I'm not lost. I'm just exploring. ∞ Rosa

Le temps avait filé depuis que la jeune espagnole avait posé un pied à l'aéroport de Bowen. Elle avait revu de la famille qui ne se souvenait d'elle que comme d'un bébé de trois ou quatre ans, famille éloignée qui l'avait gentiment accueillie le temps qu'Aïnhoa prenne ses marques en Australie et dans cette nouvelle ville. Il avait fallu le temps qu'elle finalise son inscription à l'université, même si elle débarquait un peu de nulle part. Vu que les examens allaient avoir lieu seulement dans un mois et qu'elle n'avait aucune idée de la matière enseignée ici, programme sûrement assez différent de ce qu'elle avait appris dans son pays natal, elle avait décidé de suivre les derniers cours qu'il restait, mais de ne pas passer d'examens, cela relevait de l'impossible. Au moins, elle avait pu se trouver un job de coach sportif, elle avait acheté une nouvelle moto, d'occasion, mais la rutilante bête noire scintillait de mille feux et Aïnhoa en était très satisfaite. Il avait ensuite fallu se mettre en quête d'un endroit où vivre, entendez, un endroit rien qu'à elle, car elle ne comptait pas squatter éternellement chez ses cousins. Elle avait trouvé son bonheur, un petit appartement dans le centre, confortable et partiellement meublé, rien de bien extravagant, mais bien assez cosy pour elle. Elle avait attaché tant bien que mal quelques affaires à l'arrière de sa moto, juste les plus petits trucs qu'elle puisse déménager, dont les affaires de Yela, son chat, qu'elle n'avait pu se résoudre à laisser derrière elle en Espagne.

Elle avait enfourché sa moto, tourné les clés dans le contact et s'était lancée dans le dédale de rues et ruelles de Bowen, pour trouver son appartement. Elle avait déjà été le visiter une fois, mais n'était pas certaine de trouver son chemin, surtout que la dernière fois, c'était une tante qui l'avait conduite ici en voiture, avec GPS. Mais bon, elle trouverait bien. À un moment ou un autre. Sur le chemin, elle réfléchissait à comment elle allait déménager Yela. Parce que balader un chat en moto, c'était pas vraiment pratique. Il faudrait qu'elle réquisitionne encore les services de sa famille, même si elle se sentait mal de débarquer ainsi dans leur vie un beau matin et de leur demander de l'aide. Bref. La jolie brune tournait dans les rues depuis un moment déjà, et refusait catégoriquement d'accepter qu'elle s'était perdue. Elle... Visitait, c'est tout. C'était pas grave de se perdre. Elle avait le temps. Même si ça lui tapait sur le système, elle s'obstinait à ne pas s'avouer à elle-même qu'elle était juste complètement paumée. Misère. Mierda. Ne pas enrager. Respirer. Elle trouverait toute seule et il était hors de question qu'elle s'arrête pour demander son chemin.

Quinze minutes plus tard, en colère contre elle-même pour cet échec, elle céda finalement et rangea sa moto sur le côté, dans une énième rue dont elle avait déjà oublié le nom, et retira son casque. Une jeune femme arrivait à sa hauteur, et Aïnhoa coupa le contact de sa moto, passant une main dans ses cheveux pour enlever la transpiration de sa tignasse brune, comprimée depuis quarante minutes dans le casque sous le soleil australien. Elle prit une inspiration et interpella la jeune fille quand celle-ci fut toute proche. « Discúlpeme, señora. » aborda Aïnhoa, avant de se rappeler qu'il valait sans doute mieux continuer en anglais, et non dans sa langue maternelle. « Vous êtes du coin ? Je pense que je me suis perdue. » reprit-elle avec un fort accent espagnol. Elle avait l'air maligne, comme ça. Elle esquissa un petit sourire gêné, ses yeux gris clair se baissant un instant sur ses mains qui portaient son casque, avant de rencontrer à nouveau ceux de celle qui était peut-être sa sauveuse du jour.

Aïnhoa se sent un peu bête d'avoir abordé la demoiselle en espagnol, d'un autre côté, elle n'a pas encore pris l'habitude, et de plus, celle qu'elle a interpellé présente des traits typiques d'origine hispanique, ou quelque chose d'avoisinant. Lorsqu'elle lui répond, la brunette pense repérer un léger accent portugais, masqué par sa maîtrise parfaite de l'anglais, mais tout de même. Enfin bon, elle avait des questions plus urgents à poser pour le moment. Par chance, la jeune femme est bien du coin, elle pourra sans doute lui indiquer le chemin. Aïnhoa n'est pas timide de nature, mais elle n'est pas non plus la plus extravertie quand elle rencontre de nouvelles personnes, surtout quand elle se sent bête et se trouve être en rogne contre elle-même. Et puis, même quand elle connaît un groupe, il lui arrive d'être un peu mal à l'aise, comme pas à sa place. Ce qui tranche fortement avec sa langue acide et sa voix forte lorsqu'on la cherche vraiment, ou qu'une chose lui déplaît au point qu'elle ne puisse pas se taire. Pour le coup, la jeune espagnole se sent un peu stupide d'être perdue ici, toute seule avec sa moto, et un anglais qu'elle maîtrise moyennement. « Oh, super. Oui, justement, je cherche mon appartement... » s'explique la brunette, en saluant mentalement de la main la honte qui la traverse quand elle avoue chercher son propre appartement. Si ça c'est pas hilarant. Estúpida. Elle cherche le bout de papier sur lequel elle a noté l'adresse, fouillant dans la poche de sa veste en cuir noir, avant de le sortir et de le tendre à son interlocutrice. « Je cherche cette adresse, j'emménage au numéro 33. Je ne suis venue qu'une fois, alors... » sourit Aïnhoa, essayant de justifier le fait qu'elle se soit complètement paumée. Elle avait intérêt à commencer à bien enregistrer le trajet, parce qu'elle allait encore devoir le faire pas mal de fois, si elle comptait s'installer ici sans projet de retour.

Aïnhoa se contente de sourire avec un petit haussement d'épaules gêné quand son interlocutrice se met à rire. Elle voit bien que ça n'a rien de méchant, et maintenant la gêne et l'auto-flagellation passées, la jeunette doit avouer que racontée comme ça, sa situation est drôle. Et puis, la gentillesse et la serviabilité de l'autre femme la met à l'aise, elle aurait pu tomber sur quelqu'un de bien plus désagréable. Noa n'était même pas sûre qu'elle aurait osé aborder un homme. Quoi que. Ce n'était que parce qu'elle y pensait maintenant qu'elle se disait qu'elle ne l'aurait pas fait, mais elle avait tout de même appris à vivre avec son traumatisme et n'y pensait pas tout le temps. Elle avait repris confiance en l'humanité, il ne lui restait que quelques séquelles dans certaines situations, tout dépendait du contexte, mais en général, elle ne pensait plus à ce qui lui était arrivé. L'espagnole haussa les sourcils avec un sourire agréablement surpris quand la passante lui indiqua que, situation encore plus cocasse, elles étaient en fait voisines. Drôle de manière de rencontrer sa voisine pour la première fois, en effet, mais au moins elles savaient déjà que le courant pouvait passer entre elles. « Et bien enchantée, voisine ! Au final, je n'étais pas très loin du but. » répondit Noa avec un petit rire. La jeune femme proposa qu'elles se rendent ensemble jusqu'à l'appartement, il était vrai qu'elle avait encore ses courses avec elle, la pauvre, Aïnhoa n'y avait même pas fait attention. Mais bon, elle ne semblait pas avoir été dérangée par la brusque interruption de la brunette dans sa vie, pas comme quelqu'un qui aurait été pressé de rentrer ranger ses courses et se faire à manger, Noa était rassurée. « Oui, avec plaisir, merci. Non, ça ira, vous êtes déjà bien chargée. » refuse Aïnhoa avec un sourire reconnaissant. Sa moto est plus lourde avec toutes les affaires qui y pendent, c'est vrai, mais rien qu'elle ne puisse pousser sur quelques mètres, et puis, sa sauveuse et désormais voisine a déjà ses courses à porter.

Elles se rendent toutes deux jusqu'au bas de la rue, la jolie brune poussant sa moto tandis que sa nouvelle voisine, et sans doute amie, lui emboîtait le pas. « Au fait, je m'appelle Aïnhoa. Vu qu'on est voisines, on peut passer aux présentations ! » reprit la jeune fille en esquissant un sourire. « Oui, en effet, je suis arrivée à Bowen il y a quelques semaines seulement, j'étais chez de la famille en attendant de m'installer correctement et de m'assurer un boulot. Et vous, vous êtes portugaise, non ? » expliqua Aïnhoa avant de tenter de deviner elle aussi l'origine de son interlocutrice. Au pire, elle se plantait, mais il lui semblait quand même bien avoir décelé un petit accent venu de son pays voisin, même si elle n'était pas une experte pour reconnaître les accents.

Le compliment de Rosa lui fait plaisir, et Noa se laisse aller à un petit levé de yeux au ciel lorsqu'elle lui dit qu'elle a l'air jeune, agrémenté d'un petit sourire amusé. Ça n'est pas la première fois qu'on lui dit, en réalité, on ne lui donne jamais son âge. Soit on la pense plus jeune, soit plus vieille, dépendant de comment elle est habillée, et surtout, de comment elle parle. Parce que croiser une Aïnhoa bien énervée n'est pas joli à voir, et bien qu'elle arrive à se retenir quand on ne la pousse pas trop, la jeunette a toujours eu sa fierté, même si craquelée ces dernières années, et elle n'a jamais eu peur de l'ouvrir bien fort quand on touche à un point sensible. Dans ces cas-là, on la pense souvent plus vieille, de par sa manière un peu trop théâtrale et pleine d'assurance de s'exprimer - ou de crier - et par son répondant aussi piquant que du wasabi. Mais bon. Ça, c'était l'autre visage d'Aïnhoa. Elle n'était pas toujours ainsi, plutôt calme et parfois même un peu réservée au premier abord. Sociable, oui, extravertie, pas vraiment. Il fallait vraiment la toucher dans son amour-propre pour délier sa langue de vipère. Ou s'en prendre à quelque chose qui lui tenait à cœur.

Les filles parvinrent à monter toutes les affaires en un seul trajet, grâce à l'aide gracieuse de Rosa, qu'elle accueillit dans son appartement. C'était vraiment chouette d'habiter aussi près l'une de chez l'autre ! Aïnhoa avait déjà hâte de rencontrer les autres voisines, ainsi que les colocataires de la belle portugaise. D'emblée, la jeune femme avait un caractère facile, lier de bonnes relations n'était pas compliqué pour elle. C'était quand elle apprenait à mieux connaître les gens et se sentait en confiance que son fort caractère - de cochon, parfois - remontait. Dans tous les cas, cette journée s'annonçait vraiment bien. « Merci beaucoup pour le coup de main, super-voisine ! Tu peux laisser ça sur le côté, j'arrangerai plus tard, de toute façon, j'ai encore un bon nombre de choses à déplacer. » indiqua Aïnhoa. L'appartement allait être un peu en chantier pendant quelques jours et la petite brune avait hâte que tout soit en ordre. Elle n'était pas une pro du rangement et du nettoyage, pas maniaque pour un sou, mais elle aimait vivre dans un espace propre et cosy, elle aimait que ce soit joli et qu'elle puisse mettre un peu de déco. Bon, les chaussettes et culottes qui traînent, un peu de vaisselle sale, elle n'en faisait pas un drame, mais c'était souvent un réflexe de ramasser les quelques petites choses qui stagnaient sur le sol pendant des jours. Disons qu'elle n'en faisait pas un drame quand ce n'était pas bien rangé, mais qu'elle aimait que ce soit accueillant. Elle posa le mixeur, son meilleur ami, à côté de la bouilloire, sa meilleure amie, sur le plan de travail. Il allait falloir faire des courses, bientôt, et avant ça peut-être amener tous les meubles, sauf si ça prenait plusieurs jours. Misère, c'était pas évident un déménagement, niveau organisation. Surtout quand on s'obstinait à ne rouler qu'en moto. La proposition de Rosa sonna telle une délivrance. Aïnhoa se tourna vers la jeune femme, son regard clair pétillant s'enflammant d'un coup devant cet espoir, avant qu'elle n'esquisse un sourire gêné. En vérité, oui, ça l'aiderait énormément et résoudrait beaucoup de questions organisationnelles. Mais c'était vraiment beaucoup demandé de la part d'Aïnhoa. « Je ne sais pas... Pour être honnête, ça m'arrangerait vraiment énormément, je pourrais finir de transporter les meubles aujourd'hui. Mais tu m'as déjà bien aidée, plus que nécessaire, je ne voudrais vraiment pas t'embêter, tu as sûrement autre chose à faire de ta journée. » répondit la jeune femme en se mordant la lèvre, tergiversant. Elle ne voulait pas que Rosa se sente obligée, même si c'était elle qui l'avait poliment proposé, elle ne voulait pas donner l'impression de profiter de tout ça et de paraître ingrate, de faire perdre du temps, de s'incruster... Bref, elle était un peu mal à l'aise d'accepter ce genre de propositions. D'une part, ça serait un cadeau tombé du ciel, d'autre part, elle ne pouvait accepter tant d'aide désintéressée et de temps de la part d'une personne qu'elle venait de rencontrer.

C'est marché conclu, Rosa l'aidera à déplacer le reste de ses affaires, ce qui est vraiment super sympa. Aïnhoa n'aurait sans doute pas eu le même réflexe et la même serviabilité à sa place, autant elle ne refusait pas d'aider quelqu'un, comme toute personne civilisée, autant elle ne pensait pas toujours à proposer son aide spontanément. Surtout que là, c'était une fameuse aide. Sa nouvelle voisine lui proposa ensuite de passer d'abord à son appartement pour prendre un verre, et l'espagnole a à peine le temps d'accepter qu'elles sont déjà sur le palier et changent d'appartement. « Oh c'est dommage, j'aurais été ravie de rencontrer tes colocs. Une prochaine fois, du coup ! » dit-elle en souriant. Ce n'était donc pas une mais plusieurs voisines qu'elle aurait. Aïnhoa espérait que les colocataires de Rosa étaient aussi sympathiques qu'elles, si c'était le cas, ça allait vraiment être bien. La jeunette se fit la réflexion qu'elle avait tout de même bien de la chance d'avoir choisi cet appartement. Elle n'aurait peut-être pas eu le même accueil ailleurs. Rosa lui parla aussi de son chien, Oli. Aïnhoa n'était pas une experte en animaux, mais elle avait tendance à les apprécier à peu près tous et à bien s'entendre avec eux.

Les deux jeunes femmes pénétrèrent dans l'appartement d'en face, et une gentille boule de poils vint les accueillir avant de renifler les doigts de la brunette avec curiosité. Aïnhoa le caressa doucement, attendrie. « Je sais que c'est rare, mais si Oli n'a rien contre les chats, il pourra peut-être devenir copain avec ma Yela. Elle, elle a toujours adoré la présence des chiens, même s'ils font quatre fois sa taille ! Il faut dire qu'elle a grandi avec un berger allemand, aussi. » raconta la jeune fille tout en caressant doucement le jeune chien, lui laissant le temps de la renifler un peu partout et de s'habituer à sa présence. À l'étonnement de pas mal de gens, sa chatte n'était en effet pas du tout effrayée par les chiens. En Espagne, quand Aïnhoa l'avait accueillie à la maison alors qu'elle n'était qu'un chaton, elle avait tout de suite accroché avec le berger allemand de son "frère". Voir un petit chaton fragile jouer avec un mastodonte de cette taille avait quelque chose d'adorable.

Si Rosa lui dit de s'installer, la brunette n'en fit rien et la suivit pour l'aider à ranger ses courses, dans la mesure du possible. La belle portugaise lui rendait déjà beaucoup trop de services pour une seule journée, elle pouvait bien faire ça. « Qu'est-ce que tu me proposes ? » demanda Aïnhoa en retour lorsque son hôte lui demanda ce qu'elle voulait boire. La jeune femme n'était pas tellement café, elle aimait bien de temps en temps mais elle préférait largement le thé. Mais pour l'instant, elle avait plutôt envie de quelque chose de frais et sucré. Noa laissa ses fesses aller rejoindre le canapé moelleux, caressant doucement la tête d'Oli qui revint lui faire coucou, avant de repartir dans les jambes de sa maîtresse.

Aïnhoa esquissa un grand sourire, emballée elle aussi en pensant aux futures soirées qu'elle pourrait faire avec ses voisines. Elle était certaine qu'elle passerait des bons moments ici, dans ce nouvel appartement, et tout autant dans l'appartement d'en face. Lorsqu'elle parla de son chat et de ses liens très forts avec les chiens, aussi surprenant que cela puisse paraître, Rosa approuva une future rencontre, pour voir s'ils allaient s'entendre. Oli avait l'air adorable et joueur, mais ce n'étaient pas tous les chiens qui appréciaient la compagnie des chats. La belle brune lui demanda ensuite ce qu'il était advenu du berger allemand. « Il est au fils de mon beau-père, donc il est resté en Espagne. » expliqua Aïnhoa. En mentionnant son "frère", une ombre passa dans les iris couleur iceberg de la jeune femme et elle baissa les yeux. Celui qu'elle ne voulait plus jamais, au grand jamais, revoir de sa vie. Celui qui l'avait brisée, et qui continuait encore à la hanter aujourd'hui, même si elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour garder cette façade enjouée et souriante, et pour continuer à vivre comme s'il n'avait jamais existé. Au fil des années, elle avait appris à vivre avec ce traumatisme et elle y pensait le moins souvent possible. Mais elle n'avait pas encore accepté ce qui lui était arrivé, malgré le temps. Sinon, elle ne serait pas ici, à l'autre bout du monde, mettant le plus de kilomètres possibles entre elle et ce psychopathe.

Confortablement installée dans le canapé, une fois les courses rangées, elle écouta Rosa lui faire la liste de ce qu'elle pouvait lui offrir. Elle se sentait déjà très à l'aise avec la portugaise, en même temps, qui ne l'aurait pas été ? « Le thé glacé me tente bien ! » choisit la petite brune après mûre réflexion. Rosa prépara deux verres et vint ensuite la rejoindre sur le sofa. Elles se connaissaient depuis seulement quinze minutes, mais Aïnhoa avait l'impression d'être installée avec une vieille amie pour se raconter les derniers potins. « Alors, ça fait combien de temps que tu es installée ici ? » demanda la brunette, curieuse d'en apprendre plus sur sa voisine.