courir dans la verdure -r.

C'était à Vicky que tu avais demandé son avis mais le vendeur n'avait pas pu s'empêcher d'y mettre son grain de sel. Ce qui n'était pas pour te déplaire, bien au contraire, tu appréciais qu'un serveur puisse te conseiller sur les produits qu'ils avaient en vitrine. Au moins ça voulait dire qu'ils n'étaient pas totalement ignorant sur ce qu'ils vendaient et sur ce qui pouvait se trouver à l'intérieur de chaque pâtisserie. Tu n'étais pas très regardante en général mais quand ça se passait ainsi, tu te sentais tout de suite plus rassurée sur ce que tu mangeais. Dans un monde où les sucres sont cachés partout, que les étiquettes n'indiquent pas vraiment tout ce qui composent les produits, tu aimais les magasins qui osaient la transparence. Une fois assise à table, face à elle, tu avais posé la première question qui t'étais venue en tête. « J'espère qu'une grosse opportunité te tombera dessus, c'est pas à New-York qu'on pourra faire du jogging toutes les deux ! » Ou que vous pourriez faire une séance de shopping, une soirée entre filles ou tout autre activité que tu aimais partager avec elle. Tu appréciais beaucoup la compagnie de la jeune femme et elle viendrait à te manquer si jamais elle repartait. Tu ne savais pas si ça serait provisoire ou si elle ne remettrait plus jamais un pied à Bowen. Des questions qui resteraient en suspens parce que tu les gardais pour toi. Ce n'était pas le plus important au fond. « J'approche de la fin si je ne me trompe pas, il y aura des examens bientôt et comme depuis un an, c'est une véritable galère à réviser. » Tu retenais très bien tout ce que tu pouvais apprendre mais malheureusement, tu l'oubliais chaque jour. Par chance, la plupart des techniques tu les avais apprises avant ton accident, ce qui te permettait de t'en sortir le plus souvent. Mais il y en avait quelques unes qui étaient arrivées après et là c'était plus compliqué. « Mais bon, jusque là je m'en suis sortie, ça devrait le faire je pense. » Puis le jury était informé de ta situation, tu n'allais pas avoir un traitement de faveur pour ça mais tu ne serait pas non plus sanctionné de la même façon si jamais tu venais à te planter. Une souplesse plus légère pour toi, ils ne pouvaient pas non plus ignorer les effets de ton accident. « Et les amours ? » demandais-tu avec un grand sourire avant d'avaler une bouchée de ta tarte. Cela faisait longtemps que tu ne lui avais pas posé la question. Tu n'avais rien de noté la dernière fois que tu l'avais vu en tout cas. Et tu n'avais pas pu l'oublier. 

Tu l'ecoutais te décrire le paysage et si tu avais fermé les yeux, tu aurais pu t'y croire. « Et maintenant tu me donnes presque envie d'y aller. » Tu rigolais doucement, tu avais déjà vu Central Park en photo, tu t'en souvenais aussi dans les romans de Musso que tu lisais plus jeune. Les derniers que tu avais lu, tu devais les finir en un jour et le lendemain tu ne savais déjà plus l'histoire. « C'est vrai que ça pourrait être sympa ! » Tu ne prenais presque jamais de congés, une semaine l'été et une l'hiver pour te reposer un peu. Mais en dehors de ça, c'était tout. Alors à l'idée de pouvoir partir quelques jours à New-York, tu étais ravie. Rien n'était fait pour autant. « On verra bien, dans tous les cas, on fêtera ça ensemble. » Que ce soit une réussite ou un échec. Tu n'allais pas te laisser abattre après tout. Tu avais beaucoup travaillé et il y avait eu des aménagements pour te permettre de terminer ta formation. Ça aurait été dommage surtout que tu faisais du bon travail. « Comme toi, au point mort et je ne pense pas que ça va changer de sitôt. » C'était assez difficile d'entretenir une relation quand tu n'avais pas de mémoire à court terme. Prendre en notes tes journées, détailler la plupart de tes relations, c'était parfois épuisant. Un vrai poids par moment. Alors si tu devais garder constamment l'évolution d'une relation amoureuse, ce serait encore plus de boulot. Sans parler de tes sentiments qui étaient un éternel tourbikk. « Je crois que je ferais mieux de prendre un chat. » Même si lui aussi tu l'oublierais tous les jours et tu serais surprise s'il venait te réveiller avant que tu ne lises tes notes.

Elle avait raison, tu ne devais pas te laisser abattre, ne pas te décourager. Tu arrivais au bout, ça serait dommage de tout planter maintenant. Si tu le faisais, tu ne trouverais probablement pas de boulot sans diplôme. Tu devrais ouvrir ta propre boutique et tu n'en avais pas vraiment les moyens. Ni l'envie. Ça ne te dérangeait pas d'avoir un patron à qui rendre des comptes puisque tu étais minutieuse dans ton travail. Tu n'avais jamais commis d'erreur depuis que tu avais commencé ton apprentissage, jamais ton patron n'avait eu à se plaindre de toi. Sauf pour trop travailler peut-être mais ce n'était pas souvent qu'il te le disait. « C'est difficile quand tous les matins on ne se souvient de presque rien ! » Tu ramenais souvent tout à ta condition, ce n'était pas une excuse juste un fait. Tu appréhendais tes examens et tu avais bien raison d'avoir peur. « Je crois que ce serait le plus simple effectivement. » Il fallait déjà que tu en parles à ton colocataire. Même si à présent, tu ne l'avais pas du tout en tête et tu n'allais pas t'en rappeler de sitôt mais ça pouvait être une bonne chose à faire. De toute façon tu n'allais pas en acheter un en rentrant, il fallait te rendre au refuge, en adopter un et ça prendrait un peu de temps. « Comme à chaque fois que je rencontre quelqu'un depuis plus d'un an, je l'oublie un un clignement de cils, c'est assez compliqué de créer une relation. Pourtant il y a cet homme, celui qui m'a sauvé juste après l'accident, à chaque fois que je le vois, j'ai comme des papillons dans le ventre. » Assez compliqué de te sentir en sécurité, assez compliqué d'entretenir une relation saine, en tout cas de ton côté. Puisque c'est toi qui avait du mal à te souvenir. Tu savais que tu ressentais certains sentiments, surtout lorsque tu te trouvais en compagnie de certaines personnes mais tu ne pouvais pas dire si c'était de l'amour ou non. Les médecins ne pouvaient pas non plus t'éclairer sur le sujet, comme ton cerveau était blessé, les manifestations étaient compliquées à interpréter.

Parler de ta maladie ne te ne dérangeait pas tellement, tu le faisais sans problème quand les gens pouvaient comprendre et qu'ils ne te prenaient pas en pitié. Evidemment ce n'était jamais facile pour les autres de comprendre ce que tu pouvais traverser ou les problèmes que ça pouvait engendrer sur ta vie au quotidien. Tu avais préféré passer sur un sujet plus léger, un sujet comme l'amour. Un sujet aussi compliqué que le précédent pour toi. « Je ne peux pas vraiment le savoir, on s'entend bien et on essaie de se voir une fois toutes les deux semaines. » Ça te faisait du bien de passer du temps avec lui, de passer un bon moment, de rire. De vraiment rire, de parler de tout, de rien mais pas une seule fois de ta condition physique. C'était bien ça qui était important à tes yeux, tu le voyais vraiment comme ton sauveur. Après tout sans lui, ça aurait pu être pire pour toi. « Les médecins ne savent pas vraiment, c'est bien là le problème. Mon cas peut s'arranger, comme stagner ou même empirer. » Tout ce qui touchait au cerveau était difficile à expliquer. Tu ne savais pas vraiment quelle partie de ton cerveau avait été endommagée. Tu pouvais faire des examens, tu pouvais passer sur le billard mais ils ne pouvaient pas être certains à 100% que ça changerait quelque chose. « Enfin comme tu le devines, c'est pas la joie mais je fais avec. » Il fallait garder la tête haute, si tu te laissais abattre maintenant, tu n'étais pas certaine de pouvoir te relever par la suite. Et puis, comme tu le disais souvent, tu n'étais pas la plus à plaindre. Certes ce n'était pas facile pour toi mais il y avait toujours pire. Tu terminais ta pâtisserie en même temps que ta boisson, il serait bientôt tant pour vous de laisser place à de nouveaux clients. Et de penser à ce que vous pourrez faire ensuite. « Est-ce que ça te tenterais de finir cette journée avec un peu de shopping ou une séance de ciné ? » proposais-tu avec un grand sourire sur le visage.