Retrouver le coupable [Feat. Tahlia Wates]

Il y a quelques semaines maintenant, Lisandro avait été prévenu par des agents qu'ils avaient trouvé une nouvelle piste concernant le responsable de son handicap. C'était sans aucun doute ça qui lui manquait pour passer à autre chose. Et après ? Que fera-t-il quand il aura cette personne sous ses yeux ? Le frapper ? Lui cracher toute sa haine au visage ? Au final ça ne changerait pas grand chose, mais il refusait de se l'avouer, il avait ce besoin de savoir qui l'avait réduit à ce rang d'handicapé et à cause de qui il avait tout perdu.

Finalement, le matin même l'italien avait sa séance de kiné. Il y a des jours il y a arrivait mieux que d'autre, et puis d'autres où il avait clairement aucune envie de faire le moindre effort, comme aujourd'hui. Il était dans ce que l'on pouvait appeler un mauvais jour et, même son aide à domicile, Kaya en payait les pots cassés.

Autant parfois, il avait envie de s'occuper durant sa journée, de faire quelque chose afin de se prouver qu'il était capable de le faire, ce n'était clairement pas le cas cette fois-ci. Il passa le plus clair de sa journée enfermé dans sa chambre, à se perdre dans ses pensées sombres. Du moins, jusqu'à ce qu'il entende la sonnette. Il entendit les pas de Kaya aller ouvrir, puis elle se mit à discuter avec la personne. Qui se pouvait-être ? Quoiqu'il en soit, il n'avait envie de voir personne.

Au bout du compte, comme il ne se déplaca pas, ce fut la personne qui toqua pour entrer dans son espace, dans sa chambre. Il gromela mais ne s'y opposa pas. Et lorsqu'il vit Tahlia, la policière en charge de son accident, son visage s'illumina. Elle avait une bonne nouvelle à lui annoncer ? Ils l'avaient retrouvé ? Ils avaient retrouve à le responsable de ses tourments et de ses pires cauchemars ? Sondant son regard, il attendit qu'elle lui expose la raison de sa venue.

La tête penchée sur un dossier, Tahlia sentit le regard pesant de son collègue, si bien qu'elle finit par relever la tête afin de le sonder du regard. Pas besoin de grands discours, ils s'étaient compris en un simple regard. Ils avaient cru en cette nouvelle piste, en ce témoignage qui aurait pu boucler l'affaire. Une affaire datait de 2015 et qui concernait Lisandro Salvao, l'ancien sportif qui allait finir sa vie dans un fauteuil. "Ne compte pas sur moi pour lui annoncer la nouvelle." souffla son collègue. Tahlia, désemparée, leva les yeux au ciel, comme simple réponse face à tant de lâcheté. "J'irai le voir après le boulot." Les dernières heures avaient été longues, la jeune femme tentant de chercher les bonnes paroles pour annoncer cette nouvelle peu réjouissante. Ces efforts étaient vains, parce qu'elle savait pertinemment qu'il n'y avait pas de bonne façon de le dire. Quand vint la fin de son service, Tahlia passa par les vestiaires pour enlever son uniforme et enfiler ses vêtements quotidiens. C'était une volonté de sa part. Elle ne voulait pas agir en tant que flic, professionnelle et insensible, mais en tant que personne qui gardait encore espoir face à une affaire difficile à élucider.

Arrivée devant chez lui, ce fut son aide à domicile qui lui ouvrit la porte. La jeune femme l'informa que Lisandro n'avait pas quitté sa chambre aujourd'hui. Tahlia grimaça légèrement, se doutant qu'il n'était pas dans le meilleur de sa forme. Pourtant, elle ne fit pas marche arrière parce qu'elle savait que cela retarderait l'échéance. Et Lisandro ne méritait pas cela... Il méritait d'entendre la vérité, aussi dure soit-elle. Elle tapa doucement à la porte, entendant un grommellement qu'elle prit comme une invitation à entrer. Quand elle passa la tête dans l'encadrement, Tahlia fut bouleversée par le changement d'expression sur le visage de Lisandro. C'était comme s'il portait en elle tout l'espoir qu'il gardait au fond de lui. Elle tenta un léger sourire, alors qu'elle lança doucement : "Bonjour, Lisandro. Est-ce que je peux entrer ?"

Depuis son accident, Lisandro espérait secrètement qu'un jour on retrouve la personne qui avait rendu sa vie comme ça, mais il savait plus ou moins que c'était peine perdue. Cette personne, quelque qu'elle soir devait mener une existence bien tranquille loin de se douter que lors de cet accident, elle avait ôté la vie de quelqu'un. Oui il était en vie, on le lui avait assez répété, mais ça n'empêchait que sa vie c'était tout de même arrêté ce jour là. Sa passion envolée, sa vie volée en éclats, plus personne à qui se raccrocher, il avait rapidement perdu pieds au point de vouloir, et de tenter de mettre fin à ses jours.

Il y a des jours comme celui-ci où il se demandait pourquoi il n'avait pas le courage de reproduire ce même geste, tout en prenant soin cette fois-ci de ne pas se louper. Le poids qu'il portait sur les épaules était de plus en plus lourd et il n'arrivait plus à vivre avec. Sans compter ses remords qui pesait également sur lui, c'en était trop pour un seul homme.

Il y a quelques mois de ça, la police qui enquêtait toujours sur les circonstances de son accident avaient trouvé une nouvelle piste. Les précédentes n'avaient pas tenues plus de quelques semaines, celle-ci était toujours en cours, et ce depuis plusieurs mois, alors évidement, il ne pouvait qu'y croire. Il avait envie d'y croire, même si une infime partie de lui, lui disait de ne pas se faire de fausse joie, il risquait encore de subir une nouvelle déception.

L'italien entendit des voix dans l'entrée, mais il ne daigna pas bouger pour autant. Mais lorsque la jeune policière entra dans sa chambre après avoir frappé à la porte de celle-ci, son regard s'illumina, elle venait lui apporter cette nouvelle qu'il attendait tant ? Mais dès lors qu'elle prit la parole il avait déjà compris là où elle voulait en venir. Personne n'avait voulu l'affronter alors c'était elle qui avait été envoyé pour lui annoncer qu'on ne retrouve jamais la personne qui l'a cloué sur ce fauteuil. Il passera sa vie à se questionner sur les circonstances de son accident sans même savoir exactement ce qui s'est passé, et rien que d'y penser, il avait envie de tout envoyer valser, y compris cette femme qui incarnait cette désillusion.

" - De toute façon, même si je vous disais non, vous seriez rentré quand même."

Il était rarement courtois, il devenait même de plus en plus agressif, d'autant plus aujourd'hui où, il était déjà dans un mauvais jour et ses derniers espoirs venaient tout simplement de s'écrouler. La vie ne valait vraiment pas le coup d'être vécu, il en était désormais certain.

De nombreuses personnes avaient baissé les bras dans l'affaire Salvao. Ses collègues avaient tout bonnement abandonné l'idée d'affronter le jeune Lisandro. Il était vrai qu'il était rarement dans de bons jours et qu'il était difficile d'établir une vraie connexion avec lui. Mais était-il à blâmer ? Tahlia répondait non à cette question. Elle comprenait l'attitude du jeune homme. Il avait été un passionné de la vie. Sa vie, il l'avait croquée de bon coeur, vivant chaque instant en s'en délectant. Voir tout cela basculer du jour au lendemain devait être terrible à vivre. Il ne fallait donc pas s'étonner que cela change un être dans toute sa globalité. Heureusement, Tahlia avait le coeur bien accroché. Elle avait accepté chacune de ses sautes d'humeur quand l'espoir de voir une piste aboutir s'envolait d'un revers de la main. Parce que cette colère qui le submergeait l'atteignait également. Pour une policière comme Tahlia, c'était frustrant de voir une affaire classée sans suite. Mais elle ne perdait pas espoir concernant cette affaire. Peut-être se voilait-elle la face, mais elle s'était engagée auprès de Lisandro, et elle était une femme de parole.

Arrivée dans sa chambre, elle lui demanda l'autorisation de rentrer. La réponse du jeune homme fut moins terrible qu'elle ne le pensait. "Vous savez très bien que je n'irai pas à l'encontre de vos envies. Je peux repasser plus tard, si vous le souhaitez." Il fallait bien qu'il se mette en tête qu'elle n'était pas un de ces médecins qui ne lui laissaient plus le droit de choisir. Elle n'était pas non plus cette aide à domicile que l'on payait pour des tâches qu'il faisait auparavant. Tahlia était à l'écoute de l'homme, et non pas de la victime que tout le monde voyait en lui. S'il fallait partir, elle partirait. Elle attendit quand même un quelconque geste de la part du jeune homme pour avancer de quelques pas. "Vous connaissez sûrement les raisons pour lesquelles je suis là, aujourd'hui ?!" Elle n'avait pas envie de tourner autour du pot. Il n'y avait rien de pire que de faire languir une personne pour un fait qui, finalement, n'était pas plaisant. "Je ne veux pas vous cacher davantage les résultats de l'enquête. Malheureusement, la piste que nous suivions, ces dernières semaines, n'a pas été concluante." Tahlia n'était pas douée pour arrondir les angles. Elle était directe et Lisandro ne dérogerait pas à la règle. "J'en suis désolée..."

Lisandro n'était pas facile à vivre, et il en avait parfois conscience, mais jusqu'à présent, il s'était toujours renfermé derrière cette façade qu'il s'était bâtit suite à son accident. Il suffisait d'être persévérant, d'avoir la patience de percer celle-ci pour découvrir qui il était vraiment. Pas beaucoup n'avaient cette détermination, et il faut dire qu'il faisait tout pour décourager les quelques uns qui s'y aventureraient. Tahlia en faisait partie, bien qu'elle soit en charge de l'enquête où c'était lui le sujet.

Au départ, ses collègues étaient venus annoncer les résultats à l'ancien sportif, puis après avoir essuyé quelques colères de l'italien, ils avaient laissé le soin à la jeune femme de le faire. Était-ce une bonne chose ? En réalité il se fichait pas de mal de savoir si c'était un homme, une femme et même le nombre d'années d'expérience qu'il possède au sein de la police, tout ce qu'il sait, c'est que si elle est ici avec ce visage fermé, ce n'est certainement pas pour lui annoncer une bonne nouvelle.

Au fond de lui, il le sait, personne ne retrouvera le coupable, mais une infime partie de lui aimerait connaître cette personne qui a brisé ses rêves et sa vie au passage. Mais tout cela n'est qu'utopique, il finira ses jours handicapé sans même savoir qui est responsable de son état. Étant donné que l'officier qui se trouvait face à lui, était la seule à vouloir l'affronter, il déversa sa colère sur elle. Bien évidemment qu'elle n'avait rien fait pour mériter un tel sort, mais c'était le seul lien qui le rattachait à la réalité, et elle venait de le briser avant même que de lui avoir confier ce pour quoi elle était venue.

Alors qu'il aurait pu la congédier, sachant qu'elle aurait obéit, il détourna le regard, comme si c'était suffisant pour lui signifier qu'elle pouvait entrer dans sa chambre, le seul endroit où il pouvait vraiment se noyer dans ses pensées noires, et même ici, il fallait qu'il soit dérangé. À cette pensée, il soupira tout en la laissant prendre place sur une des chaises présentes dans la pièce.

" - Inutile de vous excusez, vous avez au moins eu le courage de venir me le dire contrairement à vos incompétents de collègues."

Oui l'italien pouvait parfois se montrer très violent dans ses propos, en plus de la colère qui l'animait, il remerciait silencieusement la jeune femme. Elle avait eu le courage de l'affronter. Elle. Ce petit bout de femme. Finalement, il l'avait peut être sous-estimé. Mais quoiqu'il en soit, si la piste qu'ils suivaient s'était révélé infructueuse, il savait que désormais, l'affaire allait être classée et il finirait parmi tous les autres dossiers jamais élucider.

" - Et maintenant ? Vous allez simplement fermer le dossier et le mettre aux archives c'est bien ça ?"

La dernière chance qu'il avait de connaître le coupable venait de se dissoudre telle de la poudre. Il allait retourner aux oubliettes et allait devoir se débrouiller pour continuer d'avancer autant qu'il le pouvait. Même s'il avait une drôle de manière de le montrer, Lisandro appréciait Tahlia. Son franc parler, le fait qu'elle ne le voit pas simplement comme un dossier à clôturer, mais qui prenait en considération le côté humain, la vie détruite qu'elle avait entre les mains, mais il ne lui avouerait probablement jamais. De toute manière, maintenant que leur dernière tentative avait échoué, il ne l'a reverra probablement plus, et c'était peut-être mieux ainsi, aussi bien pour elle que pour lui.

C'était bien connu, Tahlia n'était pas le genre de femmes à fuir dès que la situation devenait délicate. Il faut croire qu'elle en avait plus dans le pantalon que certains hommes du commissariat. De nombreux collègues étaient revenus en clamant haut et fort ô combien Lisandro était insupportable. Un tel manque d'empathie était inconcevable pour Tahlia. En dépit de son caractère bien trempé, elle faisait preuve d'une humanité exemplaire au sein de son travail. Si bien qu'elle s'investissait parfois trop dans certaines affaires, comme celle de Jackson, son meilleur ami. Et plus récemment, celle de Lisandro. Elle avait mis corps et âme dans cette affaire, avait gardé espoir jusqu'au bout. Elle se voilait la face, probablement, mais elle n'aimait pas baisser les bras aussi facilement. C'était peut-être pour cela qu'elle était là aujourd'hui, face à lui, prête à encaisser la déception de l'ex-footballeur. Alors qu'elle lui fit part des derniers résultats de l'enquête, elle ne quitta pas son regard du jeune homme. C'était une marque de respect. Il n'était pas un cas, une enquête parmi tant d'autres. C'était un homme avant tout, qui avait porté tant d'espoirs en eux, en une police qui l'avait déçu aujourd'hui. Tahlia hocha la tête quand, étrangement, la réaction de Lisandro fut plus douce qu'elle ne l'aurait cru. Il ne lui faisait pas payer les erreurs de la police, qu'elle représentait aujourd'hui. Au contraire, il la remerciait du courage qu'elle avait eu, face à des collègues incompétents. Pour ce dernier point, elle le rejoignait pleinement. "Je ne suis pas la mieux placée pour parler de l'incompétence de mes collègues... mais étrangement, je n'ai pas envie de vous contredire." Elle afficha, brièvement, un léger sourire sur le bout de ses lèvres, afin d'essayer d'instaurer un climat moins tendu. Critiquer les autres était parfois un bon exutoire. Même si elle devait garder un certain respect pour ses collègues, elle ne se gênait pas de dire quand un acte ou une parole la dérangeait. Et elle n'avait vraiment pas apprécié leur façon de faire avec Lisandro...

Toutefois, le sourire qu'elle avait gardé sur les lèvres disparut tout aussi vite quand il évoqua les mots qu'elle n'avait pas eu le temps de dire. Affaire non élucidée. Elle savait que le dossier de Lisandro allait partir aux archives, parce que c'était la procédure. Parce que ses supérieurs estimaient qu'ils n'avaient pas assez de preuves pour continuer l'enquête. Parce qu'ils estimaient qu'il était temps de passer à autre chose. Tahlia hocha la tête alors qu'elle reprit la parole : "Officiellement, l'affaire est classée. C'est la procédure obligatoire, en vue du nombre de preuves insuffisant pour continuer l'enquête." Elle s'arrêta un instant, comme si elle cherchait ses mots, avant de reprendre doucement : "Mais officieusement, je n'ai pas envie de tirer un trait sur cette affaire. Je n'ai pas envie de vous laisser tomber, Lisandro." C'était dit. Elle était une femme de paroles et elle le prouvait encore une fois. "Je sais que la déception doit être forte, mais j'ai besoin d'avoir votre aval. J'aurai sûrement besoin de vous. Ce ne sera pas toujours facile, peut-être que cela ne mènera à rien de plus que ce que l'on a aujourd'hui mais il faudra compter l'un sur l'autre... si vous le souhaitez, évidemment." Il avait les cartes dans les mains...

Lisandro n'était pas idiot, il savait pertinemment que les flics qui s'occupaient de son dossier n'avaient pas grande sympathie pour lui. C'était même le contraire. Bon il est vrai qu'il est aussi en tord, à aucun moment il n'a cherché à être cordial avec eux, enfin bon, leur métier voulait qu'ils soient un minimum à l'écoute de la victime. Personne ne l'avait réellement été, sauf elle. Tahlia. Cette même femme qui se trouvait devant lui à l'heure actuelle qui avait bravé les océans pour lui, malgré l'enquête qui n'avançait pas, elle avait mis tous les moyens dont elle disposait pour donner à l'italien satisfaction. Malgré tout cela, l'affaire ne semblait pas avoir avancé d'un pouce, et il en eut la confirmation en entendant les propos de son interlocutrice.

Dans un premier temps, ce fut la colère qui venait s'emparer de lui, mais rapidement, cette dernière fut remplacé par un autre sentiment qu'il ne pouvait vraiment décrire. De la reconnaissance ? Oui c'était peut-être ça. Il lui était reconnaissant de s'être déplacé alors qu'il aurait mis ses mains à couper qu'aucun de ses collègues n'auraient fait ce déplacement. Lisandro était un homme assez timide dans l'ensemble, mais toujours franc, quand il avait quelque chose à dire, il le disait. C'est la raison pour laquelle, il la remerciait à demi-mots de s'être déplacé. Qui plus est pour lui. Il n'avait rien fait pour mérité les efforts qu'elle avait fait pour lui.

Le fait qu'elle en vienne à approuver ses propos ne pouvait que le conforter dans son opinion, la police n'était pas à la hauteur de ce qu'il aurait pu attendre, mais est-ce qu'il pensait que parce qu'il avait une certaine notoriété, il serait traité différemment ? Non, il avait toujours mis un point d'honneur à vouloir être traité à l'égal des autres, et ce ne changerait jamais. À aucun moment il n'avait pensé que sa célébrité lui ouvrait certaines portes, et il n'avait pas cherché à le faire non plus.

Tahlia ne mit pas longtemps à confirmer l'issue qu'il avait tant redouté. L'affaire était désormais close, il n'obtiendra jamais les réponses à ses questions, il devra vivre dans l'incertitude jusqu'à la fin de sa vie, pendant qu'il pensait à celui ou celle qui avait détruit cette dernière, menant une existe.ce paisible, peut-être avec sa famille et ses enfants, alors que lui n'aura jamais tout ça.

Ça y est c'était fini. Du moins officiellement, parce que l'agent ne mit pas longtemps à lui exposer le côté officieux. Elle voulait continuer mais elle semblait avoir besoin de lui ? Pour quoi faire au juste ? Comment pouvait-elle l'aider ? Était-il prêt à affronter une nouvelle déception ? Il n'en était pas certain, mais ça valait le coup d'essayer non ? En tout cas, c'était bien la première fois qu'il entendait quelqu'un lui dire qu'elle ne voulait pas l'abandonner, il ne lui en aurait pas voulu si elle lui avait affirmer le contraire. Il n'avait pas été spécialement fait quoique ce soit pour qu'on est un meilleure option de lui.

" - Je ne comprends pas vraiment où vous voulez en venir. Je ne suis pas certain d'être capable d'encaisser encore une déception supplémentaire."

Même s'il avait envie de lui dire qu'il était déjà au fond du gouffre, une déception supplémentaire pourrait l'y clouer définitivement. Mais l'officier de police avait piqué sa curiosité, et il avait envie de savoir ce qu'elle avait en tête, et lorsqu'il aura tous les aspects alors, il pourra se permettre de prendre une décision.

Tahlia comprenait la colère de Lisandro envers la police. Elle était même apte à l'encaisser parce qu'en portant l'uniforme de la police, elle en devenait une représentante. Elle devait donc accepter tout ce qui en découlait : les remontrances, les injustices, parfois même des insultes. La police était l'un des services de proximité les plus difficiles, parce qu'elle entrait dans la vie privée des gens. Il était donc normal de se prendre parfois quelques revers, surtout quand il y avait de telles déceptions. Pourtant, derrière ce visage fermé et un espoir envolé, Tahlia put entrevoir une once de reconnaissance dans le regard du jeune homme. Elle ne le méritait pas, pour autant. Même si elle était là aujourd'hui devant lui, c'était pour briser un espoir, pour assumer une affaire que la police n'avait pas été capable de résoudre.

Mais Tahlia, avant d'être policière, était une femme de caractère, qui ne baissait pas les bras facilement. Elle avait besoin de s'acharner, de s'impliquer - peut-être trop - dans des affaires difficiles. Cela la poussait à se dépasser, parfois même à se remotiver. Quand elle était plongée dans des dossiers, tard dans la nuit, cela lui évitait quelques pensées qui pouvaient la faire plonger. Oui, elle vivait pour son travail, tentant d'occulter le fait qu'elle avait toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Face à lui, les yeux plissés, les sourcils froncés et le regard songeur, elle était prête à démontrer qu'elle ne l'abandonnait pas. Son cerveau était en ébullition. "Ce n'est peut-être pas l'idée du siècle, mais cela reste une éventualité." se permit-elle d'ajouter. C'était instinctif, une idée qui lui était venue de manière fugace. Elle sonda le regard de son interlocuteur, hochant la tête pour montrer qu'elle l'avait bien entendu. Elle se doutait qu'il ne voulait pas vivre une déception supplémentaire. Pourtant, il semblait l'intimer à continuer, à lui dévoiler cette idée. "Je me disais que l'on pourrait peut-être mettre en avant votre histoire. Ce qui coince dans votre affaire, pardonnez-moi de ce terme que je trouve complétement déplacé..." s'interrompit-elle un instant. Une affaire policière, voilà le terme officiel, même si Lisandro était loin d'être une simple affaire. "...bref... ce qui coince, c'est le manque de témoins." L'accident avait eu lieu à une heure à laquelle les routes étaient peu fréquentées. "Peut-être qu'en mettant en avant votre histoire, à travers les médias ou au sein de rencontres aux lycées ou à l'université, on pourrait sensibiliser les gens sur ce qu'il s'est passé. Cela pourrait même déboucher sur un témoignage. Je suis persuadée que l'on ne sait pas tout. Il suffit parfois d'un léger coup de pouce pour que tout se décante." Et puis, elle pouvait espérer que cela donne à Lisandro un nouveau souffle dans sa vie. Parler de son quotidien, échanger, sensibiliser pourraient peut-être le faire avancer. "Quand vous jouiez au foot, vous transmettiez des valeurs propres au sport. En faisant ce que je vous propose aujourd'hui, vous pourrez faire réfléchir de nombreuses personnes sur ce qu'ils font au volant." Tahlia n'avait pas quitté son regard. Elle haussa légèrement les épaules alors qu'elle termina sa longue tirade : "C'est peut-être une idée stupide, irréalisable ou trop difficile pour vous. Mais sachez que vous avez les cartes en mains. J'accepterai votre décision, quelle qu'elle soit..."

Lisandro était conscient que dans son affaire, il n'y avait que peu de chance que cela aboutisse. Personne n'avait vu l'accident, et donc la voiture du responsable. Ce n'est pourtant pas faute que les policiers aient enquêtés mais rien. Hormis cette piste en laquelle l'italien avait mis tout ses espoirs. Et aujourd'hui, la présence de Tahlie lui annonçait que ses espoirs venaient d'être réduits au néant. Devait-il pour autant se venger sur la seule personne qui avait eu le courage de l'affronter ? Parce qu'il savait que tout ces autres collègues avaient dû trouver une excuse quelconque pour ne pas affronter l'handicapé et subir sa colère.

La situation commençait à totalement échapper à Lisandro, il ne savait plus vraiment quoi penser. La seule piste qui aurait pu mener à une personne, qui aurait pu lui permettre de tourner définitivement la page venait de s'écrouler. Il n'y avait plus d'espoir et son dossier allait être mis aux archives avec tant d'autres. Bien sûr que si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait préféré creuser d'autres pistes, quitte à perdre du temps,  mais son affaire tournait en rond et jamais elle ne sera résolue. C'était ça que venait de lui annoncer avec le plus de délicatesse possible Tahlia.

Et maintenant ? Qu'est-ce qui allait se passer ? Il n'attendait pas que son statut de star de football fasse changer les choses, il avait mis un point d'honneur à être traité comme tous les autres, mais dans ce cas-là, il aurait aimé que certaines personnes puissent pousser l'enquête un peu plus loin, mais hormis le fait qu'il allait fini sa vie dans un fauteuil, ce n'était pas dramatique, et il avait beaucoup plus urgent à gérer. Il allait devoir accepter la situation, bien qu'il aurait espéré une autre fin. Maintenant il retombait petit à petit dans l'anonymat mais surtout, au fond de son trou dans lequel il s'était enterré depuis son accident.

La jeune agent de police ne semblait pas prête à laisser tomber contrairement à ses collègues, c'est peut-être aussi pour ça que même s'il ne l'avouait pas, il l'appréciait. Elle était comme lui, tenace et têtue, enfin, il l'était, maintenant il avait baissé les bras et se laissait emporter un peu plus vers les abscisses. alors elle avait une idée en tête et voulait la proposer à l'ancien sportif, il n'était pas sûr d'apprécier ce qu'elle s'apprêtait à lui dire, mais refuser de l'entendre ou même de la laisser s'exprimer aurait été idiot. Tahlia exposa son idée et dès les premiers mots, il savait qu'il n'aimait pas.

Sa proposition était de s'afficher, de faire part de sa vie de footballeur et en l'occurrence de son accident. Son accident impliquait devoir parler de sa descente aux enfers ainsi que tout ce que cela implique, comme sa tentative de suicide après l'annonce des médecins lui annonçant qu'il ne remarcherait jamais. Non il ne pouvait pas l'envisager, il n'arrivait déjà pas à se regarder dans un miroir, alors faire part de son expérience, même si ça pouvait être louable, il ne pourrait pas franchir cette étape, il en était persuadé. Pourtant, le dernier argument de la jeune femme failli le convaincre. Elle compara les valeurs qu'il avait transmise grâce au sport aux jeunes, ou même à d'autres personnes qui avaient trouvé dans ce domaine des réponses à leurs questions, à leurs problèmes. C'est vrai qu'il avait toujours été assez fort de transmettre les valeurs, les vraies à des jeunes totalement perdus, mais cette fois-ci, il n'était pas capable de pouvoir le faire.

" - Votre idée est loin d'être stupide seulement je.. Je ne peux même pas affronter mon reflet dans un miroir depuis mon accident, comment voulez-vous que je puisse faire part de mon expérience à des jeunes ? Je crois bien que je suis assez mal placé pour leur faire une quelconque morale alors que je ne guère mieux qu'eux."

Après il est vrai que s'il pouvait sensibiliser les jeunes à réfléchir à deux fois avant de boire et prendre le volant, ou bien fumer tout en roulant, que non seulement ils sont responsables de leur propre sécurité, mais qu'il risque d'ôter la vie à une personne totalement extérieure à tout cela. C'est peut-être sur cet argument qu'il fallait insister si Tahlia voulait finir de le convaincre, car au fond, la seule chose qui bloquait c'était que Lisandro n'acceptait pas sa situation et encore moins son fauteuil.

Malgré tout cela, il essayait de se projeter et se demander ce qu'il pourrait bien dire à toutes ces personnes, comment faire face à tout cela. Finalement, est-ce que je ne serai pas une porte de sortie pour lui ? Affronter ces personnes pour enfin accepter son handicap, ça restait une possibilité à laquelle il n'avait jamais songé avant que la jeune femme ne soulève cette option.

" - J'en sais vraiment rien Tahlia.. Je.. Comment voulez-vous que j'explique à ces personnes ce que je vis alors que moi-même je ne sais pas ? Je vis chaque jour qui passe en me demandant pourquoi je suis encore en vie. En apprenant que je ne remarcherais jamais, j'ai fais une tentative de suicide, les médecins m'ont sauvés de justesse, et depuis, il ne se passe pas un seul jour sans que je me demande pourquoi je me suis loupé. C'est vraiment ça que vous voulez que j'explique à ces jeunes ? Ils méritent mieux que ça. Mieux que moi en tout cas."

Même si ses arguments ne tenaient sur rien et que pour le moment il ne s'en sentait pas capable, il n'exclurait pas ma possibilité de changer d'avis, mais il avait besoin de temps, et le temps c'est justement ce dont ils manquaient. Il devait se décider. Et vite car le temps jouait contre eux. Chaque seconde qui passe est perdue s'il ne prend pas une décision rapide.

C'était le monde terrible des enquêtes policières. Les victimes n'étaient que des affaires, nourries de plus ou moins de témoignages, des affaires qui avaient des chances – ou non – d'être résolues. Lisandro, lui, n'avait pas eu cette chance. Le manque de témoignage n'avait pas aidé les policiers qui s'étaient penchés sur l'affaire, avec toute l'énergie possible. Alors l'inévitable avait fini par arriver : l'administration était plus forte que tout. Une vie avait été brisée par cet accident, mais pour la police, cela devenait une affaire non résolue. Mise au placard. Une vraie défaite pour Tahlia qui, en dépit de cela, ne pouvait pas abandonner. La brune avait plus d'un tour dans son sac. Elle troquait sa casquette de policière, pour celle de la jeune femme déterminée qui n'avait pas envie de laisser l'ex-footballeur sur la touche. Une idée lui était passée par la tête, sur le chemin qui la menait chez Lisandro. Elle avait hésité à lui en parler, préférant jauger la réaction du jeune homme avant de lui proposer quoique ce soit. Elle s'était attendue à se faire jeter, à se confronter à sa colère, à sa déception qui lui ferait perdre toute confiance en Tahlia. Son idée, elle l'aurait gardé précieusement, jusqu'au moment propice. Mais Lisandro était plein de surprise. Il l'avait étonné au plus haut point, en n'agissant pas comme elle l'avait envisagé. Cet homme était décidément fascinant.

Elle lui avait donc tout annoncé. Tout. De manière abrupte, sans détours. Ce n'était pas une idée pleinement réfléchie – peut-être stupide – mais qui avait le mérite d'être spontanée. C'était souvent ces idées-là qui fonctionnaient le plus. Quand elle termina ses explications, son regard sonda celui de Lisandro. Elle n'attendait pas une proposition ferme et définie, mais s'il pouvait garder cela en tête, ce serait une très bonne chose. Pourtant, le jeune homme semblait peser le pour et le contre. Évidemment, sa première réponse fut hésitante. Il ne se sentait pas capable. Tahlia lui adressa un léger sourire et répondit, avec douceur : « C'est là que vous vous trompez, Lisandro, c'est vous qui êtes le mieux placé pour leur parler. Votre carrière sportive fait que vous êtes plus proche d'eux, plus accessible. Moi aussi, je peux le faire, évidemment, mais mon uniforme ou mon grade feront toujours en sorte de créer un décalage avec ces jeunes. » La police, ça effrayait ou braquait toujours un peu. Elle essayait d'argumenter mais Tahlia connaissait le fond du problème. Lisandro avait totalement perdu confiance en lui et en la vie. Elle se doutait bien qu'il ne se sentait pas capable de parler de ce qu'il vivait désormais, devant un groupe de jeunes bien dans leurs baskets. Mais si Tahlia le faisait et insistait autant, c'était parce  qu'elle se doutait que cela ne pourrait que faire avancer Lisandro. Il devra mettre des mots sur ses maux, exprimer ses douleurs. Ce serait un exutoire, une façon de lui montrer qu'il n'était pas inutile, comme il tenait tant à le penser. Il avait sa place dans ce monde, il fallait juste qu'il trouve la voie.Elle l'écouta avec attention, hochant la tête à ses paroles. Elle avait appris pour sa tentative de suicide ratée. Elle ne pouvait pas le comprendre à cent pour cent – elle-même n'ayant jamais vécu cela – mais elle pouvait se douter à quel point le quotidien était difficile quand on se trouvait hors du temps, hors du monde. « Cette tentative de suicide ratée, c'est peut-être un signe pour vous montrer que votre temps n'est pas encore venu, Lisandro » Là, ce n'était pas la flic qui parlait, mais la jeune femme qui avait appris à apprécier l'ex sportif. Elle ne croyait pas vraiment au destin ou au hasard, mais il y avait parfois des signes qui ne trompaient pas. L'existence pouvait être parfois malicieuse. « Ce que je veux vous dire, c'est que vous avez encore votre place ici. Ce n'est pas votre fauteuil qui vous caractérise. Même si vos jambes ne vous supportent plus, même si vous n'êtes plus capable de mettre un pied devant l'autre, vous êtes toujours une personne bien-pensante, avec ses sentiments, ses avis, ses idées. C'est ça que je veux que vous transmettiez à ces jeunes. C'est ça que je veux que vous gardiez en tête... » Elle afficha un nouveau sourire, plein de sincérité. « Je ne vous demande pas une réponse maintenant, mais promettez-moi que vous allez y réfléchir. Je peux compter sur vous ? »

Même si Lisandro savait que sa condition physique ne serait plus jamais la même, il avait tout de même tenté de faire de la rééducation, ce qui n'avait mené à rien. Alors comme pour tout le reste, il avait tout simplement baissé les bras, il s'était laissé entraîner au fond des abysses sans même savoir s'il serait capable un jour ou l'autre de remonter totalement à la surface. Et au fond, ça lui était bien égal. Encore plus maintenant que la seule raison pour laquelle il n'avait pas encore totalement baissé les bras, c'était cette enquête en cours sur son accident. Et voilà qu'aujourd'hui on lui apportait la réponse qu'il avait redouté pendant tout ces longs mois.

Peut-être qu'il pourrait se dire que la police avait fait son possible, qu'ils s'étaient donné au maximum et avaient exploré toutes les pistes, mais ce n'était pas son point de vue. Pour lui, ils étaient depuis trop longtemps dans une impasse et afin de consacrer plus de temps à d'autres dossiers, ils avaient préféré clôturer le sien. Après tout, pourquoi s'acharner ? Il n'y a qu'une personne à retrouver et il n'est ni question de meurtre ou homicide, alors inutile de continuer à perdre du temps. Ils avaient abandonné, tout comme lui avait abandonné.

Tahlia qui n'était pas comme tout ses collègues venait de lui avouer qu'elle ne souhaitait pas le laisser tomber. Pourquoi ? Il n'en savait rien, et c'est peut-être pour toutes ces raisons qu'il ne l'a pas jeté à la porte lorsqu'il l'a aperçu. Cette femme avait une détermination qu'il avait rarement vu en dehors de ses coéquipiers, elle avait eu le courage de braver les éléments pour l'affronter lui, et ce n'était pas une mince affaire. Là où tout le monde jetait l'éponge, Tahlia voulait poursuivre en solitaire. Il avait écouté avec attention sa proposition, mais il ne pouvait tout simplement pas l'honorer, et il ne le pourrait sans doute jamais. Parler à des jeunes avec le sport c'est une chose, et avant il l'aurait fait sans la moindre question, mais pas dans son état, il n'en était pas capable.

Malgré les propos de la policière, il ne pouvait cesser de croire qu'il n'était clairement pas l'homme de la situation. Le sport a été une période de sa vie, mais maintenant, il devait tourner la page et parler à des jeunes de ce qu'il vivait, alors que lui-même était incapable de décrire ce qu'il ressentait, c'était trop effrayant. Il avait toujours fui son reflet, d'ailleurs pour cette même raison, il avait retiré toutes les glaces et miroir chez lui, alors, voir ces jeunes, le regard rivé sur lui, c'était trop. Il ne pourrait l'affronter.

Lisandro se demandait si le plus effrayant à l'instant présent c'était cette proposition que la policière lui avait fait ou bien, le fait qu'elle semblait parfaitement lire en lui comme dans un livre ouvert. Elle comprenait ce qu'il était devenu et c'est sans doute pour cette même raison qu'elle le pousse à accepter, pour qu'il devienne l'homme qu'il était avant, celui qui avait un but dans sa vie, celui qui aimait la vie tout simplement. Cet homme qui avait disparu le lendemain de l'accident et qui n'était jamais réapparu à son réveil du coma.

" - Je ne sais pas si on vous l'a déjà dit mais vous êtes effrayante."

Bien sûr que ce n'était pas une critique, simplement, même le psychologue qu'il consultait n'avait jamais osé lui proposer de telles choses, ou même, n'avait jamais montré qu'il le comprenait. Tahlia était arrivée et avait chamboulé la vie de l'italien en le repoussant au-delà des limites qu'il pensait insurmontable. Des limites qu'il s'était lui-même imposé à cause de son handicap.

" - Je vous le promet. Mais.. Pourquoi vous faites tout ça ? C'est uniquement avec moi, ou vous êtes aussi acharné sur tous les dossiers qui sont classés ?"

Il avait le droit de savoir s'il était privilégié ou bien si c'était simplement sa façon d'agir. Mais contrairement à ses collègues, elle n'aurait jamais dû devenir flic, elle était beaucoup mieux qu'eux, elle aurait dû être psychologue, elle aurait aidé des centaines de personnes comme lui, secoué par des traumatismes ou chocs émotionnels violents. Parce que même s'il ne disait rien, au fond, son regard parlait pour lui, et il espérait qu'elle comprenne les propos de Lisandro sans qu'il n'est à ouvrir la bouche.

Si Tahlia venait, un jour, à être elle aussi victime d'un accident dont elle n'était pas la responsable, elle voudrait que l'on déploie toute l'énergie possible pour résoudre l'affaire. Et lui redonner espoir en la vie. C'était sur cette optique-là qu'elle s'était rendue chez le jeune homme. Elle n'était pas une wonder-woman, loin de là. Elle était juste une femme passionnée, qui portait peut-être trop d'espoir dans un monde qui lui échappait depuis bien longtemps. Quand elle avait été au plus bas, victime des coups d'un petit ami trop violent, elle n'avait eu personne sur qui s'appuyer. Elle n'avait eu personne pour l'aider à s'échapper de l'emprise de celui qu'elle avait tant aimé. Elle s'en était sortie toute seule, avec perte et fracas, si bien que, dix ans plus tard, la plaie ne s'était jamais refermée. En dépit des apparences, Tahlia était une femme fragile. Elle ne gardait la tête haute qu'en compagnie des autres. Elle ne vivait pleinement qu'en se sentant utile. Auprès de Lisandro, elle se sentait utile. Malgré son mauvais caractère, elle avait appris à apprécier ce qu'il était. Elle avait décelé cette détresse qu'il taisait, cette détresse qui faisait écho à celle de Tahlia. Ils n'avaient pas vécu la même chose mais ils étaient tous les deux brisés par la vie. Il ne le savait pas, mais en la laissant l'aider, Lisandro aidait Tahlia. Ils avaient tout à gagner, elle le savait bien.

C'était peut-être pour cela qu'elle y mettait tant de conviction. Ses yeux verts brillaient de détermination alors qu'elle enchaînait les arguments. Mais une chose était certaine : elle ne voulait pas le brusquer. Elle ne voulait pas lui forcer la main. Elle voulait qu'il prenne lui-même connaissance de ce qu'il pouvait apporter aux autres. Il fallait juste qu'il reprenne confiance en lui. Qu'il prenne confiance en ce fauteuil qui n'était qu'un accessoire. Ce n'était pas ce bout de ferraille qui remplaçait la personne qu'il était. Ses paroles ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd et c'était déjà une grande avancée. Lisandro aurait pu l'envoyer paître, en disant qu'elle ne comprenait rien, que toutes ces paroles n'étaient que foutaises. Mais il l'avait écouté, du début jusqu'à la fin. Alors, quand il lui affirma qu'elle était effrayante, la brune lui adressa un léger sourire : "Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Ma proposition malvenue ou simplement la vérité de mes propos ? Dans les deux cas, je prendrais cela comme un compliment." Un rire vint même ponctuer sa phrase. Oui, Tahlia était effrayante. Elle était souvent en décalage avec les personnes qui l'entouraient, parce qu'elle était entière. Quand elle s'engageait sur une voie, elle le faisait en totalité. Même si pour cela, elle devait en souffrir...

Quand il lui promit de réfléchir à la proposition la jeune femme hocha la tête et s'apprêta à se relever, estimant qu'il était peut-être temps de partir, de lui laisser justement ce temps nécessaire à cette réflexion. Mais la question de Lisandro la retint. Elle resta muette quelques secondes, l'air songeur. Elle n'avait pas jamais vraiment pris le recul nécessaire sur ses actes. "J'aimerais dire que je suis aussi acharnée sur tous les dossiers, mais ce serait mentir. Je suis loin d'être une policière modèle." Elle ne voulait cependant pas qu'il croie qu'elle faisait un quelconque traitement de faveur, en vue de la célébrité du jeune homme. Ce n'était pas cela. "J'ai juste l'intime conviction que l'on peut encore faire quelque chose ensemble, que je peux encore vous être un peu utile... Ce sont des choses qui ne s'expliquent pas, ça se fait à l'instinct et naturellement." Elle esquissa un léger sourire quand elle ajouta : "Et puis, ça fait quelques mois que je vous côtoies maintenant. J'ai appris à vous connaître et à apprécier ce que vous êtes. ça pèse dans la balance." Il voulait savoir pourquoi, maintenant, il savait.

Lisandro était cloué dans ce fauteuil toute la journée, sa souffrance, il la gardait enfouit profondément en lui et la seule manière qu'il avait trouvé pour s'exprimer c'était celle-ci. Malheureusement, en agissant de la sorte, en repoussant ses amis, en les faisant souffrir, il risquait de se retrouver seul, mais sur le coup, ce n'est pas quelque chose dont il avait pleinement conscience, ce n'était venu qu'avec le temps.

Après son accident, le jeune homme avait vu ses rêves s'évaporer un à un. Plus de vie de famille puisque sa petite amie l'avait quitté. Plus de carrière sportive puisqu'il n'avait plus l'usage de ses jambes. Plus d'avenir professionnel parce qu'il n'avait aucun diplôme et, hormis shooter dans un ballon, il ne savait pas faire grand chose d'autre. Toute sa vie était partie en fumée ce jour là et il se souvenait de l'annonce des médecins, puis de celle des policiers qui lui disaient qu'ils n'avaient rien retrouvé. Et comment était-il censé faire son deuil alors qu'il n'avait aucune personne sur qui se venger ? Sur qui déverser sa colère d'être dans cette situation ? Alors, il s'était vengé sur tout le monde.

Lorsqu'il était seul, il lui arrivait d'avoir quelques moments de lucidité en se demandant comment il avait pu devenir ce monstre. Mais ces moments étaient généralement trop court pour qu'il est pleinement le temps de répondre à ses propres questions. Alors il avait fini par s'isoler dans sa prison, c'est-à-dire sa maison, et c'est le seul endroit où il se sentait en sécurité. Dans sa zone de confort. Sorti de celle-ci, la peur l'envahissait et il devenait quelqu'un d'autre.

Sans vraiment réfléchir, l'italien avait lancé une phrase à l'agent de police qu'il avait face à lui. Oui elle était effrayante. Effrayante parce qu'elle savait lire en lui, ce que personne n'avait encore jamais fait. Effrayante parce qu'elle osait proposé des solutions à l'endroit où lui ne voyait qu'un trou béant. Effrayante parce qu'elle était prête à se faire renvoyer par son sale caractère, mais elle était quand même venue. C'est pour toutes cette raisons qu'au fond, il l'admirait, elle n'était pas comme ses collègues. Il irait presque à dire qu'il avait fini par l'apprécier en dépit de la façon par laquelle ils s'étaient rencontrés.

" - Je suppose que c'est un mélange de tout ça."

Bien évidemment qu'il n'allait pas lui qu'elle était effrayante parce que finalement, elle semblait le connaître et le comprendre mieux sur personne. Il était tellement méfiant qu'il se disait qu'une simple faille suffirait pour le détruire complètement. C'était sans doute le moment qui signifiait la fin de leur entretien. Lisandro avait promis d'y réfléchir, même si jusqu'alors il avait une réponse bien définie, mais il avait besoin de savoir une dernière chose, et c'est pourquoi il le demanda. Elle répondait tant mieux, si c'était le cas inverse, alors il ferait avec.

D'un côté, la première partie de la réponse ne lui plaisait pas tant que ça. De toute sa carrière sportive, Lisandro avait mis un point d'honneur à être traité comme n'importe qui, il détestait cette idée, que parce qu'il était connu, on le traite différemment. Il ne dit rien pour autant et la laissa poursuivre. La suite lui plaisait déjà plus. Si ses collègues avaient bâclé le dossier comme il ne cesserait jamais de le penser, elle, elle a un minimum de conscience professionnelle et voudrait pouvoir le clôturer une fois que toutes les possibilités auront été exploré. Et même s'il ne montrait rien, ça lui faisait chaud au coeur que quelqu'un se démène autant pour lui. Cependant, la toute dernière partie le fit pencher la tête sur le côté tout en froncant les sourcils.

" - Apprécier ce que je suis ? C'est bien ce que je disais, vous êtes effrayante, et peut-être aussi un peu masochiste sur les bords."

Elle appréciait ce qu'il était, autrement, elle appréciait le connard qui fait tout pour faire souffrir le monde qui l'entoure et qui essaye de lui venir en aide. Il ne faut pas être très clair pour penser une telle chose quand même. Ils ont peut-être plus de points en communs qu'il ne le pensait initialement.

" - C'est cette souffrance que vous gardez en vous qui vous a fait devenir policière ?"

Il est vrai que c'était sans doute très indiscret comme question, mais il n'était pas dupe, dans ses propos, dans ses gestes, il avait compris que si elle agissait ainsi, c'est parce que la souffrance de Lisandro lui faisait penser à la sienne, même si elle n'avait peut-être rien de comparable. Il n'irait pas jusqu'à le lui demander.

C'était une entrevue plutôt étrange. Alors qu'il aurait dû lui hurler dessus en traitant la police d'incompétente, voilà qu'ils se retrouvaient à avoir une discussion posée. Tellement posée que Tahlia parvint à lui faire une proposition des plus étranges. Elle s'était attendue à se faire jeter en lui proposant son idée, mais Lisandro avait sûrement dû comprendre qu'elle n'était pas là en tant qu'ennemie. Au contraire... Faire face à des jeunes en transmettant des valeurs était un acte de sensibilisation, certes, mais il y avait une autre volonté derrière cela : redonner foi à Lisandro. Elle voulait le sortir de sa zone de confort, le secouer un peu pour lui montrer qu'il n'était pas devenu un fardeau de la société. Bien sûr, ce n'était pas chose facile de le convaincre, mais elle avait implanté cette idée dans un coin de son esprit. Maintenant, c'était à lui de la faire germer. Alors, quand il la traita d'effrayante, Tahlia vit cela comme une légère victoire. C'était la preuve qu'il l'avait écouté et qu'il avait pris pleinement connaissance de ses paroles. Dans le cas contraire, il se serait buté et lui aurait montré la porte en lui disant de ne jamais revenir. La jeune femme esquissa un léger sourire comme simple réponse, se contentant de ces paroles sans se douter, qu'en réalité, elle avait mis le doigt sur certaines vérités que personne n'avait su mettre à jour jusque-là. Elle le faisait tellement spontanément. Tahlia avait un caractère particulier qui faisait que l'on se demandait pourquoi elle était policière. Elle avait tendance à ne pas écouter les ordres, à rejeter cette autorité pour faire ce qui lui semblait le plus juste. Alors pourquoi était-elle toujours en poste ? Tout simplement parce qu'elle se démarquait par son empathie. Sans s'en rendre compte, elle savait adapter son attitude, ses gestes et ses paroles à l'interlocuteur qui se trouvait face à elle. Elle savait se mettre à leur place, même si cela lui coûtait beaucoup, moralement parlant. C'était pour cela qu'elle ne pouvait pas être aussi acharnée sur tous les dossiers. Ce serait mettre sa vie et sa santé mentale de côté. Une nouvelle fois, elle fut sincère avec Lisandro. Elle ne voulait pas qu'il croit qu'il avait un quelconque passe-droit. Elle se sentait juste plus proche de son histoire. Elle se disait qu'elle pouvait encore faire quelque chose pour lui. Mais quand sa sincérité alla un peu plus loin, en disant qu'elle avait fini par l'apprécier, le jeune homme sembla tiquer. Elle aurait pu reprendre ses paroles pour que cela paraisse plus acceptable, mais elle n'avait pas envie de mentir. Elle secoua négativement la tête face aux paroles du jeune italien : « Non, ce n'est pas ça. Je vois juste plus loin que le bout de mon nez. » Elle garda son regard rivé sur lui, alors qu'elle reprit doucement : « C'est sûr qu'il n'est pas facile de vous approcher, ça, je ne le nierai pas. Certains collègues diront même que vous avez un caractère de merde, mais pour ma part, je vois cela comme un réflexe défensif. Pour se protéger, on est capable du pire. Je suis sûre qu'au fond, vous n'êtes pas aussi terrible que vous voulez laisser croire. Et puis, soyons honnête, vous ne m'avez jamais jeté comme vous avez pu le faire avec mes collègues, ce n'est donc pas du masochisme... » Peut-être qu'elle se trompait sur toute la ligne et qu'il était un connard fini, mais elle n'avait pas envie de croire en cette éventualité. Mais alors qu'elle semblait être la seule à comprendre plus ou moins ces actes, elle fut surprise par la dernière question du jeune homme. Lui aussi semblait capable de mettre des mots sur du non-verbal. Ce qui destabilisa Tahlia, qui ne pensait pas que sa douleur se ressentait autant. Elle resta muette un instant, étant prête à détourner la conversation. Mais si elle voulait qu'il lui fasse confiance, il était nécessaire qu'elle laisse, elle aussi, entrevoir une partie de sa personnalité. « Disons que ma douleur y a contribué pour beaucoup. » Elle marqua un temps d'arrêt, avant de reprendre, moins crispée : « Je n'avais pas vraiment le choix. Soit j'en faisais une force, soit je me laissais sombrer. J'ai opté pour la première solution. Ce n'est pas tous les jours facile, mais ça m'aide à tenir le coup. » Elle reporta son regard sur lui et esquissa un léger sourire : « Nous ne sommes pas si différents, Lisandro... »

Il est vrai qu'en laissant entrer Tahlia, Lisandro ne  s'attendait pas à l'accueillir à bras ouverts. Il avait même plutôt envie de la jeter, comme tout ceux qui étaient passé par là avant elle. Mais il y avait cette petite chose, cette curiosité peut-être qu'il avait laissé parler et c'est pour cette raison, qu'actuellement la policière se trouvait dans la chambre de l'ancien sportif. Au départ, il s'était dit qu'il écouterait quelques secondes avant de finir par l'envoyer balader, mais rien ne s'était passé comme il avait pu l'imaginer. Voilà plusieurs minutes, ou heures il ne savait pas trop, qu'elle était là dans sa sphère la plus intime et qu'il ne l'avait pas viré à coups de pieds au derrière. Mais il avait fait pire, il lui avait accordé son attention, et elle devait se sentir privilégié parce qu'il ne le faisait pour ainsi dire jamais. Sauf cette fois. Aller savoir pourquoi. Peut-être qu'il avait senti qu'elle détenait des cartes qui pourrait lui servir après tout.

S'il y a une chose qu'il appréciait chez elle, c'est son franc parlé et même si ça l'embête clairement, au moins, il sait à quoi s'en tenir et ce n'est pas ce fauteuil qui l'empêche d'être traité comme n'importe qui. Enfin peut-être que si.. Les autres enquêtes sont clôturées et elle laisse tomber les dossiers, mais pas le sien. Pourquoi ? Y voit-elle quelque chose de personnel à régler au travers son histoire à lui ? Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre ce qui l'anime, mais il ne lui en fera pas part immédiatement.

Dans un autre contexte, il aurait peut-être rigoler en entendant ce que pensait ses collègues de lui, mais il n'avait aucune envie de rire, parce que tout ce qu'ils avaient pu dire ou contaster c'était véridique. Il avait un caractère de merde, même s'il était souvent calme, ce n'était pas non plus le genre d'homme à dire oui à tout, il savait faire entendre ce qu'il avait à faire malgré son caractère timide qui contrastait. Mais le reste était plus que vrai, toute cette colère, cette agressivité qu'il avait en lui, elle datait de l'accident. Il était devenu comme ça pour se protéger, parce que c'était l'armure qu'il s'était créé pour éviter de souffrir encore plus que ce n'était déjà le cas. Et elle avait mis le doigt dessus rapidement, c'en était presque effrayant. Mais il faut croire que si elle arrivait à voir ça en lui, c'est qu'elle y voyait son reflet quelque part..

" - Je ne vous ai jamais rejeté comme vos collègues parce que vous n'êtes pas comme eux. Ils n'ont jamais cherché à connaître qui j'étais vraiment. Ils ont simplement considéré cette affaire comme celle d'un mec friqué qui voulait faire son beurre. Ils m'ont considéré comme un numéro sans jamais m'adresser la moindre marque de sympathie ou même de respect dans certains cas. Vous n'êtes pas eux."

Et c'était un compliment, il espérait qu'elle le prenne dans ce sens là. C'est à ce même moment qu'il décida d'en savoir plus sur elle. Elle était si différente, il devait y avoir quelque chose sous sa carapace pour qu'elle agisse ainsi avec lui. Et quand il a vu son visage changer, son expression devenir comme interloquée, il comprit qu'il venait de mettre le doigt dessus.

" - Est-ce que c'est trop indiscret de vous demandez ce qui s'est passé ?"

Bien sûr que ça l'était, mais il espérait qu'elle serait en mesure de se confier, peut-être que ça lui permettrait de se projeter à son tour. Elle avait réussie à le faire, pourquoi pas lui ? Elle en avait fait une force, pouvait-il en faire autant ? Ses doutes étaient bien trop fort pour laisser place à autre chose. Pour le moment tout du moins.