think on the present and not other times (andreas)

Lennox se trouvait au travail, vers l’heure du lunch, quand Andreas lui avait envoyé un message d’abord bien léger, mais qui au fil de la conversation s’était avéré bien plus grave. Son père était décédé, c’était sa mère qui le lui avait appris par téléphone. Lennox savait fort bien que les relations entre le norvégien étaient tendues, sensibles, à la limite de l’inexistence. Ils n’en avaient jamais parlé en long et en large, Lennox avait toujours respecté la douleur que ce sujet apportait à son homme et il était bien placé que certains sujets de conversation étaient à éviter tant qu’on était pas prêt à les affronter. Toutefois, maintenant que son père avait perdu la vie, ce serait inévitable qu’Andreas se replonge dans de douloureux souvenirs. Lennox voulait être là pour lui dans ce moment, parce que peu importe ce qu’Andy en disait, ça ne serait pas facile. Alors même si l’ambulancier lui demandait de rester au boulot, de ne pas le rejoindre malgré l’insistance du notaire, ce dernier rangea ses dossiers et annula ses rendez-vous de la journée, donnant ainsi un travail monstre à Aisling pour le reste de l’après-midi, qui allait devoir rappeler tous ces gens et prendre de nouveaux rendez-vous parmi les plages horaires déjà bien chargées de l’homme. Il s’en excusa fortement, mais c’était une situation familiale qu’il jugeait urgente. Et puis, elle comprenait, évidemment. Lennox avait donc pris le chemin de la maison, tentant de garder toute sa concentration sur la route malgré son cœur qui battait la chamade et le malaise qu’il ressentait face à cette situation. Il avait l’habitude d’être celui qu’on réconfortait, il avait l’habitude d’être celui qui souffrirait, d’être celui qui gardait pour lui une noirceur qu’il ne voulait dévoiler au grand jour. Il ignorait s’il pourrait être à la hauteur, pour Andreas. Hormis ses capacités à gérer la succession en raison de son métier, Lennox n’avait aucun talent quelconque pour faire en sorte que les gens autour de lui se sentent mieux, au contraire. Il s’arrêta dans une aire de restauration rapide où il ramassa quelques plats. Peut-être qu’Andreas n’aurait pas d’appétit, mais peut-être aussi que ce serait tout le contraire. Il préférait être prêt face à toute éventualité. Il revint avec un sac rempli de nourriture bien chaude, et se gara dans le stationnement sous l’immeuble, avant de remonter dans l’ascenseur jusqu’à leur étage. Il poussa doucement la porte, son cœur se serrant en s’imaginant toutes les éventualités. Être confronté à un Andreas indifférent, à un Andreas atterré, à un Andreas fâché … il n’en avait aucune idée. « Andy ? C’est moi … » Lança-t-il pour annoncer son arrivée. Il n’entendait pas de bruit, ni ici ni à l’étage.

Le logement ne demeura pas silence radio plus longtemps, parce que dès qu’il eut complètement refermé la porte derrière lui, il entendit les pattes de Roxy atterrir par terre, d’en haut. Sans doute était-elle encore couchée dans le lit. Lui aurait préféré qu’elle reste par terre, qu’elle ne mette pas ses poils sur tous leurs tissus, mais Andreas avait du mal à dire non aux beaux yeux de la chienne et elle en avait pris l’habitude. Et puis, Lennox ne le dirait peut-être jamais, mais lui-même appréciait énormément la présence de l’animal directement à côté de lui, quand il était seul à l’appartement. Quand elle posait sa tête sur ses jambes, quand elle ronflait doucement alors que lui-même trouvait le sommeil devant une série télévisée, Lennox s’en voyait apaisé. Il avait donc décidé de lâcher le morceau, Lennox, parce que pour une fois l’aspect chaleureux de l’animal l’emportait sur le contrôle qu’il avait toujours eu sur la froideur des quatre murs de l’endroit. Roxy trotta joyeusement jusqu’à lui, du haut des escaliers jusqu’au hall d’entrée. Il s’accroupit pour l’accueillir et la couvrir de câlin tout en passant ses mains contre ses oreilles légèrement tombantes. Il esquissa un sourire, avant de reprendre un air plus grave lorsque son petit ami apparut dans la pièce principale. Le norvégien avait un sourire sur le visage, lui. Lennox ne savait pas comment réagir face à ce deuil, il avait presque l’air plus attristé que le fils du défunt. Mais quelque chose dans le regard d’Andreas laissait présager que ce sourire n’était peut-être pas aussi heureux qu’il en avait l’air. Lennox s’approcha de lui pour l’embrasser avec amour, pressant sa main dans le dos de l’ambulancier. « Andy, je n’allais quand même pas rester au bureau dans les circonstances. Je n’aurais pas pu. » Il secoua doucement la tête, passant une main dans ses cheveux, visiblement mal à l’aise. Finalement, à la question de son homme, Lennox brandit le sac rempli de nourriture devant lui. « Je ne savais pas si tu avais mangé, si tu avais faim ou pas … alors j’ai pris pas mal de trucs, un peu trop même. On aura des restes, c’est tout. » Peut-être qu’Andreas n’aurait pas le cœur à cuisiner dans les prochains jours, et Lennox non plus d’ailleurs s’il voyait son petit ami dans un état d’impuissance. Ils auraient au moins de quoi manger un peu, à travers la tempête qu’ils s’apprêtaient peut-être à traverser. En même temps, à voir Andreas, le soleil ne semblait pas avoir disparu complètement de la surface de leur Terre. « Comment tu te sens ? » Demanda-t-il, soucieux.

Toujours agenouillé au sol du hall d’entrée, en train d’offrir à Roxy le même accueil qu’elle lui réservait à tous les jours, Lennox releva un regard dubitatif vers Andreas. Il arqua un sourcil, une légère courbe à la commissure de ses lèvres. « Si je retrouve plein de poil de mon côté du lit, tu peux être certain que je te ferai laver les draps ce soir. » Il se redressa enfin, ne pensant pas un seul mot de ce qu’il disait. Il n’allait quand même pas faire son vieux bougon et obliger son petit ami à faire une brassée de lavage ce soir sachant que son père était décédé la veille. Quoique ça aurait pu lui changer les idées, aussi, de se tenir occupé. Mais Lennox allait plutôt être du genre à vouloir tout faire dans la maison, dans les prochaines semaines, pour être certain qu’Andreas n’ait pas trop de choses en tête. Le trentenaire passa finalement à la cuisine pour offrir son sac rempli de boîtes de nourriture pour emporter. Andreas mentionnait avoir pas mal faim, ce qui n’était pas forcément bon signe le connaissant. S’il avait un appétit qu’on peut qualifier de normal, habituellement, ça en devenait tout autrement lorsqu’il avait des coups de blues, des déprimes passagères. Lennox s’était dit que face à un deuil, ce ne serait peut-être pas le cas cette fois, qu’il n’aurait pas faim et qu’il perdrait du poids comme bien d’autres personnes le faisaient, mais visiblement son corps réagissait de la même manière qu’à l’habitude. En compensant par la bouffe, pour combler le vide. Andreas ne trompait pas Lennox là-dessus. Ou du moins, ce dernier ne pouvait pas s’imaginer qu’il puisse ne pas ressentir la moindre tristesse face à cette triste nouvelle. Alors il cherchait en Andreas le moindre signe pouvant lui faire comprendre qu’il avait mal. C’était con, il aurait dû espérer qu’il soit heureux, mais perdre un parent n’aurait jamais dû engendrer l’indifférence. Et Lennox voulait être là pour Andreas, même si celui-ci semblait vouloir se protéger le plus possible de l’inévitable. Le bris de lui-même. « Elles aimeraient sans doute que tu sois là à leur côté, c’est sûr. Et puis, même pour toi … d’y aller, ça te permettrait d’avoir un … un sentiment de fermeture, non ? » Closure. De voir son père pour une toute dernière fois, de tourner la page sur ce chapitre. Peut-être même lui pardonner. « Je viendrais avec toi, si tu veux que je sois auprès de toi. » Il esquissa un faible sourire, attrapant la main de son amoureux avant d’hocher la tête à sa question. Ils choisirent la nourriture qu’ils désiraient pour le moment, et allèrent s’asseoir au salon. Lennox passa son bras autour d’Andreas. « Tu sais que tu peux … que tu peux me dire ce que tu ressens. T’as pas à te retenir devant moi. » Même si tout laissait croire le contraire, Lennox était capable de le prendre. D’être là.

Lennox détourna le regard quand Andreas lui parla de l’autre jour, ce jour où il avait laissé Roxy monter sur le lit pour qu’ils se collent un peu, pendant l’absence de l’ambulancier. Il était vrai qu’en cas d’absence de son amoureux, qu’en cas de silence trop pesant, et lorsque l’angoisse grandissait en lui, Roxy était une excellente thérapie contre son mal. Il esquissa donc un sourire, comme pris la main dans le sac, avant d’hausser les épaules. « J’lave les draps, après. » Pour cette fois-là, c’était vrai, mais il était certain que Lennox ne laverait pas les draps après chaque fois. Et il y en aurait plusieurs autres, même s’il n’osait pas encore l’admettre face à Andreas pour ne pas lui donner une raison, pour qu’ils ne commencent pas à donner trop de libertés à la chienne. Quand le norvégien reprit sur les poils de Roxy, qui les habitueraient à quand Lennox perdrait ses cheveux, il le poussa tout légèrement alors qu’il s’était approché de lui. « Ça t’arrivera un jour, à toi aussi, tu sais. Juste un peu plus tard. » Dix années, s’ils suivaient le même timing de perte de cheveux, évidemment. Et comme Lennox avait déjà un peu moins de cheveux que lorsqu’il était jeune, on pouvait aisément s’attendre à ce que ça empire. Mais ça, il ne le dirait pas à Andreas. De quoi le faire fuir en réalisant qu’il sortait avec un vieux. Bref, le ton léger laissa rapidement place au ton plus sérieux en lien avec le décès du père d’Andreas. Après tout, rire lui changerait peut-être les idées, mais il fallait quand même en parler. Évidemment, quand Andreas parla de la demande de sa mère et de sa sœur concernant sa présence à l’enterrement, Lennox proposa d’accompagner son homme. Ils étaient ensemble depuis plus d’un an, il n’allait quand même pas rester ici dans une telle épreuve. Andreas en ferait autant pour lui. « Je rentrerai tôt demain, je terminerai les dossiers les plus urgents, je déplacerai beaucoup de rendez-vous pour en prendre le plus possible dans la journée, et je repousserai les moins urgents à la semaine prochaine. » Expliqua-t-il, organisant en même temps sa pensée, en se demandant si ce serait possible. Aisling allait très certainement lui en vouloir pour tous ces changements de dernière minute mais bon, elle était payée pour ça. Et il lui offrirait peut-être un petit bonus pour la remercier. « J’arriverais pas à te laisser y aller tout seul, Andy. Et à rester ici, seul. Je peux absolument prendre ces congés. » Lui affirma-t-il, prenant sa main dans la sienne pour le suivre jusqu’au salon. Il lui ouvrit ses bras pour qu’il vienne s’y blottir, et le notaire essaya de mettre Andreas à l’aise, pour qu’il s’ouvre à lui. « Ils ne t’ont peut-être rien dit parce qu’ils ne savaient pas si tu voulais avoir de ses nouvelles. » C’était peut-être une mauvaise décision, il n’en savait rien, mais dans les mêmes circonstances il n’aurait pas su quoi faire non plus. « Il avait beau être homophobe, Andy … il était ton père. » Et rien que ça était un lien assez fort pour qu’il ait de la peine, et que ça soit justifié.

Suite aux paroles d’Andreas, Lennox tenta de s’imaginer le norvégien le crâne rasé, et bien vite il s’obligea à chasser cette image de sa tête. Il secoua d’ailleurs cette dernière, signe que cette idée était à balayer jusqu’aux oubliettes. « Ne fais pas ça, s’il-te-plaît. » Il esquissa un sourire avant de rire. S’il avait à perdre ses cheveux par la force du temps et de la vieillesse, alors soit. Lennox l’aimerait peu importe la calvitie, peu importe les rides, peu importe les mains fripées par la vie. Parce que cette vie qui les malmènerait alors leur aurait également permis de se rencontrer et de s’aimer et ça, ça pardonnait à tous les changements physiques qui s’ensuivraient. « J’sens déjà la facture d’électricité grimper, si on doit laver les draps cinq fois par semaine. » Il disait cela d’un ton détaché, humoristique, il s’en foutait bien Lennox du nombre de brassées de lavage à faire si Andreas pouvait être réconforté par Roxy le temps d’un après-midi emmitouflé dans les draps et contre le chien. Si elle pouvait lui tenir compagnie quand lui n’était pas là, par ces temps difficiles, alors Lennox l’autorisait à s’asseoir et à se coucher n’importe où, à ce chien. Les deux hommes passèrent finalement à la cuisine, où le ton léger et les petites taquineries d’un jour normal laissèrent leur place à la triste réalité. Il avait voulu se montrer un peu plus doux, un peu plus calme, à son arrivée, mais ils ne pouvaient ignorer plus longtemps ce qui de passait présentement dans la vie d’Andreas. Fermer les yeux et reporter à demain la douleur ne servait à rien. Elle sera toujours là, attendant d’être libérée pour faire ses ravages. Aussi bien crever l’abcès dès maintenant. « Ce n’est pas les circonstances dans lesquelles j’imaginais les rencontrer, c’est certain … mais en même temps, c’est dans des moments comme ceux-là qu’on a besoin de s’entourer, pas vrai ? Et comme ça, ils sauront que quand tu repartiras, tu ne seras pas seul. Que tu n’es jamais seul. » Il esquissa un sourire. Ce devait être difficile, pour sa famille là-bas, de le savoir à l’autre bout du monde complètement. Alors si Lennox pouvait leur montrer qu’Andreas avait quelqu’un sur qui compter, ou du moins qui faisait du mieux qu’il le pouvait, ils seraient peut-être rassurés. Une fois au salon, Andreas s’ouvrit un peu plus le cœur sur ce qu’il ressentait réellement. Sans jeu, sans masque. Le norvégien laissa à peine Lennox ouvrir la bouche avant de déclarer l’heure du passer à table. Il le regarda se lever, surpris de cette attitude en accélérée. « Hé, slow it down, speedy. » Lâcha-t-il en fronçant les sourcils, rejoignant Andreas vers la table. « Avec des si, on ne refait pas le monde, Andy, et on change encore moins le passé. » Il savait bien qu’Andreas avait voulu changer de sujet, mais c’était plus fort que lui. Il s’imaginait lui-même perdre son père, et il ne pouvait croire qu’on puisse tasser du revers de la main nos émotions de cette manière. Ce qu’Andy gardait au fond de lui allait prendre le dessus, s’il ne le laissait pas sortir en temps opportun.  

Lennox haussa les épaules. Dans les circonstances, il n’avait pas encore qu’ils se relacent dans une autre discussion sur des concessions et des compromis à propos du chien. Souvent, ils atteignaient une sorte d’impasse, parce que d’un côté Lennox essayait d’être moins à cheval sur ses propres règlements, et d’un autre ça lui tenait encore un peu trop à cœur. Et tant que l’idée ne ferait pas davantage de chemin dans sa tête, il ne saurait jamais répondre quoi que ce soit d’autre que ça : un haussement d’épaules. « On en reparlera. Pour le moment, tu fais comme tu veux, et si j’arrive pas à m’y faire, on verra. » Il esquissa un sourire. Peut-être était-il davantage ouvert face à ce laisser-aller en raison du décès du père d’Andreas. Il se serait senti comme un bien piètre petit ami s’il commençait à imposer son sérieux et son air strict à propos d’un chien, alors qu’il y avait bien plus important et bien plus grave. Les deux hommes plongèrent d’ailleurs dans le vif du sujet une fois au salon, mais Andreas regagna la cuisine aussi vite qu’il en était sorti deux minutes plus tôt. L’appel de l’estomac était une bonne excuse pour éviter le sujet. Sauf que Lennox se montra, pour une fois, un peu plus borné. Pas parce qu’il aimait ressortir la souffrance de son amoureux, pas parce qu’il aimait le torturer à coup de questions douloureuses, mais bien parce qu’il pensait que c’était préférable de ne pas garder pour lui ses sentiments. Lui l’avait fait, à peu près toute sa vie, et regardez où ça l’avait mené. La dernière chose que voulait Lennox, c’était que l’homme qu’il aimait soit habité d’un tel mal-être. Andreas lui avoua alors que son père l’aurait sans doute aimé, lui, contrairement à son ex. Le notaire esquissa un sourire, nerveux. Il ne savait pas quoi répondre, ils ne sauraient jamais, au fond, si c’était vrai ou faux. Ils ne sauraient jamais si le père d’Andreas aurait un jour accepté leur amour. « C’est gentil. » Se contenta-t-il de répondre. « J’ai hâte de la rencontrer, moi aussi. C’est important pour moi. » Dit-il à propos de sa mère, puis, quand vint le moment de parler de Freja, Lennox prit place sur un tabouret rangé sur le côté de l’îlot de la cuisine. « Ne pourrait-elle pas venir avec nous ? » Elle venait de là-bas, elle était la meilleure amie d’Andreas, à ses yeux, elle était effectivement la personne la mieux placée pour accompagner Andreas. Peut-être même plus que Lennox lui-même. Mais si les deux venaient soutenir Andreas, alors ce dernier n’en serait que mieux. Du moins, il l’espérait. Pour le moment toutefois, l’ambulancier semblait nager dans la confusion, l’incompréhension de ses propres sentiments, et Lennox accueillit l’homme au creux de ses bras, le serrant contre lui avec chaleur et amour. « Tu n’as pas à t’en vouloir de quoi que ce soit, Andy. Qu’aurais-tu pu faire de plus ? » C’aurait été à son père de se réveiller avant, mais à la place, il s’était endormi pour toujours.   

Il recula légèrement, Lennox, quand il entendit Andreas lui avouer que Freja était disparue, envolée en fumée, sans prévenir. Sans lui dire quoi que ce soit, à celui qui devait être son meilleur ami. Elle était sa meilleure amie à lui, du moins. Mais part-on sans se retourner de cette manière, sans donner de nouvelle, quand on tient à quelqu’un ? Andreas était blessé, Lennox le sentait dans sa voix, et ça lui faisait mal à lui par le fait même. Et il apprit bien rapidement que ce n’était pas la première fois, mais que la première fois, ça s’était soldé par des années d’absence. Il fronça les sourcils, en la regardant avec un mélange de frustration et de tristesse dans les yeux. « Ça fait combien de temps, qu’elle est partie, cette fois ? » Demanda Lennox. Lui n’avait pas forcément l’habitude que les gens disparaissent de sa vie, pas quand ça n’était pas le résultat d’une fin beaucoup plus brutale et irréversible. Alors il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il lui était arrivé quelque chose, qu’elle avait rencontré des soucis. C’était peut-être une bien mauvaise manière de penser, mais à quelque part, Lennox espérait presque qu’il y ait moyen de justifier son départ. Sinon, elle était seulement partie, laissant derrière Andreas au moment où il aurait le plus besoin d’elle. Certes, ça, elle n’en avait aucune idée. Sauf que ça n’aurait justement jamais dû arriver, justement, qu’elle n’en ait aucune idée. Malgré tout, Andreas se leva vers lui et posa ses lèvres sur les siennes, comme résolu à l’idée que ce ne serait que Lennox à ses côtés pour l’accompagner jusqu’en Norvège. « Ça me semble normal, et surtout, ça me fait plaisir. » Il esquissa un sourire. Andreas avait tellement été là pour lui, ce n’était que son rôle d’être là à son tour. Et pour le moment, il se contenterait de l’écouter, d’essayer de trouver les bons mots pour réconforter sa peine, même si ce n’était visiblement pas gagné d’avance. « Lui aussi aurait pu le faire. » Déclara-t-il le notaire quand ils parlèrent d’anniversaire, de cartes de Noël, de lettres. Jamais, dans la dernière année, ils n’avaient eu de nouvelle de son père. « Tu seras là à la toute fin, c’est ce qui importe. Il saura que tu ne lui tournais pas totalement le dos. » Lennox ne savait même pas s’il croyait à la vie après la mort, mais ça lui semblait être une idée rassurante, dans les circonstances. Ça l’était un peu moins quand il pensait au fait que peut-être, alors, Lou avait-elle pu assister à la trahison si rapide de Lennox. Il chassa bien vite ces pensées, se concentrant sur le repas rapporté qu’ils mangèrent avec appétit, avant d’aller au lit pour essayer de changer les idées d’Andreas devant un film. Le générique de départ était encore en train de défiler sur une musique et des images de mise en contexte quand le norvégien parla d’être papa, eux, plus tard. De fils qui vient de perdre son père à l’idée d’en devenir un à son tour, un père. Et peut-être faire un peu mieux que la relation que lui avait eue. Dans son cas, Lennox savait d’avance qu’il ne serait jamais à la hauteur de son père, même s’il n’était pas particulièrement proche, ce n’était que de la faute du trentenaire, pas celle de son père. « Euhm … » Dit-il, gêné, se redressant un peu dans le lit devant le sérieux de la question. « Je … je ne sais pas. J’ai … j’ai déjà beaucoup de mal à entrevoir le plus tard. » Lui qui avait voulu l’anéantir si souvent, ce futur. « Je n’ai jamais vraiment pensé à cette éventualité … Toi … oui ? » Demanda-t-il en le regardant.  

Deux mois. Deux mois sans lui donner de nouvelles. Deux mois de vide, d’absence, d’inquiétude sans doute. Et si pendant ces deux mois-là Freja était tout simplement à l’autre bout du monde en train de profiter de la vie, de vivre au maximum les plus belles aventures qui lui soient données de vivre, alors Lennox ne lui pardonnerait pas. Certes, ce n’était pas à lui d’avoir un mot dans l’histoire, ça ne le regardait pas au point où il pouvait se montrer rancunier à son égard, mais au fond si elle faisait du mal – même inconsciemment – à Andreas, n’était-il pas concerné aussi ? Il occupait une place si grande dans son cœur, et lui dans le sien. Ils partageaient pratiquement la même vie, à ne jamais se laisser de côté, à ne jamais s’abandonner. Et elle, elle l’abandonnait, Andreas. Alors Lennox ne pouvait que mal vivre cette absence, lui aussi. « Avoir le goût de voyager, je peux comprendre. Mais ça ne justifie pas qu’elle ne décroche pas le téléphone quand tu l’appelles. Ça ne justifie pas qu’elle ne te mette pas au moins au courant de l’endroit où elle part. Ou qu’elle part, tout simplement. » Lâcha-t-il, lui-même vexé de cette histoire. Sans doute parce qu’il n’arrivait pas à concevoir que cette attitude puisse paraître normale pour Freja, et pire encore, pour Andreas, qui en prenait l’habitude à force de le vivre. Lennox, dans son cas, appréciait qu’on le tienne au courant, quand il s’agissait de personnes proches de lui – même si elles se faisaient rares. Quand Daemon partait en spectacles, ce dernier lui parlait du continent vers lequel il s’envolait, il lui parlait de la durée de la tournée, au moins assez de détails pour que le notaire puisse à peu près s’attendre à un moment de retour. Certes, c’était plus facile de suivre Daemon même à distance puisque ses dates de concert étaient partout sur le net. Raison de plus qui aurait pu justifier que son meilleur ami ne lui en parle pas de manière aussi détaillée, mais pourtant, il le faisait quand même. Par respect, par amitié. Pourquoi Freja ne pourrait-elle pas en faire autant ? Les deux hommes continuèrent enfin à parler de ce séjour en Norvège, où ils n’iraient que tous les deux au final, pour rejoindre sa famille. Lennox releva un regard assez surpris vers son amoureux quand il lui avoua avoir peur de l’avion. « Ah bon ? Peur des hauteurs, ou peur qu’il y ait un problème ? » Demanda Lennox. Pour les hauteurs, il n’y pouvait rien, mais pour les problèmes matériels, il fallait savoir que prendre l’avion était bien plus sécuritaire que bon nombre de moyens de transport qu’Andreas utilisait souvent. Certes, l’argument n’aurait sans doute aucun effet, mais c’était la vérité. Aussi vrai que le fait que le père d’Andreas aurait pu faire des efforts, lui aussi, et qu’il n’en avait pas fait. Andreas ne pouvait s’en vouloir. « S’il avait voulu pousser plus, il t’aurait appelé de lui-même, sans passer par ta mère … » Lennox n’était pas très doué pour réconforter, et jeter la faute sur son père plutôt que d’accepter qu’Andreas se remette autant en question lui semblait la meilleure chose à faire. Même s’il se montrait alors injuste avec un homme qu’il ne connaissait même pas.

Une fois dans le lit, Andreas parla encore une fois de sa famille, mais cette fois … de leur famille. À Lennox et à Andreas. De cette famille qu’ils pourraient peut-être, un jour, avoir. Cette conversation, le trentenaire ne s’était pas imaginé l’avoir de sitôt, peut-être même jamais. Ils avaient une sacrée différence d’âge et surtout, ils étaient un couple homosexuel, ce qui ne rendait pas la tâche aussi aisée pour eux, encore moins dans ce pays. « Je ne saurais même pas par où commencer, étant avec un homme justement, mais … mais si c’est une possibilité, je ne l’écarterais pas, non … » Avoua-t-il, même si l’idée de devenir papa le ferait certainement angoisser pour les années à venir. Andreas, de son côté, avoua en avoir toujours voulu, des enfants. Une certitude que Lennox n’avait jamais vraiment eue. « Ne t’excuse pas d’avoir voulu m’en parler … Je ne veux pas que tu t’empêches de partager avec moi tes envies, juste parce que t’as peur de me faire flipper … » Il flippait, beaucoup, mais il préférait quand même qu’Andreas lui en parle. C’était le genre de conversation qu’il fallait avoir, après plus d’un an de relation. « Je crois juste que j’ai encore beaucoup de travail à faire sur moi-même avant de … avant de commencer à penser à en faire sur une autre personne. »