Le travail c'est la santé [Lenning]

Après s’être remise de son accouchement, Aisling avait réussi à décrocher un boulot en tant que secrétaire chez un notaire, Lennox Nowakowski. Elle faisait vraiment de son mieux pour qu’il n’ait rien à lui reprocher. Après tout, elle n’avait que son expérience de son précédent emploi chez Kol et la lettre de recommandation qu’il lui avait faite. Autant dire qu’il pouvait sans doute trouver à la pelle des candidates bien mieux qualifiées qu’elle pour ce poste. Sans doute plus chères aussi, mais elle n’était pas sûre que ce soit la meilleure des motivations pour choisir quelqu’un. Après tout si elle se trompait dans un dossier ça aurait sans doute de lourdes conséquences.
Aujourd’hui, elle faisait du tri dans les dossiers et différents papiers de Lennox pendant qu’il travaillait à côté. Elle n’avait au moins pas à se plaindre du bruit. En fait, ce serait plutôt l’inverse. Ces heures ici étaient peuplées d’un peu trop de silence. Lennox ne parlait pas beaucoup et elle n’osait pas trop le déranger, poser des questions stupides ou paraître envahissante. Elle ne faisait pas profil bas devant beaucoup de monde mais son patron c’était quand même autre chose.
Pendant son tri, elle trouva une note de restaurant. Elle la regarda quelques minutes, perplexe, ne comprenant pas ce qu’elle venait faire là. La facture semblait être pour deux. Elle pensa d’abord à un rendez-vous d’affaires, ce qui aurait expliqué qu’elle se retrouve dans ce qu’elle devait trier, mais elle ne se souvenait pas avoir planifié de rendez-vous dans son agenda. Cette fois, elle avait un peu trop peur de faire une erreur pour ne pas aller le déranger. Elle vint alors doucement toquer à la porte de son bureau.

-Monsieur ?

Depuis sa tentative de suicide de l’année dernière, Lennox avait eu bien du mal à se trouver une nouvelle secrétaire. S’il avait la chance d’en trouver une qui acceptait de travailler pour un homme ayant déjà tenté de s’enlever la vie dans le bureau-même où ils travailleraient ensemble, ce n’était que parce qu’elle n’en avait pas encore eu vent. Et ça ne tardait jamais à arriver. Tôt ou tard. Bowen était une petite ville, en fait, et Lennox avait beau tenter de garder sa vie la plus privée possible, tout finissait par se savoir. Surtout ce genre de nouvelles choquantes, percutantes, attristantes. Les gens raffolaient du malheur des autres, il fallait croire. Cette fois, Lennox avait réussi à engager une secrétaire qui semblait, pour le moment, n’en avait rien à foutre de ce qu’elle pouvait entendre, ou alors elle était assez isolée du monde pour ne pas avoir appris qu’elle travaillait pour un dépressif, un suicidaire. Aisling. Elle lui convenait parfaitement, parce qu’elle faisait son travail du mieux qu’elle le pouvait, réussissait, mais surtout parce qu’elle n’était pas du tout envahissante comme d’autres avaient pu l’être. De nature timide, Lennox n’était pas le plus chaleureux des patrons, et ça avait souvent pu créer quelques malentendus, quelques froids, avec ses anciennes employées. Pour le moment, ça ne semblait pas affecter Aisling plus que ça. À la limite, elle n’avait peut-être pas remarqué qu’il était comme un animal sauvage, échangeant de rapides salutations et de brèves instructions, avant de s’enfermer dans son bureau. Elle était toute aussi silencieuse que lui. Un environnement de travail lourd aux yeux de certains, mais confortable pour Lennox. Le silence fut toutefois doucement brisé quand Aisling toqua à la porte. Lennox releva la tête vers sa porte qui n’était pas complètement fermée, comme à chaque fois qu’il n’avait pas de client à l’intérieur. « Oui ? » Demanda-t-il en relevant les épaules et déposant son crayon devant lui. « Tu peux entrer. » Dit-il.

La réponse de Lennox fut rapide, au moins il n'était pas entrain de dormir. Vu le silence qui régnait dans ce bâtiment, ça aurait pu totalement être le cas. Et Aisling ne l'aurait pas jugé pour autant.

-J'ai une question à vous poser.

Après avoir eu la confirmation qu'elle pouvait entrer, elle poussa la porte déjà entrouverte pour s'introduire à l'intérieur. Elle lui tendit la note du restaurant en essayant de rester le plus impassible possible alors que pourtant elle bouillonnait déjà de curiosité.

-J'ai trouvé ça dans vos papiers professionnels, est-ce que c'était un repas d'affaire ? Parce que je n'avais pas noté ça dans votre emploi du temps...

Elle se mordit l'intérieur de la joue, ayant soudain l'impression de marcher sur des œufs. Ce qu'elle ne savait absolument pas faire, elle était plutôt une grosse bourrine dans la vie de tous les jours.

-Mais peut-être que c'était un rendez-vous dont je n'étais pas au courant.

La grande blonde rentra dans le bureau de Lennox et lui tendit directement une note de restaurant, après avoir mentionné qu’elle avait une question à lui poser. « Qu’est-ce que c’est ? » Demanda Lennox en attrapant le petit bout de papier et en consultant le montant et le nom du restaurant. Elle n’aurait même pas eu à aller plus loin dans ses explications, en fait, parce qu’il savait pertinemment que ce restaurant était celui dans lequel il avait emmené Andreas, la semaine dernière, sur l’heure du dîner, alors qu’il avait annoncé à la dernière minute à Aisling qu’il avait un rendez-vous sur l’heure du lunch, avec un client important. Il fixa la facture un moment, avant de finalement relever les yeux vers sa secrétaire alors qu’elle venait de dire qu’elle n’avait pas noté ce rendez-vous dans son emploi du temps. « Euh, non, c’est euh … c’est … c’est tout à fait normal que … que ça figure nulle part c’était … » Il se gratta la nuque. Lennox n’avait jamais été très bon menteur, tout se lisait dans son regard, allant de la confusion, à la tristesse, à la honte. Il ne voulait pas croire qu’il avait présentement honte de ce repas avec Andreas, parce que c’était un sentiment horrible à éprouver, mais il avait surtout honte de lui-même. Il en perdait tout son contrôle. « Tu te souviens du rendez-vous urgent de la semaine dernière ? Oui, je crois bien que c’était ça. » Mais sa main tremblait alors qu’il rendait la note à Aisling. « Mais ne la rentre pas dans les dépenses du cabinet, on va dire que c’était sur mon bras. » Ce qui n’arrivait jamais, ce qui ne faisait aucun sens. L’un comme l’autre le savait.

La scène aurait presque été cocasse. Alors qu’Aisling était entrée dans le bureau pour savoir ce qu’il en retournait de ce bout de papier c’était lui qui lui demandait ce que c’était, un comble. Elle le regarda rester silencieux plusieurs instants devant ce bout de papier. Etait-il entrain de fouiller dans sa mémoire de quel repas il s’agissait ou essayait-il d’inventer un mensonge ? Vu la difficulté qu’il avait à dire ce que c’était, alors qu’il semblait avoir enfin trouvé, elle aurait plutôt penché pour le mensonge. Elle arqua un sourcil alors qu’il lui disait que c’était normal que ça ne figure nulle part.

-Ah oui je m’en souviens, vous êtes parti si vite que je ne l’ai pas noté.

Maintenant ça lui revenait, il s’était sauvé comme un voleur, ou presque, à la fin de la journée. Elle reprit alors la note de restaurant, prête à la remettre avec les papiers professionnels quand il lui dit que ça ne comptait pas dans les dépenses du cabinet. Elle déposa alors tout ce qu’elle avait dans ses bras sur le bureau avant de le fixer, un léger sourire en coin sur les lèvres.

-C’était un rendez-vous urgent mais ça ne rentre pas dans les frais du cabinet ? Qu’est-ce que vous me cachez ? Vous aviez rendez-vous avec quelqu’un pour un entretien pour vous trouver une nouvelle secrétaire ?

En réalité elle ne pensait pas que c’était ça, mais elle tentait de donner un peu de légitimité à sa curiosité. Elle pensait plutôt à un rendez-vous personnel, voire même galant et elle aurait bien aimé lui tirer les vers du nez, sans qu’il la mette à la porte.

Lennox avait encore la main tremblante, tendue vers sa secrétaire, le bout de papier s’agitant doucement au bout de ses doigts, le temps qu’elle le reprenne. Le regard qu’elle posait sur lui n’aidait en rien à le calmer, et ce même s’il pensait avoir trouvé le mensonge pour s’en sortir. Il était loin de se douter que le silence de la grande blonde cachait une personnalité qui savait s’acharner. Il préférait largement lorsqu’ils étaient silencieux. Il préférait largement quand il ne se trompait pas dans son rangement de paperasse, aussi. Cette facture n’aurait jamais dû se retrouver parmi ses notes d’affaires. Aisling n’aurait jamais dû avoir à se poser cette question, et lui d’y répondre. « Oui, c’est ça. Alors c’est de ma faute, ce n’est pas grave. » Il esquissa un faible sourire, comme à son habitude, lui qui n’arrivait que très rarement à illuminer son visage d’une telle façon. Elle devait déjà avoir l’habitude, pour ça. Mais pas pour le reste de son attitude complètement incohérente. Au lieu de se taire, Lennox avait demandé à ce qu’elle ne comptabilise pas cette dépense dans celles du cabinet. Alors que le cabinet aurait très bien pu se le permettre. Après tout, le cabinet, c’était lui. Leurs personnalités juridiques étaient peut-être distinctes, mais pour une note d’une quarantaine de dollars, qu’est-ce qu’on s’en foutait, putain. Aisling déposa ses dossiers sur le bureau de Lennox et le fixa avec une lueur dans le regard et un sourire en coin qui ne présageaient rien de bon. Il rit nerveusement face à son hypothèse. « Mais non, voyons, qu’est-ce que tu vas t’imaginer. Tu fais très bien ton boulot. » Ses doigts ne cessaient de jouer avec le crayon auparavant déposé devant lui. « T’as raison, rentre-la dans les frais du cabinet, finalement. » Il se gratta encore une fois la nuque. Si elle pouvait lâcher le morceau, par pitié.

De sa faute, visiblement il essayait de s'en sortir comme ça. Enfin, ça aurait presque pu marcher s'il n'avait pas ajouter par la suite qu'elle ne devait pas le compter dans les frais du cabinet.
Alors qu'il lui disait qu'elle faisait bien son travail, il semblait nerveux, et Aisling ne pouvait pas s'empêcher de le regarder avec un regard inquisiteur. Il mentait, ça se voyait comme les yeux au milieu de la figure. Si ce rendez-vous n'avait vraiment rien de suspect, il n'aurait pas réagit comme ça. Elle le connaissait peu, mais assez pour savoir que s'il perdait son calme c'est que quelque chose clochait.

-Il faut vraiment que je vous apprenne à mentir parce que je vous assure que c'est assez affligeant.

Elle esquissa un sourire avant de secouer la tête. Changer d'avis sur les frais de cabinet n'arrangeait vraiment pas les choses, Lennox était assez lucide et doué en comptabilité pour savoir où est-ce que les frais devaient aller.

-Je ne sais pas ce que vous me cachez, mais vous savez, je ne vais pas vous manger. Ou vous juger, parce que je présume que c'est plutôt ça le problème.

Il était bien vrai que Lennox devait apprendre à mentir. Il n’en avait jamais été capable, sauf lorsqu’il était question de dire que tout allait bien, et qu’il parlait à des gens qui ne s’en souciaient pas assez pour lire le contraire dans ses yeux. Visiblement, Aisling ne se foutait pas de son job, du moins pas assez pour laisser passer une telle incohérence dans la gestion de l’endroit. C’était plutôt rassurant, dans un sens, mais pour ce coup-ci Lennox aurait bien aimé qu’elle laisse aller. « Parce que tu mens beaucoup, toi ? Normalement on évite de dire ça à son patron. » Honnêtement, il se fichait bien de tout ça, mais toute raison était bonne pour changer de sujet. La blonde ne mordit quand même pas à l’hameçon, du moins pas assez pour lui faire oublier le sujet principal de la conversation. Elle reprit donc à propos de ses cachotteries. « J’étais avec mon petit ami, c’est bon comme ça ? Il y a probablement eu un mix-up dans mes factures et elle s’est retrouvée là alors que c’était pas du tout un rendez-vous professionnel. » Il en rajoutait après avoir parlé de son amoureux, question que ce petit mot passe peut-être inaperçu. Pourtant, c’était con, elle n’allait pas le juger comme elle l’avait dit, et elle n’en avait sans doute rien à foutre qu’il soit en couple avec homme. Visiblement, c’était lui qui en avait trop à foutre.

Aisling esquissa un souriez à sa remarque avant de baisser les yeux quelques instants. Non, certes, ce n'était as quelque chose à dire mais c'était pourtant la vérité. Parfois Aisling mentait, mais ce n'est pas pour autant qu'elle cachait ce qu'elle était.

-Disons que pour ma survie, je cache à mes parents le fait que j'ai une fille. Alors oui, je mens.

Lennox n'était pas forcément au courant de cette histoire, il n'écoutait sans doute pas les ragots mais ça n'avait pas d'importance pour elle.

La blonde eut un large sourire quand il capitula et lui avoua qu'il était en rendez-vous avec son petit ami. Elle aimait gagner, et donc avoir des réponses à ses questions. Et cette fois elle était sûre qu'il ne mentait pas. Il avait l'air bien trop gêné pour ça.

-Oui ça me va ! Disons que ça explique des choses.

Qu'il ait quelqu'un dans sa vie, pas qu'il sorte avec un homme. Elle n'était pas du genre à penser que tous les hommes hétérosexuels devaient se jeter sur elle ou ce genre de conneries.

-C'est cool. Enfin je veux dire, je peux pas juger de la vie amoureuse de quelqu'un alors que la mienne a des allures de Titanic mais si ça vous rend heureux, c'est cool. Vous en avez besoin, je pense.

Dès qu’il entendit la réponse d’Aisling, Lennox se sentit coupable de l’avoir accusée de mentir. Parce que sa justification était triste, le mettait mal à l’aise et lui faisait comprendre qu’il était ridicule de s’en faire pour une histoire de factures alors que d’autres vivaient bien pire. Oh oui, bien pire. Pourtant, Lennox donnait l’impression que le monde entier s’écroulait sur lui, même pour la plus simple bêtise. « Je suis désolé. Je ne voulais pas insinuer quoi que ce soit, ni me mêler de ce qui ne me regarde pas. » Pas comme elle, aurait-il voulu lui faire comprendre, mais au fond à quoi cela servait ? Aussi bien tasser les sujets délicats le plus rapidement possible, et ainsi ils pourraient continuer leur relation professionnelle sans se mettre dans de telles situations à nouveau. Aisling n’était pas l’ennemi, elle était son employée, et derrière son regard sérieux elle ne semblait pas vraiment méchante. Juste distante, fermée. Comme lui. Finalement, à bout de force devant l’insistance de sa secrétaire, Lennox lâcha le morceau et avoua la vérité derrière cette histoire de restaurant dernière-minute. Andreas, son petit ami, était le client mystère – et donc pas du tout un client. « Des choses ? À part la facture, ça explique quoi d’autre ? » Demanda Lennox, curieux de cette façon de parler. Avait-il le mot homosexuel tatoué dans le visage, en néons, et il l’ignorait ? Aisling lui affirma que c’était cool qu’il ait quelqu’un dans sa vie, qui le rende heureux. « Qu’est-ce qui te fait dire que j’en ai besoin ? » Et pourquoi était-il autant sur la défensive face à tout ce que la jeune femme lui disait ? Ce n’était pas inhabituel qu’on arrive aussi facilement à déceler la solitude et la tristesse de Lennox. Il était constamment déprimé, silencieux, las. Aisling comme n’importe qui d’autre aurait pu deviner qu’un peu d’amour le soulagerait de quelques blessures. Pourtant, il espérait tellement arriver à s’en sortir, à montrer un peu de la lumière qu’Andreas lui apportait, qu’il se vexait maintenant quand on lui rappelait à quel point il nageait encore dans l’obscurité.

Aisling esquissa un léger sourire avant de hausser les épaules aux paroles de son patron.

-Ca n'a pas d'importance. Mais si ça vous intéresse, je n'ai pas menti sur mon CV, enfin vu le peu de contenu qu'il a j'aurais vraiment été mauvaise menteuse.

La secrétaire n'avait en aucun moment voulu faire une gaffe mais il fallait croire que c'était ce qu'elle venait de faire, en ne choisissant pas ses mots elle avait sans doute mis ses deux pieds superbement dans le plan. Mais, même si Lennox était son patron, elle se laissait rarement démonter. Et elle s'excusait rarement, aussi, ce qui était sans doute un défaut.

-C'est juste qu'en ce moment vous semblez assez... bien. Ou quelque chose qui s'en rapproche.

Lennox était loin d'être un homme démonstratif, surtout pas avec son employée mais de ce qu'elle avait entendue, elle se serait attendue à bien pire. Et puis, il avait, dans de très rares moments, des sourires qui ne trompaient pas. Aisling ne l'aurait jamais qualifié de dépressif depuis qu'elle travaillait pour lui. Il était quelqu'un d'austère et de réserver, sans doute, mais il ne semblait pas échafauder un plan pour se suicider en permanence.

-Vous savez, les gens parlent. Que vous ayez essayé de vous suicider, sincèrement, je m'en fiche, ça me regarde pas mais si c'est le cas une personne que l'on aime ne fait pas de mal pour remonter la pente.

La blonde secoua la tête avant de lever les yeux vers la fenêtre du bureau de son patron.

-Vous savez, je dois être la personne la plus mal placée de ce monde pour parler de bonheur. Mais, de ce que j'en vois chez les autres, ça a l'air bien. Je pense qu'il faut juste accepter que l'on puisse l'être.

Lennox hocha la tête, quand même ravi d’apprendre qu’elle n’avait pas menti sur son curriculum vitae. Ça n’aurait pas changé grand-chose, au fond. Aisling faisait pour le moment du bon boulot, il n’avait rien de plus à demander alors peu importait ce qui était vrai ou pas. C’était par principe, tout simplement. Il ne répondit rien de plus, ce n’était pas sa place de commenter sur l’expérience qu’avait Aisling. Elle était jeune, c’était normal qu’elle n’ait pas énormément de contenu à présenter. La discussion continua donc jusqu’à ce que Lennox flanche et parle enfin d’Andreas en tant que son petit ami et non pas comme d’un client. La jeune femme finirait par l’apprendre un jour ou l’autre, si elle demeurait en poste assez longtemps. Après tout, Lennox planifiait bien, à un moment ou à un autre, vivre sa relation au grand jour. Aussi bien commencer à pas de tortue. Puis, Aisling ne semblait pas être du genre à aller raconter cela à n’importe qui. Elle semblait toutefois être du genre à remarquer les changements d’humeur de Lennox, et ses périodes un peu plus faciles. Actuellement, il était vrai qu’il se sentait mieux. Bien. « Quelque chose qui s’en rapproche, oui. » Il esquissa un faible sourire en hochant la tête, bien mal à l’aise déjà. Ça n’irait qu’en s’accentuant, d’autant plus que son employée ne tarda pas à relever la question de sa tentative de suicide. Il baissa les yeux, tout d’un coup bien honteux, bien mal à sa place. « Et toi, tu l’acceptes ? » Demanda Lennox en relevant finalement les yeux vers elle. Lui avait toujours eu de la difficulté à accueillir à bras ouverts le bonheur, sans doute parce qu’il savait qu’il y aurait toujours une fin, qu’il avait toujours une attrape. Dans son cas, les sourires n’étaient qu’éphémères. Et la chute serait tellement plus terrible s’il s’était autorisé à flotter ne serait-ce qu’un instant.

Aisling esquissa un sourire. Quelque chose qui s'en rapproche, il l'admettait au moins. Son faible sourire trahissait de la joie, une approbation. La blonde, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, n'avait pas envie de vomir à chaque fois que le bonheur la narguait.
Elle n'avait d'ailleurs pas eu l'intention de le mettre mal à l'aise en parlant de sa tentative de suicide. Même si, en réfléchissant un peu, c'était inévitable.
A sa question, elle se mordit l'intérieur de la joue. Néanmoins, elle n'eut pas besoin de réfléchit plus d'une minute avant de lui répondre.

-Non. Et quand j'ai voulu l'accepté, c'était trop tard.

Lennox n’aurait jamais cru penser cela un jour, mais il voyait dans le regard d’Aisling un être tout aussi brisé que lui, sinon plus, présentement. Depuis quelques mois, il était vrai que le notaire remontait tranquillement la pente. Même si de nombreux nuages plombaient encore la douce lumière d’Andreas, il y avait des percées de soleil qui arrivaient à lui réchauffer le cœur. Ce n’était pas parfait, ce n’était pas le bonheur tel qu’on le lui avait toujours présenté, mais c’était léger. Bien plus léger que les rochers qu’il avait eu l’impression de porter sur son dos pendant toute sa vie. Lennox ressentit donc énormément d’empathie à l’égard de son employée quand elle lui dit que lorsqu’elle avait finalement voulu accepter le bonheur, il était trop tard. « Tu sais, ça m’est arrivé aussi. D’vouloir ouvrir les yeux trop tard. J’ai raté ma chance un nombre incalculable de fois … Au point de perdre totalement espoir ... » Avoua-t-il, pensant notamment à Lou, se rappelant s’être laissé emporter par le tourbillon négatif qui les menaçait sans même chercher à les sauver. Tout aurait pu se passer différemment, si Lennox avait accepté qu’au-delà de l’incertitude et de la souffrance, il y avait une voie vers le bonheur. « … Mais si j’apprends quelque chose de mon actuelle relation, c’est qu’il ne faut jamais penser qu’il est trop tard. On a davantage de chances qu’on ne le pense … » Pour ça, la vie pouvait se montrer clémente. Et si Lennox le disait, ça devait être parce que c’était vrai, d’une certaine manière. Après tout, il était l’éternel pessimiste.  

La teinte du regard d'Aisling était devenu quelque peu triste. C'était le genre de conversation qu'elle avait très rarement. Elle était un peu angoissée des conversations sérieuses d'ailleurs. Mais il n'y avait pas de raisons qu'elle se retrouve à faire une crise, normalement. Elle serait bien sinon...
La blonde avait fini par reculer jusqu'à un mur, s'adossant contre, avant de lever les yeux par la fenêtre.

-Jamais trop tard hein... Pourtant je crois que j'ai grillé toutes mes cartouches d'un coup.

Elle avait réussi à faire fuir tous les hommes qui s'intéressaient à elle d'une façon assez magistrale et à son sens, irrémédiable. Elle savait bien que n'importe qui lui dirait qu'elle était jeune et qu'elle avait le temps de trouver bien des hommes à sa convenance mais elle n'avait pas l'impression que c'était en attendant dix ans qu'elle arriverait à trouver de nouveau quelqu'un avec qui elle se sentait aussi bien. Mais comme le dirait sans doute Isaiah, elle dramatisait.

-Je ne suis pas très douée pour tisser des liens, enfin, des liens positifs j'veux dire.