'arrêta, surprise des éclats de rire de ses collègues : l'Apollon était pour elle. Blasée contrairement aux autres filles qui auraient bien aimé faire un échange de dossier, elle accéléra le pas, frappa brièvement à la porte du box et entra, le visage rivé das le dossier qu'elle venait d'ouvrir, sans avoir regardé le nom du patient pour autant. Elle referma la porte derrière elle avant de prendre la parole tout en relevant son regard. -Excusez mon retard, je suis vraiment désolée, j'espère ne pas vous avoir fait attendre trop... Elle arrêta soudainement sa phrase en voyant qui lui faisait face.

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Cet hôpital…J’y étais resté pendant plus de six mois et je devais y revenir tous les mois depuis ma sortie. Comme beaucoup, ce n’était pas ici que je préférais passer ma matinée, ces longs couloirs blancs ne m’inspiraient rien, cette odeur de désinfectant me rappelait que j’avais été jusqu’à en boire pour satisfaire ce besoin d’alcool qui s’était fait ressentir au fur et à mesure que j'avais été enfermé ici. Aujourd’hui les choses étaient un peu différentes, aujourd’hui j’avais tout pour reprendre ma vie en main, j’avais tout sauf cette flamme en moi qui permettait de faire tourner cette machine rouillée qu’était mon corps. J’avais beau avoir raté cette tentative il y a un peu plus d’un an, elle m’avait laissé des traces jusqu’au plus profond de mon âme mais aussi physiquement. Ma colonne avait été touchée et c’était la raison principale de mes visites mensuelles à l’hôpital, c’était la raison principale mais ça n’empêchait pas les médecins de me faire une prise de sang à chaque fois, de s’entretenir pour certainement s’assurer que je ne partais pas dans une rechute. Après tout, si j’étais resté six mois pour ma rééducation, j’avais aussi passé six mois à m’entretenir avec un psychologue et certainement que l’on tentait de garder un œil bienveillant sur ma personne aujourd’hui. En arrivant à l’accueil pour mon rendez-vous, l’assistante m’avait informé que le médecin qui devait se charger de moi n’était pas disponible ce matin. On avait voulu déplacer mon rendez-vous mais j’avais refusé. C’était l’occasion d’éviter de parler, le remplaçant ne prendrait pas le temps de me poser de questions sur mon moral, sur mes humeurs des derniers jours. Non, il se contenterait de faire cette prise de sang, de contrôler que la souplesse de mon dos soit aussi bonne que la dernière fois et se renseignerait sur une quelconque douleur. Mon sourire avait peut-être aidé à convaincre la jeune femme de garder mon rendez-vous, laissant mon dossier s’ajouter à d’autres tout en m’indiquant la salle dans laquelle je devais attendre.

J’avais pris place sur la chaise tout en fixant le mur devant moi, laissant mes doigts taper à tour de rôle sur mes cuisses en entendant des pas dans le couloir. J’entendais parfois des gens s’arrêter devant la porte pour finalement s’en éloigner, et ça avait duré presque dix minutes comme ça jusqu’à ce que j’entende la porte s’ouvrir, m’obligeant à quitter la chaise afin de me trouver debout et à entendre une voix s’élever qui me glaça le sang. Je sentis ma gorge se nouer toujours un peu plus à chaque mot qu’elle prononçait et au moment même où elle se retourna, nos regards se croisèrent. Un long silence se mit à planer et tandis que mon visage se refermait, je ressentais en moi une brèche s’ouvrir et laisser des émotions que je me refusais de ressentir. Je continuais de la regarder, je sentais mes yeux se plisser petit à petit alors que mes lèvres se pinçaient entre elles, comme pour m’empêcher de parler, pour me laisser réfléchir à ce que j’allais dire. Elle était belle… Elle l’a toujours été et même les cernes sous ses yeux n’enlevaient en rien ce charme qu’elle avait. Je n’avais aucune peine à imaginer ce sourire qu’elle arborait souvent sur ses lèvres, comme je n’avais aucune peine à me rappeler de ses yeux qui brillaient à chaque fois qu’elle se mettait à rire. Une sensation qui provoqua une vive douleur en moi, me rappelant que ce n’était pas ce à quoi je devais penser en sa présence. «Tu ne travailles plus aux urgences?…» C’était froid, même glacial. Je me devais d’agir ainsi, je me devais de le faire juste pour qu’elle ne pense pas qu’avec le temps, les choses aient pu changer. «Peu importe en fait, tu es là, autant faire ce que tu dois.» J’avais soupiré en prenant une grande inspiration pour finalement retirer ma veste et la déposer sur la chaise. Je m’étais assis sur le divan de consultation en reposant mon regard sur Chelsea, le plus indifféremment possible. «Bon, tu sais ce que tu dois faire ou c’est à moi de te le dire?» On aurait pas dit, mais c’était difficile d’agir ainsi face à elle, difficile de ne lui accorder aucun sourire, de m’être éloigné d’elle plutôt que de m’en être rapproché. De la regarder sans le moindre sourire, de lui parler comme je parlerais à une personne que je ne portais dans mon cœur alors qu’elle y était plus que n’importe qui d’autre.

Lui ici. Son Jayden dans cet hôpital ? Après tout cela n'avait rien de bien étonnant quand on savait ce qu'il avait enduré plusieurs mois auparavant. Mais depuis qu'elle savait qu'il était sorti de l'établissement, elle ignorait ce qu'il pouvait encore avoir à faire comme soins. Non pas qu'elle ne s'y intéresse pas mais elle s'en abstenait volontairement. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas se retenir de vouloir lui venir en aide si elle savait qu'il était encore dans le besoin. Son coeur lui dicterait d'agir ainsi mais son professionnalisme aussi, comment pourrait-elle laisser quelqu'un souffrir, qui plus est cet être si cher à son coeur. Alors elle préférait prendre les devants et se montrer désintéressée pour ne pas se retrouver dans cette situation redoutée. Mais elle avait fait tous ces efforts pour rien. Il lui avait suffit d'ouvrir une porte, de poser son regard sur un patient pour que tout bascule. Immédiatement, elle fut prise d'une grande angoisse. Elle n'avait pas regardé le dossier, elle ignorait donc la raison de sa visite. Avait-il fait une rechute ? Son état était-il plus grave qu'elle n'aurait pu le penser. Elle profita de ce questionnement pour retirer son regard du sien et le poser sur le dossier tout en s'approchant du bureau où elle prit place. La meilleure chose à faire était de rester détachée et de se concentrer uniquement sur le cas qu'il représentait, pas sur l'individu. Mais comment agir de la sorte quand on se retrouve en présence d'une telle personne ? Elle savait qu'elle aurait le plus grand mal à se contrôler, surtout quand il faudrait passer à l'étape de l'examen en lui-même. Comment garder le cap en étant si près de lui, alors qu'elle mourait d'envie de le serrer dans ses bras depuis des mois. Et rien n'y faisait, pas même le ton glacial de sa voix. C'était même le contraire. Elle le connaissait suffisamment pour savoir que sa présence le perturbait lui aussi et que sous ses airs distants il voulait cacher les élans de son coeur, sa souffrance. Elle souffla un bon coup pour se donner du courage et retrouver de l'emprise sur ses émotions. Elle savait désormais pourquoi il était ici et il lui fallait se montrer à la hauteur. Le regard à nouveau dans le sien, elle attendit qu'il finisse de lui parler pour lui répondre en tentant de se montrer sûre d'elle. -Bon, écoute, Jayden. Si tu préfères qu'une autre personne s'occupe de toi, tu n'as qu'à le dire, mais par pitié, abstiens-toi d'être arrogant. Je n'ai pas pour habitude d'être désagréable avec mes patients et je suis suffisamment fatiguée comme ça pour me prendre la tête. Qui plus est avec toi. Je devine qui tu préfèrerais être ailleurs et la situation n'a rien d'agréable, ni pour toi, ni pour moi, alors faisons en sorte de ne pas rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont. Elle s'arrêta un instant pour reprendre sa respiration et pouvoir répondre correctement, entrant par ailleurs dans le vif du sujet. -Alors non, je ne suis pas aux urgences ce matin. Ca fait 6 jours que j'enchaîne, on est en effectif réduit aujourd'hui du coup je fais un renfort. Et ça me permet de souffler un peu. Quant à ton cas, je devrais pouvoir m'en sortir. Mais si ça peut te rassurer, dis-moi toujours ce que tu as l'habitude de faire lors de tes visites mensuelles. Une prise de sang et une vérification de ton dos, c'est bien ça ? Elle se leva de son siège, lui tournant le dos un bref instant puis lui refit face avec un léger sourire. -Tu peux t'installer, n'aie crainte, j'ai avec mes patients la même délicatesse que dans le privé. Cette dernière précision était peut-être de trop par contre...

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