Encore une nuit passée où les larmes avaient fini par couler sur les joues de Tahlia. C'était le seul moment où elle se permettait de lâcher tout ce qu'elle avait. Fini les sourires de façade et
les ça va bien ! qu'elle répondait en tentant d'être convaincante. Pourtant, elle sentait les regards dubitatifs, elle voyait les sourires encourageants. Elle sentait que cet entourage était prêt à l'entendre, à l'aider. Mais elle restait têtue comme une mule, préférant se voiler la face et glisser hors du monde, plutôt que de dire qu'elle n'allait pas bien. Elle avait trouvé les combines pour échapper aux questions dérangeantes. Ce matin-là, elle avait attendu que Freja et Concho quittent l'appartement pour se lever. Elle ne voulait pas que l'on voit ses yeux bouffis et les cernes qui trahissaient le sommeil mouvementé qu'elle vivait ces derniers jours. Elias hantait ses nuits. Elle revoyait ce jeune homme de dix-neuf ans, à la carrure imposante. Elle revoyait la colère dans ses yeux. Elle avait même l'impression de sentir ses doigts serrer avec force ses bras. C'était à croire qu'elle n'arriverait jamais à se départir de ce fantôme du passé. C'était à croire qu'il y aurait sans cesse une tuile qui lui rappelerait cette adolescence brisée, la femme brisée qu'elle était en réalité...
Fort heureusement, elle n'était pas dans un état critique. Certaines personnes arrivaient encore à la faire se lever, à la faire sortir les jours où elle n'avait qu'une envie : rester affalée sur ce canapé à regarder des séries sur Netflix. Elliot en faisait partie. Peut-être parce qu'il était l'une des personnes qu'elle connaissait le mieux. Il savait comment agir avec Tahlia, comment sortir les bons mots pour amadouer la bête. Il n'avait suffi que de quelques textos pour que la brune accepte de se rendre chez lui pour une soirée sans chichis. Tout ce qu'il lui fallait. Tahlia ne demandait jamais la lune. Une soirée cinéma, c'était bien mieux qu'une virée à l'autre bout du pays. Elle attendit l'heure convenue avec une telle impatience qu'elle se trouva devant la porte à la minute près. Pourtant, Tahlia n'était pas des plus ponctuelles, originellement ! Elle tapa trois coups, attendit le signal de son ami et entra sans prendre la peine qu'il vienne lui ouvrir. C'était comme cela qu'ils fonctionnaient, l'un et l'autre avaient les clés de leurs appartements respectifs. Les colocataires de Tahlia s'étaient habitués à le voir entrer, sans même qu'on l'invite à le faire. Elliot apparut alors dans le champ de vision de la brune et très vite, un semblant de sourire se dessina sur les lèvres de la policière.
« Salut toi ! » Elle l'accueillit dans ses bras pour leur câlin habituel, en guise de bonjour. Le suivant dans le salon, elle secoua la tête quand il évoqua les petites douceurs qu'il avait concocté rien que pour elle.
« Tu n'es pas croyable ! » répliqua-t-elle, amusée.
« Tu n'étais pas censé être en congé, aujourd'hui ?! » Mais elle savait très bien qu'il était diffile pour Elliot de ne pas pâtisser, même quand il était repos. D'autant plus qu'il était prêt à lui faire une autre patisserie à base de fruits, si elle le souhaitait. N'était-il pas adorable ?
« Non merci, ça ira. Tu sais à quel point tes macarons sont à tomber. Quant à moi, j'ai apporté le carburant. » Elle tendit le sac où se trouvait deux gobelets de café frappé. Elliot, tout comme Tahlia, étaient des accros au café. Là aussi, ils faisaient une belle paire. Mais vint la question qui fâche, le fameux comment ça va, accompagné d'un regard lourd de sens, qui transpirait l'inquiétude. La jeune femme haussa les épaules et répondit machinalement :
« ça va ! » Heureusement, les chats d'Elliot firent leur apparition à ce moment-là. Tahlia s'accroupit pour les saluer, espérant dévier le sujet. Mais sachant que cela ne fonctionnerait pas avec Elliot, elle rectifia :
« Enfin... on fait aller. » C'était déjà mieux.
« Et toi ? Tu as pu profiter de ton jour de repos ?»