Cigarette after the fight •• JERESON

Vous savez. 
Avoir les mains baladeuses dans une boite de strip-tease, ce n’est pas le meilleur plan de l’année et pourtant on n’est que février. L’année commence à peine et ça fait déjà des conneries. Quand je vois les conneries des autres, je me sens moins seul et des fois, je m’assure à me dire que mon cas est moins pire que ceux des autres. Sauf que mon cas n’est pas comme ceux des autres, en particulier ce gars qui vient de briser la règle d’or du strip-tease: toucher une danseuse. Il peut bien la draguer et tout ce qui s’en suit, mais ne pas la toucher, encore moins avoir une relation avec elle. C’est totalement différent des danseuses du cabaret qui sont loin d’être des putes comme le diraient la majorité des femmes, mais surtout Rory et même la concernée de l’histoire.

Est-ce que ça vaut le coup de vouloir sortir de son petit cocon confortable ? Peut-être bien… Je suis en train de jouer avec la carte du bout de mon doigt. Je la faisais tournoyer lassement, alors que je voyais son nom écrit dessus. Cette jeune demoiselle qui travaille dans le zoo le jour, dans un cabaret de nuit… Mh… J’ai un peu mené mes recherches en regardant plus en détail son dossier, qui est ce qui l’a transféré, les examens qu’elle a dû faire (j’en suis même allé à les compter en plus). Sur le coup, je comprends son ras le bol général: être pris pour un cas et non un être humain, c’est pénible. C’est difficile de considérer une personne sans émotions comme étant une personne humaine. Apathie ou pas, j’ai eu souvent ce genre de reproche de la part de Joyce. Je ne devrais pas être surpris même si je suis quand même bien apprécié de tous mes patients en général. Quand même, j’essaye d’imaginer sa douleur face à sa situation, sa solitude face à tout le monde comme si elle était seule contre Terre… Je grogne à cette réalisation et passe la main sur mon front pour le masser.

Bon, j’avoue que l’alcool ne me réussit pas particulièrement ce soir. J’ai l’air totalement morose là. Ouais non, mauvaise journée: dispute avec Joyce qui me fait la tête, même le soir puisqu’elle me dit qu’elle n’est pas là et est partie à une soirée entre filles. Sûrement pour dire des vacheries sur les hommes et je sais ce qu’elles doivent se dire… Qu’est-ce que toute cette histoire est déprimante.

Pas plus que le gars tout à l’heure là qui vient de se faire violemment jarter en fait. Il devait être tellement bourré et désespéré, en manque pour vouloir draguer une danseuse et oser de briser la règle d’or: la toucher. Il s’est carrément sauté sur elle faut dire. J’ai assisté tout ça d’un oeil spectateur et ça ne s’est pas terminé par l’expulsion simple du gars. Ce dernier avait du répondant et avait même mis KO un employé. Si je n’avais pas peur pour mes mains, parce que j’ai une opération demain, j’aurai volontiers participé et aurait aidé à calmer ce gars. L’avantage d’être médecin, c’est que je sais où sont les points faibles du corps pour le mettre assez rapidement KO. De toute façon, Jeremy s’en est chargé au final. Je soupire et regarde le barman.  « Est-ce que tu peux me passer un sac à glaçons s’il … Deux sacs en fait. » Je fais signe de la tête que c’est pour son patron et son collègue. J’aurai très bien pu partir, mais je suis resté pour m’assurer si tout le monde allait bien dans le fond, c’est mon côté médecin que je ne peux pas réprimer. Je récupère les sacs de glaces, mets la carte de zoo dans ma poche, abandonne mon single malt pour rejoindre Jeremy.

 « Pfff… Avoir les mains baladeuses dans une boite de strip-tease, ce n’est pas le meilleur plan de l’année… » soupirai-je avant d’observer Jeremy, je fronce les sourcils et le désigne du menton, un peu inquiet pour son état de santé.  « Ca va ? Tu t’es pris pas mal de coups quand même avec ce type… » Je lui tends le sac de glace.  « Pour ta main. »

Nan. Et surtout pas dans MA boîte.
Sur ces mots je soupire et acquiesce. Je n’ai jamais eu ce genre de moment où je suis allé trop loin. Dès que je ne me sentais plus, je finissais toujours par partir ou sinon, j’allais forcément frapper. Je connais assez bien mon côté impulsif et je n’aurai rien tiré de bon en fait. Je connais aussi la violence de Jeremy quand il se bat et je n’aurai pas fait long feu si j’étais à la place du gars… Enfin, je ne pense pas qu’on en arriverait là, mais comme je suis un peu pessimiste, pour ne pas dire très pessimiste… Je le détaille vite fait et fronce les sourcils, sa main est plus amochée que l’autre, du sang du coin de sa lèvre, sûrement une coupure superficielle (j’espère). Les côtes, je ne sais pas, faudrait que je lui demande, même s’il va sûrement me balancer qu’il va bien et que tout ira bien. Il rigolera moins si je lui balance toutes les effets néfastes qu’il aurait…! Enfin bref, déjà, s’occuper de sa main ce serait pas mal, je m’inquièterai de son souffle plus tard. Je lui donne le sac à glaçon et bien que ça ne lui plait pas, il sait que c’est nécessaire. J’incline silencieusement mon menton en réponse à son remerciement et arque un sourcil pas convaincu.  « Jé’ tu sais que ça ne suffit pas pour me rassurer. » Pas la peine de lui expliquer que j’ai vu pas mal de personne dire qu’ils ont vu pire ou quoi, et qu’au final ils se retrouvent aux urgences quelques heures après parce qu’ils avaient une côte qui avait au final perforé le poumon.

Je m’assoie à ses côtés et je lâche un soupir d’aise. Je prends vraiment mes aises et regarde devant moi, l’activité semble reprendre un peu le normal même s’il y a quelques yeux observateurs. Je pose mon bras sur le dossier de la chaise et l’autre sur la table. J’ai toujours le don de faire un peu les positions particulières quand je m’installe, mais c’est pour mieux observer les deux côtés en même temps.  « Nan, j’suis arrivé y a pas longtemps que ça en fait. » J’hausse les épaules avec un air indécis. Cela montre que ça ne pas si mal que ça, mais ça ne va pas si bien non plus.  « Joyce et moi. Encore une fois de plus, on s’est pris la tête et nous sommes partis passer nos soirées à bouder chacun dans notre coin. » Une pause. « Comme d’habitude quoi. » Le mariage des fois, c’est assez emmerdant. Y a pas que des avantages, mais au moins, Joyce ne dit rien sur le fait que j’aille ici, tout comme je ne dis rien de ses soirées avec ses filles. « Toi, je ne vais pas te demander comment ça va. T’avais bien l’air de vouloir te défouler sur le pauvre type. »

Jé me répond sur la défensive, voulant m'envoyer gentiment balader sur son état de santé. Je grogne et soupire en fin de compte, on peut voir mon agacement par rapport à la situation, ce n'est pas de ma faute si je fais face à une déformation professionnelle et que je m'inquiète de mon ami là. En plus, s'il est de mauvaise humeur, tout comme je le suis, ça ne va pas du tout nous aider...! " Je préfère..." Je le regarde et m'assure que ce n'est pas une promesse en l'air, parce que bon, sinon, il va se retrouver assez con avec un poumon perforé et ce ne sera pas moi qui vais le soigner. Je lui foutrais sûrement une baffe pour ne pas avoir écouté le médecin (oui je peux parfaitement faire ça: chiche).

Installé je me mets à parler de la raison de ma présence. Après tout, ce n'est pas comme si Jé n'était pas au courant de ma situation en ce moment, quoique... Bon, il n'est pas au courant que j'ai déjà trompé ma femme et que je le vis plutôt mal. Je soupire et fais un signe au barman de nous servir les verres, il doit savoir ce que Jé boit et moi, toujours le même...! Je le regarde et hausse les épaules. " Oui, assez souvent ces derniers temps. Je déclenche les disputes, même les plus débiles. D'habitude, on se dispute professionnellement parlant, ce qui est normal: elle est plus du côté administratif et contrôle des dépenses tandis que moi je suis plus du côté des patients, donc en gros: aucune notion des dépenses. J'emmerde l'argent." Je ricane alors qu'on nous apporte les verres. " Merci !" Je reprends vite fait quand il est à nouveau parti et je me retourne totalement vers Jéremy. " Là, cette fois-ci. On s'est disputé pour rien: les courses. C'est parti de là et on s'est reprochés d'être trop absent l'un et l'autre. Elle: de ne jamais vouloir l'accompagner à des soirées. Difficile d'être disponible après 15h de garde en 24h et d'avoir juste une envie: dormir."

Enfin, je change tout de même de sujet pour passer à son sujet. Je l'ai vu frapper le gars comme s'il se défoulait de quelque chose, mais après, ça peut être se défouler du gars qui s'est permis de briser la règle d'or. J'aurai fait pareil aussi si je n'étais pas chirurgien et que je n'aurai pas peur pour mes mains. Je fronce les sourcils en voyant souffrir de sa main, elle est salement écorchée oui quand même. " Tu me laisseras regarder ça plus tard..." Ce n'était pas une proposition ou quoi, je n'accepterais pas son non.

J'arque un sourcil alors que je bois mon verre. Tout va plutôt bien pour lui. Je dépose le verre et grimace à la gorgée que j'ai bu trop vite. " Aaah... Touche du bois..." Parce que ça ne va pas durer longtemps et il me fait vite la remarque, je fais un geste de la main qui l'encourage à continuer, mais aussi pour montrer que je voulais en venir là avec l'idée de toucher du bois. Ça ne dure jamais longtemps tout ça. J'hoche un peu la tête au fur et à mesure qu'il parle, parce que c'est très véridique dans ce qu'il dit. " Moi aussi j'aimerai bien ça..." avouai-je au final alors que je m'affale à nouveau un peu déprimé. " C'est demander l'impossible à la vie d'avoir que des choses qui aillent bien, que tout fonctionne et que tout soit facile. En fait ça ne l'est pas et euh... Sans ces difficultés, ces emmerdes qui se dressent, on ne serait pas devenus ce que nous sommes aujourd'hui. Y a certaines difficultés qui nous rendent plus matures qu'avant, mais aussi qui ajoutent du piment dans notre vie. Parce que sérieusement ? Une vie où tout se passe bien, j'ai connu des gosses de riches qui cherchent à ressentir des émotions parce qu'ils s'ennuient dans cette tranquillité." Je dis ça parce que j'ai pu opérer quelques cas de ce genre. Je soupire et garde le verre en main. " Mais en fait non, la vie est une bitch des fois... Mais dis-moi, tu veux vraiment une femme et des enfants ?"J'avoue que j'ai un peu du mal à le voir ainsi, surtout en ce moment, mais pourquoi pas dis.