(Krismilla) je rêve d'une histoire sans fin.

Je m’étais réfugiée chez Mercy depuis quelques jours. Depuis que je savais que j’étais enceinte à vrai dire. Je n’avais pas revu Kris depuis notre retour d’Adélaïde et ça serait un euphémisme de dire que je l’évitai. Tandis que j’étais de nouveau penchée sur la cuvette et que ma sœur me tenait les cheveux, je réfléchissais à quoi faire. « Tu dois lui dire. » Je sais. Je sais. Mais comment ? Il devait croire que je voulais rompre avec lui. Alors qu’il en était tout autre. J’étais enceinte. Une grossesse risquée. Je me souvenais de notre première conversation. Du fait que je lui avais demandé de me faire un enfant. Well done. Je me redresse pour me poser à côté. Inutile que je me regarde dans le miroir pour savoir que j’avais le teint livide. Je me redresse avec l’aide de ma sœur pour me laver la bouche. Le goût acide, c’est désagréable. Puis j’attrape mon téléphone pour lui envoyer un sms. « Il faut qu’on parle. » Que dire de plus et comment résumer ? Je repose le cellulaire avant d’éponger mon visage. Je coiffe mes longs cheveux roux en natte avant d’aller me changer. J’opte pour une tenue sobre. Une robe parce que les pantalons me faisaient mal au ventre. Puis, j’attrape mon sac avant de fixer le lieu de rendez-vous. Je trouve un petit café dans une rue commerçante du centre. J’entre et m’installe à une banquette avant de sortir le dossier médical. Je me munie de mes lunettes pour regarder la photo. Il est à peine visible mais on peut discerner une forme. Je reste un moment hypnotisée si bien que je ne fais pas attention à ce qui se passe autour de moi. Comme si je pouvais tout oublier. Qui j’attendais. Où j’étais. Mais pas qui grandissait en moi.

Je rêve d'une histoire sans fin.

Ces derniers jours ont été abominables pour Kris. La distance qu'a imposé Ludmilla entre eux l'a mis au supplice, sans qu'il ne trouve le temps - ni le courage, faut bien l'avouer - d'y remédier. Ou, en tout cas, de tenter d'y remédier. Le voyage à Adélaïde a été parfait, et il ne voit pas bien ce qui peut être en train se passer. Enfin si, il a sa petite idée. Elle va rompre avec lui. C'est sûr. Son SMS, reçu quelques minutes plus tôt a achevé de le convaincre. Faut qu'on parle. Généralement, ce n'est pas bon signe. Il ne passe pas même devant son miroir, ni dans sa salle de bain. Il se contente d'un OK comme réponse, et sort de chez lui. Direction, le lieu du rendez-vous. Il ne sait pas bien où c'est, il y va à l'aveugle - ou presque -. Seul son téléphone le guide. Ses pas, eux, se contentent de s'enchaîner les uns après les autres. Il n'y réfléchit pas, alors que son cerveau bourdonne de questions. Il ne peut pas se permettre de ... d'avoir l'air faible, de se laisser aller. Il va l'écouter, et partir si cela devient trop dur. Oui, c'est ce qu'il va faire.
La perdre. L'idée est insoutenable et pourtant, il semblerait bien que ce soit sur le point de se réaliser. Plutôt que de réfléchir à tout ce que ça va impliquer, il arbore une expression faciale neutre, et un air aussi serein que possible. Sur place, il la repère rapidement, et la rejoint en quelques enjambées. « Salut. » Lâche-t-il dans un souffle. Surtout rester impassible. En prenant soin de ne pas broncher, et encore moins de la toucher et de trop regarder dans sa direction, il s'assoit en face d'elle. A elle de lancer les hostilités.

Comment annoncer à un homme que sa vie était foutue ? Ou alors comment prendre conscience moi-même qu’il risquait de me quitter ? Je suis assise à cette table, hypnotisée par cette photo qui changeait tout. Ça ne faisait pas longtemps que j’étais enceinte et pourtant, je le sentais qui grandissait en moi. Cette petite vie à part. Cette grossesse comporte un risque, m’a-t-on dit. Avec ta maladie, avec ton cœur, il ne pourrait pas y survivre. Mais je m’en fiche, j’irai jusqu’au bout. Je me battrai contre mon propre corps s’il le fallait pour la survie de cet enfant. De mon enfant. Du fruit de notre amour. Bien que suivant la date de conception, il n’était pas encore aimé. Il n’était pas non plus désiré. Je lève le regard lorsque je le sens. Je sais qu’il est là. Je vois bien qu’il évite de me regarder dans les yeux. Que son salut est froid, glacial. Je ne l’avais pas volé. Je pose alors les deux mains à plat sur la table sans pour autant cacher la photo. Je prends une profonde inspiration, compte jusqu’à trois. « Détends-toi, je ne vais pas te quitter, dis-je d’une voix plate, calme. » J’essayai de me formuler une bonne manière de le dire. J’inspire donc profondément pour calmer mon cœur. Mais ma montre s’affole, trahissant ma nervosité. D’un geste, je la retire pour la mettre sur la table. Va chier, cœur de merde. Tu ne m’auras pas. Tu ne nous auras pas. « Te souviens-tu de ma requête lorsque nous étions au bar de la plage ? » Lors de nos retrouvailles et de cette dispute mémorable. Je me souvenais de chaque mot. De chaque reproche. Je me lève alors tout doucement pour me placer à côté de lui. Je prends alors son visage entre mes mains, forçant nos regards à s’accrocher. « Tu vas me quitter. » Ma voix s’abattait telle une guillotine sur ce constat. D’un coup bref. Mais je devais prendre mon courage. Même si j’avais peur de le perdre. Même si… Je prends délicatement sa main que je fais alors glisser sur mon ventre. Je déglutis alors. Je baisse alors la tête, honteuse. Cherchant toute la volonté du monde pour laisser les mots franchir la barrière de mes lèvres. « Lors de cette nuit dont nous n’avons pas le droit de parler, nous avons créé quelque chose. Nous avons créé quelqu’un. » Je relève la tête pour le regarder avant qu’il ne s’emporte. « Je suis enceinte. » Voilà pourquoi je t’évitai Kris. Voilà pourquoi je suis si pâle. Voilà pourquoi tu as une main posée sur mon ventre alors qu’il n’est pas encore rebondi. Voilà pourquoi tu vas me quitter dans quelques minutes. Parce que je ne suis plus seule désormais et que je ne le serai plus jamais.

Je rêve d'une histoire sans fin.

Stressé, Kristofer l'est. Et c'est un bien faible mot pour décrire ce qu'il ressent réellement. Il est anxieux. Carrément. Quand elle lui dit qu'elle n'a pas l'intention de le quitter, il fronce les sourcils. Il lève brièvement les yeux dans sa direction, mais les détourne presque aussitôt. Il ne peut pas supporter son regard, il ne veut pas. Il n'est même pas sûr de vouloir être là, à l'écouter parler et dire il ne sait pas trop quoi pour le rassurer. Il n'arrive pas à y croire, il est persuadé qu'elle va le quitter, le laisser tomber. Il hoche la tête, bien sûr qu'il se souvient. Il se souvient de tout. Et même des détails les plus insignifiants. Quand elle se lève, et prend son visage entre ses mains, il est pourtant bien obligé de croiser son regard. Et ce qu'il y lit le terrifie, le fige sur place. Si elle ne va pas le quitter comme elle le prétend, qu'est-ce qu'il peut y avoir de si grave ? Il va la quitter ? Mais pourquoi est-ce qu'il ferait une chose pareille ? Toujours silencieux, il se contente toujours d'attendre. Elle finira bien par tout lui dire, de toute façon. Il n'a qu'à se montrer patient. Et, en effet, la bombe finit par tomber. Sa main qu'elle prend et pose sur son ventre le met déjà sur la voie, mais il préfère éviter de s'y risquer. Il se dit que non, ce n'est pas possible. Ça ne peut pas être ça. Et puis sa voix tranche, met sur le devant de la scène tous ses doutes, et il a l'impression de chuter du haut d'une falaise. Ce n'est pas pire que la peur qu'il a depuis quelques jours, depuis qu'elle est si distante avec lui mais ça n'en est pas loin. Ce n'est pas négatif, du moins pas totalement. Mais il tombe des nues, il ne s'attendait pas à ça. « Que ... Quoi ?! ... » Sa voix n'est qu'un murmure. Il a du mal à y croire, du mal à assimiler la nouvelle. « C'est ... Vrai ? » De murmure, elle est devenue enrouée. D'un trop plein d'émotions sans doute. « Et c'est pour ça ... que tu m'as tenu à distance ces derniers jours ? » Difficile d'y croire, difficile de comprendre. Mais les explications finiront par arriver, il en est sûr. Et à ce moment-là, il pourra peut-être songer à se détendre un peu. Pour l'instant, il est toujours tendu comme un piquet, incapable de bouger.

Les nausées. Qu’est-ce qui m’avait pris de lui donner rendez-vous dans une pâtisserie ? Je regardai les gâteaux passer devant moi et j’avais à la fois faim et envie de vomir. Je n’arrivai plus à garder la nourriture comme lors d’un rejet de traitement. Lorsque Kris arriva finalement, je levai les yeux pour voir qu’il était anxieux. Il faut dire que j’avais le comportement d’une fille qui comptait le quitter. Ce qui n’est pas du tout le cas. Mais comment dire à l’homme qu’on aime qu’on attend un enfant de lui ? J’ai regardé plein d’annonces de grossesse sur le net. Plein et aucune ne semblait me correspondre. Je pourrais la faire à la Ludmilla et lui dire avec des mots, par écrit. Mais non, je voulais que tout soit oral. Alors, j’inspire profondément pour tenter de le rassurer. J’essaie de replacer le contexte tandis que le dossier reste ouvert. Je me lève pour me glisser à ses côtés avant d’attraper délicatement sa main. Kris se raidit mais je m’en fiche. Je la pose doucement sur mon ventre pour inspirer doucement et essayer de lui faire comprendre. Mais je savais qu’il allait partir. Je savais qu’il allait me quitter parce qu’il ne supporterait pas que je sois enceinte. Alors, je le regarde doucement en souriant. « Oui. » Je lui montre les photos de l’échographie avant de passer une mèche de cheveux derrière mon oreille. « Parce que je savais que tu ne supporterai pas la paternité. Je savais que tu allais partir et m’abandonner. Je vais garder cet enfant Kris. Que ça te plaise ou non. »