please won't you tell me now why i'm losing myself again (karel)

Il fait nuit noire. T'es dans ce parking silencieux, tout ce qu'on peut entendre c'est les talons de tes chaussures claquer contre le goudron. T'avances de pied ferme. T'avances vers ce type. Celui qui t'a tiré dessus. Tu le regardes dans les yeux. Ton regard est perçant. Et boum. Tu te réveilles en sursaut. T'es dans ton lit en sueur, ton coeur bat vite. Tu mets quelques secondes à reprendre tes esprits. Toujours ce même cauchemar qui hante tes nuits. T'attrapes ton portable sur la table de nuit pour regarder l'heure : 00:18. L'appartement est calme, Jan doit dormir à poings fermés et toi t'es là. Assise sur ton lit, essouflée. Tu sais que t'arriveras plus à te rendormir. Tu le sais parce que toutes les nuits c'est pareil. T'as envie de te foutre en l'air. Tu te lèves, passes par la cuisine pour boire un verre d'eau, puis par la salle de bain. Tu t'habilles et tu sors de l'appart pour aller errer dans les rues. T'as que ça à foutre de toute façon. Dès que tu fermes les yeux tu fais ce cauchemar horrible. Tu marches au moins une bonne demi-heure avant de sortir ton téléphone de ta poche. T'envoies un message à Karel. « Occupé ? » Ouais t'écris que ça parce que t'as la flemme. T'attends pas sa réponse. Tu marches en direction de chez lui. T'es du genre solitaire, t'aimes pas t'entourer de gens. Les gens te font chier. Les gens sont cons. Les relations sociales ça a jamais été ton truc de toute façon. Mais Karel, c'est un peu différent. Karel il a un truc. Un truc rassurant en lui. Mais ça tu le diras pas. Jamais. Ca doit être la première fois depuis trois siècles que t'as besoin de voir quelqu'un. Mais ça tu te l'avoues qu'à demi-mot. T'arrives devant chez lui. T'oublies de regarder s'il a répondu avant de sonner à la porte. Trop tard. Débarquer chez les gens à une heure du matin ça se fait pas mais bon. T'as l'habitude de faire des choses qui se font pas. Il te connaît maintenant. Même si c'est bien la première fois que ça arrive. Il ouvre la porte. « Karel. » Sans que tu le veuilles y a un truc dans ton regard. Une certaine détresse que tu peines à cacher chaque jour de ta vie. « J'veux crever. » Oui alors c'est pas vraiment une façon normale de dire bonjour mais bon. On l'a déjà dit, t'es pas douée pour les relations. Tu veux crever. Ouais tu le veux. Tu le dis tout le temps. Tu le penses tout le temps. Mais comment on crève quand on a pas le courage de se buter soi-même ? « Faut que tu m'aides. » Dans la seconde qui suit tu regrettes déjà d'avoir dit ça. Pourquoi t'as dit ça ? T'es conne. Toi qui veux pas d'aide. Toi qui dis toujours vouloir te démerder toute seule. T'es là en pleine nuit chez un mec à demander de l'aide. T'es devenue folle.

Karel était plutôt du genre oiseau de nuit, alors quand il vit son téléphone s'allumer à plus de minuit, il ne fut pas vraiment surpris. Il fut un peu plus surpris du nom et du message qui s'affichaient par contre, ça n'avait rien à voir avec son boulot, ni l'officieux ni l'officiel. Il fronça les sourcils avant d'y répondre.

Non, qu'est-ce qui se passe ?

Si Kelia avait un problème, il n'hésiterait pas à l'aider. Depuis qu'il était ici, il ne s'était pas lié avec grand monde mais ceux avec qui il était devenus amis pouvaient compter sur lui. Il n'eut pas de réponse et il s'inquiéta un peu, mais il ne pouvait pas la rejoindre. Il savait où elle habitait, mais il n'était pas sûr qu'elle y soit. Il préféra donc ne pas bouger de chez lui en attendant sa réponse. Au bout d'un certain temps, il entendit frapper à sa porte, et il vint lui ouvrir. Ça n'allait pas, ça n'allait vraiment pas. Il le voyait dans son regard. Et sa déclaration le confirma. Karel ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit, il était encore sous le choc. L'aider ? Mais l'aider à quoi ? A se tuer ? Il en était hors de question. Bien qu'il soit un professionnel du meurtre, la jeune femme était quelqu'un à qui il était attaché, ne serait-ce qu'un peu, et surtout, qui ne méritait pas la mort. Il la prit doucement par le bras pour la faire entrer avant de fermer la porte derrière elle.

-Viens là...

Il lui fait de la place sur le canapé pour qu'elle vienne s'installer à côte de lui.

-Qu'est-ce qui se passe ? Explique toi. Je... je vais t'aider, mais sûrement pas à crever.

Est-ce qu'elle savait ? Pour son métier officieux, est-ce qu'elle l'avait apprit, que c'était pour ça qu'elle lui demandait de l'aide ? Non, il espérait que ce n'était pas ça, qu'elle voulait qu'il l'aide à s'en sortir.

T'éprouves un énorme soulagement quand il ouvre la porte. Quand tu le vois. T'es soulagée ouais, mais tu t'en veux de l'être. Tu chasses ce soulagement parce que t'avouer à toi-même que t'as besoin de quelqu'un c'est inimaginable. Pourtant t'as beau te mentir, Karel et toi vous êtes liés. D'une manière ou d'une autre vous l'êtes. Et c'est bien pour ça que tu te retrouves chez lui. T'as beau te convaincre que t'as besoin de personne dans ta vie, au fond, ça fait du bien de sentir que quelqu'un est là pour toi. T'aurais bien pu réveiller Jan et lui parler de ce qui t'arrive. Il est cool Jan, il est là pour toi même si c'est surtout parce qu'il a peur de te retrouver morte chez lui. Karel c'est pas pareil. Avec lui t'es plus à l'aise. Même si t'aimes pas cette sensation. Il te prend doucement par le bras pour te faire entrer chez lui et bizarrement tu te sens déjà mieux. Sa présence est rassurante. Mais toi, t'as envie de repartir en courant. Tu sais pas pourquoi t'es venu là. Tu te détestes. Tu t'assieds sur le canapé à côté de lui mais tu te relèves deux secondes plus tard quand il prononce ces mots. Je vais t'aider. Mais toi tu sais que personne peut t'aider. Pourquoi t'irait lui faire perdre son temps ? T'es juste folle, on peut pas t'aider. « Je sais pas pourquoi je suis venue... » Tu fais les cent pas dans son salon en évitant à tout prix son regard. Tu veux pas qu'il voie le tien. Tu veux pas qu'il voie à quel point ça va mal. Il est au courant de certaines choses parce que tu lui en as parlé. Mais il sait pas tout. Il sait pas que ça te ronge. Que ça te rend folle. Tu veux pas lui dire. T'as pas le droit de mettre tes problèmes sur les épaules des autres. « Tu sais j'arrivais pas à dormir et... et... » Tu sais plus quoi dire. Y a rien qui sort. Pourtant quand t'étais sur le chemin pour venir chez lui, t'étais prête à lui parler. T'étais prête à t'ouvrir enfin à quelqu'un. Mais là t'es devant lui et t'y arrives pas. Tu veux toujours faire croire que t'es forte. Que t'as du caractère. Alors t'ouvrir à lui reviendrait à montrer ta vulnérabilité. Tu peux pas faire ça.

Elle ne tenait pas en place. Une minute à peine après qu'elle se soit assise, elle se releva. Karel ne put échapper un soupire. Il sentait déjà que ça allait être compliqué. Mais si elle était venue jusqu'ici, c'est qu'elle acceptait, quelque part, qu'elle avait besoin de quelqu'un, même si elle continuait à le nier.

-Parce que tu as besoin d'aide, Kelia.

Peut-être que ça lui ferait peur, mais il ne la laisserait pas fuir, pas dans cet état. Il avait trop peur qu'elle fasse une connerie. Elle n'arrivait plus à dormir, c'était un début d'explication. Quelque chose la rongeait ? Est-ce qu'elle faisait des cauchemars ? Il avait vraiment besoin qu'elle lui dise quelque chose, qu'elle lui parle.
Karel finit par se lever, se rapprochant de Kelia pour lui prendre les mains, enfonçant son regard dans le sien. Elle ne pouvait pas se défiler éternellement. Si elle repartait aujourd'hui sans rien lui dire, peut-être qu'elle ne e déciderait plus jamais à lui parler.

-C'est à cause de lui ? C'est à cause du mec que t'as tué ?

Elle lui en avait parlé. Elle avait fait comme si ce n'était rien, un détail sans importance mais Karel savait bien que ce n'était pas le cas. Tuer, ça n'avait jamais aucune conséquences, et il était bien placé pour le savoir.

-Ecoute, je sais ce que tu vis.

Si elle ne voulait pas parler, lui il parlerait.

-Ne te laisse pas pourrir la vie par ce type, des raclures comme lui, j'en tue tous les jours !

Il se laissait emporter, Karel, mais le sujet était sensible et il n'en avait presque jamais parlé à personne. Et surtout, ceux qui connaissaient son métier, n'avaient aucune idée de tout ce qui pouvait se cacher derrière.

-Je tue des gens, Kelia, c'est mon boulot. Je tue tout ces enfoirés qui tuent, qui violent, qui sèment la terreur et le mal sur cette putain de planète sans jamais être condamnés.

Tu sais pas pourquoi t'es venue. Tu lui dis ça alors que tu sais très bien pourquoi t'es là, chez lui à une heure aussi tardive. Tu savais exactement quoi lui dire jusqu'à te trouver devant lui et que plus rien sorte de ta bouche. T'as besoin d'aide. Il le dit, il le sait. Tu répètes à tout le monde que t'en as pas besoin. Que t'as besoin de personne et tu veux pas qu'on t'aide. Mais tout au fond de toi t'es consciente que si t'es là maintenant c'est que t'as besoin de quelqu'un. T'as besoin de Karel. Tu tiens pas en place. Tu bouges pour pouvoir éviter son regard et tu sais plus quoi dire. Mais lui il va pas te lâcher. Il se lève et te prend les mains et tu t'imobilises devant lui. T'essaies de fuir son regard mais ça marche pas vraiment. A cause du mec que t'as tué. Quand il prononce ces mots, c'est comme si on te plantait un couteau dans le ventre. T'as mal putain. Tu fermes les yeux tellement ça fait mal d'y repenser et encore plus de l'entendre. Toujours aucun mot qui sort de ta bouche alors tu hoches doucement la tête positivement. C'est peut-être ta seule chance de pouvoir en parler. T'auras peut-être plus jamais le courage de te pointer chez lui avec la ferme intention de lui demander de l'aide. Y a de la détresse dans ton regard qui est maintenant plongé dans le sien puisque tu peux pas faire autrement. Tu l'écoutes parler. Il en tue tous les jours ? Comment ça ? Ton regard est interrogateur, tu comprends pas trop sur le moment. Mais c'est son boulot. Il fait ça. Il bute des gens pour gagner sa vie. Tu t'attendais pas du tout à ça mais au moins maintenant tu sais qu'il peut comprendre ce que tu vis mieux que personne. « Tu... tues des gens ? » Tu dis ça avec une voix tremblante. « Je... J'fais des cauchemars. Tout le temps. J'arrive pas à oublier. J'en peux plus Karel. » Tu lâches enfin ses mains mais tu bouges pas d'un seul millimètre. Qu'est-ce que ça fait du bien de le dire à haute voix. Ca soulage. T'as envie de pleurer mais il est hors de question que tu te mettes à chialer devant Karel. Non. Tu vas te reprendre et être forte. « Est-ce que... toi aussi... Comment tu fais pour tenir ? » Est-ce que ça le ronge ? Est-ce qu'il en fait des cauchemars ? Est-ce qu'il le vit mal, lui aussi ?

Il a lâché ça comme une bombe. Tu t'y attendais vraiment pas. T'imagines qu'il dévoile pas ça à tout le monde donc s'il le fait avec toi c'est qu'il veut vraiment t'apporter son aide. Tu sais pas si t'es prête à ce qu'on t'aide mais si t'es là c'est que quelque part, tu le veux. Tu peux facilement imaginer ce qu'il vit même si c'est encore assez différent de toi. Lui il vit de ça. Il fait ça souvent. Toi c'était qu'une fois. Et cette histoire te ronge déjà alors comment il fait lui pour réussir à faire ça tout le temps sans mal le vivre ? Tu le suis sur le canapé cette fois, bien plus calme qu'il y a quelques minutes. Aussi bizarre que ça puisse paraître, t'as même plus envie de te barrer. Tu veux rester ici avec lui, t'acceptes de lui parler et de l'écouter. Pour la première fois depuis très longtemps tu sens que t'es là où t'es censée être. Une fois assise, tu l'écoutes parler même si tu fixes un point devant toi pour éviter d'avoir à croiser son regard. C'est quand il dit que t'as rendu le monde meilleur en faisant ce que t'as fait que tu relèves les yeux vers lui. « Il allait se faire arrêter. J'avais juste à l'identifier et il allait payer. Ce que j'ai fait c'était juste me venger. J'ai enlevé la vie de quelqu'un par vengeance, j'avais pas le droit. » Dans ta voix y a un mélange de panique et de détresse. T'as tellement pas l'habitude de parler de ça que tu sais même pas par quoi commencer ou quoi dire. Quand tu le vois baisser les yeux tu sens qu'il va te raconter un truc difficile. Et ça loupe pas. « Oh... » L'histoire te touche. Elle te touche toi, celle que rien ne touche normalement. Celle qui s'en fout de tout. Avec le temps la culpabilité s'estompe. Mais combien de temps ? Toi t'as l'impression qu'à chaque seconde de ta misérable vie tu vas y penser et en faire des cauchemars. Et à chaque fois que tu revis ça, t'as mal dans tout ton corps. C'est un truc difficile à expliquer mais tu te doutes bien que pour Karel c'est la même chose. « Pardon de te faire repenser à tout ça Karel. Pardon. Je suis vraiment trop conne c'est pas possible. » T'enfouies ton visage dans tes mains. Tu viens te plaindre à quelqu'un qui vit pire que toi. Qu'est-ce qu'il doit penser ? Que t'en fais trop ? Que t'exagères ? Tu sais pas. « C'est rien à côté de toi. Mais cette histoire me ronge tellement. Quand est-ce que ça va s'arrêter ? » Tu relèves la tête. Ton regard est presque suppliant. Tu le supplies de te dire ce que t'as envie d'entendre. Que tout va aller mieux. Même si t'y crois pas une seule seconde.

C'est vrai que son cas était différent, il ne pourrait pas dire le contraire. Mais il ne fallait pas croire pour autant que la vie était si simple et la justice si juste, bien malheureusement. Sinon le monde se porterait bien mieux qu'actuellement.

-Peut-être, ou peut-être pas. Il aurait peut-être été arrêté, mais pas forcément condamné pour autant. Je suis désolé de te le dire, mais ton témoignage n'aurait pas nécessairement suffit à l'envoyer en prison.

Combien d'affaires il avait suivi, combien de procès devant lesquels il s'était indigné avaient fini de cette manière là ? Beaucoup trop. Confondre un meurtrier au-delà du doute raisonnable n'était pas chose aisée. Si elle n'avait pas d'autres preuves que son témoignage, c'était parole contre parole, et même si elle était flic, certains jurés les détestaient assez pour remettre leur parole en doutes.

-Je ne vais pas nier que tuer par vengeance peut avoir beaucoup de conséquences négatives, et des meurtres sur plusieurs générations à force de haine. Mais ce n'est pas ce qui est arrivé.

Sauf s'il ne savait pas tout, ce qui était possible aussi. Mais, en tout cas, elle ne lui avait pas dit que quelqu'un de proche de l'homme qu'elle avait assassiné avait décidé de venir la tuer. Non, ce qui la poursuivre c'était sa culpabilité, rien de plus.
Alors qu'elle s'accablait de nouveau, Karel sentit qu'il commençait à perdre patience. Il ne lui racontait pas tout ça pour qu'elle se désolé de son sort à lui, bien au contraire. Il n'avait besoin de personne pour pleurer sur ce qu'il avait fait et encore plus sur ce qu'il endurait.

-Ne t'excuse pas.

Alors qu'elle relevait le visage vers le sien, leurs regards se croisèrent. Elle semblait vraiment au bout du rouleau.

-Quand tu l'auras décidé. Quand tu iras de l'avant, parce que ce qui est sûr, Kelia, c'est que tu ne peux pas revenir en arrière. Il faut que tu acceptes ça.

Karel et toi avez des histoires différentes mais au final, il est certainement la personne la mieux placée pour te comprendre. C'est comme si t'avais su qu'il pouvait te comprendre. Une intuition, ou un truc du genre. T'es un peu rassurée du coup. Même si t'es pas très confortable avec le fait de te confier à quelqu'un. Mais il a quelque chose de rassurant. Quelque chose qui te fait t'ouvrir un peu plus à lui à chaque seconde qui passe depuis que t'es arrivée chez lui. « Oui t'as raison. Il aurait peut-être pas été condamné. » En tant qu'ancienne flic t'es bien placée pour le savoir d'ailleurs. Mais tu peux pas t'empêcher de te dire que t'aurais dû l'identifier plutôt que de péter les plombs et d'aller le tuer. Parce que c'est pas à toi de décider qui doit vivre ou mourir. Et surtout parce que ça t'aurait sûrement évité de te retrouver dans cet été aujourd'hui. « Personne est au courant à part ma mère... et toi. Heureusement d'ailleurs, ça aurait pu mal finir pour moi. » T'en es consciente aujourd'hui. Avant tu pensais pas à ça. Tu t'es jamais dit que quelqu'un de la famille du mec ou un de ses amis aurait pu vouloir se venger de toi. T'as agi sans vraiment réfléchir. Même si ça serait pas plus mal si quelqu'un venait te buter finalement. Tu t'excuses auprès de Karel. Parce que tu viens le faire chier avec tes problèmes alors qu'il en a déjà assez de son côté. Comme tout le monde. C'est pour ça que tu parles jamais à personne. T'as pas le droit de mettre tes soucis comme ça sur les épaules des gens alors qu'ils en ont déjà. Mais il te dit de pas t'excuser. Alors vos regards se croisent. Ton regard est toujours rempli de détresse, mais un peu moins qu'à ton arrivée. Et alors tu lui demandes quand est-ce que ça va s'arrêter, un peu comme si tu te posais la question à toi-même en même temps. Parce que c'est à toi de faire en sorte que ça s'arrête et que tout aille mieux. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. « C'est tellement dur Karel. » Tu chuchotes presque, parce que t'as plus de force. Le fait d'en parler te fait ressentir une sensation que t'avais pas connu depuis longtemps, mais en même temps ça fait remonter des souvenirs que t'aimerais effacer à tout jamais. Mais ça c'est impossible et tu le sais. « Il a tué mon enfant. Mon petit bébé. » Tu craques. Les larmes qui menaçaient de s'échapper depuis que t'es arrivée chez Karel sortent finalement. Là devant lui. Comment aller de l'avant ? Comment faire pour passer à autre chose quand on a perdu son enfant et ensuite buté celui qui a tué notre enfant ? Pour toi c'est quelque chose qui te semble insurmontable. Et d'ailleurs ton état a fait qu'empirer depuis toutes ces années. Peut-être qu'il est temps d'accepter que t'as besoin d'aide.

Evidemment qu'il avait raison, il en avait vu des procès et clairement la Justice était loin de toujours rendre le bon verdict, pour tout un tas de raison. Et parfois, certaines personnes n'allaient même pas devant les jurés, des dessous de table bien versés et des relations permettaient tout un tas de choses.

-Apprends une chose, j'ai toujours raison.

Karel n'était pas un grand blagueur mais quelque part, il essayait de détendre l'atmosphère, et de changer les idées un peu trop noires de Kelia. Ça n'aurait pas de conséquences magiques, il le savait bien, mais il ne pouvait pas la regarder se morfondre sans rien faire, juste avec une petite tape dans le dos.

-Et personne d'autre ne le sera.

Une façon de dire qu'il avait l'intention de garder son secret.
Doucement, alors qu'elle craque, Karel passa son bras autour de ses épaules, l'attirant vers lui. Il n'était pas très doué pour réconforter les gens, mais il voulait faire de son mieux, parce que pour lui, Kelia le méritait. Elle méritait de pouvoir aller de l'avant, d'aller mieux, et de pouvoir assumer ce crime comme quelque chose de légitime.

-Je sais.

Il soupira doucement.

-Mais je sais aussi que tu es une femme forte. Tu peux y arriver Kelia, tu peux surmonter tout ça, et ne pas laisser un connard te faire sombrer au fond du gouffre.

Il réussit à t'arracher un sourire quand il dit qu'il a toujours raison. Un mini sourire mais un sourire quand même. En tout cas pour l'instant il a eu toujours raison dans tout ce qu'il t'a dit. Et tu sais que tu peux compter sur lui pour te donner de vrais conseils et pour t'aider. Même si au début tu t'en voulais d'être venue le voir, finalement tu te dis qu'il faut bien que t'en parles à quelqu'un de toute façon. Mais à qui ? Tu voyais personne d'autre que lui pour en parler. Ta mère pense que tu t'en es remise et que tout va bien, et les autres... En fait t'as pas beaucoup d'amis. Tu continues de penser que Karel est la meilleure solution. Il a quelque chose d'apaisant. Il a le visage dur mais il a un truc. T'es soulagée quand il sous-entend qu'il va garder ton secret même si t'avais déjà aucun doute sur ça. Le fait de l'entendre te prouve encore plus que tu peux lui faire confiance. Mais le petit sourire qu'il a réussi à te voler s'échappe vite de tes lèvres quand tu commences à parler de l'ordure qui t'a tiré dessus en évoquant la mort de ton enfant. Karel le sait, tu peux en parler librement avec lui même si c'est la première fois que tu en parles réellement avec les vraies émotions. Donc tu craques, tu peux pas t'en empêcher même si t'aurais aimé rester forte devant lui. Au final t'es juste un être humain qui a des moments difficiles comme tout le monde. Même si tu te persuades du contraire chaque jour de ta vie. Tu vas vers lui, les larmes qui coulent toutes seules sur tes joues sans que tu puisses y faire quoi que ce soit. Le fait de pouvoir pleurer sur l'épaule de quelqu'un te procure une sensation que tu soupçonnais pas. Toi qui a toujours donné l'impression d'avoir aucune émotion, tu te livres à ce mec aujourd'hui. C'était impensable jusqu'à maintenant. Mais ses mots t'apaisent et ça tu peux pas le nier. « Je me laisse couler alors que je devrais faire des efforts pour remonter la pente. Je suis pas si forte que ça tu sais. » Tu dis ça toujours en pleurant puis tu reprends un peu tes esprits et te redresses pour regarder Karel avant d'essuyer tes larmes. « Tu sais je pense souvent à ce que serait ma vie si c'était pas arrivé. J'aurais une vie normale... Pas comme celle que j'ai là. » Une vie merdique. Aucun sens, aucun but. Mais ça il le sait bien.

Jamais t'aurais imaginé te retrouver là un jour, pleurant dans les bras de cet homme. Et jamais non plus t'aurais imaginé à quel point ça te soulagerait. Craquer comme ça devant quelqu'un, c'est quelque chose que tu détestes. T'as pas envie qu'on te voit comme quelqu'un de fragile, de vulnérable, mais Karel te le confirme, t'es humaine et t'as le droit de craquer. Comme tout le monde. Alors tu le fais, de toute façon tu contrôles plus vraiment ton corps pour pouvoir avoir le choix. Les gestes de Karel t'apaisent et t'en es la première surprise. T'es pas si forte que ça non, parce que tu fais rien pour aller mieux, bien au contraire. Mais aujourd'hui tu le dis et tu l'assumes enfin et c'est déjà beaucoup. Même si t'es pas sûre d'avoir la force de faire quoi que ce soit pour guérir. Faudrait déjà que t'arrêtes de penser sans cesse à cette histoire et que t'ailles de l'avant. Ta vie ne ressemble à rien et elle a aucun sens. Pour aller mieux, tu sais qu'il faut faire quelque chose. Trouver un but, arrêter de se morfondre. Et maintenant tu sais que t'es plus toute seule. Tu sais que tu pourras compter sur son soutien. Tu peux compter sur le soutien d'autres personnes aussi. Mais pour l'instant t'es seulement prête à accepte le sien et pas celui des autres. Tu sèches finalement tes larmes. T'as assez pleuré pour aujourd'hui. Et t'es là à dire que si c'était pas arrivé t'aurais une vie normale. Sauf que ça personne le sait. C'est qu'une supposition. Et personne le saura jamais. Il a raison encore une fois. Alors tu hoches la tête alors qu'il vient encore caresser tes cheveux. « Je sais. Ouais, t'as raison. Faut que je me reprenne en main. Que j'aille de l'avant. C'est la seule façon de passer à autre chose. » Ta voix est tremblante à cause des larmes qui sont encore au bord de tes yeux. Mais tu dis ça sur un ton qui se veut convaincant. T'essaies pas de le convaincre lui. Tu veux te convaincre toi-même. Ca prendra du temps mais le fait de le dire à haute voix c'est comme si tu venais de faire un pacte avec toi même. « Tu seras là pour m'aider ? » Tu demandes en le suppliant du regard. Sa présence est apaisante, son regard aussi, tout en fait. Et avec son aide tu pourras y arriver. En tout cas c'est ce que tu te dis à ce moment précis. Tu te blottis encore contre lui. Toute ta colère, toute ta haine, tout ton mépris s'envolent d'un coup. C'est une autre Kelia qui est dans les bras de Karel. Et cette Kelia là, elle est apaisée. « Merci. » Les larmes s'échappent encore sans que tu puisses y faire quoi que ce soit alors que tu te serres fort contre lui en savourant au maximum le moment avant que tu redeviennes cette personne froide que t'es d'habitude.

Cette situation dans laquelle tu te retrouves fait ressortir l'ancienne Kelia qui est enfouie au fond de toi depuis bien longtemps. Celle qui n'a pas peur de faire face à ses démons et surtout, qui n'a pas de mal à se confier aux autres. Avant tu te confiais beaucoup à ta mère ainsi qu'à ton fiancé. C'était les deux seules personnes qui pouvaient vraiment te comprendre. Mais t'avais aucun mal à le faire. Avec tout ce qui t'es arrivé, tu t'es en quelque sorte renfermée sur toi même et tu ne veux pas admettre que rien ne va. Karel est là pour toi et il le sera c'est tout ce qui compte. C'est tout ce que t'avais besoin d'entendre ce soir. Ca fait tellement de bien d'avoir quelqu'un sur qui compter et même si t'es pratiquement sûre de le regretter demain, tu profites aujourd'hui de ce soutien si précieux qui te fait te sentir plus légère. Pour l'instant plus rien ne compte, tu te concentres sur sa voix et essaies de penser à rien d'autre. Tu craques autant que tu le peux aussi. Parce que tu sais que demain tu t'en voudras à mort d'avoir montré ta vulnérabilité et tu te jureras de plus jamais le faire. Tu apprécies ses gestes réconfortant, toi qui es d'habitude persuadée de ne pas avoir besoin d'affection tu te rends compte que ça fait extrêmement de bien. Donc vous restez comme ça quelques minutes, toi essayant de te calme, avant qu'il te propose de dormir chez lui. Est-ce que ça reviendrait à abuser de sa gentillesse ? Sûrement. Mais en même temps tu dormiras peut-être mieux ici que chez toi. A refaire ce cauchemar encore et encore. Peut-être que la présence rassurante de Karel y sera pour quelque chose aussi. « D'accord mais je partirai demain matin. J'veux pas abuser de ton temps. » Tu dis ça sans bouger. Sur le moment c'est comme si t'avais envie de rester dans ses bras pour toujours. « J'aurais jamais pensé dire ça un jour mais j'aime bien quand t'es là tu sais. » Toi qui es toujours si solitaire et qui te vante presque d'avoir besoin de personne. Finalement tu te rends compte que sa présence devient de plus en plus importante pour toi et t'hésites pas à le dire. Même si c'est vraiment pas dans tes habitudes. « Je vais te laisser aller dormir. » Tu dis en te redressant un peu à contre coeur.