it's time to leave and turn to dust -r.

Pas une journée où je me réveillais sans penser à tout ce que j'avais sacrifié en laissant partir Tara. Certes, j'avais aussi choisi de vivre, un jour, mes rêves de fonder une famille et de me marier. Sauf que pour le moment, mon deuil n'étant pas fait, je ne voyais que les mauvais côtés de cette décision. Je me disais que cet avenir "parfait" ne le serait jamais si ce n'était pas aux côtés de la femme que j'aimais. Tara. Elle était la femme que j'aimais. Même alors que nous étions si loin, même alors que je ne l'avais pas revue depuis cette soirée fatidique de Halloween. Malgré tout cela, mon coeur battait encore pour elle, près de trois mois plus tard. Je commençais à croire que je ne l'oublierais jamais. Je commençais à penser que je ne me remettrais jamais de notre rupture. Mais j'avais trop peur d'aller la voir et de constater qu'elle ne se souvenait même pas qu'on se soit laissés. Qu'elle penserait juste que notre histoire n'était jamais allée plus loin qu'un deuxième rendez-vous. Cette confrontation me faisait bien trop peur, alors je restais encabané dans mon nouvel appartement, que je partageais avec Lola et Cassie, qui avaient généreusement décidé de m'accueillir.

Au moins, je m'étais retrouvé un emploi, pour au moins pouvoir les aider à payer le loyer qu'on se divisait à nous trois. Ce n'était pas mon emploi d'avant, il ne lui arrivait pas à la cheville, mais au moins j'étais toujours au centre de ma passion. Comme vendeur de jeux vidéos. Mieux que rien pour le moment. J'avais toutefois encore plus l'impression que ma vie n'était qu'un échec total.

Bref, en quittant toute cette vie au mois d'octobre, j'avais par le fait même perdu ma pâtisserie favorite, celle de Tara. Au moins, il me restait celle de ma meilleure amie - qui, en fait, était tout aussi bonne que celle de Tara, mais celle de Tara avait un petit point en plus : Tara. Je me rendis donc au magasin de Victoria un peu avant la fermeture ; j'avais perdu la notion du temps, cette peine d'amour me désorganisait comme jamais je ne l'avais été. Je poussai la porte de sa boutique gourmande et je m'avançai jusqu'à elle, qui lavait son comptoir. C'était vide. « Salut Vic'. Tu as compté ta caisse, déjà ? J'espérais pouvoir avoir quelques cupcakes, malgré l'heure ... » Je faisais sans doute peine à voir. Emma et Victoria avaient, à de maintes reprises, tenté de me sortir de ma torpeur. Ce n'était pas gagné d'avance. Je me complaisais dans cet état léthargique. C'était mieux que d'affronter la réalité. La dure réalité de ma solitude infinie.

Fidèle à son rôle de meilleure amie d'enfance, Victoria laissa tout tomber de son boulot pour venir m'accueillir. J'étais choyé d'avoir d'aussi bonnes amies qu'Emma et elle. Elle me prit dans ses bras, sans me dire quoi que ce soit. Après tout, c'était la première fois que je faisais les premiers pas pour venir la voir. Depuis trois mois, c'était Victoria qui venait vers moi pour me sortir de ma carapace de sanglots. Là, j'avais assez de courage pour sortir de ma chambre et d'aller la voir. C'était un signe que je remontais la pente, non ? Bref, j'enroulai mes bras autour d'elle et je la serrai, sentant son ventre de femme enceinte contre le mien tout mince, et cela me fit sourire. « Hum, quelque chose de très sucré, genre caramel ou sucre à la crème. Surprends-moi. » Je souris. Victoria connaissait très bien mes goûts et j'aimais bien la laisser décider pour moi lorsqu'il était question de nourriture. Je m'assis, me sentant toujours très mal à l'aise face au fait que Vic' m'offrait toujours tout gratuitement. Franchement, il m'aurait fait plaisir d'aider son commerce. Mais elle insistait à chaque fois. La blondinette revint avec ma sucrerie et un coca ; elle avait une bouteille d'eau pour elle. M'appelant par mon éternel surnom débile, elle me demanda ce qui n'allait pas. « Je vais avoir l'air de ne jamais évoluer dans ma peine mais ... c'est encore Tara qui hante mes pensées. Sérieux, Vic, et si j'avais fait une erreur et que j'aurais dû rester avec elle malgré son problème de mémoire ? » Et même si je changeais d'idée et que je me disais que oui, il fallait que je sois avec elle, sans doute était-il déjà trop tard. Tara devait avoir le coeur brisé que je n'aie pas été capable de gérer ce problème. Elle devait se dire que je n'en valais pas la peine si je prenais la poudre d'escampette devant notre premier obstacle. La vie nous en aurait réservés bien d'autres.

Victoria ébouriffa le peu de cheveux qu’il y avait maintenant à ébouriffer de ma tête. Je souris. Elle avait toujours eu cette habitude, depuis que nous nous connaissions. Plus jeune, j’avais les cheveux un peu plus longs et bouclés, alors elle avait quelque chose à dépeigner. Maintenant, c’était plus par habitude qu’autre chose, et pour la signification protectrice du geste. En effet, la blondinette et moi avions toujours eu un rapport s’apparentant à celui d’un frère et d’une sœur, contrairement à celui que j’avais avec Emma – je l’avais déjà aimée, quand même, alors la voir comme une petite sœur m’était impossible maintenant. Bref, même si j’étais tout autant protecteur de mes deux meilleures amies, Victoria l’était aussi beaucoup envers moi en retour.

Sa réponse qui prenait tout son sens à mes oreilles me fit relever des yeux d’espoir vers elle. « Oui, je l’aime encore. » Avouais-je comme une révélation. Probablement parce que je n’avais jamais dit à Tara que je l’aimais. Et même à moi-même. Mais c’était ça, c’était vrai : j’étais amoureux de Tara. Encore aujourd’hui je l’aimais, alors comment passer à autre chose ? J’avalai difficilement lorsque ma meilleure amie me dit que malgré mon cœur pur, j’agissais parfois comme un idiot. « Un idiot ? Comment ça ? C’était si idiot ? » Et je pris peur. Parce que si ma réaction avait été si nulle, alors Tara ne voudrait jamais me reprendre. Victoria me questionna finalement sur l’état actuel de Tara. « Non, elle a pas récupéré sa mémoire. Enfin … pas à ce que je sache. Je ne lui ai même pas parlé depuis notre rupture, alors … si elle l’a retrouvée et qu’elle ne veut plus rien savoir de moi, je ne le saurai sans doute jamais … » Enfin, j’exagérais. Bowen n’était pas Manhattan. J’allais sans doute finir par l’apprendre par le bouche-à-oreille. « Tu irais sonner à sa porte pour lui proposer le rendez-vous qu’on a jamais pu avoir à cause de son accident ? » Proposais-je, attendant de voir ce que Victoria ferait dans ma situation.

Je relevai des yeux surpris et confus quand Victoria me dit que je la désespérais. Je me désespérais aussi. Ce n'était pas forcément ce que j'avais besoin d'entendre. Au moins, les explications de mon amie m'éclairèrent sur le pourquoi elle me disait cela. Quand elle mentionna le fait que si je ne me bougeais pas maintenant, un autre homme passerait dans la vie de Tara pour ne peut-être plus en repartir, mon corps tout entier tressaillit. Je me relevai tout droit sur ma chaise, comme sur la défensive. Victoria avait le don de me chambouler. « J'ai pas envie de la croiser sans cesse à Bowen au bras d'un autre en me disant que ça pourrait être moi. » Avouais-je, plus pour moi-même que pour Victoria, mais en même temps ça lui confirmerait qu'elle avait raison de me dire tout ça. Elle voulait me réveiller ? Elle le faisait. Je proposai donc, sous forme de questionnement, d'aller voir Tara pour m'excuser et demander une seconde chance. J'hochai la tête concernant le fait que je devais puiser mon courage en Vic. « Oui, enfin au départ je voulais tes conseils mais là ... oui ... là j'ai besoin de courage. » Parce que j'avais toujours été de nature timide et avec peu de confiance en moi. Aller cogner à la porte de la femme de ma vie que j'avais laissée tomber à la première occasion allait me demander beaucoup. Victoria avait encore une fois raison. Si je ne le faisais pas, je le regretterais toute ma vie. « Tu as raison. Et puis, même si elle me dit non, j'en aurai le coeur net. Pis je pourrais pas tomber plus bas que ça de toute façon. » Je souris. Voyant que ma conscience était plus tranquille malgré ma nervosité face à cette décision, Victoria me confia quelque chose de personnel à elle. Mes yeux s'ouvrirent grand comme deux lunes. Je pleurais sur son épaule depuis vingt minutes pour une stupide rupture facilement rattrapable, et elle me conseillait, alors que Donovan revoyait la femme avec qui il l'avait trompée. « Ils ont un enfant ? ... Tu ... Il ... Il était au courant ? » Je ne pouvais plus supporter d'être à l'autre bout de la table alors je me levai et j'allai m'asseoir à côté de Victoria pour prendre sa main. « Vic ... je suis désolé. Comment ça va ? Comment ça se passe avec Donovan ? » Décidément, j'allais recommencer à ne plus pouvoir le sentir, celui-là.

Victoria était une amie en or. Elle venait de passer une trentaine de minutes à m'écouter me vider le coeur, à m'encourager, à me réconforter, et moi je ne pensais qu'à moi durant tout ce temps, avalant ses paroles positives pour me remonter l'estime et le courage. Pendant tout ce temps, elle gardait cette bombe à l'intérieur d'elle, attendant qu'on ait tourné la page sur mes problèmes avant de me partager les siens. Bordel, ce que je pouvais être idiot parfois, à ne pas avoir remarqué la tristesse au fond de ses yeux. Ma rupture d'avec Tara avait de moi un égocentrique fini. Je n'appelais les autres que lorsque j'avais besoin d'une oreille ou d'une épaule, ignorant totalement le reste de leur vie. Je n'avais jamais pris mes amis pour acquis, pourtant. Il fallait que je me brasse un peu, que je me secoue, que j'ouvre les yeux.

Quand Victoria prit enfin le temps de s'ouvrir à moi, je vins tout de suite la rejoindre, pour lui prendre la main et passer une main dans ses cheveux. Mon amie me sourit, mais je voyais que ses yeux se remplissaient d'un peu de larmes timides. « Mais ... il ... il t'a trompée alors que vous essayiez d'avoir un enfant ? » La colère montait de plus en plus en moi. J'étais au courant que Victoria et Donovan avaient eu des hauts et des bas, mais jamais je ne m'étais imaginé que pendant ce temps, ce connard allait voir ailleurs. « Et lui, il dit quoi de tout ça ? » Je secouais la tête. Victoria était trop bien pour lui, à demeurer à ses côtés malgré le fait qu'il ait mis une autre femme enceinte. Je ne souhaitais qu'une chose : frapper Donovan en pleine gueule, que sa maîtresse retourne de là où elle venait avec son gros ventre, et que Victoria soit heureuse avec un homme qui la méritait. À noter que Donovan ne répondait pas à ce critère, à mon avis. « Si c'est tendu à la maison et que tu veux venir passer du temps chez moi, tu sais que tu es la bienvenue, hein ... » Lui proposais-je, au cas où. Je lui souris, tristement.