you deserve to be happy (clemrys)

Il n'y a pas longtemps que Cleo connait le elm street. N'étant pas une grande sorteuse, il est rare qu'elle fasse la tournée des bars jusqu'à avoir un itinéraire imprimé dans la tête afin de savoir où aller ensuite, et quoi y boire. Elle, elle a toujours préféré rester chez elle, dévorer des séries avec un paquet de chips et sa fidèle acolyte Eleven, un border collie qu'elle a recueillie un jour de pluie il y a deux ans, en Irlande. Mais ce soir fera exception. Ce soir, Cleo a décidé de sortir Emrys de sa tanière et de lui faire découvrir le monde. Sans pour autant connaître tous les méandres de sa vie, elle en sait bien assez pour savoir qu'il a besoin de quelqu'un pour le rebooster. Et même si ils ne trouvent pas une charmante femme pour lui tenir compagnie, elle au moins sera là pour essayer de lui faire passer une bonne soirée. « Bon, je ne sais pas ce que cet endroit vaut, je l'ai vu dans une brochure de bienvenue qui traînait dans mes papiers depuis... environ un million d'années. » Un an, en réalité. Déjà un an que Cleo a quitté l'Irlande, qu'elle a tout plaqué pour se retrouver ici, à Bowen, en tête à tête avec elle-même. Elle prend place à une table de deux, face à Emrys. Après avoir commandé un verre de vin blanc, elle porte son attention sur l'homme face à elle. « Je suis contente que t'aies accepter de venir, j'ai l'impression que ça fait longtemps qu'on a pas fait une sortie dehors. Comme toutes personnes normales. » Un sourire vient étirer ses lèvres, et Cleo appuie son menton dans le creux de sa main. Tout comme elle, elle a bien compris qu'Emrys est loin d'être un grand fêtard. Difficile de se prévoir une sortie à deux lorsque l'un comme l'autre préfèrent autant le confort de leur chez soi au monde extérieur.

Emrys connaît bien le Elm Street maintenant. Il y a quelques mois encore il n’y avait jamais mis les pieds mais ensuite c’est devenu un client régulier même s’il tentait de ne pas se faire remarquer. Seulement grâce à la love experience et à l’écriture de sa thèse mais aussi grâce à l’aide de son amie Nevaeh, il a réussi à sortir de ce tourbillon infernal et destructeur qu’est l’alcoolisme. S’il n’a pas trouvé l’amour dans la télé-réalité créée à Bowen, ce n’est pas une surprise pour lui, il a été obligé de rester sobre pour ne pas avoir peur de perdre son boulot et sa dignité. C’est comme une cure désintox en fait. Il n’a jamais parlé de tout ça à Cleo. En fait il n’y a que Nevaeh qui est au courant et peut-être Aino puisqu’il a pas mal bu avec elle. Et puis la blonde l’aide déjà assez comme ça pour ne pas qu’il veuille l’inquiéter. Maintenant c’est derrière lui mais ce n’est pas pour autant qu’il est redevenu comme avant, il se sent toujours aussi triste et toujours aussi seul.
Il trouve la tâche de son amie bien noble : vouloir lui faire retrouver l’amour. Heureusement qu’il l’aime bien et accepte quand elle lui propose d’aller avec elle quelque part pour qu’il puisse éventuellement aborder quelqu’un, ce n’est pas avec tout le monde qu’il ferait ça. Cleo n’est jamais venu ici et Emrys n’ose pas lui dire qu’il connaît bien cet endroit et que le patron le reconnaîtra peut-être, il espère pas. « Tu sais c’est un bar, ils sont un peu tous identiques pour moi. » ce qui est totalement vrai. Pour lui ce ne sont que des endroits où les gens viennent boire un coup, seul les tables et les chaises changent. Lorsqu’elle lui dit qu’ils n’ont pas été dehors depuis longtemps tous les deux il hoche la tête. C’est vrai que sur ce point ils se ressemblent assez : ils préfèrent passer du temps à l’intérieur, loin de toute personne plutôt que de se mêler à la population. « Tout simplement parce que c’est beaucoup plus agréable de rester chez soi. » répond-il honnêtement. « Mais je suis content d’être là. » s’empresse-t-il d’ajouter. Emrys ne voudrait pas qu’elle pense qu’il est venu là en traînant des pieds.

Si Cleo avait su, jamais elle ne l'aurait entraîné dans un bar rempli d'alcools. Elle et sa maladresse, elle et ses gestes si souvent mal placés. Elle aurait pu l'emmener dans un parc, au cinéma, n'importe où. Et pourtant, son choix avait fini par se porter sur cet endroit dont elle a entendu parler totalement par hasard, bien qu'elle ne fréquente pratiquement jamais de bars à une heure tardive. Oui, il lui arrive d'aller boire un verre en fin d'après-midi, mais Cleo a toujours préféré rester tranquillement chez elle plutôt que de mettre le nez dehors une fois que le soleil était couché. À sa remarque, elle se contente de hausser les épaules. « T'as pas tort. Mais il y a une chose qui change, c'est la musique qui passe. J'aimerais tellement entendre un groupe irlandais là, maintenant. » Un sourire nostalgique vient étirer ses lèvres mais, rapidement, elle redescend sur terre afin de se concentrer sur Emrys. Ce dernier approuve ses paroles et, même si Cleo ne peut qu'être d'accord, elle vient à se dire que leur mode de pensée est parfois bien triste. Quelques fois, rarement, il lui est arrivé d'être envieuse de ces filles qui sortent à plusieurs et qui sont capable de danser pendant plusieurs heures sans avoir mal aux pieds. La suite de ses paroles la fait cependant sourire à nouveau. Cleo baisse les yeux et se met à jouer avec le sous-verre posé devant elle. « À moi aussi, et ça me fait plaisir que tu le sois. Est-ce que ... » Avant de terminer sa question, elle relève les yeux vers lui mais se fait interrompre par le serveur qui leur amène leurs boissons. Elle le remercie d'un sourire puis reporte son attention sur son ami. « Est-ce que tu vois quelqu'un, en ce moment ? » Son regard se fait d'abord sérieux pendant plusieurs secondes, puis Cleo se met à rire. « Waw, ça sonnait tellement comme de la drague. Mais c'est juste de la curiosité je te rassure, » ajoute-t-elle avec un sourire amusé.

Emrys ne voit pas de réelles différences entre les bars. Il trouve chaque musée, chaque bibliothèque, chaque château unique mais les bars non, ils lui semblent tous identiques. Pourtant il en a fréquenté un certain nombre au cours des derniers mois, sans en trouver un qui retienne spécialement son attention, sans qu’il ait une envie particulière de revenir. Mais à Bowen il n’y a pas une infinité de bars, alors une fois son tour terminé, il a recommencé, encore et encore, y revenant uniquement pour boire. Quelle vie bien triste ! Même si son moral n’est pas revenu, il a au moins arrêté de boire et de mettre toute sa tristesse dans l’alcool, c’est un début. Et des amis comme Cleo sont là pour faire le reste : lui faire retrouver l’amour. Il ne croit pas que ça puisse arriver un jour, qui pourrait remplacer sa femme ? Mais sait-on jamais, il pourrait finir par tomber amoureux sans même s’en rendre compte. Bref. Pour ce qui est des bars, Cleo voit la différence au niveau de la musique et aimerait en entendre de l’irlandaise, là d’où elle vient. Le jeune homme n’écoute pas énormément de musique mais il n’est pas contre quelques morceaux de classique lorsqu’il lit. Attention, il n’écoute pas seulement de la musique classique, il aime également celle des années soixante tel les Beatles ou un peu plus tard les Rolling Stones mais également Bob Dylan. Rien de bien original mais ce n’est pas ce qui l’intéresse.
Il la trouvait gentille de s’occuper de lui ainsi et de s’intéresser à son bonheur, elle se serait bien entendue avec Liz, sa femme. Sur certains points elle lui ressemble un peu. Cleo lui demande finalement s’il voit quelqu’un en ce moment. Emrys ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire. Lui ? Voir quelqu’un ? Ce n’est pas quelque chose qui risque d’arriver toute suite et ça va bientôt faire trois ans qu’il se dit ça, il serait temps de passer à autre chose. Elle le rassure en lui disant que c’est de la simple curiosité et non de la drague, cette idée n’ayant même pas traversé l’esprit du jeune homme. « Ne t’inquiète pas. Non je ne vois personne. Et toi ? » demanda-t-il pour changer la direction du sujet. Il comprend la curiosité de la demoiselle mais il n’aime pas spécialement parler de sa vie et encore moins lorsqu’il s’agit d’amour. Il sait bien qu’elle veut juste l’aider mais il n’est pas un homme facile à faire parler.

À l'époque où elle était toujours en Irlande, Cleo sortait beaucoup plus que durant son année passée à Bowen. Là-bas, elle avait des amies, le genre de filles qui aimaient la tirer hors de chez elle pour qu'elle puisse se dévergonder un peu. Elle se souvient notamment de son enterrement de vie de jeune fille, vêtue d'une robe courte et d'un voile de mariée, une bouteille à la main et sa voix en parfaite unisson avec les chansons qui passaient dans le bar. Oui, une fois que Cleo était de sortie, elle savait comment s'amuser. Mais depuis son déménagement, c'est comme si elle en était devenue incapable. Enfin, il n'y a plus personne pour la forcer à se lever du canapé, et elle a fini par trop prendre goût à ses séries et films à tel point que si elle ne sort pas, c'est surtout par flemme. Pour ce qui est d'Emrys, Cleo sait dans les grandes lignes la raison de pourquoi il a en lui cette tristesse qui brise le coeur de la jeune femme. Elle sait qu'il va mieux, cependant elle voudrait l'aider dans son ascension vers le monde réel, quitte à devoir sortir de son confort elle aussi. Elle ne sait pas à quoi elle pense quand elle lui demande si il voit quelqu'un, mais la question a déjà franchi le seuil de ses lèvres avant qu'elle ne puisse s'en rendre compte. Heureusement, Emrys se contente d'un rictus au lieu d'être vexé, ou pire. Soulagée, elle sourit à son tour. Évidemment, il lui retourne la question, et Cleo a toujours été bien plus bavarde que lui quand il s'agit d'étaler sa vie privée. « Disons qu'après avoir plaqué mon mariage, je ne me sentais pas vraiment d'humeur à chercher après quelqu'un d'autre. Je crois que ça me fait du bien d'être seule avec moi-même, de prendre soin de moi. » Elle sourit, les yeux baissés vers son verre, avant de les relever vers son ami. « Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais... tu ne t'es jamais dit que fréquenter à nouveau quelqu'un pourrait être super bénéfique ? Une nouvelle page, une nouvelle histoire, un nouveau souffle ! » ajoute-t-elle avec les yeux brillants.

Emrys a de la chance que la plupart des gens qu’il fréquente ou rencontre soit beaucoup plus bavards que lui, sinon les conversations seraient bien triste. Il ne parle pas beaucoup, reste très enfermé sur lui même et a du mal à parler de sa vie privée. Autant dire que ce n’est pas un mauvais ami mais qu’il faut être assez déterminé pour qu’il dise quelque chose et qu’il parle un peu plus que pour dire deux mots. Heureusement il peut compter sur des gens comme Cleo qui sont là même s’il n’est pas facile à vivre et qui font de leur mieux pour qu’il sorte de sa spirale de tristesse. Il est le genre d’ami agaçant, toujours à faire la gueule et à plomber l’ambiance. Le genre que l’on a pas envie d’inviter à une fête car il va plomber l’ambiance en deux minutes en restant dans son coin et en ne disant rien. A l’époque il était beaucoup moins morose et énervant qu’aujourd’hui, il sortait avec ses amis, riait, faisait la fête, profitait de la vie comme tout bon trentenaire.
Le jeune homme écoute ce que son amie a à dire sur sa vie amoureuse, elle ne recherche personne et préfère être seule. Chose qu’il peut comprendre, s’enfuir de son propre mariage ne doit pas être la chose la plus joyeuse du monde. « Je pense que tu trouveras quelqu’un le moment venu. » comme s’il était la personne la mieux placée pour donner des conseils amoureux. Elle revient ensuite à lui. Est-ce vraiment une bonne idée qu’il rencontre quelqu’un d’autre ? « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je n’ai jamais eu personne d’autre donc soit je ne serai pas amoureux soit trop et je ne pourrais pas supporter une nouvelle perte. » Il serait beaucoup trop attaché et aurait trop peur de perdre à nouveau quelqu’un, qu’on le quitte. Il deviendrait sans doute possessif et se ferait probablement plus de mal en étant en couple qu’il ne s’en fait maintenant. Et au moins maintenant à part lui il ne fait souffrir personne alors que s’il est en couple, il fera souffrir la femme avec qui il sera.

Ça a fini par devenir habituel que Cleo remplisse les blancs laissés par Emrys. Même si elle n'a pas vraiment de problème à parler sur plusieurs minutes quitte à faire un monologue qu'elle seule écoute, elle a de la peine de le voir dans cet état. Le pauvre semble à bout, sans cesse fatigué, comme si rien que le fait d'être en vie l'épuisait. Elle, elle le voudrait le voir sourire. L'entendre rire, et voir des rides se former aux coins de ses yeux plutôt que ce même air malheureux qu'il aborde même lorsqu'il essaie de montrer que tout va bien. Elle hausse les épaules en réponse à ses paroles, même si elle sait qu'il a raison et qu'elle ne devrait pas s'inquiéter que toujours personne ne se soit intéressé à elle depuis qu'elle est arrivée ici. Après tout, ça ne fait qu'un an qu'elle à nouveau sur le marché. « Si quelqu'un arrive à me supporter, » ajoute-t-elle avec un petit rire. Car Cleo, elle a sa bonne humeur, mais elle a aussi ses phases sombres, de colère, tristesse, ses pétages de plomb qui peuvent la rendre insupportable. Elle lève à nouveau les yeux vers Emrys et l'écoute lui répondre, le coeur serré. « Ne dis pas ça, » souffle-t-elle avant de venir poser sa main sur son avant-bras. Un sourire réconfortant vient étirer ses lèvres. « Il faut savoir affronter ses peurs si on veut pouvoir être heureux à nouveau. Emrys, ce n'est pas en restant coincé dans le passé que tu arriveras à aller de l'avant. » Cleo retire sa main. « Je sais que c'est difficile, j'ai déjà perdu quelqu'un qui m'était très cher moi aussi. » Elle sent sa gorge se serrer en repensant à son frère, mais son visage reste souriant et ses yeux brillants. « Mais toi aussi, tu retrouveras quelqu'un en temps voulu. Regarde-toi, encore jeune et bel homme ! » Son sourire s'agrandit et elle porte son verre jusqu'à ses lèvres pour en boire une gorgée.

Tous les deux ont des difficultés avec l’amour, pour diverses raisons mais ils en sont au même point : retrouver foi en l’amour et être heureux à nouveau. Lorsqu’Emrys lui dit qu’elle trouvera quelqu’un le moment venu, la demoiselle lui répond qu’il faudrait que cette personne arrive à la supporter. « Tu n’es absolument pas difficile à supporter Cleo. » dit-il simplement en la regardant dans les yeux. Rien que le fait qu’elle soit amie avec lui et qu’elle le supporte lui, montre qu’elle est loin d’être insupportable. Il le trouve douce et chaleureuse mais aussi persévérante et combative pour réussir à ne pas avoir jeté l’éponge de lui faire retrouver l’amour.
C’était à son tour de le rassurer à présent. Il doute beaucoup sur ses capacités à retrouver l’amour. Après une période très sombre, il sort petit à petit la tête de l’eau mais il est bien loin de se jeter corps et âme dans une relation amoureuse qui pourrait aussi bien le détruire lui que la personne avec qui il est. Il préfère se faire du mal à lui plutôt qu’à quelqu’un d’autre. Il sait ce que c’est la souffrance de perdre quelqu’un qu’on aime alors il préfère se l’infliger à lui plutôt que de détruire une autre personne. La jeune femme pose sa main sur son avant bras pour le rassurer ce qui fait esquisser un sourire au jeune homme.
Emrys n’aime pas changer ses habitudes même s’il a peur de la routine (il est un peu paradoxal parfois). Il a réussit à traverser la terre pour venir s’installer en Australie mais à présent il a ses habitudes, sa tristesse, il s’est enfermé dedans. Et quelque part s’il aimerait être heureux, cette stabilité dans la solitude le complaît. Mais Cleo a raison il faut affronter ses peurs, même si chaque personne qu’on s’autorise à aimer est quelqu’un qu’on prend le risque de perdre et il est bien placé pour le savoir. Elle arrive à faire naître en lui l’espoir d’une vie meilleure et rien que pour ça il pourrait la remercier. « Tu sais j’ai déjà trente-cinq ans et dans ma tête au moins soixante-dix donc je ne suis pas sûr que quelqu’un veuille d’un vieux comme moi. » dit-il sérieusement en la regardant. Oui, il se lamentera toujours sur son existence. « Je ne sais pas comment on fait, pour draguer. » Tout a toujours été simple pour lui de ce côté là. Une femme rencontrée alors qu’ils n’étaient que des enfants, pas de drague, juste des bonbons échangés de temps en temps.

Cleo préfère ne pas se lancer dans ce débat avec Emrys concernant son coté insupportable, alors elle se contente de lui sourire sans répondre. Son regard passe de celui de son ami à la table dans un geste maladroit. Depuis des années déjà, Cleo ne s'est jamais sentie aussi heureuse et confiante qu'elle a pu l'être lors de son adolescence. Elle n'a jamais su si la perte de son jumeau était l'élément déclencheur ou si ce n'était rien d'autre qu'une accumulation de plusieurs petits événements, mais un vide avait fini par se créer en elle et elle n'avait jamais trouvé comment le combler. Elle a toujours fait bonne figure devant les autres comme elle l'a fait pendant des années avec son fiancé avant de tout abandonner. Son mariage, ses amis, ses familles, tout un monde qui lui a semblé devenir superficiel après la mort de son frère. Et pourtant, elle qui pensait qu'emménager à Bowen lui ferait l'effet d'une page qui se tourne, il s'est avéré qu'elle a rapidement fini par sentir le poids de sa nouvelle solitude. Il n'y a plus eu personne pour lui souhaiter bonne nuit, pour poser une couverture sur elle quand elle s'endormait devant la télé, ou pour lui préparer son irish coffee après une intense journée de boulot. Elle n'a à présent qu'Eleven, son border collie qui lui tient compagnie à pratiquement chaque instant de sa monotone existence. La remarque d'Emrys la fait rire impulsivement même si elle ne le devrait peut-être pas. Elle sait que c'est ainsi qu'il se voit tout comme elle se perçoit comme une fille sans intérêt, mais le fait qu'il se compare déjà à un vieil homme lui tire ce sourire amusé qu'elle n'arrive pas à cacher. « Hey, je te signale que moi je veux bien de toi, sinon je ne serais pas assise face à toi actuellement. » Un fin sourire vient étirer ses lèvres alors que son regard se plante dans celui d'Emrys. La suite de ses paroles la fait s'appuyer contre le dos de sa chaise avec un air plus sérieux. « Je vois, » souffle-t-elle en se frottant le menton tel un mentor d'arts martiaux. « T'as qu'à t'entraîner sur moi, » s'exclame-t-elle ensuite avec un nouveau sourire. « Je te fais la promesse de ne pas me moquer. »

Emrys pense que jamais il ne sera heureux à nouveau, que jamais une femme ne voudra réellement de lui et que lui ne voudra jamais réellement d’une femme. C’est comme un cercle vicieux dont il essaie de s’extraire pour mieux retomber dedans ensuite. De plus il a l’impression que maintenant les relations amoureuses ne se passent plus de la même manière. Lui est un adepte de la vieille école, lettres d’amour, dîner aux chandelles. Il est bien loin de tinder et des speed dating. Pour lui l’amour doit arriver sans qu’on le force. Chercher l’amour est le meilleur moyen de ne pas le trouver.
Cleo lui annonce qu’elle, elle veut bien de lui mais c’est différent, ils sont amis, elle veut bien de lui en temps qu’ami. Vouloir de lui pur passer le restant de ses jours avec est bien différent. Elle lui propose, presque naturellement qu’il la drague pour qu’elle puisse le conseiller. Il accepte en hochant simplement de la tête. Il ne sait pas pourquoi, il stresse un peu. Emrys redevient le petit garçon timide dans la cour de l’école juste avant d’aller parler à Liz pour lui dire qu’il la trouve très gentille et qu’il aimerait bien jouer avec elle. Puis un peu plus tard dans la journée lui faire passer un petit mot pour lui demander si elle veut bien être sa copine. Là bien sûr il ne peut pas faire ça, ça serait trop simple. Si seulement Liz était encore là, il n’aurait pas à faire tout ça, il serait heureux. Il souffle un grand coup avant de déclarer, peu sûr de lui « Bonjour mademoiselle je vous trouve ravissante. Comme disait Victor Hugo : un parfum si doux le frappa tout à coup qu’il releva les yeux. Une femme divine passait. » dit-il avant de faire une grimace tellement il se sentait ridicule. Qui cite des poèmes pour draguer quelqu’un ? C’est devenu ringard de faire ça maintenant.

Au final, être fiancée était bien plus simple qu'être célibataire. Il n'y avait pas d’ambiguïtés, pas de silences gênants, pas de maladresse de la part de l'un ou de l'autre. Cleo savait que son fiancé l'aimait mais elle, l'aimait-elle ? Si la réponse était oui, elle ne se serait certainement pas enfuie le jour de leur mariage. Tout était si parfait pourtant, une relation sur mesure entre un homme de bonne famille et une femme poussée au mariage par ses parents. Si parfait que ça avait fini par en devenir étouffant. Aujourd'hui, tout est à refaire. Bon retour aux mots placés de travers, aux gestes maladroits qui la caractérisent si bien, aux jeux de séduction dans lesquels elle n'a jamais été très douée. Pourtant la voilà, face à Emrys, occupée à lui proposer de s'entraîner sur elle. Comment saura-t-elle si ce qu'il fait est bien ou non ? Qu'est-ce qu'elle en saura, elle ? Curieuse malgré tout, Cleo croise ses jambes sous la table et appuie les plats de ses mains contre le bois. Elle sourit à Emrys pour l'encourager, ses yeux plongés dans ceux de son ami. Quand il ouvre la bouche pour prononcer quelques mots, elle se met à sourire automatiquement. C'est différent de ce qu'elle a pu entendre de la part d'autres hommes, même de ce qu'elle a pu voir à la télé. Ça correspond assez bien à Emrys au final, lui qui a toujours été si unique. « Waw, » souffle-t-elle dans un premier temps avant d'appuyer sa joue contre sa paume, accoudée sur la table. Elle le regarde d'un air rêveur, oubliant qu'ils sont en pleine réalité et non dans un téléfilm romantique qu'elle admirerait de l'autre coté d'un écran. Rapidement, Cleo se redresse et cligne des paupières pour se ressaisir. « Enfin, waw pour moi, tu sais que j'aime bien les références aux grands auteurs. Quoi que, je ne sais même pas si je te l'ai déjà dit. Enfin bref ! » Encore une fois, elle parle trop et s'emmêle dans ses propres mots. « C'est bien, mais je pense que la citation de Victor Hugo c'est peut-être un peu trop pour une première phrase. Tu risques de faire fuir les moins cultivées. » Un sourire innocent, plus timide, vient cette fois étirer ses lèvres.

Emrys se sent tellement ridicule à devoir draguer Cleo qui est son amie et qu’il connaît. Il se sent encore plus ridicule lorsqu’il se rend compte qu’il vient de parler comme un homme du dix-huitième siècle et que Cleo a raison, il va faire fuir les femmes s’il les aborde comme ça. En tout cas, à titre personnel, la jeune femme a eu l’air d’aimer. Elle lui confie au passage qu’elle aime les références d’auteurs classiques, chose qu’il ignorait totalement. « Au moins ça aurait plu à quelqu’un. » Au final il se rend compte qu’il ne la connaît pas temps que ça et que même si elle est plus bavarde que lui, il y a énormément de choses qu’il ignore à son sujet.
Lui ne pense pas faire fuir seulement les moins cultivées avec ses phrases de dragueur en herbe mais toutes les femmes ! Après il ne pourrait pas être en couple avec une femme inculte, il a besoin d’avoir des débats, de parler des livres qu’il lit, d’histoire et de toutes les choses qu’il aime. Ce sont les seuls sujets où il peut réellement être bavard. Il a envie de rencontrer une femme avec qui il peut parler de son amour pour Tolstoï toute une nuit, d’une femme qui le connaisse par cœur et qu’il connaîtrait par cœur. Il ne veut pas prendre la première femme venue pour combler un vide. Il veut rencontrer sa nouvelle âme sœur, la femme qui lui manquera quand elle ne sera pas là, celle à qui il pensera en s’endormant le soir. Celle qui saura le comprendre, l’apprécier même quand il est grincheux et faire avec ses manières de la vieille école. « Je pense faire fuir tout le monde. » dit-il avant de poser sa tête sur ses avant bras comme un enfant qui n’arrive pas à résoudre un problème. « Je crois qu’il faut que ça se fasse sans qu’il y ait de drague, juste naturellement. » Le courant passe ou non, la discussion est sympa ou non pas besoin forcément d’aller aborder quelqu’un avec une phrase toute faite pour qu’elle tombe sous le charme en un clin d’œil. « Parle-moi de toi Cleo. » dit-il en la regardant dans les yeux. La phrase qu’elle lui a dit l’a intrigué et même s’il n’est pas curieux il a envie de la connaître un peu plus.

Sans le regarder, Cleo hausse simplement les épaules avec un sourire accroché aux lèvres. Elle se sent stupide, elle aimerait retourner en arrière et se contenter d'un bête hochement de tête. Il y a certainement beaucoup de choses qu'Emrys ne connait pas sur elle car au fond, il y a une face de sa personnalité qu'elle ne révèle qu'aux personnes avec qui elle est très, très proche. Son coté romantique par exemple, son amour pour les beaux textes, poésies et autres œuvres, pour l'amour déchirant d'un poète à la vie tourmentée. Elle ne répond pas, préférant laisser ses doigts jouer avec un sous-verre qui se trouve devant elle à la place. Elle le fait tourner en équilibre sur un de ses coins, s'imagine à quoi la scène aurait ressemblée si c'était elle qui avait du essayer de le draguer. Contrairement à Emrys, elle aurait été une vraie gourde. Maladroite, en gestes comme en paroles, elle aurait été capable de renverser le verre d'un passant sur ses vêtements. Elle aurait rougi, comme souvent, et aurait fini par se cacher derrière ses mains en espérant pouvoir se réveiller. La remarque d'Emrys la tire de ses pensées et, dans un geste vif, elle se redresse et plante son regard dans le sien. « Ça, c'est totalement faux. » Elle n'a pas de preuve là sous la main, mais Cleo est certaine que si il leur laissait une chance, beaucoup de femmes pourraient s'intéresser à lui. Après tout, derrière ses traits tristes, Emrys reste un bel homme. Cultivé, en plus. « T'as raison, j'ai voulu me la jouer coach sentimental mais tout ce qu'on a appris, c'est que je crains un peu pour ce rôle. » Elle rit doucement et le regarde agir comme un enfant, la tête posée sur ses bras croisés. En même temps, Cleo est certainement la personne la moins bien placée pour conseiller quelqu'un. Elle ne peut pas représenter la gente féminine en général, elle est trop différente sur certains points et n'a même pas les mêmes goûts que beaucoup d'autres. Elle n'aime pas les hommes musclés, trop confiants, les chevaliers. Elle les préfère décalés, uniques, différents des clichés. La question posée par Emrys l'étonne et lui fait hausser les sourcils. « De moi ? » répète-t-elle, même si elle est certaine d'avoir bien compris. « Hum, ça dépend de ce que tu veux savoir. Je pense que tu connais la base, comme le fait que je vienne d'Irlande et que j'organise des mariages. Après, je ne sais pas trop où tu veux que je commence. » Elle passe une main dans ses cheveux et finit par appuyer sa tête contre le plat de sa main.

D’accord, peut-être que tout le monde n’aurait pas fuit en l’entendant parlé. Une femme serait peut-être tombée instantanément sous son charme, si bien qu’elle ne l’aurait même pas écouté parler tant elle aurait été perdue dans ses yeux. Cependant les probabilités qu’un tel événement arrive sont très minces, encore plus que la possibilité qu’en réalité sa femme ne soit pas morte il y a trois ans mais enlevée par des extra-terrestres. Heureusement il a pour lui le fait de ne pas avoir un physique disgracieux et une voix plutôt agréable à entendre. Après, certes il est cultivé mais pas bavard pour un sou et surtout déprimant au possible.  Depuis qu’il a arrêté de boire il est moins à l’ouest mais c’est pas pour autant qu’il va passer sa vie à sourire, à cueillir des fleurs dans les champs et à chanter Happy Together des Turtles. En réponse à Cleo, il fait un mou qui veut dire : mouais, pas franchement convaincu de son potentiel de séduction.
Si Emrys est vraiment un cake aux fruits pour séduire quelqu’un, il ne pense pas que ce soit vraiment le cas de la jeune femme. Il ne peut pas dire qu’elle ait été de mauvais conseil, c’est plutôt lui qui a été un mauvais élève. Il faut dire qu’avec lui, on part de loin et qu’il y en a du boulot avant qu’il devienne un Don Juan. « On peut pas dire que je t’ai beaucoup aidé. » Ce qu’on a appris c’est qu’il est incapable d’aborder une femme avec pour objectif de la draguer sans sortir quelque chose de totalement ridicule, tout droit sorti d’un gif à paillettes sur un blog.
D’habitude le jeune homme ne se montre pas si curieux mais là, il se rend compte qu’il ne connaît pas tant que ça Cleo, ses goûts, ce qui lui plaît et si ça se trouve ils ont bien plus de choses en commun qu’ils ne peuvent l’imaginer. Elle semble surprise par sa question et lui demande ce qu’il souhaite savoir. Après tout il y a toujours énormément à dire sur une personne. « Ce que tu aimes Cleo, ce que tu aimes faire lorsque tu es seule, ce que tu cherches dans la vie. Je sais que ça peut avoir l’air ridicule comme questions mais j’ai envie de te connaître un peu plus. » Qui se cache derrière cette petite irlandaise qui veut lui faire retrouver l’amour et le rendre ? C’est ça qu’il se demande.

Au moins, on ne peut pas dire qu'ils n'ont pas essayé. C'est un terrain qu'ils ne semblent pas maîtriser, ni l'un ni l'autre. Cleo a vu tant d'hommes draguer tant de femmes, tant de femmes leur répondre par des battements de cils, des sourires charmeurs, et autres détails qui les font craquer. Il suffit de voir Eilynn, cette bombe blonde qui les fait tous tomber comme des mouches. Cleo, en comparaison, elle n'est que l'amie maladroite, pas sexy, juste quelques fois attachante et des fois mignonne, comme on qualifierait un chaton qui joue avec une boule en papier. Elle n'a aucun conseil à donner au final, rien qui pourrait le guider vers un amour certain et qui durera. Et puis, au final, Emrys a raison. Il suffit de voir au feeling, pas besoin de faire du charme à une femme qui tombera amoureuse de lui au premier coup d’œil. Quand il lui demande de parler d'elle, Cleo ne sait pas quoi lui répondre. C'est une question à laquelle elle ne s'attendait pas, qui la prend un peu par surprise mais qui réussit à lui tirer un sourire. Elle l'écoute attentivement, ses doigts entre-mêlés entre eux devant elle. « Tu as du temps devant toi ? » lui demande-t-elle avec un léger rire avant d'inspirer profondément, cherchant par où commencer. « Alors, hum. J'aime beaucoup l'art, les peintures, la musique, je pense être le genre de personne facilement et impressionnable capable d'avoir le souffle coupé devant une oeuvre. J'adore les comédies musicales aussi, j'étais un peu la star de mon lycée grâce à ça. » Nouveau rire avant qu'elle ne reprenne. « Sinon, j'aime beaucoup me balader. Découvrir de nouveaux endroits, des paysages que je n'avais jamais vus. Regarder les gens passer, parler entre eux, être heureux. Ça m'aide quand j'ai pas trop le moral. » Elle sourit pensivement. Quant-à sa dernière question, Cleo ne sait pas quoi lui dire. Elle a beau réfléchir, aucun mot ne lui vient. « Par contre, je ne sais pas vraiment ce que je cherche dans la vie. Quelque chose de stable je suppose, comme tout le monde. Je pense que la vie est trop imprévisible que pour savoir ce qu'on veut vraiment. » Elle croise à nouveau le regard d'Emrys, incertaine de si elle lui a fourni ou non les réponses qu'il attendait.