[MAXYM & FELIX - UA] Aime-moi comme je t'aime.

Pas les Hamptons.
Le ton qu'il emploie te contracte le cœur. A croire que ce n'est pas un aussi bon souvenir pour lui que pour toi. Malgré tout, tu le suis dans l'habitacle et réponds d'un claquement de langue agacé au chauffeur qui vous presse pour avoir l'adresse. Son ajout sur l'hôtel te crispe parce qu'il contient une notion de suffisance déplaisante. Comme si tu avais envie que ta vie avec lui commence par quelque chose qui " suffira ". Maintenant que l'appartement s'éloigne dans le rétroviseur, que vous quittez la scène du crime, tu sens la colère redescendre pour laisser place à une sensibilité à fleur de peau, exacerbée par la fatigue. Ton romantisme se fait traîner dans la boue par la réalité : Chad doit aller travailler. Tu voudrais bien lui répondre d'envoyer chier son job aussi, qu'avec ce que tu gardes à la banque vous pourriez vivre à deux sans pour autant mener cette vie de ministre qu'il déteste, mais tu n'oses pas, hanté par les paroles de l'autre connasse qui n'a pas pu s'empêcher d'essayer de vous retourner le cerveau. S'il ne travaille pas, sûr que ça ne jouera pas en sa faveur pour la garde de son fils. Tout comme, s'il vient habiter avec toi, il risque de faire les frais des préjugés sur les parents homosexuels. Par ailleurs, tu sais parfaitement que rien ne se perd jamais et que les services sociaux seront ravi d'apprendre toutes tes frasques. La montagne de problèmes qui pourraient en découler ainsi que le manque d'enthousiasme de Chad à l'idée de dormir avec toi finissent par avoir raison de ta combativité. Tu rends ton tablier de kidnappeur, ne protestes pas, ne cherches pas à imposer d'adresse et regardes par la fenêtre le chauffeur vous conduire à travers la ville pour vous larguer à quelques pattés de maisons, devant d'anciens bâtiments transformés en hôtels.

hôtel / chambre:

En silence, tu règles la course et pars devant réserver une chambre à la réception. Chad te rejoint dans le hall au moment où tu récupères les clés. La chambre est au dernier étage, vous oblige à prendre l'ascenseur grinçant dont les grilles se ferment à la main. A l'intérieur, tu t'effaces pour le laisser entrer, t'obliges à détourner la tête pour ne pas avoir le nez trop attiré par son odeur. Le silence qui s'impose devient sinistre dans le bruit de poulies accompagnant votre ascension, si bien qu'arriver à destination devient un soulagement. Clé qui tourne, porte qui s'ouvre : vous voilà dans une chambre quelconque, équipée d'une télé, d'un lit et d'un bureau. Le strict minimum des hôtels de passage au sein desquels les voyageurs ne restent pas plus d'une nuit ou deux. Le genre d'établissement que tu n'as jamais fréquenté, n'ayant dormit que dans des suites de luxe avant de t'installer seul à Brooklyn.

Une impression de poids s'abat sur ta poitrine mais tu ne sais pas si celle dernière est due à la petitesse de la pièce où à tes poumons qui prennent l'eau depuis que vous avez quitté Brownsville. Pourquoi il ne parle plus ? Tu n'arrives plus à comprendre, ne conçois qu'à moitié que c'est peut-être parce qu'il est exténué, lui aussi. Les angoisses t'empêchent de réfléchir correctement. Après avoir tiré le rideau pour vous couper de la lumière du jour, tu t'assieds sur le lit et commences à te déshabiller. Les gestes sont douloureux maintenant que l'alcool à disparu et que les anti-douleurs commencent à se dissiper. Une grimace t'échappe car tu avais oublié la côte flottante malmenée par l'agression. Enfin, lorsqu'il ne reste plus que ton boxer et tes bandages, tu t'allonges, l'esprit engourdi, l'impression d'être dans la peau d'un autre et de ne pas savoir ce que tu fous ici. Ce devrait être le plus beau jour de ta vie, au lieu de ça, c'est un matin étrange dont la beauté est étouffée par la noirceur de la nuit fraîchement dissipée. Le passage de cette dernière a laissé des ruines au milieu desquels tu as peur de t'endormir. Peur qu'il ne soit plus là à ton réveil. Peur de le perdre encore une fois. Et dire qu'il y a quelques heures, tu sortais d'un bar, un verre à la main, pour pleurer l'absence de celui qui s'allonge à tes côtés ...

JUSTE LA FIN DU MONDE

Il pensait qu'à présent il pourrait résister à tous les coups, il se voyait devenir plus solide que la roche et plus heureux que tout lorsque ce jour là viendrait et pourtant, finalement, Chad se sent simplement vidé. Le poids de la réalité écrase celui de l'amour, le fait respirer difficilement alors que l'ascenseur grimpe jusqu'au dernier étage. Tout ce que le blond s'était imaginé jusqu'ici n'était qu'un conte de fées, une connerie qui n'existe que dans les téléfilms qu'il regarde parfois avec Irène. Il n'y a pas de sourire, pas d'ailes, pas d'étoiles dans ses yeux. Pas du remords non plus, non, ça il n'y arrive pas totalement mais beaucoup de tristesse. Des plaies qui s'ouvrent, des poings de suture qui craquent pour le faire vomir un monstre de colère. Jack, il ne cesse de penser à lui, à son fils qu'il ne reverra peut-être pas malgré les menaces d'Isaak. Est-ce que sa mère le montera contre lui ? Est-ce qu'adulte, ce gamin deviendra un énième fils détestant son propre père ? Les portes s'ouvrent, la carcasse imposante de Chad suit celle de son compagnon de fuite. Ici, rien ne ressemble à ce dont Coalman a l'habitude. Pas de carte électronique, pas de champagne qui coule à flot, pas de petit mot déposé sur le lit et autres attentions que les types comme lui apprécient lorsqu'ils dépensent une fortune pour une ou deux nuits.

Chad le laisse faire, ne remarque pas la petitesse de la pièce, l'endroit sobre et sans le moindre artifice. Sa vie s'est toujours résumée à ce genre d'endroits et il profite enfin de l'obscurité lorsque Isaak tire délicatement le rideau pour les enfermer dans un cocon. Graham enlève quelques couches de vêtements, garde son jean et s'allonge sur le lit en lâchant un profond soupir de soulagement. A ses côtés, il se rend compte à peine maintenant de la complexité du lien qui les anime. Ils n'ont couché que deux fois ensemble durant toutes ces années. Chad ne connaît rien à son corps, à son organisme, à la beauté de ses gestes, à la douceur de ses lèvres, ce qu'il aime, ce qui le rebute. Ses cheveux en bataille, il ose à peine le regarder et termine finalement par se rapprocher pour se coller à lui. Sa tête sur son torse, son bras le ramène contre lui alors qu'il embrasse son buste en silence. Déboussolé, il ne sait plus s'il saura reprendre la parole maintenant, mettre des mots sur cette discussion qu'ils n'ont pas terminé. Le viol traîne encore dans sa tête, fait un bruit insupportable de ferraille qu'il n'avait jamais mesuré jusqu'ici. Chad n'avait pas pris ce moment contre le chêne avec une telle importance. Il ne s'était jamais dit qu'il avait abusé. Le spectre de son père et des gens qui l'entouraient à ce moment là n'a jamais été aussi présent. C'est à cause d'eux s'il manquait de jugeote et se pensait tout permis.

Je suis désolé de t'avoir causé du tort. Je ne voulais pas te blesser. Les excuses arrivent certainement tardivement et n'effaceront rien au mal qu'il a causé mais Chad ne peut les retenir, sentant que ses sentiments pourraient le broyer tant il peut se détester de l'avoir fait souffrir uniquement pour atteindre son but, mettre fin à ses fantasmes. Dans l'obscurité, son visage se tourne vers le sien, se redresse et attrape le regard d'Isaak pour le fixer un long moment, faire passer des émotions qu'il ne sait pas dire à voix haute.
Je t'aime.
Je suis heureux de te retrouver.
Je ne sais pas quoi faire.
Je veux partager ma vie avec toi.
Embrasse-moi.

Le regard fixé au plafond, tu sais que tu ne trouveras pas le sommeil, alors même que ton corps appelle au secours. Au secours d'éprouver du désir tout en étant si fatigué ; au secours d'être abandonné dans quelques heures. Qu'on l'aide, qu'on fasse quelque chose pour ce corps qui se meurt tandis que ton esprit se perd dans les profondeurs de tes angoisses. Chad réagit. Il vient poser sa tête contre ton torse, se rapproche de toi et t'embrasse. Tout ce que dont tu as besoin, en cet instant, c'est qu'il fasse acte de présence et c'est ce qu'il fait. Comme il l'a toujours fait quand tu en as eu besoin. Pourquoi ne l'as-tu plus jamais demandé ? Pourquoi as-tu tout gâché ? Après tant d'années à le regretter, tu te satisfais de le sentir tout contre toi. Puisque tout vole en éclats et que vos univers viennent de se percuter de plein fouet pour ne plus en former qu'un, autant lâcher prise. Se laisser aller à ses excuses, leurs donner des sens qu'elles n'ont peut-être pas pour panser toutes tes plaies et tout lui pardonner. A-t-il encore besoin que tu le punisses en étant jaloux et rancunier alors qu'il risque de perdre son fils ? Tu serais le dernier dégueulasse si tu l'enfonçais en cet instant. Cet instant où il te regarde et te chavire par la profondeur de ses iris. Son visage devient une étoile dans la nuit, alors que le soleil perce derrière les rideaux, découpe sa silhouette dans la pénombre. Le contre-jour le rend plus massif qu'il ne l'est déjà, plus beau qu'il ne l'a jamais été. Tu repenses à ce lit dans lequel tu étais venu le retrouver, à la complicité fusionnelle ressentie ce soir là, tandis qu'un " moi aussi " s'échappait de tes lèvres entre-ouvertes par l'orgasme.

- Je te pardonne tout. Tes mains bandées entourent ses tempes, tu retiens un sanglot, désespérément identique à Irène, aussi bouleversé qu'elle par ce qu'il s'est passé chez lui et les horreurs balancées dans la violence de l'échange. Je ne laisserai plus personne prendre ma place à tes côtés. Tu rapproches son visage du tiens, l'incite à s'allonger entre tes jambes. Je t'aime. Pétrifié, hypnotisé par ses yeux, aussi heureux de le retrouver que triste de l'avoir perdu durant toutes ces années. Ta coupe est pleine, tu débordes d'émotions. La prise de conscience est trop violente pour ne pas te frapper de plein fouet : l'aimer, c'est aussi accepter de passer après sa vie personnelle, son job, ses potes, son fils s'il parvient à en avoir la garde ... L'aimer, c'est ne plus fuir. Aujourd'hui commence la vie que vous n'avez jamais eu. Celle qui te renvoie les images de ce passé gâché, de ces solitudes offertes en sacrifices de choses aussi futile que le regard des autres. Je voudrais qu'on soit heureux à deux.

JUSTE LA FIN DU MONDE

Ses mains sur ses tempes, son corps entre ses jambes, le je te pardonne tout d'Isaak l'aide à plonger dans une fatigue qui le prend à la gorge. Son être devient aussi mou qu'une guimauve lorsque ses yeux plongent dans les siens et qu'il lui fait part de son envie d'être heureux à deux. Chad voudrait pouvoir lui répondre clairement, avoir le courage de parler de telles choses maintenant mais ses paupières sont lourdes et son coeur encore plus. Ce à quoi il répond un maigre on fera de notre mieux contre son torse avant d'y déposer sa tête en silence et de laisser ses yeux se fermer. Dormir dans ses bras, il en a rêvé si longtemps qu'il pensait que cela n'arriverait jamais. Parce que même dans cette grande maison dans Hamptons, Isaak l'avait laissé seul dans ce lit. Au Mexique, ils avaient pris soin à ne surtout pas se toucher après sa fellation. Quant à la voiture, juste après cette histoire de viol, Chad était trop loin dans sa bêtise pour tenter le moindre geste romantique. Trois ans donc, pour parvenir à ce résultat, dormir sur lui, l'écraser de toute sa carcasse sans savoir s'il est bien installé ou non, s'il lui fait mal ou pas. Le corps du colosse est tellement fatigué qu'il ne parvient pas à réfléchir correctement et ce n'est que lorsque son téléphone se met à vibrer dans sa poche qu'il se redresse en silence sans prendre le temps de se doucher, tout juste de se brosser les dents pour se rendre au travail.

Ses collègues se sont foutus de sa gueule, lui ont demandé toute la journée ce qu'il avait foutu, s'il sortait d'une gueule de bois ce à quoi il n'a fait que répondre par des sourires silencieux qui laissaient entendre qu'ils avaient peut-être raison. Dans l'ascenseur, son coeur se serre parce qu'il ne sait pas ce qui l'attendra dans la chambre. Et si Isaak n'était pas là ? La gorge nouée, Chad prend une longue inspiration avant de pénétrer dans leur nid qu'il trouve sans trop de surprise vide. Il s'efforce de ne pas stresser, de ne pas se faire des films qui n'en valent pas la peine mais se retrouve complètement paniqué à s'effondrer sur le matelas. Le regard posé sur le plafond, il n'a même pas un numéro pour le contacter, rien pour essayer de le convaincre de revenir, de ne pas le laisser. Il regrette soudainement ses paroles de ce matin, l'amertume lui donnerait presque envie de vomir alors que, vêtu de ses vêtements de travail, Chad ne trouve même plus la foi d'ouvrir les yeux. Ses paupières closes laissent place à un calme dont il n'a pas le choix. S'il continue de contracter ses muscles et son coeur avec une telle ardeur, il ne tiendra pas le choc, c'est impossible.
Qu'est-ce que tu fous Isaak ?
On fera de notre mieux, ça voulait dire, jusqu'à la fin je te lâcherai pas.

Tes yeux se ferment tandis que Chad se relâche tellement qu'il devient un poids mort sur tes côtes douloureuses. Alors que des larmes qui n'ont rien à voir avec la douleur coulent en silence le long de tes tempes, tu t'efforces de caler ton souffle à l'inverse du sien pour avoir une amplitude respiratoire suffisante et limiter ces moments de rencontre entre sa cage thoracique robuste et la tienne, affaiblie par l'agression. A tes flancs lancinants s'ajoute une envie de pisser que tu traînes depuis les urgences, à croire que tout est fait pour t'empêcher de te reposer, de prendre du recul sur cette situation qui n'en finit plus de te déstabiliser. Le blond s'endort rapidement, comme c'était à prévoir, tandis que tu restes éveillé, rongé par l'inquiétude de ne pas savoir ce dans quoi tu t'engages. Hormis celle de Maurice, tu n'as jamais partagé la vie de quelqu'un. Hommes ou femmes, les fantômes de tes poufs n'ont jamais hanté que ton lit tout comme Colby et les autres n'ont jamais été que des histoires de fesses. A 37 ans, tu t'apprêtes à découvrir la vie de couple avec un homme que tu ne connais pas tout en ayant l'impression de le connaître depuis toujours. Quelqu'un que tu arraches à son foyer sans être certain d'avoir mieux à lui offrir. Dans le silence de la chambre où la seule unité de mesure du temps qui passe est la respiration de Chad, tu pries pour que faire de ton mieux s'avère suffisant. Tu ne survivrais pas de rater ce nouveau départ comme tu restes persuadé d'avoir raté toute ta vie. Avoir été millionnaire et PDG d'un groupe toujours très bien côté ne te rend pas plus indulgent envers toi-même. A quoi bon être fier d'avoir été le meilleur quand on sait que c'est pour le rester que tu es devenu le pire ? Le pire des égoïstes, le pire de con, le pire loser.

Sentir vibrer le téléphone contre ta cuisse t'incite à garder les yeux fermés. Si tu ne bouges pas, Chad croira que tu dors ; si tu restes immobile, il ne verra pas le sel séché au coin de tes yeux. Ce n'est qu'une fois qu'il a refermé la porte de la chambre derrière lui que tu te précipites aux toilettes et t'accordes une douche plus que nécessaire. Impossible de te rincer correctement les cheveux à cause de tes mains douloureuses, mais le corps a le mérite d'être propre au moment de retourner se coucher. L'eau chaude a fait baisser la pression artérielle, détendu les muscles et réveillé la fatigue qui t'emporte tandis qu'une dernière pensée se dissipe dans ton esprit : tu aurais du lui donner ta carte ; il n'a rien emporté à manger.

* * *

Un tour d'horloge plus tard, tu reviens à l'hôtel les bras chargés de sachets qui se prennent dans les grilles de l'ascenseur et tombent par terre tandis que la cabine s'élève dans les étages. Vêtu d'une tenue propre récupérée chez toi en allant nourrir la chat, tu te penches pour ramasser en priorité la pizza qui, part chance, ne s'est pas retournée dans sa boîte. Bien que tu aies dormi jusqu'au milieu d'après-midi, jamais journée ne t'a semblé aussi longue de toute ta vie. L'enterrement de tes parents, les deux jours que Chad avait mis pour te rappeler après le bar et les semaines de désintox, tous peuvent aller se rhabiller face à l'angoisse qui te ronge de tomber sur un lit vide au moment d'ouvrir la porte. Au cours des dernières heures, tu n'as fais que repousser l'instant de vérité. Et si Chad avait changé d'avis ? Ce moment en prévision duquel, au bord d'un gouffre psychologique si profond que même la mort devient acceptable, tu as acheté une quantité suffisante d'héroïne pour ne pas avoir à t'en remettre. Une seringue, des antidouleurs, des restes de pizza et un dossier estampillé du logo du meilleur cabinet d'avocats de la ville : voilà au milieu de quoi sera retrouvé ton cadavre si Graham n'est pas là. La paperasse étant à son nom, tu supposes qu'on la lui remettra. A l'instar de Carter chez lequel tu es passé refaire tes pansements, Berington aussi faisait partie des meilleurs de sa promo. Pour le premier la médecine, pour le second le droit et pour toi l'économie. Des trois, tu as toujours été celui dont le pouvoir était de faire pleuvoir les billets. Une pluie acide, dont tu as arrosé le compte de ton confrère en te rendant également à la banque, parce que tu veux que Chad ait toutes ses chances de récupérer son fils, même s'il ne te choisit pas. Pendu marchant vers l'échafaud, avançant moins vite que si tu y allais à reculons, tu te répètes sans cesse que tu as fait de ton mieux ; que tu es resté fidèle à ces quelques mots échangés ce matin et que, si un dieu existe, c'est maintenant qu'il doit faire un miracle car tu n'as fais que prier depuis ton réveil pour ne pas te retrouver seul dans cette chambre, à ton retour.

La porte s'ouvre sur la pièce au sein de laquelle, à première vue, rien n'a changé. Tu sens ton corps devenir du plomb, tes pieds s'enfoncer dans le sol tandis que le liquide métallique rempli tes veines en même temps qu'il se fige pour te transformer en matière morte. Une sensation glacée qui engourdit tes mollets et remonte la long de tes jambes à l'image de racines empressées de te voir arriver au cimetière pour pomper jusqu'à la moelle de tes os qui ne servent plus à rien sans Chad pour les aimer. Chad qui somnole sur le lit, ce pourquoi il n'y avait ni bruits, ni mouvements dans la chambre. Saisi de constater qu'il est bel et bien là, que toute cette envie de mourir n'a plus de raison d'être, tu pousses le soupire le plus soulagé de ton existence ; quelque chose qui se perd entre le gémissement, le sanglot et la profession de foi. Chad ... Son prénom pour remercier le ciel de te le rendre, visiblement exténué mais présent, c'est tout ce qui compte. Je ... J'ai ramené de la pizza. La même que celle de la Saint-Valentin. Tu avais peur de la manger seul et de t’étouffer avec tes regrets ; maintenant tu ne rêves plus que d'une chose : la partager avec lui comme tu aurais du le faire, il y a de ça quelques mois.

JUSTE LA FIN DU MONDE

Malgré l'inquiétude et la crainte de se retrouver seul dans ce motel, sa nuit trop courte assomme Chad d'un violent coup dans la nuque qui le fait s'endormir immédiatement. Encore habillé, les cheveux en bataille, ce n'est que lorsque la porte s'ouvre et se referme que son corps reprend conscience de ce qu'il est en train de vivre. Isaak est là, planté devant lui un carton de pizza entre les mains. Son prénom traverse ses lèvres dans un soulagement qui écorche le coeur du blond avec violence. Et s'ils étaient finalement tous les deux aussi stressés de ne pas retrouver l'autre ? Encore plus que celui de perdre la garde son fils. Incapable de prononcer le moindre mot, la détresse de sa moitié l'empêche de bouger dans un premier temps alors que les rideaux cachent toujours jalousement la pièce de ce début de soirée qui commence à les faire sombrer dans leur première nuit à deux. Le temps que la peur se dissipe de ses traits Chad redresse au moins son torse. Il a la sensation d'avoir des casseroles sous sa cage thoracique qui font un bruit terriblement désagréable lorsqu'il se bouge. Oh oui je- Encore trop endormi, enfoncé dans ses émotions douloureuses, Graham se redresse plutôt que parler pour ouvrir enfin les rideaux mais aussi la fenêtre afin de changer l'air qui doit sentir le phoque. La fraîcheur du dehors lui picote les joues et le fait émerger de ses névroses.

C'est en voyant de nouveau la pizza qu'il se décide à ôter son t shirt morbide et plein de transpiration pour le poser sur une chaise. Torse nu, Chad se doute bien qu'il ferait mieux de prendre une douche avant d'espérer quoi que ce soit. Maladroit dans sa façon d'être, il ne sait pas s'il a le droit de l'embrasser pour lui prouver qu'il lui a manqué ou s'il doit rester dans ses retranchements. C'est pourquoi sa main se pose simplement sur l'avant-bras d'Isaak pour prononcer un merci presque timide. Tu permets ? Je vais me doucher avant. Comme ils n'ont que des douches communes pour l'étage, il se saisit d'une serviette et traverse le couloir en vitesse pour les rejoindre et prendre le temps d'évacuer les tensions de la journée. Il pourrait presque les sentir glisser contre sa peau, chaudes, douloureuses, insupportablement mélancoliques. Ce n'est qu'en revenant sur ses pas, un boxer propre enfilé et sa serviette sur l'épaule qu'il parvient à respirer à nouveau un peu mieux. Il voudrait pouvoir témoigner à Isaak la joie de le revoir, de pouvoir être enfin à ses côtés après tout ce temps perdu mais il y a tellement de circonstances désastreuses tout autour d'eux qu'il peine à profiter pleinement de ce moment. Peut-être que les Hamptons étaient la solution après tout ? Non, il ne peut pas se permettre de perdre son job, pas alors que cette histoire pourrait se briser aussi vite qu'elle a commencé. Il sait leur relation trop instable pour réellement lui faire confiance.

Entre les murs de leur chambre, le blocage continue, la joie se contient au fond de ses tripes, tape contre ses os, ses muscles mais aussi ses organes et lui n'ouvre pas la porte, n'ose pas trouver la clé qui ouvre la serrure. Elle est à quoi ? Question tendre tandis qu'il se saisit du carton pour prendre place sur le lit, appuyer son dos contre les coussins et étirer ses jambes douloureuses sur le matelas sans oser prendre une bouchée tant qu'Isaak n'est pas à côté de lui pour la partager ensemble. Se concentrer sur cette pizza, c'est repousser encore un peu le moment où ils devront mettre des mots sur ce qu'ils sont sur le point de traverser. Sans compter qu'au fond d'eux dort certainement un désir sur le point de remonter le long de leurs corps pour les faire réagir. Chad ne se concentre pas trop sur la présence de Coalman, préfère fixer cette pizza qui n'a pas de beaux yeux bleus plein de vie et d'amour.

Le voir se lever et ouvrir la fenêtre te semble irréel, ravive des souvenirs qui remontent à au moins mile ans. Cette époque où il était ton garde du corps et à laquelle vous partagiez la même cabine sur ce bateau en route pour le Costa Rica. L'air frais de la nuit qui s'annonce, caresse ton visage tandis que Chad te touche le bras. Torse nu, ébouriffé, il est si délicat que tu n'oses pas lui sauter dessus pour l'embrasser, lui dire à quel point il te sauve la vie en étant seulement présent dans cette chambre, ce soir. Le serrer dans tes bras pour être certain que tu ne rêves pas, que tu ne te réveilleras pas en sueur d'un énième cauchemar où la terreur n'est pas tant de l'imaginer dans tes rêves que de constater qu'il n'est pas là au réveil. Combien de sommeil écourté par l'absence et le manque, ces derniers mois ? Des nuits entières, comme celle qui se prépare, à regretter la pizzeria et tes mots maladroits pour lui faire comprendre que tu ne voulais juste plus pleurer à nouveau à cause de lui. Il faudrait qu'il sache combien tu t'en veux lorsque tu profites de son absence pour jeter la came dans la poubelle ; faible que tu es et resteras toujours malgré tous ces mois passés clean après la rupture. A l'époque, la douleur était si forte que tu avais plusieurs fois pensé à replonger, mais une voix te disait de survivre à cette épreuve, te rappelait de rester lucide, histoire de te souvenir à quel point il s'était foutu de ta gueule, alors que vous vous étiez simplement mal compris. Cette même voix qui pourtant t'avait dit de faire le plein, cet après-midi, " au cas où ". Au cas où ce soir aurait pu être la réalisation de ce cauchemar te hantant depuis toujours et qui t'avait fait raccrocher avant lui. S'il l'avait choisi elle, s'il n'était pas rentré, tu serais redevenu le lâche que tu étais il y a trois ans. Celui qui préférait s'exploser la tête plutôt que d'assumer qui il était ; qui préférait partir plutôt que de rester, trop effrayé à l'idée de souffrir où de ne pas être à la hauteur.

Lorsqu'il revient de sa douche et qu'il répand une odeur de savon sur son passage, il te faut rassembler tout ton courage pour ne pas rester en retrait tant le seul fait de le contempler suffit à faire ton bonheur après tout le mal envisagé à l'idée qu'il ne soit pas au rendez-vous. Tu réalises un peu plus à chaque fois que tu le vois à a quel point il t'a manqué, des détails de son physiques ayant évolué avec le temps à ses mimiques restées inchangées. Il a toujours fixé le regard ailleurs lorsqu'il était gêné. Avançant sur le lit, tu viens te placer à ses côtés, observant son visage plutôt que la pizza dont le seul intérêt est, à présent, de vous donner prétexte à discuter de tout sauf de ce qui est important. Les papiers de l'avocat sont restés sur la table, tu n'as pas eu le coeur à les faire entrer avec toi dans le périmètre du lit. Mexicaine ... Ta voix n'est qu'un murmure d'enfant qui ne sait plus comment formuler ce qu'il ressent. Brûlant, ton regard accroche le sien, fige le temps et transforme les secondes en années lumières passées à lire dans ses yeux toute l'angoisse qu'il a ressenti, lui aussi, durant la journée. Les mois ont beau vous avoir séparés, il y a cette tension plus présente que jamais, ce lien par lequel semblent transiter les émotions pour faire la navette d'un corps à l'autre sans avoir besoin de communiquer d'avantage. L'appel d'une âme à sa moitié, le canal émotionnel qui relit les amants l'un à l'autre. Délicatement, tu attrapes une part que tu approches jusqu'à ses lèvres, rattrapé par la tremblote de l'incrédulité. Tu te revois lui tendre la cuillère contenant la panna cotta, après le cimetière. Jamais, à cette époque, tu ne te serais imaginé assis sur le lit d'un hôtel quelconque, quelques années plus tard, on compagnie de ce même homme qui te détestait et qui aujourd'hui t'aime assez pour revenir vers toi, tout te sacrifier. Tu m'as manqué. Aujourd'hui, hier, depuis des mois et des saisons entières. Chad croque un morceau. De la sauce tomate entoure ses lèvres. Ton corps affamé agit sans réfléchir. Te penchant vers l'avant, tu viens lécher le surplus de la pointe de ta langue qui s'embrase instantanément. Fais quelque chose, Chad, je t'en prie. N'importe quoi qui te donne l'impression d'être à deux du même côté du lit et non chacun du sien, comme vous l'avez trop souvent fait, comme tu ne veux plus jamais que cela arrive. Ce soir, quoiqu'il advienne, tu prends tes responsabilités et restes fidèles à ta promesse : Quand bien même tout est difficile, de comment vous parler à comment vous conduire, tout en sachant que le pire reste à venir, tu refuses de laisser quelqu'un prendre ta place à ses côtés.

JUSTE LA FIN DU MONDE

La jalousie pour Colby n'est qu'une minuscule part de toutes ses insécurités et ses nombreux défauts. Chad n'est pas le mari parfait, ni même le compagnon qui nous apporte un équilibre. Bien au contraire, il est plutôt ce genre de personnes capable de bouleverser des vies, particulièrement de ceux qu'il aime. Irène n'aura rien connu si on compare à ce qu'il fera subir à Isaak parce que c'est évident, écrit dans leur astrologie, dans ce ciel étoilé qui les accompagne dans leur fusion charnelle. Le coeur au bord des lèvres, il sent toute sa passion renaître de ses cendres, le prendre en otage lorsque sa main se pose sur la joue de son amant pour l'embrasser plus langoureusement, faire durer ce qu'il se passe entre eux. Ses coups de reins deviennent plus intenses lorsqu'il se perd dans ce baiser. Ses provocations cessent tandis que son corps prend la relève sur tout le reste. Et ce jusqu'à ce que l'extase le prenne au fond des tripes et qu'elle rougisse ses joues en même temps qu'elle lui coupe le souffle. Il voudrait pouvoir changer ce lit en coton, faire de cette chambre un paradis mais à peine ont-ils atteint l'orgasme que déjà le rêve s'effrite. Entre ses doigts, il peut sentir son bonheur tomber à la ramasse tandis qu'il le retient tant bien que mal.
Son corps s'écroule aux côtés de son amant.
Perte de raison.
L'amour l'emballe plus qu'une vie à faire semblant.

Il pense à Irène, mais aussi à Jack. Surtout à Jack. Une part de lui sait que cette vie de père qui l'attend ne ressemblera qu'à une guerre et que la mère terminera par le monter contre lui qu'il soit là ou non. Pour avoir grandi en méprisant son paternel, il sait parfois que l'absence est préférable à une présence qui n'en vaut pas la peine. Chad n'a plus le coeur à faire semblant, peut-être à cause de la joie des débuts. Pour le peu qu'il en sait. Son cerveau déconnecte. Il ne sait plus si les bonnes décisions ont encore un sens, si cela vaut le coup de se casser les dents sur une vie qui désire le brûler.

Son regard se tourne vers Isaak. Il garde une distance de sécurité pour lui annoncer ce qui lui semble le plus raisonnable pour le moment. Peut-être que dans des mois il regrettera, ou même des années, ou alors jamais.
La gorge nouée, il inspire.
Partons. Demain. N'importe où. Tant pis s'il a presque rien, ils vivront dans un motel pourrit en attendant, ou dans un appartement si petit qu'ils seront entassés l'un sur l'autre. On survivra pas si on reste ici. Ou alors séparément mais il se surprend à se préférer mort, la dépendance qu'il ressent pour Isaak est sincère, délicatement douloureuse. Ses sourcils se froncent tandis qu'il s'approche, attrape ses lèvres ; amant qui revit. Il accepte de laisser à une autre ses responsabilités. Je veux plus qu'on fasse semblant. Ils l'ont assez fait, ça, enfiler des masques. A partir de maintenant, ne leur reste plus qu'à être des personnes réelles. Réelles et amoureuses.