(woody) what a lovely night.

Les soirées se suivent et se ressemblent. Premièrement, je fais style que je mets trois ans à choisir une tenue alors qu’on sait que je vais en venir à une robe sans doute trop courte et un perfecto. Ensuite, je passe trois heures (c’est une façon de parler) dans la salle de bains pour avoir l’air désirable alors que je vais soit finir dans la friendzone ou rentrer dépiter car les mecs sont des cons. Après, je me mets sur des talons de douze pour dépasser le mètre soixante et enfin, je pars avec une sublime bagnole que je ne serai pas en état de conduire en fin de soirée. Pas de logis mais toujours dans un bon moyen de transport. Ce soir, j’opte pour l’audi. Elle claque, les mecs aiment Iron Man (parce qu’ils sont stupides) et qu’elle est facile à conduire. Ensuite, je choisis le bar. Enfin le pub. J’ai le mal du pays depuis que j’ai perdu toute ma famille, mes terres et mes repères donc je vais aller picoler avec d’autres expatriés et ça va sans doute finir en bagarre. Donc lorsque j’entre dans ce dernier, les gens sont déjà pas mal alcoolisés. Je soupire avant de retirer ma veste, dévoilant une robe trop décolleté (mais le manque de poitrine vaut bien quelque chose) avant d’ébouriffer mes cheveux. Puis, je cours me poster au comptoir comme tous les soirs avant d’allumer une cigarette, de commander un whisky et de commencer à aligner les verres. « Eh la rouquine, tu viens jouer aux fléchettes ? » Je soupire, lève les yeux au ciel avant d’atterrir sur mes deux pieds et de… me casser la gueule. Pas avec ses talons. Je m’appuie sur un gars dont je ne me préoccupe pas avant de retirer mes chaussures. « Tu me gardes ça mon chou et je règle ta note. » Puis, sans me préoccuper de la réponse du mâle, je me dirige vers la troupe de mecs me dominant tous d’une tête. « Ok, le gagnant a le droit à un baiser et le perdant paye sa tournée, dis-je pour lancer les hostilités. » Après tout, j’ai maintenant une bière à la main et j’ai envie de jouer. Juste ce soir pour oublier que maintenant, je suis plus seule que jamais et que dans un endroit normal, j’aurai eu le rôle du repousse-mec.

Encore une fois, encore une nuit, Woody se sentait incapable de passer à travers sa soirée sans taire le compte à rebours qui criait ses chiffres dans sa tête. Son corps se faisait de plus en plus faible, engourdi, comme si une colonie de fourmis remontait son circuit nerveux. Tant qu’à se sentir aussi ankylosé, aussi bien que ce soit en raison de l’alcool que de la maladie. Il s’était donc rendu à un pub qu’il aimait bien fréquenter une fois de temps en temps, pour jouer au billard avec des inconnus qu’il ne reverrait sans doute jamais, et pour boire les pintes à quatre dollars qu’on offrait avant vingt-deux heures. D’ailleurs, Woody en avait déjà une à moitié vide dans sa main quand une main se posa sur son épaule. Il tourna la tête vers une tête rousse penchée vers ses souliers, en train de les retenir. Il fronça les sourcils, tentant de retrouver son équilibre malgré la pression qu’elle exerçait sur son épaule. Il avait déjà du mal à se tenir debout par lui-même, pas besoin que quelqu’un d’autre cherche en lui un quelconque soutien. Sans même le regarder, la jeune femme lui remit ses talons entre les mains et lui promis de régler sa note s’il les gardait. Alors qu’elle se dirigeait vers un attroupement d’hommes jouant aux fléchettes, Woody reconnut Ruby. Elle n’avait peut-être même pas pris la peine de le regarder, mais lui reconnaîtrait ce cul-là parmi mille. Il baissa les yeux vers ses talons, soupira, et s’approcha de la troupe. Il posa les souliers sur la table, les talons cognant contre le bois. « J’préfère largement m’essayer pour le baiser plutôt que d’garder ça en échange que tu règles ma note. » Les yeux de Ruby se posèrent enfin sur lui, et Woody lui offrit un sourire amusé. « Count me in. » Avait alors lancé Woody, en s’adressant aux autres participants de ce pseudo-tournoi de fléchettes.

J’adore l’ambiance de ce pub. J’y retrouve un peu de mon cher pays en y venant. Les gens parlent forts, chantent des chansons sans se soucier du regard des autres et comme tous écossais qui se respectent, ça se finit en bagarre. Lorsque j’y allais avec Sally, c’était elle qui se battait. Et je m’interposai tout le temps. Maintenant, j’étais tellement en colère que je me battais également. Il n’était pas rare de me trouver avec des bleus sur le corps et le visage. Mais je m’en fichai car le tournage n’était pas pour tout de suite et je savais manier le fond de teint comme personne. On passe par toutes les étapes lorsqu’on entre en deuil. Je les avais déjà vécues lorsque Larà nous avait quittés en janvier. 2017 n’est définitivement pas mon année. Sans doute 2018 serait-elle meilleure ? Je n’en ai aucune idée. Mais alors que je suis accoudée à ce bar, je regarde le groupe de mecs qui semble pris d’une envie de faire un tournoi de fléchettes. Pourquoi pas ? Je suis à l’étape colère pour le moment. Donc j’ai besoin de me défouler. Après m’être appuyée sur un mec pour retirer mes talons, me revoilà au pays des Minimoys. Puis, je me dirige vers le groupe. Je suis bien entendue la plus petite. Alors je décide de lancer ce jeu stupide. Un baiser, ce n’est rien. Lorsqu’une écossaise enterre sa vie de jeune fille, elle doit embrasser le plus de garçons possibles pour récolter de l’argent. Soudain alors que je rigole avec l’un de mes acolytes, une voix familière me pétrifie sur place. « Oh non, murmurai-je. » Puis, je me tourne petit à petit avant de poser mon regard sur Woody. D’ordinaire, je suis plutôt sympa comme fille. J’ai tendance à vivre dans un monde de licornes et de bisounours mais pas avec ce mec. Déjà car il a couché avec ma meilleure amie, lui a sans doute brisé le cœur plus d’une fois et il me mate comme si j’étais une tranche de bacon prête à faire frire. Je plisse un peu le regard avant de passer une main dans mes cheveux. Saleté de tic. « Bon… » Ok, deux mots. Pas nombreux, juste deux. « Bon… bonsoir W… Woody. » Ok, il me faut de l’alcool pour supporter. Je vide ma pinte d’une traite avant de tousser. Puis, je m’approche du grand brun sans le quitter du regard. Doucement, je me balade mes mains sur son torse. Aurait-il perdu de son imposante musculature ? Like i care. « S… si… si je… je… je gagne, t… tu… arrêtes d… de… de m… me re… regarder comme ça. » Ok, ma menace perd de sa superbe. Sachant que tout le monde est au courant que je bégaie quand je trouve un mec physiquement attirant. Mais Woody est mentalement repoussant donc ça compense. « Game on, bitch. » Je pose les fléchettes dans sa main avant de prendre place entre le troupeau qui me fait soudain sembler à des hyènes. L’un d’eux passe derrière moi pour commencer à effleurer ma hanche. « Si tu me touches, je te snip snip les couilles. » Sourire forcé, je lance sans réellement regarder. Troisième cercle. Peu mieux faire. Puis, je passe donc derrière Woody main dans le dos. « A ton tour, murmurai-je avant de prendre place sur le tabouret près de mes chaussures. » Regardons s’il fera mieux. Quoique je suis plutôt nulle à ce jeu. Préparons donc la javel.

Elle s'était tournée vers lui comme on se retourne après avoir entendu la voix familière mais terrifiante du vilain principal d'un film : lentement, précautionneusement. Woody n'attendait que le croisement de leurs regards, et quand ce moment arriva, il se contenta de lui sourire, ce regard brillant et indéchiffrable rivé sur elle. La haine de Ruby à son égard mélangée à sa timidité était la recette idéale pour amuser Woody, qui profitait de chaque occasion pour la rendre mal à l'aise et jouer avec ses limites. D'abord à la Love Experience, durant laquelle il s'en était donné à coeur joie, et maintenant puisque le hasard avait décidé de la mettre de nouveau sur sa route. Non sans bégayer, Ruby le salua, avant de vider sa pinte d'une traite. « Attention, tu risques de voir double et de ne plus savoir viser. En même temps, ce n'est pas moi qui se plaindra, vue la récompense. » Il arqua un sourcil en la regardant, elle qui s'approchait maintenant de lui pour poser ses mains sur son torse. Plus aussi gênée, tout d'un coup, la rouquine. « Et comment je te regarde, exactement ? » Demanda-t-il, curieux de savoir ce qu'elle lui répondrait. Puis, il ajouta : « Je croyais que le perdant payait la tournée. Tu ne peux pas changer les règles comme ça te chante ... » Releva-t-il. Leurs regards se croisèrent, et une étincelle traversa celui de Ruby avant qu'elle ne perde magiquement son bégaiement, pour approuver le début du tournoi. Avec cette attitude, pas de doute, c'était bel et bien game on. Il referma sa main sur les fléchettes qu'elle venait d'y poser, et laissa la place à Ruby pour le premier tour. Il la regarda lancer dans le troisième cercle, et garda un visage impassible alors qu'elle passa derrière lui pour lui laisser la place. Il s'avança de quelques pas, confiant puisqu'il avait passé ses jeunes années à rentrer dans les bars même sans en avoir l'âge afin de défier ses amis à ce jeu. Il jouait beaucoup moins maintenant, et sans doute n'avait-il pas touché à une fléchette depuis plus de douze mois, mais il se disait que ce n'était pas le genre d'activité qu'on oubliait si vite. Un peu comme rouler à bicyclette. Pourtant, quand Woody lança, son manque de force et de précision lança la fléchette à cheval entre le deuxième et le troisième cercle. Il grogna intérieurement, avant de se reculer et de laisser la place à d'autres pour leur tour. « On va dire que c'était un tour de pratique autant pour toi que pour moi, hein ? » Lança-t-il, feignant l'amusement face à leurs performances, alors qu'au fond de lui Woody s'inquiétait réellement de l'issue de la partie.

Depuis ma tentative de suicide, j’étais comme sur pilote automatique. J’avais perdu du poids, beaucoup de poids et j’avais toujours cette méchante blessure à la tête. J’étais reconnaissante à Eden de m’avoir sauvé mais depuis que je m’étais cognée la tête sur le rocher, j’avais des pertes d’équilibre. La preuve, je suis tombée en descendant de ma chaise. Et j’ai dû m’agripper de toutes mes forces pour ne pas tomber en voyant Woody. Je sais que je vais devoir me saouler si je ne veux pas perdre tous mes moyens devant lui. Woody était un bel homme. Un très bel homme. Il avait cette part de sexy en lui qui ferait tomber toutes les femmes dans ses filets. Mais par égard pour ma meilleure amie et pour son regard triste lorsque nous en avions parlé, mon vagin resterait fermé. J’ai un rire franc et honnête lorsqu’il parle de ma capacité à voir double. « Je suis écossaise, Woody, dis-je sans buter sur tous les mots, et je pense avoir une meilleure résistance à l’alcool que toi. » Pour cause que je ne suis plus qu’une loque sur pattes. Un éclat de tristesse passe dans mon regard avant que je n’en détourne les yeux. Je m’approche cependant de lui pour commencer à poser mes mains sur son torse. Jamais, je n’aurai fait ça avant. J’étais trop timide. « Co… co… » Et merde ! Je grogne. « Comme si j’étais un morceau de viande. Si tu voulais baiser, tu t’es trompé de jumelle mon grand. » Faire mention à Sally m’ébranle un peu tandis que je referme ma main sur la sienne, y mettant les fléchettes. « Je payerai la tournée. » Une promesse est une promesse et je suis écossaise. On ne déroge jamais à nos règles. Je prends place entre les mecs, rejetant ma longue crinière de feu en arrière avant de commencer à tirer. Et merde. Je sens de nouveau le feu écossais se propager dans mes veines avant d’aller m’asseoir sur le tabouret et de commander un second verre. Woody s’avance à son tour avec assurance et je prends un malin plaisir à regarder son corps. Histoire de le détailler un peu. Il n’est plus aussi imposant qu’avant. Je fouille dans mon sac pour en sortir une cigarette que j’allume. Moi qui pestais tant contre les ravages du tabac lorsqu’on était dans la maison de l’amour. Expérience foireuse. En parlant d’échecs, Woody se plante et en beauté. J’éclate à nouveau de rire avant de plonger mon regard dans le sien. Avec provocation cette fois-ci. « Oh non, dis-je en esquissant un sourire en coin, ça compte. » Puis, je lui fais signe d’approcher tandis que les autres commencent à jouer. Je prends soin de cacher ma blessure à la tête par-dessous mes cheveux avant de poser mon regard sur lui. « Dis-moi est-ce que je te plais uniquement parce que j’ai un vagin ou parce que… parce que je te hais ? » Bien que je ne le haïssais plus autant qu’avant. Freja semblait avoir trouver mieux en présence d’Eden et lui, lui il était maintenant il était quasiment sorti de sa vie, ce qui n’était pas plus mal.

Woody leva les yeux au ciel avec un sourire en coin, malgré son soupir forcé d'exaspération, quand Ruby lui dit qu'elle était écossaise et que l'alcool n'était donc pas un problème pour elle. Elle avança d'ailleurs l'idée qu'elle puisse même avoir une meilleure résistance que lui, ce qui lui fit hausser les sourcils alors que son regard revenait sur elle. « Les stéréotypes, on les condamne que lorsqu'ils sont négatifs, mais dès que ça peut nous avantager, hein ... » Fit-il remarquer, un petit sourire en coin. Et puis, concernant sa supposition quant au fait qu'elle tiendrait mieux l'alcool que lui, il resta tout aussi dubitatif. « On verra bien. À voir ton gabarit comparé au mien, laisse-moi avoir mes doutes. » Elle était toute petite, Ruby, et mince. Woody, lui, avait encore toute sa carrure, sa musculature, même s'il n'était pas un géant. Et même s'il était malade, que la sclérose en plaques gagnait du terrain depuis dix ans, cela ne signifiait pas qu'il avait abandonné la bataille. Il s'entraînait comme jamais pour préserver sa forme, et y arrivait. La rouquine s'approcha donc de lui pour poser ses mains sur son torse, perdant son bégaiement le temps d'une minute avant de le retrouver. « C'était pas ça l'entente. Tu payes la tournée en plus du baiser alors ? Ça, ça me va. » Il esquissa un sourire. Il n'avait volontairement pas relevé la remarque sur sa jumelle, préférant les imaginer en silence, les deux en même temps. Mais elle n'était pas là, alors à quoi bon parler d'une situation qui ne resterait qu'hypothétique ? Il préféra la regarder s'en aller vers le jeu de fléchettes, prête à tirer, pour au final n'avoir un résultat que très moyen. Résultat que Woody ne tarda pas à imiter, peu fier de sa performance. Quand il revint vers Ruby et qu'elle riait, et qu'il tenta de faire passer leurs deux échecs pour un coup de pratique, elle refusa, bien trop occupée à se moquer de lui. Alors il posa ses yeux sur sa cigarette et changea de sujet en ramenant contre elle. « J'sais pas comment ça se passe en Écosse mais en Australie, on essaie de préserver notre propre santé et celle des autres autour, aussi. Fumer dans les établissements, c'est interdit ... Et j'voudrais quand même pas qu'on t'demande de sortir, je gagnerais par forfait et clairement c'est moins drôle comme ça. » Dit-il. Par après, Ruby fit un signe à Woody de s'approcher d'elle, passant une main dans ses cheveux alors que lui s'approchait. Elle lui posa alors une question qui le prit par surprise, et il plongea son regard dans le sien avant de dire : « Qui a dit que tu me plaisais ? » Il jouait avec elle, ça il aimait, oui. Le jeu, les as comme les piques, Woody adorait chercher Ruby mais qui sait ce qu'il comptait faire lorsqu'il la trouverait.
 

La remarque de Woody me fait hausser un sourcil. Il pourrait être attirant s’il n’était pas si con. Vraiment. Mais il est con. Surtout avec Freja. Depuis ma tentative, on passait beaucoup de temps ensembles et je savais que ce dernier était devenu son ami. Mais ça restait un abruti de première. « Vous autres les australiens, vous n’êtes que des tâches. » Je dis ceci sans bégayer. Je dis ceci sans buter sur tous les mots. Mais cette phrase, je l’ai dit plein de fois à plein de monde. Des tâches. J’éclate de rire. Avoir des doutes ? Vraiment ? « Ok, si tu perds aux fléchettes, je te laisserai ta chance avec le jeu que tu voudras, un jeu de boisson. » Comme on dit souvent, je suis tombée dedans quand j’étais petite. Mes parents tenaient une entreprise de scotch et nous avions pris notre première cuite à ça avec Sally. Nous avions bu plus que de raison et avions fini à l’hôpital. Mais du coup, notre organisme avait développé une certaine résistance aux alcools d’eau douce. Comme la bière par exemple. Je pourrais repasser à quelque chose de plus lourd mais je n’avais pas envie de donner toutes mes cartes à Woody. Je le fixe pourtant avec un sourire, chose que je n’ai pas faite depuis longtemps. Je me lève pour le rejoindre un moment, posant mes mains sur son torse. Je me penche alors en avant. « tu ne gagneras jamais mais l’espoir fait vivre Woody. » Je lui glisse un clin d’œil avant d’aller tirer. Je pourrais aisément tirer dans la cible mais j’avais envie de jouer un peu. Entourée de garçons trois fois plus grand, j’ai un résultat peu satisfaisant de laisser la place à Woody. J’allume une cigarette pour tirer dessus et regarder le cowboy se planter en beauté. J’éclate à nouveau de rire. Mais il décide de faire son rabat-joie et je lève les yeux au ciel avant d’écraser ma cigarette. « T’es pas drôle, cow-boy. » J’attrape mon nouveau verre plein pour le porter à mes lèvres avant de lui faire signe d’approcher. Ma main remonte doucement le long de son avant-bras. Qu’il profite, je ne joue pas souvent. « Ton regard te trahit, chéri. Et je t’ai vu mater mes fesses alors soit je te plais, soit t’es juste en chaleur. » Mes jambes se referment autour de lui. Je lui décoche mon fameux sourire séducteur. « Alors, montre-moi, comment tu fais pour toutes les faire tomber dans tes filets ? Disons que c’est une étude scientifique et que je suis un cobaye, montre-moi. » Je l’observe alors, sans dévier le regard. J’ai conscience que j’ai un peu trop bu puisque j’en viens à flirter avec lui mais ceci n’est qu’un jeu. Et aucun de nous deux ne se lancera. Par égard pour Freja.

Woody eut un léger rire quand Ruby répliqua que les australiens n’étaient que des taches. Il hocha la tête en se reculant légèrement le corps, les épaules vers l’arrière, en continuant de rire doucement avant de déclarer : « Ça ne fait que prouver mon point. » Qu’elle utilisait bien tous les stéréotypes possibles à son avantage. Elle était écossaise donc forcément elle tenait mieux l’alcool que lui, et il était australien alors il n’était qu’un con. Qu’elle pense ce qu’elle voulait, il n’en avait pas grand-chose à faire de l’opinion qu’elle pouvait avoir de lui, au fond. Elle n’était pas la première à le condamner pour des actes posés auprès de copines. Il lui mentionna quand même les doutes qu’il pouvait avoir quant à leur résistance respective à l’alcool, vue la différence au niveau de leur physique. Elle était toute mince, lui était plutôt baraqué. Le calcul n’était pas trop difficile à faire, d’autant plus que Woody n’avait pas souvent passé son tour sur un verre, lui non plus. « Marché conclu. » Il finirait peut-être complètement ivre, et elle aussi, mais lui savait qu’il tiendrait encore debout à la fin de la soirée. Ce qu’il restait à savoir, c’était si Ruby arriverait elle aussi à rentrer chez elle sur ses deux pieds. Une fois que leur tour fut passé aux fléchettes, et en attendant que ce soit de nouveau à eux, Woody alla s’asseoir au comptoir du bar et elle le rejoignit, devenant tout d’un coup très tactile. Elle s’alluma une cigarette, ce que le jeune homme ne tarda pas à réprimander, de toute façon c’était la loi ici, peu importe ce qu’elle connaissait d’ailleurs. « C’qui ne serait pas drôle, c’est que notre soirée se termine aussi tôt. J’ai du plaisir, là, pas toi ? » Le plaisir était relatif, il ne s’amusait pas comme il s’amusait avec ses potes, mais il s’amusait avec ce jeu entre eux, ces répliques, ces défis, ces regards. Ruby prétendait ne pas le porter dans son cœur et, pourtant, elle était toujours là, à venir et à revenir vers lui. Même, elle le réclamait. Elle lui fit signe de s’approcher, ce qu’il fit, et sa main remonta lentement et doucement le long de son bras. Elle tentait de lui faire réaliser qu’elle lui plaisait, lui qui disait le contraire. « T’as des yeux derrière la tête, c’est ça ? Woh, tout d’un coup, l’image est beaucoup moins sexy. » Releva-t-il en fronçant légèrement les sourcils, se reculant. Si elle arrivait à le voir quand elle était de dos et que lui matait son derrière, alors chapeau. Cela signifiait qu’elle guettait réellement chacune de ses réactions, chacun de ses gestes. Alors qu’ils étaient tout prêts l’un de l’autre, Ruby referma ses jambes autour de lui, alors qu’elle était assise sur son tabouret et lui debout, après s’être approché d’elle. Il arqua un sourcil. « Je sais pas qui de nous deux est en chaleur, là. » Fit-il remarquer, reprenant les mots de Ruby. Elle l’emprisonnait carrément entre ses cuisses, cet endroit un peu plus chaud, un peu plus excitant. « J’ai comme l’impression que t’es déjà tombée dans mes filets, ou alors que c’est toi qui tente de me faire tomber dans les tiens … » Il plongea son regard dans le sien. « Je croyais pourtant que tu me détestais. » Déclara-t-il.
  

Cette soirée prenait un tournant étrange. Alors qu’il éclate de rire, un sourire naît au coin de mes lèvres. Je me contente de lever les yeux au ciel pour ne rien répondre. Je ne suis pas le genre de femmes à condamner un homme pour ses actes. Surtout sans preuves mais concernant Woody, j’en avais des tas. Il y avait écrit « ne pas approcher » sur tout son corps. Dangereux ; un côté animal qui pouvait s’avérer charmant. Je passe une main dans mes cheveux, concluant un accord beaucoup trop bancal avec lui. Mais depuis que j’avais sauté de ce pont, ma raison semblait s’être envolée. On me forçait à rester en vie donc j’allais mener cette barque à bon port. Pas question de se la jouer Gendry. Cependant, avec Woody ? Je préférai encore me faire le kraken. Enfin, rien n’empêche qu’on peut s’amuser. Tandis qu’il part jouer aux fléchettes je le détaille un peu. Un air faussement concentré, une main beaucoup trop maladroite pour toucher sa cible. Je devais admettre qu’il était attirant. Je pourrais presque comprendre les cruches qui sont passés dans son lit. Toutes des idiotes. Sauf Freja mais on fait des conneries dans la vie et je pense que Woody devait être la sienne. Une sorte de kryptonite nocive pour le corps et l’esprit. Un sourire s’inscrit sur mes lèvres lorsque je constate qu’il est très mauvais. Alors je lui fais signe de revenir avec un mouvement aérien. Sa remarque m’arrache un fou rire. « Il te faut pas grand-chose. » J’en ai presque les larmes aux yeux tellement il est con. « Bravo, tu m’as fait pleurer de rire, ça ne m’était pas arrivé depuis… » Mon regard se perd dans le vague à nouveau. Leurs morts. « Depuis longtemps, terminai-je d’une voix un peu plus froide qu’auparavant. » Je le laisse accepter mon invitation de venir se coller entre mes jambes. Un sourire narquois aux lèvres. De nouveau, j’éclate de rire. « Non mais j’ai des amis, dis-je en faisant signe aux mecs qui sont entrain de picoler, leurs fléchettes dans les mains. » La dernière fois que j’ai joué le jeu de la séduction, ça remontait à des années. J’étais peut-être trop bourrée, trop bousillée par ma vie pour me rendre qui était mon compère. Ou alors si j’avais une once de bon sens, je me mettrai un frein de suite mais rien n’est fait encore. Il m’arrache cependant un froncement de sourcils, un regain de conscience. « J’ai l’air d’une morue qu’on attrape dans un filet ? » Aie. « Parce que mise à part Freja, la liste de tes conquêtes n’est pas glorieuse. » Je pensais notamment à Ingrid qui avait tout de même appelé son chat sex. J’appréciai la blonde mais avant de se caser avec Jim, elle avait des mœurs plus que légères. Je desserre mon étreinte pour me coller sur le comptoir du bar, le visage à sa hauteur. Je passe alors mes mains autour de sa nuque, le regardant droit dans les yeux. « Parce que tu aimerais que je te fasse tomber dans mes filets Woody ? susurrai-je d’une voix des plus séductrices. » Mon sourire s’agrandit petit à petit. « Tout le monde peut se tromper dans la vie. Je pensais que ma sœur était la plus résistante des deux et j’avais tort. Donc il est l’heure pour moi de revoir mon jugement. » J’avais dit ça avec un peu plus de passion que d’ordinaire. J’étais toujours en colère contre mes proches d’être partie. On me fit signe que c’était à moi. Je descends donc du bar pour jeter un regard à Woody. « Si tu me dis que t'es désolé, je t’arrache la tête. » Puis, j’attrape une fléchette que je lance pratiquement dans la cible. Des heures d’entrainement de lancer de poignards pour mon rôle dans Lliane. « Ton tour, cowboy. Je vais me fumer une clope, je reviens. » Puis, la cigarette aux lèvres, je sors dans le « froid » australien, seulement vêtue de ma petite robe pour prendre le temps d’allumer ma clope. C’était lors d’une soirée similaire qu’Alfie était venu me secourir. Dans une ruelle aussi sordide. Sauf que là, le prince charmant à une fourche et des cornes. Et je savais qu’après l’avoir apâter avec mon âme, il n’allait pas tarder à rappliquer.

Au moins, un des deux avait vraiment du plaisir, ce soir. Enfin, pas que Woody n’en avait pas, juste … visiblement pas à ce point-là. Ce n’était pas le genre de compagnie avec qui il allait rire aux éclats, jusqu’à en pleurer, Ruby. C’était le genre de compagnie où la confrontation serait reine, où les paroles échangées en cacheraient d’autres bien plus viles. Et sans doute que pour la rouquine, c’était la même chose, et que ses larmes de rire n’étaient qu’une attaque de plus, au fond. De la moquerie pour le faire sentir con. Ça ne fonctionnerait pas, Woody avait déjà dit toutes les conneries du monde sans trop s’en soucier, ce ne serait pas ce soir qu’il commencerait à peser ses mots ou à tourner sa langue sept fois dans sa bouche. « Ne sois pas si dure envers toi-même. Comme si t’étais pas grand-chose. T’es pas si pire que ça. » Ajouta-t-il sans qu’on sache toutefois s’il était honnête ou non, vu son ton de voix et l’emphase qu’il mettait sur certains mots, pour laisser planer le mystère. Ruby le félicita ensuite de l’avoir fait pleurer de rire, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps, ajouta-t-elle d’un regard plus sombre, d’une voix plus froide. Il esquissa un faible sourire. Ils avaient tous leurs démons, au fond, chaque personne dans cette pièce. Ruby et lui étaient peut-être différents aux premiers regards mais au fond, ils se ressemblaient davantage que ce qu’ils voulaient bien croire. Ou se laisser croire. « Bah, je suis ravi d’avoir cet effet-là sur toi. C’est rare qu’on me dise que je fais pleurer de rire et non pas pleurer pour d’autres raisons. » Affirma-t-il avec un léger rire. Il n’avait pas de mal à l’avouer, ça, parce que ce n’était plus un secret pour personne, sans doute encore moins pour Ruby. Après tout, si elle le détestait autant, c’était bel et bien en raison des cœurs qu’il avait brisés, ou plutôt d’un de ceux-là en particulier. Un des seuls que Woody n’aurait véritablement jamais voulu briser. Malgré tout ce qui s’était dit, malgré tout ce qu’ils continueraient à se dire, Ruby l’attira vers lui en referma ses cuisses autour de son corps, l’emprisonnant sans que ça ne soit clair si Woody y consentait ou non. « La solidarité masculine, on y repassera. » Releva-t-il en roulant des yeux après avoir croisé le regard de certains des amis de Ruby, qui picolaient et jouaient encore aux fléchettes, à la vitesse d’une tortue. Quand Woody reprit les paroles de la jeune femme concernant son filet dans lequel il emprisonnait ses conquêtes, elle ne tarda pas à le prendre personnel. Il leva les yeux au ciel. « Ah bon ? Je ne savais pas que tu tenais un registre des femmes qui passaient dans mon lit. Attention, Ruby, je pourrais commencer à croire que ça cache une certaine jalousie … Être stalkeuse à ce point, ça ne cache jamais des intentions bien saines … » Pourquoi s’intéressait-elle autant à lui ? Aux femmes sur qui il avait posé le regard ? Depuis combien de temps suivait-elle sa vie comme pour en acquérir tous les moindres détails à lui remettre en pleine face ? C’était étrange, c’était dérangeant. « Je ne tombe dans les filets de personne, moi. » Il avait les yeux bien trop ouverts sur ce qui se tramait devant lui pour se faire aveugler par des stratégies. S’il tombait amoureux, ce n’était pas parce que l’autre personne l’avait attrapé. Quand il releva le fait qu’elle le détestait supposément, Ruby parla du fait que n’importe qui peut se tromper, prenant exemple sur sa sœur. Woody ne répondit rien, et la regarda s’en aller vers la cible de fléchettes pour lancer la sienne presque directement au centre. Avant de lui laisser la place, elle reprit sa cigarette interrompue, et sortit la fumer à l’extérieur. Le jeu des fléchettes ne servait plus à rien si la seule principale concernée ne regardait pas. Le jeune homme passa donc son tour et alla reprendre sa veste de cuir au bar avant de sortir rejoindre Ruby, sans trop savoir pour quoi il la suivait, au fond. « Je suis pas désolé. Pas du tout. Si c’est la pitié qu’tu recherches ce soir en me parlant, ou d’la compassion, appelle ça comme tu le veux, c’est pas auprès de moi que tu la trouveras. » Lâcha-t-il, à peine arrivé à sa hauteur. « J’suis pas une bonne personne mais ça, tu dois déjà le savoir. Alors je sais franchement pas ce que tu veux. »
  

C’est assez drôle quand on y pense. Que je sois en compagnie de la seule personne sur cette planète qui m’insupporte au maximum. Woody. Je suis certaine que dans une autre vie, nous aurions pu être amis. Comme avec Barney. Car dans le fond, Woody n’est qu’un Barney et je plaignais les pauvres filles qui couchaient avec lui. Il faut dire qu’il avait de quoi jeter de la poudre aux yeux aux demoiselles mais pas avec moi. A vrai dire, il me mettait plus mal à l’aise qu’autre chose. Je grimace alors tandis que mon compagnon d’infortune me lance ce qui semble être un compliment. « Venant de toi, ça me touche, lançai-je sarcastique. » Puis j’éclate de rire. Un rire franc et qui s’est fait rare ces temps-ci. On dit toujours qu’on se remet pleinement d’une tragédie lorsque qu’on vient à rire mais pas ce genre de tragédie. Une vulgaire peine de cœur ou un truc dérisoire. Sauf que mon cœur étant en panne, je ne risquerai pas de pleurer en me remettant d’une rupture difficile. Je n’en ai eu que deux et les deux se sont passées avec une bonne transition. Incompatibilité relationnelle avec la personne. « T’as qu’à pas être un con Woody et tu ferais pleurer moins de filles. Soit clair avec elle dès le début, écoute-moi chaton en détresse, je ne m’intéresse qu’à ton vagin et rien d’autre so let’s go ! Même Barney est moins cruel que toi et pourtant c’est un con. » Je ne faisais qu’énoncer la vérité. Après tout, je suis ce genre de femmes. Surtout lorsqu’elle a un coup dans le nez et c’est mon cas ce soir. Preuve en est que je descends les verres les uns derrière les autres et du coup mon fort accent écossais (ainsi que mes mauvaises manières) ressortent d’un seul coup. « Y’a pas de solidarité quand on veut sauter une fille. C’est à celui qui l’attrapera le premier et manque de bol, je suis une anguille éléctrique donc pour me choper bon courage ! » Ma chasteté forcée en était la preuve. Je fais un coucou aux mecs qui semblent plus s’amuser que moi tandis que j’invite le brun à s’approcher de moi. A entrer dans mon espace vital comme on dirait. Je le fixe donc avec un petit sourire narquois sur les lèvres. J’éclate de rire lorsqu’il mentionne la jalousie. Ma main se fait un peu aventureuse, s’attardant sur ses abdos. « Chéri, c’est de notoriété publique où tu laisses trainer ton pénis. Il suffit de lire The writers ou de chercher les nanas qui te tournent autour lors des célébrations. Et puis je ne suis pas du genre jalouse. Plus possessive mais je le serai jamais avec toi. » Mon rire se fait moqueur tandis que j’en viens à avoir un passage à vide. Foutue dépression à la con. « Encore faux ! t’es tombé dans les miens avec une facilité déconcertante. » je lui adresse un clin d’œil. Mais comme toujours le soufflé retombe vite. Impulsive comme je suis, je me dirige froide comme un glaçon vers les fléchettes où je plante la mienne quasi dans le centre. Game over bande de nazes ! Je ne suis pas le premier prix d’une tombola. L’air frais me fait du bien et je me colle dans la ruelle pour allumer ma clope. Le feu a tué ma famille donc il était normal que la fumée en face de même avec moi. Mais comme attirée par un os qu’il aurait laissé s’échapper, Woody vient à ma rencontre. « Oh pitié ton numéro de dramaqueen a deux balles réserve-le pour tes pouffes, Woody ! je ne suis pas une bonne personne blablabla, t’es un crétin certes mais t’as tué personne ou t’as pas violé les gourdes que tu ramènes dans ton lit. T’es ni bon ni mauvais, t’es juste con. » Je me contente de hausser les épaules, laissant ma cigarette se consumer sans tirer dessus.

Son sarcasme fit sourire Woody, au moins elle le connaissait assez pour savoir que ce n’était tellement pensé, véridique. Mais il était vrai que c’était mieux que rien, aussi. Il aurait pu la rabaisser, il aurait pu lui sortir ses quatre vérités, lui qui semblait toujours si enclin à rabaisser les autres pour s’élever ensuite. Un peu comme s’il avait quelque chose à prouver aux autres, alors que c’était plutôt lui-même qu’il cherchait à convaincre. Avec Ruby toutefois, même s’il ne la portait pas dans son cœur, il aimait le jeu qu’ils avaient instauré entre eux sans trop en verbaliser l’entente. Puis, la rousse éclata de rire, ce qui aurait pu déranger Woody puisqu’elle se payait sa tête, mais il n’en était rien. Au moins, elle ne pleurait pas. Là, il aurait déguerpi. « Tu serais surprise de savoir le nombre de filles que ça m’enlèverait, de dire ça. Y’en a beaucoup qui croient encore au prince charmant, à la romance, qui pensent que je sauterai sur mon téléphone dès le lendemain pour les rappeler. Si j’entretenais pas le mythe pour mieux le briser, bah … j’aurais rien à briser. » Il n’aurait rien du tout, il passerait son temps seul ou avec des femmes qui n’avaient que trop peu de respect pour elles-mêmes. Certes, Woody n’en avait pas davantage pour sa propre personne, du respect, mais ce n’était justement pas avec lui-même qu’il désirait coucher. Quand Woody parla de solidarité masculine et que Ruby affirma que ça n’existait pas quand il était question de femmes, il esquissa un sourire. « J’vais les laisser s’électrocuter et s’brûler à toi, moi, j’suis pas intéressé. » Il n’avait que maté son derrière, il n’avait pas cherché à la toucher. Regarder de loin, c’était bien différent que de tenter les rapprochements. C’était Ruby qui semblait vouloir le faire prisonnier d’elle-même, lui n’avait rien demandé. Il tourna quand même la tête vers les autres hommes quand elle leur fit coucou, parce qu’au fond, d’un point de vue extérieur, tout portait à croire que Woody venait de gagner. Il pouvait au moins leur laisser croire ça, même si au fond, la partie venait à peine de commencer et qu’il ne savait même pas ce qu’un ou l’autre désirait y gagner. « C’est pas ce que tes jambes laissent croire. » Elle disait ne pas être possessive envers lui, qu’elle ne le serait jamais avec lui, et pourtant elle le maintenait contre elle, de ses longues jambes déroutantes. Il affirmait ne pas être tombé dans ses filets, dans les filets de personne d’ailleurs – même si ça, c’était un mensonge -, et Ruby semblait croire le contraire. « Pour une fille qui bégaie comme George VI, j’trouve que t’as un peu trop confiance en tes capacités. » Fit-il remarquer. Woody jouait, il ne tombait pas pour elle. Au mieux, il lui faisait croire que c’était le cas pour mieux la laisser tomber ensuite et lui faire comprendre qu’au fond, c’était elle qui en demandait plus. Ruby s’éclipsa à un certain moment, pour aller prendre l’air et fumer. Toutefois, comme Woody n’avait pas décidé que le jeu se terminerait maintenant, même si celui prévu à la base – les fléchettes – l’était, il alla la rejoindre. « Tu parles comme si tu me connaissais. Tu m’connais pas, Ruby. Peut-être que tu t’caches derrière ton écran en lisant toute la merde qu’on peut écrire sur les gens d’ici, et ça t’donne l’impression de tout contrôler, mais au fond ça te fait sombrer dans l’ignorance. Tant mieux si c’est là que t’es confortable, c’est peut-être mieux comme ça en fait. » Qu’elle ne sache pas qui il était réellement, qu’elle garde cette image de lui. N’était-ce pas exactement ce qu’il voulait ?

Etre face à Woody dans ce genre de soirées était surréaliste. Surtout quand on savait à quel point j’étais en train de sombrer. Alcool, drogue, le parfait cliché de la jeune fille qui était complètement perdue. Et me voilà qui flirtait avec la personne que je haïssais le plus au monde. Ma petite voix intérieure me soufflait que j’étais tombée bien bas, que je ne devrais pas par égard pour Freja. Mais il ne s’agissait là que d’un jeu, un jeu qui n’était pas si innocent mais je savais que des deux côtés, il n’y aurait jamais rien. « Le prince charmant n’existe pas. » J’y ai cru, j’étais assez romantique pour le croire et tous mes amis le savaient. Je l’avais même dit dans la presse et pourtant, il suffisait d’un incendie pour me faire perdre mes réalités. Mes croyances. La vie était mal faite. Il n’y avait que des hommes comme Woody dans ce bas monde. Des pauvres cons et des crétines assez naïves pour tomber dans leurs filets. La haine qu’il m’inspirait n’était pas légitime, je le savais. Tout n’était question que de Lachlan dans le fond. Il m’avait bousillé en détruisant mes espoirs et je passais ma rage sur des pauvres types comme Woody. Car c’est qu’il était dans le fond un pauvre type. « J’ai cru comprendre. » Ma voix se fait dure comme de la glace tandis qu’il m’informe n’être pas intéressé. Pourquoi est-ce que cela me fait chier dans le fond ? Parce qu’il s’intéressait à toutes les filles de cette planète et que j’étais sans doute trop laide pour qu’on daigne poser le regard sur moi. Je desserre donc mes jambes avant de me redresser sur mon tabouret et de la fixer avec un air détaché bien que dans le fond, j’étais blessée. Blessée dans mon orgueil. « Si tu n’es pas intéressé, tu es libre de partir. » Je passe une main dans mes cheveux avant d’enchainer un verre, puis deux. Noyer mon chagrin, noyer ma peine, me laisser submerger par l’alcool et me laisser couler. « Au moins t’es pas si débile que t’en as l’air, répondis-je maussade à sa référence à George VI. » Ainsi n’avait-il donc rien appris sur moi-même ? Depuis le temps où l’on se croisait et où je l’évitai. Je décide d’un coup de poignet de mettre fin à la soirée pour sortir fumer une clope. Jusque là fumer à l’intérieur n’a jamais dérangé personne. Sauf cette chochotte. Je me tiens adosser contre le mur, déversant mon venin sur lui. Mon regard se fait haineux et ses paroles m’atteignent en plein cœur. Ma main bien malgré elle s’abat sur la joue de mon compagnon. J’en ressens la douleur. « Tu ne sais rien de moi, Woody. Tu me dis que j’sais rien de toi alors ça veut dire que t’es qu’un lâche ! t’es qu’un lâche qui a peur de ressentir quelque chose et c’est pour ça que tu brises le cœur de toutes les filles qui croisent ton chemin. Que t’es qu’une pourriture. Moi à la différence de toi, j’ai du cœur. T’as brisé mon amie en mille morceaux et tu t’attends à ce que je sois sympa avec toi ? J’en ai rien à foutre de qui tu es. De ce que tu es. » Je laisse tomber ma cigarette par terre tandis que les larmes se mettent à couler sur mes joues mais pas de joie. « Ma sœur n’a pas demandée à mourir dans cet incendie et je n’ai pas demandé à être actrice, ni même à ce qu’on me sauve la vie mais moi, je suis honnête avec les gens. Je n’ai jamais menti, triché et c’est sans doute pour ça qu’en fin de compte tu finiras tout seul. Comme moi. » Sauf qu’à la différence de lui, je me suis toujours montrée sympa avec tout le monde. Je n’ai brisé le cœur de personne et on ne m’a jamais lapidé le cœur. Il avait encore sa famille, j’avais perdu la mienne. Je me détache alors du mur pour ne pas retourner à l’intérieur, j’avais pris mes affaires et m’éloigner dans la nuit. Maudissant tout mon entourage pour me maintenir en vie, sans doute un peu trop saoule et éparpillée en mille morceaux.

Elle affirmait que le prince charmant n’existait pas, ce que Woody venait très exactement de sous-entendre également. Il hocha donc la tête, d’abord en silence, portant son verre à ses lèvres pour le terminer avant de le redéposer sur le comptoir, vide. Seuls les glaçons restants s’entrechoquèrent sous le choc. « On peut au moins s’entendre là-dessus. » Ils ne se faisaient pas d’illusions. Le monde était rempli de pourritures et ni l’un ni l’autre ne faisait exception à la règle. Elle pensait peut-être s’élever au-dessus de lui à coup d’insultes, mais au fond, Ruby n’était pas une sainte. La preuve, malgré qu’elle le repoussait avec conviction, malgré qu’elle criait haut et fort sa haine pour lui, par respect et par loyauté pour Freja, sa meilleure amie, elle était quand même en train de jouer à ce jeu dangereux avec Woody, ce jeu où personne ne ressortait jamais tout à fait intact. Elle devait le savoir et pourtant, elle se laissait glisser doucement, lentement. D’une voix si froide, si dure, Ruby lui dit alors qu’elle avait cru comprendre, qu’il n’était pas intéressé. Tout comme elle lui avait fait comprendre, à lui, qu’elle n’avait aucune estime pour sa personne. C’était donnant-donnant, elle ne récoltait que ce qu’elle semait, et Woody était surpris de sentir dans sa voix qu’elle aurait pu s’attendre à quoi que ce soit d’autre. Elle le libéra finalement de son emprise, comme atteinte par ses paroles, et elle se leva en lui rendant verbalement sa liberté. Comme s’il avait besoin de l’autorisation. Woody ne suivait aucune règle, aucun ordre, surtout pas ceux qui provenaient d’une personne qui n’avait aucun respect pour lui, et envers qui il n’avait aucun respect non plus. « Je l’ai toujours été. » Libre de partir. Alors pourquoi ne pas l’avoir fait ? C’était une question à laquelle lui-même n’avait pas la réponse, pour le moment. Peut-être parce que la flamme qu’elle faisait rugir entre lui, la rage qui se déchaînait à chacune de ses paroles, était autant dérangeante qu’amusante. Presqu’enivrante. Peut-être était-ce d’ailleurs ce sentiment qui le poussa à aller retrouver sa chevelure de feu quand Ruby sortit fumer sa clope à l’extérieur. Et qu’il déversa à nouveau ses cruelles paroles sur elle, comme pour la provoquer, pour la mettre hors d’elle-même. Au moins, de cette manière-là, ils étaient vivants. « T’es une contradiction en toi-même, Ruby. Tu me dis que le fait que je dise que tu ne sais rien de moi fais de moi un lâche, mais tu me dis exactement la même chose : que je ne sais rien de toi. T’es aussi lâche, alors !? T’en as rien à foutre de qui je suis, de ce que je suis, alors qu’est-ce qui te ferait croire que j’en aurais quelque chose à foutre de ta sœur, de ta carrière, de ta vie rescapée ? » Lui cracha-t-il comme un venin destiné à lui enlever son dernier souffle. Il n’avait jamais été considéré comme quelqu’un de gentil, Woody, mais rarement pouvait-on le voir aussi méchant, injuste. Un être horrible. Elle faisait ressortir le pire de l’homme, Ruby. « T’as raison sur un point, je n’ai pas de cœur. Et oui, j’finirai mes jours seuls. Mais ce que tu sembles pas avoir compris, c’est qu’à la différence de toi, moi, c’est exactement ce que je veux. » Sur ce, Ruby s’écarta du mur et prit ses affaires, s’éloignant de lui. « Et c’est qui, qui a peur de ressentir quelque chose, là, hein ? » Lui cria-t-il alors qu’elle fuyait.

J’avais décidé de sortir pour échapper à l’air étouffant du pub et reprendre un peu mes esprits. Je jouais à un jeu bien dangereux avec Woody. Un jeu auquel je n’avais pas l’habitude de jouer, auquel j’étais souvent la spectatrice. J’ai vu comment les hommes comme lui s’y prenaient avec les jeunes femmes. Ils les traitaient comme des objets. Mais je n’ai même pas le temps de finir d’allumer ma cigarette que l’australien décide de me suivre à l’extérieur. Dans la nuit bowénienne. Je le fixe alors la cigarette au bord des lèvres tandis que le pire commence à se produire. C’est dingue comment peu de personnes peuvent faire ressortir mes mauvais côtés. Lachlan, lui. Tous des mâles. J’ai tendance à peu m’énerver mais lorsque je le fais, ça part dans tous les sens. D’un côté, il n’a pas tort. Je ne le supporte pas et pourtant, je l’ai emprisonné dans mes jambes, j’ai caressé ses avant-bras, j’ai flirté avec lui. C’est comme danser le tango avec la mort sur une corde raide. « Je ne suis pas une lâche, j’ai juste pas envie que tu saches mes moindres secrets y’a une nuance. Toi tu joues un jeu. Depuis le début. Celui du fier et fort Woody. Redescends d’un étage cowboy t’es juste pathétique. A coucher avec tous les vagins que tu croises et en être fier, à clamer haut et fort : regardez-moi je préfère être seul. Personne veut être seul. Si t’avais voulu être seul, tu sortirais pas dans les bars et tu flirterais pas avec toutes les donzelles qui passent avec des grands cils. » Je tire sur ma cigarette sachant que cette leçon de psychanalyse est gratuite. Lorsqu’il me clame qu’il a pas de cœur, je lève les yeux au ciel. Je pouvais sentir la colère émaner de tous ses pores. Alors, j’en ai assez. Je n’ai jamais été très douée pour me battre avec les gens. Je suis la gentille et la douce Ruby. Sally était celle qui avait de la fougue entre nous deux. Pour ma part, je me contentai de regarder et d’essayer d’apprendre. Elle n’était plus là et mon apprentissage n’était pas achevé. Seulement sa remarque me fait hésiter. Je me stoppe net avant de soupirer. « Putain ! » J’allai sans doute finir aux enfers pour ce que je m’apprêtai à faire –lui coller mon poing dans la gueule- mais je me retourne vivement pour le plaquer avec violence contre le mur. Mon regard empli de haine se lève vers le sien. Je serre le poing, les dents tandis que le sang afflue dans mes tempes. Et c’est là que je comprends. Il a le même regard que moi. Désespéré. Il avait donc bel et bien peur d’être seul. Mon poing se détend alors, ma main reprend de sa fonction tandis que l’autre agrippe toujours son tee-shirt. Il avait besoin de compagnie. J’en ignorai la raison mais il avait ce besoin de s’engueuler avec quelqu’un. Pour se sentir vivant. Je rencontre le même regard tous les matins dans le miroir, je ressens les mêmes émotions. Je baisse alors finalement les yeux. Je laisse planer le silence. Comme les dernières notes d’une musique ratée. Puis, je me mets doucement sur la pointe des pieds pour déposer délicatement mes lèvres sur sa joue. Je ne vais pas l’embrasser par pitié non plus. D’ailleurs ce n’était pas de la pitié mais plus de la compréhension. « Je ne sais pas ce qu’il t’arrive mais je ne serai pas ton défouloir, Woody, clamai-je calmement, si tu n’as pas envie d’être seul ce soir, deux choix s’offrent à toi. Soit tu me suis dans ce bar et on boit un coup et on se fait un billard ; soit tu t’en vas. Je n’ai pas peur de ressentir les choses. Je vais te les dire calmement sans hausser le ton. Je suis morte. Je sais que tu t’en fous, je sais que ça t’atteindra pas mais y’a pas si longtemps je me suis jetée du haut d’un pont. J’ai baissé les bras et maintenant je suis comme une morte-vivante dans les rues de cette ville que je déteste, restant en vie uniquement pour elle. » Je n’ai pas besoin de prononcer son prénom, il sait de qui je parle. D’une personne que nous avions en commun. « T’as le même regard que moi. Je sais pas ce que tu as abandonné mais t’as abandonné. Et il est hors de question que je… je… je m’engueule avec toi pour te faire sentir vivant. On vaut mieux que ça toi et moi. On s’apprécie pas mais on vaut mieux que ça. » De nouveau comme pour sceller mes dires, je me mets de nouveau sur la pointe des pieds comme pour sceller un pacte, j’effleure ses lèvres sans réellement l’embrasser. Revirement de situation puis j’inspire profondément. Après, je fais volte-face et avant d’entrer dans le bar, je me stoppe pour lui adresser une dernière parole. « Si tu te bats pas pour toi, bats-toi pour elle. Et quand je ne serai plus là –car je vais partir avant toi- prends soin d’elle pour moi d’accord ? » Puis, j’entre dans le bar pour aller reprendre ma place au comptoir, je reprends une Guinness, je m’autorise à avoir un sourire factice avant de fixer mes mains. en me confiant à lui, je n’avais même pas remarqué que j’avais enfoncé mes ongles dans mes paumes et que ces dernières saignaient. Un mal pour un bien comme on dit.