I think i am a better ghost than i am a human being feat SWAN

Trente-six heures de garde. Les urgences n'avaient cessé de vomir un flot incessant de blessures, allant du petit bobo pas joli-joli aux virus encore moins ragoutants. Swan avait à peine pu piquer un roupillon dans la salle de repos qu'on venait la sortir du lit. Retour à la mine. De fait, elle était totalement rétamée lorsqu'elle retrouva enfin le silence de la maison de babouchka. Elle prit le temps d'aller embrasser son fils, lequel grogna dans son sommeil avant d'elle-même rejoindre la chaleur de sa couette.

Un drôle de clown avec une perruque rose essayait de la persuader que la terre était plate et que de toute façon, des aliens venus d'une autre galaxie allait les envahir sous peu. Donc que l'humanité n'aurait plus qu'à se suicider en sautant par le pôle nord ou son contraire. Il lui martelait sa théorie à grands coups de batte de base-ball en mousse sur la tête. L'attaque émettait un étrange toc-toc sur son crâne. Un peu trop insistant. Pourquoi ça ne s'arrêtait pas, bordel ?! Qu'il était chiant, Bozo ! Elle allait lui péter son nez rouge, ça allait pas traîner !

L'agacement finit par la réveiller et la médecin comprit que le bruit n'était pas le fruit de son rêve débile mais bel et bien réel. On frappait à sa fenêtre. Clive ayant encore la politesse de passer par la porte - et de toute façon, la gouttière ne résisterait pas à sa carrure de catcheur -, elle se demandait qui pouvait bien oser jouer les ados rebelles. Plus énervée qu'effrayée, elle s'extirpa du lit et ouvrit en grand le carreau. « C'est quoi ce ... » Elle se tut. Tétanisée. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle avait devant les yeux. Ou plutôt qui. « Sophia ? » parvint-elle à lâcher, son instinct d'urgentiste complètement remballé. Du sang s'écoulait de l'épaule de son amie. Supposée morte durant cinq ans.

Clive avait tout à fait raison de le traiter d'abrutie, quand on voyait la tête qu'elle tirait en cet instant. Son cerveau épuisé peinait à raccrocher les wagons, à faire le lien entre la jolie tête blonde qui se vidait de son sang et le raison de cette dégoulinade sur tuiles - super titre pour une expo, en passant. La bouche entrouverte, l'oeil bovin, son regard passait du liquide carmin aux traits crispés par la douleur de ... Sofia. Oui, c'était bien elle, aucun doute, et elle était aussi vivante qu'on pouvait l'être. Du moins, pour l'instant. Au rythme où elle se vidait, ça risquait de ne pas durer. Retrouvant un semblant de ses esprits, Swan s'écarta de la fenêtre afin de laisser son « amie » pénétrer la chambre. « Ouais ouais, des cartes ... Allez, entre, tu pisses le sang sur les glaïeuls de 'Bouchka et c'est moi qu'elle va engueuler. » Pas trop mauvaise fille cependant, elle l'aida à se réceptionner sur le parquet. « Par contre, 'faut aller dans la cuisine. J'ai besoin d'eau et de mon matériel. » Peut-être pour l'éventrer, allez savoir.

Sa main compressant la plaie à l'aide d'une serviette dénichée dans le tas informe au pied de son lit - Babouchka allait vraiment la tuer -, là encore, elle l'assista jusqu'à ce qu'elles soient dans la cuisine. « Assis. » ordonna-t-elle en désignant une chaise. Swan ou Docteur Aimable. Pas très jouasse d'avoir été tirée d'un sommeil bien mérité, et encore moins par un fantôme. Ses neurones commençaient à se reconnecter et la colère arrivait au galop. « J'ai pas d'anesthésique par contre, donc tu serres les dents. » Par chance, la balle était ressortie, constata-t-elle en examinant la plaie. Sa trousse de soins ouverte, elle en extirpa le nécessaire pour désinfecter et recoudre. « Maintenant, t'expliques. Ce que tu fous là. Et les raisons pour lesquelles je m'apprête à soigner l'épaule d'une soit-disant amie, soit-disant morte y a cinq ans. » Madame Patience, aussi. Elle pouvait très bien faire deux choses à la fois : opérer et écouter. Et les explications avaient intérêt à être sacrément bonnes.