It's time to turn the page (Salomé)

Il fallait croire qu'il y allait toujours avoir un Delacroix dans la vie de Tahlia. Après Fleur et Arthur, voici maintenant Salomé, la cousine des deux premiers, qui se pointait dans la vie de la brune. Tahlia l'avait rencontré grâce à Arthur, à l'époque où ils étaient en couple et que ce dernier avait voulu présenter la jeune Wates à sa famille. Les deux femmes avaient rapidement accroché, Salomé ayant remarqué l'effet bénéfique qu'avait eu Tahlia sur Arthur. Mais malheureusement, cela n'avait pas duré. Juste après la mort de Fleur, qui avait grandement affecté Tahlia, la famille Delacroix avait subi un nouveau choc avec l'incarcération d'Arthur. De nombreuses personnes lui avaient tourné le dos, dont Tahlia qui ne s'était pas remise de cette trahison. La rancoeur avait été plus forte que les sentiments, mais au lieu d'en parler, Tahlia s'était murée dans le silence et s'était cachée derrière sa carapace de fer. Seule Salomé gardait contact avec Arthur. Elle était même devenue la messagère du jeune français, puisqu'elle apportait à Tahlia les lettres d'amour écrites par Arthur. Et à chaque fois, Salomé se confrontait à un mur.

Aujourd'hui, Tahlia avait reçu un message de Salomé, qui disait qu'elle voulait la voir pour une petite sortie. Cela sentait l'entourloupe, évidemment. Tahlia craignait qu'elle ne lui sorte une nouvelle lettre d'Arthur. La lettre de trop, sûrement. Ces derniers temps, Tahlia avait les nerfs à fleur de peau et elle craignait que ce soit le coup de grâce. Mais elle avait accepté le rendez-vous, malgré tout. Une fois rendue sur la place de la ville, la policière aperçut la jeune femme au loin et s'en approcha, un sourire aux lèvres : "Salut Salomé ! Comment vas-tu ?"

Si il y avait bien une valeur fondamentale chez Salomé, c'était la famille. Même si les liens du sang ne la raliaient pas aux Delacroix, elle y était attachée par alliance. Son défunt époux était ainsi, très familial / très généreux. Beaucoup ont tourné le dos à Arthur Delacroix, le vilain petit canard de la famille. Il y a quatre mois il a été incarcéré pour blanchiment d'argent et escroquerie. Le pouvoir lui avait vite monté à la tête lorsqu'il a fondé son entreprise de courtage. Bien que Salomé l'est reprimandée de longs sermons corsés à souhait, elle était bien l'une des seules à le rendre visite en prison. Et Arthur lui parlait incessamment de son amour pour Tahlia. La perdre a été, selon lui, la plus grosse erreur de sa vie. Il lui transmettait des lettres à son intention. Mais Salomé n'avait rien d'un simple messager, elle appréciait Tahlia parce qu'elle avait réussi à montrer le meilleur d'Arthur.

Elles avaient rendez-vous à la place du centre-ville. Salomé se doutait bien que Tahlia n'était pas enchantée d'avoir des nouvelles d'Arthur. Comment ne pas la comprendre? Il l'avait mentie et trahie. Alors elle préféra attendre sagement le bon moment pour lui parler de la lettre et de son contenu. Salut ça va et toi? Tu vas bien? On va boire un café? lui demanda t-elle avec entrain. Elles s'installèrent en terrasse, où elles échangèrent des banalités. À mi-tasse de café, Salomé semblait ne jamais voir le bon moment venu. De toute façon, peu importe le moment, elle risquait une fois de plus de se confronter à un mur. Et une fois de plus, Salomé prit des pincettes pour choisir ses mots. Les mains tremblantes, elle cherchait l'enveloppe dans son sac. Avant même de lui présenter la lettre, elle était sincèrement gênée. Bon désolé, ce n'est pas une surprise pour toi mais Arthur t'a encore écrit. Il est de plus en plus déprimé. avoua-t-elle tristement. Durant sa dernière visite, Salomé avait remarqué les cernes sur son visage. Il était également très amaigri.

Tahlia appréciait énormément Salomé, même si souvent celle-ci était rattachée aux lettres d'Arthur, un moment toujours désagréable pour la policière. La froideur de Tahlia face à cela était souvent mal comprise. Comme d'habitude, elle cachait ses sentiments pour se protéger. Mais en réalité, elle n'avait pas digéré l'histoire. La rupture entre eux avait été brutale. Il s'était fait arrêter, avait ruiné leur histoire alors que tout allait au mieux dans leur couple. Mais au lieu d'en parler clairement avec l'homme qui avait partagé sa vie pendant quelques mois, elle avait préféré reporter toute sa rancoeur sur lui. Puis il y avait eu l'agression de Tahlia et cela avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Si bien qu'elle détestait Arthur. Enfin, c'était ce qu'elle préférait se dire. Même si chaque lettre d'Arthur confirmait bien que ce n'était pas cela. Elle était juste en souffrance et perdue face à une histoire qui n'avait pas eu de point final.

Face à Salomé, Tahlia esquissa un sourire chaleureux quand elle lui proposa d'aller boire un café. « Je te suis. » répondit-elle avec autant d'entrain. La conversation qui s'ensuivit était agréable, si bien que les craintes de Tahlia finirent pas s'estomper un peu. Et pourtant, après quelques dizaines de minutes écoulées, Salomé changea d'attitude, se faisant moins à l'aise. Alors qu'elle chercha quelque chose dans son sac, Tahlia comprit très bien ce qui allait se dérouler. Salomé apporta la confirmation de ce qu'elle redoutait. Elle avait vu Arthur. Et il avait écrit une lettre pour Tahlia. Son visage se renfrogna aussitôt, alors qu'elle répondit, sur un ton qu'elle voulait neutre mais qui s'avéra être pinçant : « Il faut croire que mon silence n'est pas suffisamment parlant pour lui. » Mais quand Salomé lui avoua qu'il était de plus en plus déprimé, Tahlia reprit aussitôt : « Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Il faut que je le plaigne en disant « oh le pauvre ?! Il l'a cherché, Salomé.» Même si elle tenta de garder un air renfrogné, on voyait bien que les yeux de Tahlia commençaient à se faire humides, preuve qu'elle n'était pas aussi insensible qu'elle ne le laissait croire.

À contrecœur, Salomé avoua qu'Arthur avait écrit une énième lettre pour Tahlia. Cette dernière resta de marbre. Une réaction qui n'avait rien d'innatendue. Salomé comprenait tout à fait qu'elle puisse avoir de la rancœur. Arthur avait reflété une image d'homme honnête, sérieux dans son travail. Alors qu'en réalité il arnaquait et blanchissait de l'argent. Les cadeaux onéreux qu'il lui faisait venait d'un argent sale. Cependant, pris par son propre jeu, il était tombé amoureux de Tahlia. Un fait indéniable.

Je le sais. Et je lui répète sans cesse qu'il a tout gâché. Il s'en fiche de finir sa peine, il tient à assumer sa bêtise. Tout ce qu'il veut, c'est que tu lui pardonnes et que tu l'attendes à sa sortie. Non, je ne te demanderait jamais de faire ça, se précipita-t-elle de rajouter. Mais je t'en prie, va le voir. Ou écris-lui. Il regrette tellement.

Des mots qu'il avait écrit, sûrement une centaine de fois dans ses lettres. Des mots qu'il répétait jusqu'à en pleurer. Venant d'un homme tel qu'Arthur, Salomé ne pouvait y être insensible. Il n'avait jamais été aussi heureux lorsque Tahlia est rentrée dans sa vie. Tout comme il n'avait jamais aussi malheureux lorsqu'elle est sortie de sa vie.

La situation était délicate pour Salomé, mais Tahlia ne pouvait pas faire l'impasse sur la rancoeur qui l'animait. Elle tentait de garder un visage neutre mais on voyait bien que cela l'affectait. Elle avait fait confiance à Arthur, elle s'était confiée à lui, elle l'avait laissé prendre une place dans sa vie. Elle n'avait jamais voulu qu'il devienne ce requin des finances, elle n'avait jamais voulu de ses cadeaux, elle n'avait jamais voulu de ce monde hypocrite où il avançait comme un poisson dans l'eau. Elle avait simplement voulu être heureuse avec lui. Elle l'avait connu avant qu'il ne réussisse, et souvent elle aimait quand il affichait de nouveau sa casquette de bad boy. Elle l'avait pris comme il était. Et il avait tout ruiné. Tahlia arqua un sourcil quand Salomé évoqua les souhaits d'Arthur. Il voulait qu'elle l'attende ? Elle ouvrit la bouche pour rétorquer, mais Salomé prit les devants lui avoua qu'elle ne lui demandera jamais ça. « Heureusement ! » Mais la requête de la jeune femme ne passa pas. Le voir ou lui écrire était impensable pour Tahlia. « Pourquoi faire ? Pour que je sois virulente et que je lui balance ses quatre vérités ? » Nerveuse, ses doigts jouèrent avec le papier du sucre de son café, le déchirant en petits morceaux. « Tout le monde pense à Arthur, mais est-ce qu'on peut aussi se mettre à ma place ?! J'étais là quand la police est arrivée et l'a emmené. Pire encore, j'étais censée travailler ce jour... j'aurais dû être dans l'équipe qui l'a amené au commissariat ! » Et puis, elle avait dû subir les propos de ses collègues. Certains avaient même cru qu'elle était complice. « On aurait pu être heureux, mais il a tout gâché. » La colère se lisait sur le visage de Tahlia. Mais on pouvait aussi voir de la tristesse. C'était la première fois qu'elle laissait entrevoir cela face à Salomé. « Ce que je vais dire est horrible, mais je veux juste l'oublier, Salomé. Je veux qu'il m'oublie. » C'était son souhait. Mais elle savait aussi qu'elle devrait l'affronter, le voir en prison pour mettre enfin un point final à cette histoire.

   
Détrompe toi, tout le monde lui a tourné le dos. Ce qu'il a fait est honteux! Renié de tous, les Delacroix avaient fait une croix dessus. D'autant plus qu'il n'était pas déjà très apprécié auparavant. Ils l'appréciaient quand il s'est mis en couple avec Tahlia. À ses côtés, Arthur était un autre homme. Pas seulement parce qu'il avait troqué sa casquette pour un costume trois pièces, mais parce qu'il paraissait heureux.

Mais en devenant courtier, son ambition a dépassé les bornes. Alors qu'ils croyaient qu'il s'enrichissait honnêtement, lui s'en mettait plein les poches d'un argent sale. Aujourd'hui on sait mieux d'où venait ses voitures luxueuses, ses yatchs, ses innombrables cadeaux pour sa belle.

Alors oui, on pouvait comprendre que Tahlia ne veuille plus avoir affaire avec lui. Il avait brisé son coeur et sa confiance au passage. Un comble quand on sait qu'elle travaille dans la police. Je te jure qu'il était vraiment heureux avec toi rassura Salomé, très sûre d'elle. Est-ce que cela pouvait la conforter? Sûrement pas. Mais plus elles conversaient, plus Salomé comprit qu'il n'y avait plus d'espoir qu'ils reforment un couple. Optimiste dans l'âme, elle croyait aux secondes chances. Elle croyait aux histoires d'amour compliqué. Pour l'instant, elle se disait que si Tahlia acceptait ne serait-ce que l'écrire, serait un exploit. Ce n'est pas horrible c'est compréhensible.Toute personne censée aurait réagit pareil. Si il y a bien une chose qu'elle ne voulait avouer, c'était qu'ils se remettent ensemble pour qu'Arthur redevienne ce qu'il était. Un homme amoureux et épanoui. Le Arthur heureux avec Tahlia. Il t'aime tellement... ça le consume avoua-t-elle tristement. La vérité était là. Loin de là qu'elle voulait la culpabiliser, bien au contraire. Mais c'était comme si il avait développé une sorte de psychose. Comme si il était devenu un maniaco-dépressif. Salomé espérait qu'il aille mieux si elle acceptait de lui parler. Afin qu'ils puissent tout deux tourner la page.

Arthur devait être seul. Il avait été renié de tous, Tahlia y compris. Et même si elle lui en voulait énormément, c'était une idée qui lui faisait beaucoup de mal, malgré tout. Elle avait eu vent des histoires familiales de son ex, elle savait donc qu'il avait longtemps été la honte de la famille. Pourtant, ils se trompaient tous. Même quand il avait sa casquette et son langage familier, Arthur était un homme protecteur, intelligent et intéressant. La famille Delacroix avait seulement attendu qu'il porte un costume pour s'en rendre compte.

Quand Salomé lui affirma qu'il était heureux avec Tahlia, la jeune femme secoua la tête : « On aurait pu l'être encore bien longtemps. » C'était cela qu'elle voulait dire. Elle s'était dit qu'il aurait pu être celui qui lui conviendrait, qui la rendrait enfin heureuse. Elle y avait cru, un moment. Mais elle s'était trompée. Et aujourd'hui, elle essayait de tourner la page. Au tout début, Tahlia avait eu beaucoup de mal, d'autant plus qu'elle avait subi son agression au même moment. Elle passait ses journées à pleurer, à se renfermer. Elle s'était sentie excessivement seule. Elle commençait à peine à s'en sortir, à s'autoriser à regarder d'autres hommes. Elle voulait l'oublier. Elle voulait qu'il l'oublie. Un fait que Salomé semblait comprendre. Mais la dernière phrase qu'elle lui lança termina d'achever la policière. « Oui, je le sais. Je sais qu'il va mal. Mais je ne sais pas quoi faire, Salomé. » Tahlia semblait s'adoucir. Et pour cause. Elle avait beau être rancunière, elle ne pouvait pas rester insensible face au mal-être de son ex. « D'après toi, qu'est-ce que je dois faire ? Aller le voir ? Lui écrire ? Lui téléphoner ? » Elle était désemparée.

Les Delacroix étaient tous des intellectuels. Avocats, médecins, passionnés d'histoire ou de physique. Tandis que Arthur Delacroix, le vilain petit canard, est plutôt du genre manuel. Il sait se débrouiller mais n'a aucune culture générale. Il est plutôt doué en mathématiques et a le sens du contact. Le métier de courtier lui allait comme un gant mais il devait soigner son apparence et son language cru. C'est là qu'est intervenu la gracieuse Tahlia. Un peu avant l'officialisation de leur couple, il a commencé à prendre soin de lui. Elle l'avait rendu élégant et... heureux. Effectivement comme elle le faisait justement remarqué, ils auraient pu être heureux ensemble bien plus longtemps. Je sais approuva Salomé, compatissante, en hochant de la tête. Attention elle n'était du côté de personne. Même si elle aimait Arthur tel un frère, elle éprouvait aussi de l'affection pour Tahlia. De plus, jamais au grand jamais elle n'approuvait tout le mal qu'il lui avait fait. Salomé l'avait  sermonné plus d'une fois.

Une lueur d'espoir s'alluma dans son regard. Salomé prit rapidement la perche que Tahlia lui tendait. Tu peux lui rendre visite? Une plume ne vaut pas des mots dits de vive voix. Je viens t'accompagner si tu veux lui proposa t-elle aussitôt. Peut-être elle lui pardonnerait? En tout cas, une chose est certaine, depuis le temps qu'il brouillait du noir, Arthur allait enfin retrouver le sourire.

Quand Tahlia avait demandé à Salomé ce qu'elle pouvait faire pour aider Arthur - et s'aider, au passage - à tourner la page de leur relation, les yeux de la jeune Delacroix s'étaient illuminés. C'était à croire qu'elle n'attendait que ça, qu'elle n'attendait que la perche lancée par Tahlia pour organiser une rencontre entre les deux ex-amants. Au fond, la policière ne pouvait pas lui en vouloir. Salomé était la mieux placée pour voir que le jeune Arthur avait bel et bien sombré. Un long soupir s'échappa des lèvres de la brune quand Salomé lui confirma que la visite en prison était bien mieux qu'une quelconque lettre. Tahlia aurait préféré la lettre. Elle redoutait tellement la rencontre avec Arthur. Même si elle gardait un air assuré, la brune n'en menait pas large. Elle avait peur de le revoir, peur de voir ses sentiments reprendre le dessus. Elle ne pouvait pas être insensible face à Arthur. Elle ne le serait même jamais. "Ok, j'irai lui rendre visite." abdiqua-t-elle en faisant une petite moue. Mais elle ne comptait pas y aller seule. Salomé s'était gentiment proposée. Si elle l'avait pas fait, Tahlia l'aurait poussé à l'accompagner. "Je compte sur ta présence, effectivement." La brune récupéra son porte-monnaie et posa un billet sur la table pour payer les consommations. "On y va demain ? Je ne travaille pas et puis, ça m'évitera de changer d'avis." La jeune policière se releva, préférant mettre fin à cette conversation qui l'avait clairement bouleversée. Et puis, il fallait qu'elle prenne du temps pour elle, afin de prendre le recul nécessaire qui l'aidera à affronter son ex. Elle esquissa tout de même un léger sourire et salua Salomé. Puis elle tourna les talons et quitta le café, perdue dans ses pensées.