[MAXYM & FELIX] Minuit une.

« - Tu pourrais vraiment demander un type comme moi en mariage ?
- Surtout un type comme toi. »

Un type qui avait passé la nuit à se retenir de pisser pour que tu puisses récupérer. Tu te souviens de tout : le tapis rouge, la pelle devant les photographes, le pétard dans les chiottes, la claque, l'intervention des vigiles, la fuite, la ruelle, ton cœur par terre, cette nuit de tourmente à avoir imaginé que tu l'avais perdu et puis, après avoir regardé Brokeback l'un contre l'autre, la première fois que tu parlais de mariage. Comme ça, balancé l'air de rien dans la conversation alors que tu savais déjà que ce mec était l'homme de ta vie ; venais de faire un constat à la fois beau et terrifiant : tu ne pouvais plus te passer de lui.

Quel chemin parcouru depuis ... La soirée à l'aveugle et cette scène mémorable sur le parking, noyé dans l'ivresse autant que dans la frustration. Le Wyoming et cette première fois dans l'herbe, d'une violence à faire pâlir tous les démons de l'enfer. Le Sapphire, l'hopital, le point de suture, le pacte, la porte de la chambre cassée à mains nues, le sol du couloir séparant votre chambre du salon, la conférence de presse musclée, la tentative de meurtre sur Karver, puis la première fois que vous aviez parlé de Perry.

S'il est bien connu que la violence appelle la violence, alors il fallait s'attendre à ce qu'un amour aussi violent que le votre en arrive à ce genre d'extrême. Pour aller mieux, il fallait tuer le père ; Tout comme, pour fuir, il fallait se marier. Un mariage administratif, bâclé, pressé, dénaturé par un nom qui n'est pas le même que celui dont les initiales reposent au creux de tes reins mais que tu adores pour tout ce qu'il représente et qui, tu l'espères, sera votre bonne étoile dans cette  nouvelle vie. En changeant votre nom, en fuyant et en sabotant tous les préparatifs de votre union, tu t'es fait la promesse de le rendre heureux. Pour ce faire, tu sais qu'il manque quelque chose à votre arrivée en territoire Australien : un véritable point de départ.

Assis sur le cheval loué pour l'occasion, tu inspires l'air frais de cette fin d'après-midi avant d'entrer dans le hall de l'hôtel, provoquant des exclamations de surprise. Chad est là, présent au point de rendez-vous que tu lui as envoyé plus tôt par SMS. Tout est prêt pour sa surprise. Ce soir, tu lui sors le grand jeu ; ce qui commence par une arrivée digne d'un prince charmant, vêtu du même costard que tu portais sur le tapis rouge. Il n'y a pas de caméras cachées, seulement la démesure d'un homme à l'amour démesuré. Trottant jusqu'à lui, tu souris et annonces en toute modestie : Monsieur Twist ? Votre rêve est arrivé. Ton visage rayonne, preuve de la joie qui t'habite de lui faire cette surprise. Comme tu le sais sensible aux détails, tu as veillé à ce que la race et la robe du cheval soit la même qu'au Wyoming, histoire de raviver ses souvenirs et de lui mettre la puce à l'oreille. Rennes en main, tu t'approches de lui et lui désignes l'étrier pour l'inciter à monter. Tu sais qu'il sait faire car tu le lui as appris au matin du retour, lorsqu'il a fallu plier la tente et revenir à la vie réelle ...

Les souvenirs se superposent à nouveau à la réalité, te donnant l'air aussi rêveur qu'enjoué. Il est clair que tu baignes dans un jus de romantisme si haut perché qu'il ébloui l'assistance. Le directeur de l'hôtel parle d'appeler la police, tu ne te laisses pas démonter et encourages Chad à grimper tandis que tu réponds de mettre les frais de ménage sur ta note. Ce soir, ton homme et toi êtes des rois, hors de question de se laisser emmerder par le petit peuple.

Un SMS.
Rien de plus pour le faire se redresser. Un souffle de vie qu'il attendait depuis qu'ils ont posé un pied sur l'Australie. Quelques mots écrits sur un téléphone qui le poussent à se rendre dans la salle de bains, prendre une douche, recoiffer ses cheveux qui commencent doucement à pousser. Ici il évite de se les raser ; cela lui rappelle sa carrière avortée mais empêche aussi le soleil de lui cramer le crâne. Sa chevelure blonde reprend en masse alors qu'il enfile une fine chemise blanche sur sa peau halée. Son regard se pose sur son poignet ou une fine trace blanche lui rappelle celle de sa montre qu'il enfile après sa douche. Celle bloquée à minuit une depuis des mois maintenant, qu'Isaak et Chad s'échangent suivant leurs humeurs. Une semaine au poignet du colosse, une autre chez Félix. Deux trous sont d'ailleurs plus abîmés, un pour le poignet plus fin de son mari et le dernier pour le sien, imposant, solide, celui d'un boeuf.
Il enfile un short en jean,  se met une touche de parfum et attend, installé sur le rebord de la baignoire que l'heure sonne. Si Chad ne va pas dans la chambre, c'est avant tout pour éviter que Maurice ne vienne le salir avec ses pattes ou lui mette des poils roux un peu partout sur sa chemise si blanche qu'elle ferait presque mal aux yeux.

Cinq minutes avant, le temps pour lui de prendre l'ascenseur et se retrouver en bas ; histoire d'être pile à l'heure. Chad le cherche des yeux, un moment, fronce les sourcils, il y a peu de monde autour de lui, il le verrait si son mari était là à attendre. C'est avant tout un  bruit qui l'arrache à sa contemplation. Un son de sabot sur le bitume qui lui fait froncer les sourcils jusqu'à apercevoir sa silhouette haut perchée sur un cheval. Son coeur rate un battement à la vue de la bête qui le ramène en premier dans les montagnes magnifiques du Wyoming. Sa tête fait des mélanges, pose au milieu de la nature interminable et sauvage un tapis rouge qui l'embarque immédiatement dans un nuage de rêves éveillés. Il y a le vent froid de l'extérieur, trop froid pour appartenir à l'Australie qui le touche au visage, douce caresse enivrante. Vient ensuite des flash inexistants qui l'attaquent de toute part.
Cette fois, il n'y a plus de gêne pour l'accabler et lui mettre des chaînes.

Déboussolé, ému du spectacle, ce n'est que lorsqu'Isaak se plante à ses côtés pour lui faire signe de grimper que Chad s'atèle à sa tâche. Plus à l'aise que la première fois sur une monture, le colosse ne bouge pas, laisse son amant prendre les commandes en bougeant ses lèvres sans en laisser sortir le moindre son. Pourtant, il est persuadé que sa moitié comprendra le 'tu es fou' plein d'émotion qu'il vient de lui balancer.

Son mutisme est une victoire en soi car tu le connais suffisamment pour savoir que c'est l'émotion qui parle à travers ses lèvres silencieuses. Satisfait, tu ordonnes un demi-tour au cheval et plantes dans le hall de l'hôtel l'assemblée de clients et de membres du personnels venus s'attrouper autour de vous pour juger de la réalité de la scène. Il faut dire que les regards que l'on vous jette à l'extérieur ne sont pas plus discrets. Une gamine laisse sa glace fondre sur son cornet en vous regardant passer. Un automobiliste pile net lorsque vous arrivez à un carrefour que tu traverses en respectant le code de la route. Des doigts se tendent dans votre direction, à croire qu'il n'y a pas beaucoup de cavaliers dans cette ville. Peut-être sont-ils tous surfeurs ? La plage vers laquelle vous trottez n'est plus aussi bondée que durant l'après-midi, mais il reste une bonne poignée de sportifs dans l'eau et quelques touristes sur le sable. Trop pour s'attendre à ce que l'endroit soit le point final de votre courte balade. Dès l'instant où les sabots touchent le sable, le cheval devient plus nerveux. Il n'a sûrement pas l'habitude de sortir de son ranch. Malgré tout, tu insistes et lui donnes l'ordre de s'avancer jusqu'au rivage. Ton autorité naturelle sur ces animaux fait office d'argument, la monture s'exécute.

- Je voudrais que tu t'accroches et que tu fermes les yeux. Mots glissés par dessus ton épaule tandis que Chad peine encore à s'en remettre. L'expression de son visage s'imprime sur ta rétine, te donne plus foi en l'avenir que tout autre chose au monde. Sans plus attendre, soucieux de provoquer chez lui un pic d'excitation, tu brusques l'étalon pour qu'il parte dans un galop effréné, ses sabots brisant prématurément le rouleau des vagues qui vous éclaboussent de temps à autre. Dans la lumière orangée du soleil qui se laisse couler à l'horizon, vous vous éloignez du reste du monde et de ses regards trop curieux. Là bas, à l'autre bout de la plage se trouve un cap derrière les falaises duquel se cache une petite crique découverte par hasard, lorsque tu t'étais perdu en revenant des courses. Tu attends d'avoir franchi la barrière naturelle des falaises pour lui crier par dessus le boucan des vagues et des bruits de sabots : Ouvres les yeux maintenant. L'eau de la crique - moins profonde que celle de la plage - est si bleu que, même à la lumière déclinante du coucher de soleil, on y voit des poissons s'enfuirent en vous entendant arriver. Ici la plage n'a plus rien d'une vaste étendue blanche sur laquelle paresser : les palmiers se battent avec les rochers pour conquérir le sable. Seule quelques étendues restent vierge de tout obstacle, obligeant le cheval à rester dans l'eau plutôt que de remonter de suite au sec. A la vitesse du galop qui décélère progressivement, les reflets dorés ricochent sur l'eau pour rebondir sur les parois abruptes de la roche ; le vent se mêle aux embruns et l'impression de liberté a rarement été aussi grande.

Il n'y a plus que vous, la nature magnifique et sauvage ainsi que ce petit point blanc, là bas, en approche : une table et des chandelles, installées par tes soins en début d'après-midi pour donner le coup d'envoie de votre soirée en amoureux.

Chad n'a jamais vraiment été tranquille sur un cheval même s'il se force d'être à l'aise pour Isaak. Il a confiance en lui, en sa capacité à gérer la bête qui traverse les rues, laissant les regards curieux les accompagner jusqu'à ce que la nature commence doucement à reprendre ses droits. Le blond s'exécute, ferme les yeux en renforçant instinctivement sa prise sur son mari par peur de partir à la renverse. Ne pas savoir où le cheval se dirige, sur quel sol, n'entendre que le bruit des pas qui accélèrent et de la nature autour d'eux le crispe. Privé de son regard, il ne reste qu'à Chad plus que le choix de faire confiance en sa moitié mais aussi à la monture qui fend le vent en deux par sa rapidité. Son menton posé sur son épaule, il reste encore muet jusqu'à ce qu'on lui autorise à ouvrir enfin les yeux. Il a la sensation d'avoir traversé plusieurs mondes, d'être dans un autre univers lorsque la beauté des environs lui sautent au visage. Là aussi, il laisse ses bras exercer une pression sur le corps d'Isaak tandis que ses lèvres se posent sur son cou dans un merci silencieux. Parler, il sait le faire maintenant qu'il est en confiance mais briser la quiétude de l'endroit lui ferait mal au coeur.

Un moment de silence pour leur laisser le temps d'admirer la beauté du moment, en goûter chaque seconde comme si c'était la dernière. Chad retrouve soudainement ce lien si particulier qui le relie à Isaak. Des moments passés en tête à tête, combien en ont-ils partagé ailleurs ? Il ne le compte plus parce que c'est son oxygène, sa façon à lui de tenir le coup. Avant, le blond avait besoin d'antidépresseur, de toutes ces conneries pour l'aider à luter contre son moral terrassé par Parkinson mais aujourd'hui, il est à nouveau vivant. Toutes les blessures qu'il ressent sont réelles et dieu sait comme il les aime, comme il les chérit chaque jour d'exister pour l'aider à avancer et continuer. Il s'en serait voulu, au fond, de mourir sans avoir connu Isaak, de ne pas avoir eu le culot de mettre son numéro de téléphone dans la poche de sa veste ce soir là en sachant qu'il le laisserait seul au petit matin.
Il s'en serait voulu toute sa vie de ne pas avoir ce soleil permanent dans son quotidien. Ce soleil qui l'éblouit souvent, qui le brûle parfois mais qui régénère son âme lorsque plus rien ne va.

Il n'y qu'à partir du moment où il atteignent le sable, que le cheval redécouvre la terre et que la table n'est plus qu'à quelques mètres d'eux que Chad parvient à réagir face à son émotion. Un concentré de bonheur et d'amour qui lui donne la sensation de grandir encore peu, d'en apprendre toujours un peu plus de leur histoire dont il serait tout bonnement incapable de se séparer. Une fois à terre, ses doigts cherchent instinctivement les siens pour les resserrer, les lier d'une douceur qui ressemble à celle du premier soir dans cette piscine. On en a fait du chemin depuis le perron ... Il s'en souvient avec tendresse et nostalgie positive. Se remémore les habits qu'il portait ce soir là, ses pupilles dilatées par la drogue alors que lui était trop saoul. En fixant ses vêtements, il revient encore sur ce tapis rouge et son nœud de papillon fait bien son job, attrape son regard et le hante. Chad
brise la distance, l'embrasse. Est-ce que vous seriez en train de me draguer monsieur Twist ? Sourire enfantin, regard étoilé tandis qu'il le lâche enfin pour s'approcher de la table, analyser chaque détail. Sa chemise blanche et fine prend le vent tandis qu'il fixe de son regard amoureux les bougies qui n'attendent qu'eux.
Ce soir est peut-être la meilleure façon pour eux pour faire le deuil d'Isaak et Chad pour devenir le duo Twist.
Peut-être qu'après cette soirée, ils sauront s'appeler par ces prénoms de substitution sans avoir l'impression d'abandonner ce qu'ils ont traversé ensemble.

Lorsque tu descends du cheval, tu n'as plus qu'une envie : te tourner vers Chad pour apprécier partager son regard et y lire toutes les émotions que tu sens remonter à la surface. Tu sais que les remous qui t'animent sont trop puissants pour ne pas faire de vagues dans sa mer intérieure ; qu'il est probablement aussi saisi que toi par l'ampleur du décor et le romantisme de la mise en scène. Le lien est là, plus solide que jamais, se passe de mots et se contente de gestes. Tu le suis jusqu'à la table, tes doigts dans les siens, la tête engourdie par tout ce que tu ressens. Le perron te semble tellement loin. L'aurais-tu seulement cru, si un voyageur du futur était venu te voir, ce soir là, après le bar, pour te dire que tu tomberais amoureux fou de ce bûcheron mal fagoté ? Probablement que non. Pourtant, les faits sont là : le chemin parcouru a été sidéral, ne serait-ce qu'en nombre de kilomètres parcouru ensembles, teintés de toutes les couleurs du mal comme du bien. Et ça ne fait que commencer ... A cette pensée, l'avenir te fait tourner la tête : tellement de rêves à vivre avec lui.

Ce soir, tu refuses de penser à la précarité de votre situation où à la maladie. Ce soir, vous êtes comme dans cette piscine. Comme devant ce verre d'eau après la courses de voiture ; comme dans ton lit après l'entraînement de boxe ou comme dans celui du Canada, lorsque tu lui lisais des fragments de ton journal pendant qu'il luttait contre la fièvre. Tout ici déborde de l'affection que tu lui portes ; c'est ton ode à votre amour. La lumière chaude, le vent tiède et la beauté démesurée du paysage ; quelque chose de solaire, quelque chose qui brille, qui se consume jour après jour pour éclairer le brouillard dans lequel tu l'as connu. Un amour qui le caresse et le chérit, à la manière des rayons du soleil venant teinter sa peau des mille nuances de tes sentiments.

Tranquillement, tu t'avances et allumes les bougies, lui tires sa chaise et lui souris : Je vois que rien ne vous échappe, monsieur Twist. Geste de la main pour l'inviter à s'asseoir. Ce soir, il est ton invité d'honneur, le centre de ton monde, celui-là même qui a réussi à éclipser de son ombre celle de ton nombril omniprésent. Une fois qu'il a pris place, tu te postes à ses côtés, en parodie de maître d'hôtel. Sur la table, des cloches cachent le repas et des bandeaux de nuit reposent dans vos assiettes. N'y prêtant pas attention pour le moment, tu sors le champagne de son seau de glace et secoues la bouteille pour faire sauter le bouchon. Le jet d'alcool dégouline sur le sable et un peu sur la manche de ton costard tandis que tu la brandis fièrement, l'air bravache. A mon amour démesuré. Te penchant vers l'avant, tu sors de sous la table une coupe au pied de laquelle pend la fameuse cravate ; celle que tu n'as pas oublié d'emporter avec toi dans la précipitation de votre départ ; relique bien trop précieuse pour être abandonnée au passé. Reposant la bouteille, te tournant vers Chad, tu poses un genou au sol. Maxym Twist. Chad Graham. Mon amour. Ma vie. Est-ce que tu veux m'épouser, ce soir ? Première fois de ta vie que tu prononces ces mots. Tu te souviens de ton émotion lorsqu'il les avait prononcé pour toi, de tous ses souvenirs de votre histoire se superposant à te faire chavirer l'esprit. La coupe tendue en offrande, la cravate pendant dans le vide et les yeux brillants de mille étoiles, tu lui souris, tellement amoureux que tu pourrais mourir d'un " non " de sa part. Tu ne le prendras jamais pour acquis. Tu veux le surprendre tous les jours de sa vie et redessiner les contours de son univers ; agrandir son espace vital, le voir s'épanouir et rire ; faire de lui quelqu'un d'impatient à l'idée de partager une autre journée avec toi à l'heure de s'endormir. Tout lui offrir : ton corps, ton âme, ta vie et même un nouveau nom. Tu décrocherais la lune et inventerais de nouveaux pays pour cet homme ; inverserais le sens de rotation de la Terre et changerais l'eau en vin s'il te le demandait.

Il avait presque oublié le romantisme d'Isaak et surtout les effets qu'il peut avoir sur lui. Chad ne peut jamais lutter, efface les horreurs de sa tête, le cadavre de Perry, la justice qui épluche certainement la ville à la recherche des deux assassins, il oublie les longues nuits à s'inquiéter pour son mari qui ne rentrait jamais pour le voir. Il revoit ces visages au coeur du Sapphire lui reprocher de changer un homme pour faire de lui un clébard. Le visage haineux de Wilf se plonge encore dans sa tête. Il inspire, douloureux, fiévreux, jusqu'à ce que le regard de sa moitié n'efface le négatif pour laisser place au positif. Il donnerait tellement pour retourner dans cette cabane au milieu de nulle part le soir où ils avaient été capables de parler d'Eros sans essayer de s'étriper. La douleur qui le prenait au coeur à ce moment là n'existe plus. C'est un peu comme s'il venait d'occulter des mois de deuil. Tout juste si Chad se remémore les lèvres de son ancien amant dans son cou, sur ses pecs, contre ses cuisses. Ne reste plus que le passage d'Isaak dans sa vie, la beauté de tout ce qu'il lui inspire.

Le paysage l'incite à se perdre, à l'aimer si fort que son amour prend une forme sous ses côtes, il devient un autre organe, plus solide que son coeur encore, moins encombrant mais magnifiquement agréable. Chad devient aussi léger que le vent, aussi chaleureux que le soleil, aussi tendre que l'eau. Isaak est en train de planter en lui tout un océan plein de poissons ; il les sent remuer, la sensation est bizarrement merveilleuse tandis qu'il prend place sur sa chaise. Le regard émerveillé du colosse est l'une des choses le plus belles parce qu'elle est de loin la plus sincère, presque enfantine. Elle possède une pureté amoureuse que seul lui connaît. Ce même regard qui s'attache au moindre geste de son mari, qui observe le jet de champagne s'échouer sur le sable, sa manche qu'il remonte légèrement sur son bras pour ne pas la tâcher d'avantage. Ses pupilles dévorent aussi la coupe, la cravate qui s'y pend mollement, paresseuse mais tellement importante dans leur histoire. Seuls eux savent sa signification, les souvenirs intenses qui s'en dégagent. La voix d'Isaak résonne dans sa tête alors qu'il était couché dans son lit à faire l'amour à une image.

Maxym Twist. Chad Graham. Mon amour. Ma vie. Est-ce que tu veux m'épouser, ce soir ?
Alors c'est ça, le genou à terre, la coupe qui s'élève, son regard sérieux. Est-ce qu'Isaak avait eu le même sentiment lorsque Chad avait fait sa demande dans sa chambre moisie du Bronx ? Est-ce qu'il avait le coeur à moitié à l'agonie comme maintenant ? Non parce que là, son corps l'écoute plus, répond plus de rien ; il faudrait qu'il soit fort, qu'il arrête d'être un pantin de ses sentiments mais le regard de sa moitié le rend plein de noeud. Il sait plus lequel défaire en premier sans empirer les choses. Sa main tremblante se pose sur la nuque d'Isaak, même Parkinson se mêle à la danse. Chaque point de son existence veut de cet homme, même les pires, même ceux qui terminent par son et qui les rendent parfois malade de désespoir.
A sa demande folle, à son acceptation totale, Chad sait que l'homme qui lui fait face restera finalement l'unique homme de sa vie. Il a cru beaucoup de choses avant de le rencontrer, il s'est même dit qu'Eros pouvait éprouver des sentiments à son égard, que ses infidélités allaient cesser. Il s'est dit tellement de choses qu'aujourd'hui il se sent complètement ridicule d'avoir cru en aimer un qui ne lui aurait jamais donné un quart de ce qu'Isaak lui offre.
Son souffle se coupe.
Ses yeux sont rouges mais il pleurera pas. Il est solide, c'est aussi pour ça que sa moitié l'épouse. Il ne veut pas le décevoir.

Un moment de silence.
Le temps pour lui de remettre ses sentiments à leur place et ne pas craquer après tout ce qu'ils viennent de traverser. Chad n'aurait jamais pensé au début de leur relation qu'ils tiennent le coup, qu'ils puissent passer par tant de choses sans s'effriter, seulement s'endurcir.
Bien évidemment que je le veux. Sa voix grave traverse ses lèvres alors qu'il s'approche de lui pour capturer les siennes, lui voler un baiser court mais intense.
Je t'aime.
Le colosse se saisit de la coupe. Là, il boit une gorgée et déposer délicatement le le verre contre les lèvres de sa moitié pour lui faire goûter le champagne.
Le vent s'engouffre encore dans sa chemise.
A notre amour.
Il est si bien, il respire.
Aime-moi moins mais aime-moi longtemps.

Sa main se pose sur ta nuque, t'arrache un frisson d'émotion. Sous ton genou, le sable semble s'enfoncer plus que la moyenne. Tu sens peser sur tes épaules tout le poids de l'engagement. Ce sont les montagnes de promesses que tu lui fais à travers ta demande qui t'enfoncent dans le sol et rappellent à quel point le blond est un jardinier hors pair ; le seul capable de faire pousser les racines à la souche abandonnée que tu es depuis ce qui te semble être toujours, avant même la prison. Jamais tu n'as aimé quelqu'un comme tu l'aimes et si tu aurais pu faire pour d'autres certaines des surprises que tu lui as fait, jamais tu ne t'es confié à personne comme à lui, jamais tu n'as mis à ce point ton coeur dans la balance. Au delà de tous les doutes idiots qu'apportent avec elles la jalousie et la colère, tu sais que tu l'aimeras toujours, que rien ne pourra jamais effacer tout ce qu'il a fait pousser en toi depuis que vous vous êtes rencontrés. Dans le silence poignant qui précède sa réponse, tu fais l'effort de l'imiter, de ravaler tes larmes pour rester fort. Parce que c'est ça, le pouvoir de Chad : il te rend plus fort. Au fil des mois, chaque jours, chaque minute : il est présent, veille sur toi, respire à tes côtés. Il est ton ami autant que ton amant. Celui que tu aimes de te comprendre si bien et de t'inspirer un peu plus chaque fois qu'il te donne son avis où qu'il agit à ta place pour te montrer comment faire. Comment faire pour partager sa vie.

Bien évidemment que je le veux.
Ne pas tourner de l'oeil : Isaak, reprends-toi !
Ses lèvres t'aident à rester conscient, te raccrochent à la réalité et t'empêchent de te perdre dans tes fantasmes. Ceux-là même qui te rendaient accroc à l'orgasme avant de le connaître et qui n'ont aujourd'hui plus d'yeux que pour lui. Moi aussi je t'aime.

En préméditant cette soirée et en repensant à toute votre histoire, tu t'es rendu compte que tu ne savais plus comment tout s'était passé. Que certains détails commençaient à s'effacer, rendant les souvenirs de votre amour plus lisses et moins précis dans ton esprit. Un flou artistique duquel ne ressortent désormais plus que les bons moments, étrangement préservés du temps. Comme si le mauvais avait fondu sous le soleil éblouissant de tes sentiments. Chad t'invite à boire, tu t'exécutes en silence, encore un peu fébrile mais le sourire aux lèvres. Lorsqu'il repose la coupe, tu t'efforces de contenir tes ardeurs. Quand tu l'aimes à ce point - que ton coeur devient une machine faite pour se synchroniser au rythme du sien - tout ton corps n'est plus qu'une machine, lui aussi. Machine à faire l'amour au sien. Il se passe quelque chose de magique, mon ange. Sourire séducteur tandis que tu prends place face à lui, élégant comme un homme venant de comprendre qu'il est l'objet de tous les désirs de son homologue, puisque ce dernier a dit " oui ". Je revis mes trente jour d'abstinence rien qu'en te regardant. Tu laisses le silence créer des images mentales brûlantes dans son esprit. Là, tout de suite, comme un flash luminescent : vos joues qui s'effleurent sous le hangar, après la course de voitures. Quelques mots susurrées à son oreille alors que tu ne pouvais pas l'embrasser devant tout le monde. Cette tension palpable, bourrée d'adrénaline. L'excitation aussi bien due à la course qu'au fait d'avoir gagné son exclusivité. Comme ce soir, comme maintenant. Tu avais tellement envie de lui, ce jour là. Le baiser à l'arrière de cette bagnole, putain, t'en rêvais tellement ... Tu te mords la lèvre, véritable salope, ajustant ton noeud papillon pour soigner ton effet. Il te connait trop bien pour ne pas remarquer lorsque tu fantasmes. Certains signent ne trompent pas : tu inclines toujours la tête sur la droite en te mordillant la lèvre, sans même t'en rendre compte.

Tu n'as pas fini de le surprendre. Cette soirée est une allégorie de votre histoire comme devait l'être le fil rouge du mariage dans les Hamptons. Par toute la beauté de ce spectacle, tu veux lui prouver que vous n'avez rien perdu en quittant New York ; qu'à ses côtés, tu te sens capable de construire un monde entier à votre image ; que tu bâtiras des empires de souvenirs pour remplacer ceux qui s'effacent avec le temps. Tu vas mettre ce bandeau sur tes yeux et nous allons goûter à l'aveugle. Aussi sensuel que désinvolte, tu te suces le bout de l'index en le regardant dans les yeux, le draguant comme tu l'as fait depuis le début de votre histoire : sans lui cacher à quel point il t'excite. D'autres souvenirs apparaissent par flash : le soir de l'exposition peinture. Cette attitude de séducteur tellement sûr de lui. Ce rentre dedans monstrueux alors que vous teniez là encore des coupes de champagne à la main ... Et ce moment où il suçait tes doigts pour la première fois, dans son lit, après la piscine. Le chemin fait par ces derniers pour aller se loger entre ses fesses ... Ca y est, tu recommences à incliner la tête.

Il tient entre ses doigts le casque de sa moto et dans l'autre les clés de la voiture qu'Isaak vient de lui offrir. Une voiture. Pour un premier véritable rendez-vous.
N'y vois rien de personnel.
Qu'il lui a dit, juste avant de l'inviter boire un verre dont il a encore le goût au bord de la langue. Ses yeux sont rouges de sa discussion concernant Eros. Il a la sensation de perdre pied mais reste bien droit sur ses jambes. Il voudrait pouvoir lui dire qu'il est en train de tomber amoureux, qu'il voudrait le ramener chez lui ce soir, le sentir dans son dos durant tout le trajet jusqu'au Bronx mais rien ne sort. Il y a dans sa tête toute une histoire qui se crée, des images qui resteront certainement des fantasmes. Une voix ne cesse de lui répéter qu'il n'est qu'un amusement comme un autre, une poupée, une passe.
Isaak n'a que des passes. Plus ou moins longues mais des passes quand même, qui s'éternisent plus pour être certaines de faire bien mal là où il faut. Chad n'essaie même pas de lutter, c'est ça le pire, derrière son image de grand gaillard, il sent les coutures de son coeur se détacher une à une. L'adrénaline de la course peine à retomber ; il réalise tout juste que par sa défaite, le colosse vient de lui offrir l'exclusivité. Mais l'exclusivité de quoi ? De son corps peut-être, ce n'est pas grand chose. Mais en le regardant droit dans les yeux, en s'approchant de lui pour profiter de sa présence, Maxym comprend bien que ce n'est pas une histoire de sexe que l'on a hâte de consumer derrière ces trente jours d'abstinence. Il accepte, de souffrir, de terminer seul, de se pendre lui-même.
Il accepte tout ça.

C'est  à cause de ce sacrifice qu'il l'embrasse sur ce parking comme si rien d'autre ne comptait. Tout devient si intense que son coeur s'emballe à la vitesse du son. Ca tape, tape, tape, ça le prend aux tripes, ça le cloue sur place tandis que sa main défait le scratch de sa veste pour en découvrir plus, l'embrasser jusque dans les recoins les plus sombres de son corps. Chad peine à s'arrêter jusqu'à ce qu'Isaak le repousse en lui confiant d'être impressionné. Il voudrait s'excuser, prendre le temps de lui balancer un je t'aime sincère, de lui montrer comme ses sentiments sont sincères mais le temps est plus rapide que le coeur.
On se rappelle.
Oui c'est ça, on se rappelle. Sans la certitude que ce soit vrai, que ce soit réciproque. Il faudrait discuter un peu plus, lui montrer que Chad ne veut que du sérieux mais il est déjà trop tard. La voiture d'Isaak quitte le parking et lui se retrouve seul avec le goût de ses lèvres contre les siennes et son je t'aime muet gardé par peur de s'emballer, d'aller trop vite.

Un trop vite qui les mène finalement ici, sur cette plage. Il a la sensation de porter encore sa veste noire sur les épaules mais lorsque ses yeux se posent sur son bras gauche, il perçoit sa fine chemise blanche. Elle s'envole, le vent s'engouffre en elle, met en lumière les souvenirs si réels qu'il les revit lui aussi. Chad ne parvient à rien répondre jusqu'à ce qu'Isaak lui propose d'enfiler un bandeau. Ses yeux plongés dans le noir, l'odeur de bière lui vient au nez, mélangé à celle d'une jalousie mal contrôlée. Il y a contre lui le corps d'une inconnue dansant contre ses courbes alors que sa moitié le menace d'appeler Wilf pour mettre fin à ces trente jours d'agonie amoureuse. Et à nouveau un parking. Ils les on toujours aimé. Peut-être parce que leur coeur est à présent un emplacement pris. Le blond garde comme dernière image avant de mettre son bandeau les doigts d'Isaak dans sa bouche en guise de provocation. Tu veux que je commence par quoi ? J'espère que c'est toi que je vais déguster ensuite. Sourire tendre, Chad fait tellement un bon en arrière dans leur relation qu'il se sent gêné d'être si vulgaire. Ses joues se teintent de rose. Il a l'habitude de se faire guider dans ce genre de moment. Il s'était laissé glisser de surprise en surprise jusqu'à atterrir au milieu de nulle part en plein canada.
Là aussi, il lui fait confiance, qu'importe s'ils tombent dans le vide du moment qu'ils restent ensemble.

Il enfile le bandeau et c'est un autre souvenir qui te revient. Les flammes du Woyoming, la tente en toile de fond. Toi dansant pour lui, appliqué comme jamais, fier de lui montrer cette chorégraphie que tu avais apprise durant des jours pour être certain de le faire bander à minuit une. Il y avait tellement de pression sur tes épaules et tellement d'excitation aussi. Tu te souviens du strip-tease, du califourchon sauvage et de cet orgasme éclaboussé contre vos torses pour enterrer vos vies de garçons. Dans la lueur des flammes, sa peau avait les mêmes teintes orangées que dans la lumière du soleil couchant. Au dessus de vous, le ciel déchiré de rouge et d'or s'embrase comme tes joues tandis qu'un sourire coupable te trahit. Il ne le voit pas derrière son bandeau, mais tu rougis en assumant silencieusement d'avoir envisager de lui mettre autre chose que de la nourriture dans la bouche.

- Contente-toi d'ouvrir la bouche, je me charge du reste. Il entend forcément le sourire dans ta voix et la malice qui s'en dégage. Surfer sur la tension sexuelle d'une conversation est un vice contre lequel tu n'arrives pas à lutter lorsqu'il s'agit du blond. Tes répliques ont des relents de Wyoming, preuve que tu n'es pas encore tout à fait revenu de ton fantasme lorsque tu retires la cloche du premier plat qui se présente à toi. Au hasard, tu pioches avec une fourchette dans une assiette de nouilles chinoises. Le même repas que celui consommé le soir du rendez-vous à l'aveugle puis lamentablement vomit sur le parking, peu après lui avoir dit que tu n'emménagerais avec lui que s'il te demandait en mariage. Deuxième fois que tu en parlais ... Même ivre mort, tu l'aimais comme un fou. Ta fourchette s'approche de sa bouche, le laisse attraper la nourriture tandis que tu l'interroges d'un " alors ? " complice. Ce plat fétiche est également celui que vous aviez pris l'habitude de commander, lorsque vous viviez au Hilton. " On joue : dis-moi ce que ça t'inspire ... " Partager les souvenirs comme vous partagez les saveurs. Vous raconter tour à tour ce que chacun des plats sélectionnés ce soir remémore à l'autre. Vous rafraîchir la mémoire pour ne pas oublier pourquoi vous vous trouvez ici, sur une plage à l'autre bout du monde. Tout ça, c'est pour votre amour. Tu fais tout ça pour vous, fidèle à ta promesse de tout faire pour que son bonheur soit aussi le tien.

La saveur des nouilles chinoises lui fait à nouveau faire un bon dans le passé alors que Chad pose ses mains sous la table, sur ses genoux puisqu'il ne peut pas se saisir de celles d'Isaak ou entrer en contact avec lui. Il se sentait seul sous son bandeau jusqu'à ce que les souvenirs remontent à la surface et qu'il se mette à lâcher un rire après avoir avalé sa bouchée. Je suis pas certain que tu veuilles savoir ce que ça m'inspire. La sensation de ses doigts au fond de sa gorge, la voiture comme unique dossier à leur désespoir et la musique qui résonnait en fond, étouffée dans la salle des fêtes alors qu'il le serrait contre lui. Chad le considérait déjà comme un type qui se foutait de lui à parler mariage. Si son mari n'avait pas récidivé, le colosse n'aurait jamais fait le premier pas de lui-même. Trop renfermé à l'époque, trop peureux à l'idée de faire confiance à qui que ce soit, son coeur brisé se souvenait de la marque d'Eros à la perfection.

Les épaules plus légères que ce soir là, Chad ne craint plus de s'ouvrir et laisse les mots traverser ses lèvres saveur nouilles chinoises. Ça m'inspire qu'on était déjà un vieux couple qui n'éprouvait aucune une gêne à dégobiller devant l'autre. Il sourit, d'abord sur l'humour avant de se reprendre. C'est aussi là que j'ai fait face à ta première vraie crise de larmes. T'étais saoul, complètement con mais qu'est-ce que tu m'as fait flipper. C'était bizarre pour moi de voir le PDG se transformer en petite copine terrorisée. Il choisit ses mots sans la moindre application, ne cherche pas des filtres qui pourraient le préserver de ce qu'il pensait réellement ce soir là. C'est ce que j'ai toujours aimé chez toi, t'as pas peur de montrer ce que tu ressens, tu laisses les choses venir alors que moi, je suis sans arrêt sur la réserve. Un soupir, lourd alors qu'il tend le bras pour attraper son poignet qui tient la fourchette et le serrer délicatement. Parkinson l'empêche d'avoir une vraie poigne, l'émotion le vide de son énergie. Crois pas que tu réussiras à me faire pleurer d'ailleurs. Bon si, peut-être que sous son bandeau, ses yeux sont rouges de  nostalgie mais il renifle pas, c'est déjà ça. Plat suivant, à toi la parole. Qu'Isaak balance ses sentiments lui aussi parce que Chad va commencer à se sentir gêné sinon et ce serait dommage qu'il se renferme maintenant.

Pas certain ? Sa réponse te fait sourciller, éveille ta curiosité et t'oblige à fouiller plus profondément à la recherche de détails supplémentaires. Impossible de nier qu'une partie de ce qu'il s'est passé, ce soir là, n'est désormais plus qu'un flou artistique imbibé d'alcool ; une flaque de vomi séchée sur le trottoir. Des images plus percutantes que d'autres ont résisté à l'ivresse ; ce moment où tu lui sautais à la gorge en hurlant que tu allais le tuer, par exemple. Un cri d'amour, rien d'autre. Contrarié, blessé, désespéré et frustré, mais de l'amour quand même. Trop fort pour être contenu ; trop violent pour rester calme face à ces courbes féminines beaucoup trop proches des siennes ; trop jaloux pour tolérer la présence d'une autre, même dans le noir, même pour jouer. Le jeu : quelque chose d'indispensable, l'un des canaux de communication que tu maîtrises le mieux pour exprimer tes sentiments autrement qu'en fantasmant sur tout ce que tu rêves de faire à ses côtés. C'était par jeu qu'il avait dansé avec elle. T'amuser, t'exciter, te divertir. A l'époque déjà, Chad avait bien compris qu'il faudrait composer avec ton esprit facétieux. Peut-être ce défaut de ta personnalité vient-il du fait que les enjeux paressent moins terrifiants lorsqu'ils entre dans le cadre d'une mise en scène ? Jouer, ce n'est pas la réalité, c'est nier que les choses puissent réellement mal finir ; que tu puisses réellement merder et le perdre, un jour, parce que tu n'es pas capable de lui montrer combien tu l'aimes au quotidien. Pourtant tu essaies. Tu te sens changer à son contact, devenir meilleur dans tes démonstrations, plus à même de parler de tes sentiments sans les coupler à tout ce que le divertissement à de dangereux lorsque les joueurs n'ont pas de limites - comme vous.

Combien de jeux dangereux au compteur de votre histoire ? Se provoquer, se taper sur la gueule, s'en foutre plein les narines, conduire beaucoup trop vite, se toucher en public, décliner l'utilité d'une ceinture autour d'une gorge ou d'une queue pour en faire un objet de désir autant que d'abstinence ... En trouvant Chad sur ce perron, tu n'as pas seulement trouvé un époux. Lui qui sait être ton ami et ton complice est aussi ton amant préféré parce qu'il s'amuse avec toi chaque fois que tu en as besoin pour vous sentir vivants, présents, bien ancrés dans celle réalité qui n'appartient qu'à vous et qui, ce soir, enfile un manteau de douceur plutôt que de se montrer mesquine et sulfureuse. L'amour change la donne. Tu réalises qu'avoir un public à votre histoire n'est plus nécessaire ; qu'avec tous ces mots qu'il articule dans le noir, l'idée de te retrouver seul au monde avec lui ne t’effraierait pas. Il a su adoucir ta peur de l'engagement et transformer ta démesure en quelque chose de plus solide que des éclats de voix et des costards que l'on exhibe sur les tapis rouge. Il a fait de toi un gagnant perpétuel qui ne craint plus de jouer carte sur table.

Petite copine terrorisée ! Reculant la fourchette vide, tu t'offusques sans vraiment l'être. La fin de la soirée à l'aveugle reste un mystère pour toi qui ne te rappelles que de t'être réveillé dans ton lit, les yeux collés de larmes, le portable à la main et son odeur sur l'oreiller. Aucune trace de ta terreur nocturne n'a survécu à la gueule de bois, ton cerveau s'étant probablement arrangé pour que ce moment d'humiliation devienne une chimère perdue dans les profondeurs des limbes. Je profite que tu as les yeux bandés pour t'avouer que je ne contrôle rien jamais rien avec toi.Le contact de ses doigts autour de ton poignet provoque un frisson d'émotion qui te noue la gorge. Ne pas pleurer. Tu sais qu'il est bien meilleur que toi, à ce jeu là ... Délicatement, tu te penches vers lui et soulèves le bandeau pour capter son regard aussi rouge que le tien. Un sourire amoureux étire tes lèvres tandis que tu le libères de son entrave. On dira que c'est le soleil qui t'éblouit. Taquin, tu enfiles ton bandeau et attends sagement, toujours aussi sûr de toi malgré les aveux qui ébranlent vos sensibilités respectives. Tes mains se croisent sous ton menton tandis que les bruits de la mer deviennent plus nets dans le champ de tes perceptions. Il y a quelque chose de comestible sous chacune de ces cloches. Choisis ce que tu veux mettre dans ma bouche ... Je te dirai ce que j'en pense. A lui de prendre la main, de devenir le maître du jeu et de se délecter de ton visage innocent, vulnérable sous ce bandeau qui protège du monde extérieur autant qu'il met à nue ton âme. Dans le noir, Maxym n'est plus qu'une voix à laquelle tu te fies sans douter. Un dieu auquel on obéit sans le voir.

Il sent sous les doigts le corps d'Isaak qui se crispe immédiatement alors qu'il lui fait l'aveu de ne jamais rien contrôler avec lui. Chad pourrait lui avouer qu'il pense la même chose mais se doute que sa moitié est déjà au courant. C'est à cause de ce manque de maîtrise qu'ils ont terminé aux urgences, à cause de cette même fougue qu'ils sont ici maintenant, fugitifs, meurtriers. Ses yeux rouges qui retrouvent les siens le fait frissonner alors qu'il meurt d'envie de l'embrasser, de faire partager avec lui ce goût de nouilles chinoises qui lui rappelleraient trop de choses à lui aussi. Si le colosse se contient, c'est avant tout pour arriver à bout de ce jeu qui lui tient à coeur. Les souvenirs sont leur ciment, se perdre en eux l'aide à refaire surface, à retrouver de son identité ici où ils ne sont plus personne. Plus jamais leurs visages amoureux ne seront placardés dans des magazines, cette interview prévue n'aura elle aussi jamais lieu. Avant d'être avec Isaak, il trouvait l'idée bête et égocentrique mais finalement, le blond ne rêvait plus que de ça. Il l'aime tellement qu'il pourrait le crier sur tout le toit, l'afficher sur tous les immeubles, sur chaque maison de chaque quartier de chaque ville. Les épaules légères, il se décide de soulever au hasard une cloche pour avoir la même surprise qu'Isaak.

Un sourire se dessine sur ses lèvres tandis qu'il attrape une fourchette de lentilles quinoa et tomates à la provençale. Le premier plat qu'il avait mangé en compagnie d'Isaak alors que Chad s'était invité chez lui. Après une séance de sport dans sa salle médiocre, le colosse s'était retrouvé dans son appartement qui ressemblait plus à une couverture de magazine qu'autre chose. C'est aussi ce jour là que sa moitié lui avait fait découvrir sa chambre et surtout le tableau accroché au dessus de son lit, ce même tableau qui les avait rapproché pour la seconde fois alors que Chad pensait ne plus jamais le revoir. Il se souvient de son entrée en matière, de Coalman et sa cravate, son imposant charisme, sa beauté qui le subjugue encore à chaque fois qu'il le regarde. Leur relation n'était qu'un embryon tandis qu'ils avaient du réchauffer ce plat préparé car ils n'avaient su se tenir loin l'un de l'autre.

Alors, tu te souviens ? Une fois la bouchée entre ses lèvres, Chad ramène la fourchette contre la sienne pour prendre les derniers grains de lentilles et se souvenir en même temps que lui de ce moment partagé à deux, d'abord dans la cuisine, ensuite dans sa chambre, sans compter leur longue discussion tandis que leur corps se reposait des tensions qu'ils venaient de subir. Les mains tremblantes, le coeur au bord des lèvres, ses yeux retrouvent de leur brillance mais il apprend petit à petit à gérer ses émotions, ne pas se laisser crouler sous l'envie de redevenir ce qu'il était : un fantôme. Aujourd'hui, il est plus vivant, moins transparent ; Isaak a fait de lui quelqu'un, une véritable personne et des vies entières ne suffiraient pas pour l'en remercier.

Chad se tourne vers toi, enlève sa veste et s'avance dans la salle de sport miteuse. L'éclairage est poussiéreux dans l'obscurité de la nuit qui commence déjà à tomber en cette soirée d'hiver. Par ci, par là, de rares adhérents s'entraînent. Les crissements de pneus du rodeo raisonnent encore à tes oreilles tandis que tu le regardes s'échauffer et te mets à l'imiter, plus concentré que jamais pour ne pas te laisser déstabiliser par tes fantasmes. Ce jogging kaki, l'un des plus moches de tous et pourtant l'un de tes préférés. Il le portait ce soir là tandis qu'il te courait après pour attraper ton foulard. C'est encore là, sur le bout de ta langue, réveillé par la saveur des aliments : le souvenir de ta frustration et de ton corps qui n'en pouvait plus de désirer le sien. La colère et la rage défoulées contre le sac de frappe, à t'en casser les articulations, à t'en fendre l'âme. Une hargne sans nom, qui t'avait échappé sans crier gare pour embrayer sur une douche bien mérité. Et tellement hot, putain, rien que d'y repenser te donne des frissons. Son regard en contre plongée, l'eau coulant le long de ses cheveux, l'obligation de rester discrets dans ces vestiaires où d'autres risquaient d'entrer à tout moment. Parkinson, également, abordée pour la première fois sérieusement au moment de se rhabiller. Ton acceptation totale de sa maladie alors qu'il n'avait encore jamais vu l'intérieur de ton appartement ; que chaque jour était une avalanche de textos pour en apprendre d'avantage sur l'autre ; que vos corps ne se connaissaient que d'une seule nuit. L'autre, ce fantasme inconnu pour lequel un mois d'abstinence avait été instauré. Ce soir, cela fait précisément sept jours que tu t'abstiens de coucher avec lui. Un peu moins que ce que tu avais au compteur le soir du quinoa, mais la tension est la même, surtout lorsque tu te souviens de la scène dans la cuisine :

Chad sort le plat du micro-onde en te demandant quelles sont tes limites. Ce qu'il peut te demander de faire ou de ne pas faire, pour lui. C'était déjà tellement fusionnel entre vous. La violence du manque, la passion possessive, l'insupportable image des t-shirt de Wilf dans le salon ... Et puis son agacement contre l'intelligence artificielle de l'appartement et ce claquement de mains qui vous avait plongé dans le noir, avec la musique jazz pour fond sonore. L'image marquante de ses lèvres rejoignant les tiennes pour la première fois depuis le parking, rallumant la flamme comme on jette une allumette dans une flaque d'essence. La même odeur que sur le circuit mélangée à celle des lentilles encore fumantes. Tout avait si vite dérapé pour vous retrouver dans la chambre, sous le tableau acheté lors de l'exposition, ses mains au dessus de sa tête tandis que tu coulissais contre son boxer, habité d'une ferveur démoniaque ; tellement motivé à le faire jouir que tu sacrifiais la douleur de ne pas l'accompagner dans son orgasme pour la satisfaction de le savoir apaisé de ses tensions. Comme il t'avait apaisé des tiennes grâce à la boxe. Une boucle bouclée, un prêté pour un rendu et une nuit passée à discuter de vos valeurs, de vos façons de voir le monde. Des univers si différents pour des façons de penser qui se rejoignent, encore présentes sur cette plage pour prouver à tous que votre union dépasse les frontières des classes sociales et des éducations opposées. Il te parlait de ces quelques chaînes que tu aurais pu enlever pour mieux vivre ta vie et tu constates, aujourd'hui, qu'il est celui qui a coupé la plus grosse. Sans même le savoir, Chad avançait déjà sur le chemin qui le mènerait à tuer Perry. Lui, ton dieu, ton ange gardien.

Revenir dans la conversation s'avère difficile. Les yeux aussi bandés que le tissu de ton boxer, tu avales et souris en te léchant les lèvres, lui fantasmant copieusement dessus dans le noir de ta vision et ce sans la moindre gêne ; la caresse du coucher de soleil sur ta peau et la chaleur de tes sentiments te donnant trop chaud pour ne pas tomber la veste. Te voilà toi aussi en chemise, le neoud papillon et quelques boutons ouverts maladroitement à tâtons pour respirer un peu mieux. Ce soir là, je découvrais l'homme ... Un rire t'échappe. Le bruit des vagues s'écrasant sur les rochers un peu plus loin rappellerait presque le déchirement du tissu de ton t-shirt entre ses doigts ... et la bête aussi. La rencontre entre un ange évadé des caravanes et d'un ours, resté à l'état sauvage dans ce qu'il avait de plus intime : son désir pour toi. Je n'ai jamais autant eu envie de quelqu'un que de toi. Ta voix raisonne à tes propres oreilles, chargée d'une sincérité des plus poignantes parce qu'enrouée de désir. J'était tellement perdu sans toi, Maxym. Tu caresses le prénom de tes lèvres affamées, envieuses de goûter ce nouvel homme qu'il est devenu à ton contact autant qu'en changeant d'identité. Finalement, tu n'as encore jamais fait l'amour à ce nouvel époux, ce nouveau prénom, ce nouveau départ. La découverte de la crique était arrivée le lendemain de votre installation à l'hôtel et tu t'étais montré si enjoué à l'idée de l'inviter sur cette plage afin de le re-demander en mariage que tu avais sacrifié vos plans de nuit de noces en instaurant qu'il ne se passerait rien tant que tu ne lui aurais pas montré l'endroit. C'est la raison pour laquelle tes souvenirs bouillonnent, le détail qui rend chacun de tes mots beaucoup trop sensuel. Je me voyais déjà débarquer à l'école et venir t'essouffler dans la salle des profs tout comme j'ai pris plaisir à venir te voir à l'entraînement, lorsque tu as décidé de reprendre le combat. Tu sais, si je ne venais pas si souvent que tu l'espérais, c'est aussi parce que je garde un souvenir impérissable de ce qu'il s'est passé dans les douches de la salle de sport ... Le biais de ton sourire est sans équivoque. Remets ton bandeau. Je ne veux pas croiser ton regard quand j'enlèverai le mien. Le jeu, encore et toujours. Ne pas le laisser se douter de ce qu'il va se passer.



Là où tu oubliais trop souvent de manger avec Chad, tu te promets de devenir le plus gourmands de tous les Felix avec Maxym.

Ecouter ses sentiments le rassure. C'est idiot, mais Chad est une grosse peluche qu'il faut câliner et aimer pour lui faire comprendre qu'il a le droit de vivre. Parce qu'avant ça, il avait sans cesse la sensation d'être nulle part à sa place, d'être toujours de trop. Il ne se pensait même pas capable de pouvoir entrer dans la vie d'un autre homme, le coeur détruit par d'autre, ratatiné par une solitude quasi suicidaire, par des histoires traversées sans jamais essayer de demander de l'aide à qui que ce soit. Il se souvient ce jour là, dans la salle de sport, d'Isaak acceptant aussi Parkinson dans sa vie. Parkinson, c'est toute une entité, un poids si lourd qu'il empêche parfois Chad de se lever, qu'il le tétanise royalement dans un béton invisible. L'affronter seul, le colosse le faisait sans sourciller, même Donald n'a jamais su le mal qui le rongeait, n'a jamais cherché à comprendre sa mine fatiguée avant de disparaître. Pour Eros, c'était aussi tabou, impossible de le mettre sur le tapis sans avoir peur de se faire plaquer. Le blond reniait tout ce qu'il était pour un amour à sens unique, dans l'espoir unique et démesuré que l'italien l'aime sans ressentir du dégoût à son égard. Il aurait tout fait pour ne pas que ses mains tremblantes ne lui gâchent la vie. Parce que c'était ça putain ... Ne pas gâcher la vie de celui qu'on aime avec ce qu'on est. Un assassinat comme un autre, silencieux, sans la moindre goutte de sang. Chad s'était mis dans un cercueil jusqu'à ce qu'Isaak ne vienne le sortir de là. La discussion avait duré quelques minutes à peine, des regards échangés, quelques mots aussi, rien de plus, rien de moins. Pas de superflus, seulement de la tendresse, de la compassion. Tout ce dont on soupçonne Coalman de ne pas être capable.

Subjugué par l'intensité de ses sentiments, le blond enfile son bandeau, tente de respirer calmement tandis que son coeur s'emballe sans une once de pitié pour le reste de son corps vibrant d'un amour sans limite. Il s'efforce pour ne pas le chercher de ses doigts et reste installé sur sa chaise jusqu'à ce que le corps de son mari ne se cale entre ses jambes. Décharge électrique d'un trop plein de désirs enfouis ces derniers jours. Même s'il se sentait incapable d'avoir la moindre relation sexuelle durable après le meurtre, sur cette plage il se sent revivre. Ses poumons se dégagent, en même temps que ce poids sur ses épaules qui le tourmentaient jusqu'à comprendre que ce qu'il a détruit n'a fait que libérer Isaak d'une majeure partie de ses démons. Le coeur au bord des lèvres, le brownie dans la bouche le ramène dans leur cuisine de Greenwich village mais aussi dans l'avion au dessus d'un canada immense et magnifique. Il revoit son mari à moitié nu derrière les fourneaux à préparer un gâteau que seuls eux auraient les tripes de manger. Ce qui manque de le faire étouffer, ce sont les doigts d'Isaak sur son boxer. Un gémissement traverse ses lèvres.