a book is a world where you can escape (callie)

Il fait beau ici, tout le temps. Le soleil semble décidé à ne jamais vouloir diminuer ses températures, et les nuages sont beaucoup moins présents que dans le Colorado. Lorsqu'il regarde dehors, Bowen lui apparaît comme une peinture. Un monde presque irréel, loin des atrocités du monde, et il comprend pourquoi c'est dans cette ville qu'il a été envoyé. Il est comme un vieillard à la retraite, un type qui a fait sa vie et qui doit à présent se reposer sur les banc d'un parc. Et pourtant, malgré les douces températures et la gentillesse des autres habitants, Milo sent toujours cette douleur qui lui lacère le coeur. Des fois, il lui arrive de revoir Jenny là où il pose les yeux. À ses cotés dans son lit, assise à la table à manger, ou bien couchée sur le ventre sur le sol de son appartement avec un de ses livres entre les mains. Pourtant elle n'est plus là, il le sait. Du moins, aujourd'hui. Peut-être que demain il oubliera, qu'il traversera encore une de ses crises où il pensera qu'elle est toujours en vie. Pour essayer de se changer les idées et étant à court de bouquins à lire, Milo a imprimé ce matin des pages entière d'un roman trouvé sur internet, sur un site qui s'appelle Wattpad, découvert il y a quelques jours. Il a fourré les feuilles dans son sac plus tôt dans la matinée, et les a ressorties en début d'après-midi. « Un café, merci, » demande-t-il simplement au serveur qui s'approche de lui avec un sourire trop forcé que pour être sincère. Milo n'y fait pas vraiment attention, il a déplié les feuilles en papier qu'il tient à présent entre deux mains et reprend là où il s'était arrêté. Il est en terrasse, mais le bruit de la place autour de lui ne le dérange pas. Au contraire, ça le rassure un peu, lui rappelant qu'il n'est pas tout seul et que le monde a continué de tourner.

Certains avaient besoin d'être au calme et enfermé dans leur bulle pour écrire. C'était le cas de Callie au tout début, quand elle griffonnait quelques mots sur un carnet, des passages d'un livre qu'elle ne pensait jamais écrire. Des notes par-ci par-là des personnages qui avaient germés au fur et à mesure du temps dans son esprit. Et puis au fur et à mesure du temps, elle s'était rendue compte qu'elle avait besoin de se laisser porter par l'ambiance du moment, du lieu ou elle se trouvait. Que la moindre idée pouvait se trouver grâce à une personne passant à côté d'elle, au style vestimentaire de l'homme en face d'elle dans le bus, de la musique que joue un ado dans la rue. C'est pour cela que de temps en temps elle aimait s'asseoir au milieu de la foule à prendre un thé sur la place pour pouvoir écrire ce qui lui passait par la tête, en étant seule et pourtant accompagnée par tous ces inconnus autour d'elle qui ne se rendent pas du tout compte du rôle qu'ils peuvent jouer dans son processus d'écriture. Ca faisait déjà une petite heure qu'elle était assise là, tapotant sur son ordinateur des bribes de mots pour son nouveau chapitre. Elle s'était fixée le rythme d'un chapitre toutes les deux semaines. Histoire d'avoir de la marge et de satisfaire les lecteurs de plus en plus nombreux qui lisaient sa saga sur Wattpad. Ce n'était pas un roman fantastique ou un thriller haletant, simplement l'histoire de plusieurs inconnus qui découvrent au fur et à mesure que leurs passé les lient et qui apprennent doucement à se découvrir et à découvrir les autres mais surtout à accepter qui ils sont. Et alors qu'elle tentait de terminer d'écrire un passage un peu complexe, le serveur débarqua avec un café en le posant nonchalamment sur son carnet, faisant une horrible trace au passage. « Vous pourriez pas faire un peu plus attention ? Surtout que je n'ai rien pas redemandé de café, regardez par vous même. » lança-t-elle un petit peu sur les nerfs en désignant sa tasse de thé pas encore vide.

Rapidement, Milo se retrouve entièrement plongé dans ce texte qu'il vient de commencer. Les minutes passent sans qu'il ne s'en rende compte, et il vient même à oublier qu'il a commandé un café qui ne semble pas décidé à arriver. Il se focalise sur les mots qui défilent devant ses yeux et réalise petit à petit que ces écrivains en ligne, ceux qui écrivent pour le simple plaisir d'écrire et non pour gagner de l'argent, ils sont parfois bien plus doués que de grands auteurs devenus célèbres grâce à deux ou trois bouquins rédigés à l'arrache. La voix d'une femme le tire cependant de sa lecture et, curieux, il tourne la tête en direction de la table voisine. À seulement quelques mètres, une femme se plaint de ne pas avoir commandé le café que le serveur vient de lui apporter. Au vu du visage du serveur, celui-ci semble encore jeune et certainement débutant dans le métier. On ne peut pas lui en vouloir, se lancer dans un métier dont on apprend seulement les bases n'est pas une tâche facile, et Milo est bien placé pour le savoir. « Ce doit être le mien, » lance-t-il en tendant une main, espérant se faire entendre. En baissant les yeux vers l'endroit où était posée la tasse, il remarque qu'une sale tâche a été laissée à cause d'une goutte de café qui a sûrement dû couler. Après que le jeune serveur lui ait amené sa boisson, Milo tire la serviette en papier qui se trouve entre la tasse et la soucoupe. Il se lève, son texte toujours entre les mains, et se dirige vers la fille au thé. « Je pense que vous l'avez effrayé, » dit-il en lui lançant à peine un regard, un faible sourire aux lèvres. Il pose le texte qu'il lisait à coté du carnet et s'empresse d'éponger le carnet puisque le serveur ne semblait pas déterminé à le faire lui-même.

Même si Callie chérissait ses petits moments où elle se sentait seul au milieu de tout ce monde, et où elle se sentait dans son cocon pour écrire, il y avait aussi parfois des inconvénients à ça, comme se faire déranger au moment le moins proprice lors d'un passage un peu pointilleux. C'est peut être pour ça qu'elle avait un peu surréagit avec le serveur. Elle aurait pu être tellement moins agressive. Heureusement à la table un côté, un homme vient à la rescousse du jeune serveur et lui indique que le café était pour lui. Callie se tourne vers lui et le remercie d'un sourire avant de regarder le serveur déposer le café et détaller comme un lapin effrayé. Ce qui fit un petit pincement au coeur à Callie qui n'avait pas voulu le mettre si mal à l'aise. En attendant son carnet était tâché. Heureusement que les pages endommagées ne contenait que des idées déjà exploitées. Et avant que Callie prenne le temps d'aller l'essuyer, l'homme de la table à côté vient s'en charger, alors que finalement ce n'était pas son rôle, non sans une petite pique à son égard. « C'était pas mon intention. » Encore heureux à vrai dire. « Sauf que j'ai des choses qui me tiennent vraiment à coeur dans ce carnet, j'ai un peu flippé. » Ce qui pouvait paraître bête pour certains puisque ce n'était que des bribes d'idées, mais elle avait besoin de se justifier. « En fait j'essaye d'écrire un livre. » Elle releva les yeux vers lui et le gratifia d'un sourire pour le remercier avant de jeter un oeil sur le carnet, les tâches ne formant plus que des petites auréoles jaunâtres, remarquant dans le même temps les feuilles de papier déposées par l'homme au café à côté de celui-ci. Ca pouvait faire penser à un manuscrit. « Oh, mais vous aussi vous écrivez ? »

Il hoche la tête, compréhensif, lorsqu'elle lui dit avoir des choses lui tenant à coeur dans ce carnet. Bien que ça n'ait pas vraiment de lien avec le cahier de la jeune femme, Milo ne peut s'empêcher de penser à ce qui lui tenait à coeur à lui des années plus tôt et qu'on a voulu lui retirer. Un chien, son chien. Pauvre animal blessé qu'on a voulu euthanasier et qu'il a sauvé d'une mort probablement douloureuse, qu'il a soigné même si il n'avait à l'époque pas particulièrement les moyens. Amiral est toujours à ses cotés d'ailleurs, certainement occupé à dormir au pied du lit de son maître en attendant son retour. Il est certainement le seul être vivant à ne pas l'avoir quitté, quelle triste réalité. Elle lui annonce qu'elle tente d'écrire un livre et, un brin admiratif, il relève les yeux vers elle et la regarde d'un air un peu ébahi. « Vraiment ? Et bien, je comprend maintenant pourquoi vous couvez ce carnet. » Car c'est son oeuvre, un peu comme son bébé. Tenant à présent un paquet de serviettes remplies de café froid, Milo les détaille en grimaçant avant de faire un pas sur le coté pour les jeter dans un poubelle. Il retourne vers la table de l'écrivaine afin de récupérer sa lecture du moment mais est une nouvelle fois interpellé par elle. Son regard jongle entre celui de la brune et le tas de feuilles qu'il vient de soulever de la table. « Non, je n'ai pas assez de talent pour ça. J'ai déjà du mal à rédiger mes CV, alors un livre. » Il rit doucement. De plus en plus, Milo se force à utiliser l'humour afin de paraître moins triste aux yeux des autres, moins étrange aussi. « C'est un texte que j'ai trouvé sur Internet, mais je m'imaginais mal transporter mon gros ordinateur fixe jusqu'à ce café. » Car Milo n'a pas de portable comme tout le monde, il a toujours été un peu en retard au niveau technologie. Il montre les feuilles à l'inconnue sans vraiment savoir pourquoi il a ce geste. Peut-être qu'elle reconnaîtra les premiers mots, qu'elle pourra ainsi lui dire si cette lecture en vaut la peine ou si il ferait mieux d'arrêter.

Parler comme ça ouvertement du fait qu'elle écrive un livre n'était pas du tout naturel pour Callie. Elle avait toujours eu l'impression que cela faisait assez pompeux de dire ça, d'autant plus qu'elle n'était même pas sûre elle même de ce que ça allait donner. Pour le moment elle écrivait surtout pour elle, pour se vider la tête et pour essayer de mettre des mots sur son passé et enfin l'accepter. Mais de là à s'imaginer qu'elle arriverait à écrire un roman en entier, c'était quelque chose de difficile à concevoir pour le moment. Mais voir cet inconnu se préoccuper pour elle de ses affaires et les essuyer presque à sa place, c'était quelque chose qui lui faisait chaud au coeur.« Heureusement que vous étiez là en tout cas. » Le temps qu'il se dirige à la poubelle, elle attrapa son carnet et le rangea dans son sac, histoire de le mettre en lieu sur une bonne fois pour toutes. Une fois de retour, elle l'invite d'un signe de la main à prendre place à sa table. Autant avoir un peu de compagnie, elle n'était plus motivée à écrire aujourd'hui. Cependant, elle était intriguée par le paquet de feuilles qu'il avait ramené sur sa table et elle l'interrogea à ce propos. « En même temps on ne peut pas comparer les deux ! » Il s'agissait là d'un texte qu'il avait trouvé sur internet. La remarque qu'il fit sur son ordinateur fit sourire Callie. « Vous avez bien fait, lire sur papier c'est quand même vachement mieux. » Et pourtant, Callie était intriguée. Ce fameux texte, cela pouvait être tout et n'importe quoi. Et pourtant, elle était tellement curieuse. Alors elle attrapa les quelques premières pages qu'il lui montrait tout en prenant une gorgée de thé. Sauf qu'elle ne s'attendait tellement pas à ça qu'elle faillit recracher le thé sur ces feuilles. Elle reposa les feuilles sur la table, un petit rire nerveux. « Vous me faites une blague en fait ? » Elle secouait la tête, un peu déboussolée. « C'est Jake qui vous a dit de faire ça ? Ou Lorenzo ? Evie ? »

Pendant un instant, si court soit-il, Milo hésite. Les dernières interactions sociales qu'il a connues en retirant celles avec Molly ou celles avec ses psychiatres et psychologues n'ont jamais été plus loin qu'un simple échange de quelques mots. Là, la fille au thé lui propose de prendre place à ses cotés, première femme ne le regardant pas d'un air mi-désolé, mi-effrayé. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était plus senti aussi... normal. Il finit par s'asseoir en tirant la chaise en face de la sienne. « N'importe qui l'aurait fait, » dit-il ensuite, n'ayant jamais aimé se vanter pour un geste qui lui semblait évident à avoir. Ce qu'elle lui dit pour le rassurer quant-à son non talent arrive à lui tirer un sourire en coin. Elle a raison, les deux sont loin d'être comparables, mais il n'a en réalité jamais essayé d'écrire la moindre ligne. Lui préfère lire, découvrir les univers des autres plutôt que de partager le sien. Sa réponse sur le papier meilleur que l'ordinateur lui tire son premier rire de la journée. « Je vais passer pour un vieillard en disant ça mais même ces liseuses censées être pratiques à transporter, je trouve que ça ne remplace clairement pas le papier. » Et le voilà en train de débattre avec une inconnue sur les avantages du papier contre l'électronique, appréciant ce contact banal qui n'implique pas une analyse entière de ses mots et de sa personnalité. Il la laisse prendre possession des papiers mais, rapidement, les traits de Milo changent pour laisser place à de l'incompréhension. « Une blague ? Et je n'ai aucune idée de qui est Jake, ou Lorenzo. Je connais bien une Evie mais elle ne m'a rien dit. » Il fronce légèrement les sourcils avant de comprendre. « Attendez, c'est vous qui avez écrit ça ? » s'exclame-t-il en désignant le texte d'un geste du menton.