Ce vide en nous + Don & Salomé

Il y a des soirs, comme ça, où les souvenirs sont plus ancrés. Où la tristesse l'envahit. Où les larmes sont plus difficiles à retenir. Quatre ans se sont écoulés depuis la mort de son mari mais Salomé si bien entourée, se sent pourtant si seule. Plus aucun homme n'a partagé son lit, ni même effleuré ses lèvres. Pour elle il était impensable qu'elle puisse reconstruire sa vie avec un autre.

Le destin a emporté l'amour de sa vie. Ainsi elle s'y était faite une raison. Elle occupait son esprit et son temps par le travail ou le bénévolat. Certes elle a toujours eu bon cœur, mais depuis elle se donnait davantage dans les bonnes oeuvres. Récemment elle avait rencontré Sarah, une réfugiée amish, dont elle aidait à s'intégrer. Elle savait qu'elle travaillait à ce bar et elle savait aussi qu'elle aurait pu terminer le service à cette heure tardive. D'ailleurs elle ne voulait pas l'embêter longtemps, juste lui apporter quelques viennoiseries et des petites informations concernant les associations et club de la ville.

Néanmoins lorsque Salomé rentra dans le bar quasi vide, elle fut déçue de voir le visage d'un autre serveur. Sous son chapeau et son manteau en laine, elle n'était pas bien rassurée.

Pour ne pas changer ses habitudes, après le boulot c'est au bar que Donovan allait se réfugier. Malgré le fait qu'il arrive parfois déjà saoul au boulot, il a par chance, jamais été surpris par ses supérieurs. Et dans le contraire, il faut dire qu'il en aurait fait qu'à sa tête, donc au final ça ne change pas grand chose.

Il prit donc son pick-up pour se rendre en centre ville, au bar où il passait tout son temps. Il commençait à être plus que connu là-bas, mais on le connaissait tellement qu'on savait déjà comment la soirée allait se terminer avant même qu'elle ne débute. Donovan allait être ivre, incapable de marcher forçant donc une personne à le raccompagner et appeler un taxi, ou bien, un regard de travers et le sang de Danno ne faisait qu'un tour dans ses veines, provoquant alors une pagaille dans le bar. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il avait été exclu de pas mal d'entre eux. Mais dans celui-ci, il avait toujours su se tenir, personne n'était venu lui chercher des noises.

Poussant la porte pour pénétrer dans le bar, il fut heureux de remarquer qu'à cette heure du début de soirée, il était quasiment vide. Ce qui laissait à l'allemand toute la place nécessaire pour s'installer à sa guise. Mais sa place de prédilection, c'était sur les tabourets accoudé au bar. À peine assit, il commanda son premier verre. Le premier d'une longue série. C'était sa seule solution pour se sentir un peu plus léger l'instant de quelques heures, même si le retour à la réalité était encore plus dur le lendemain.

Remerciant le barman, il but d'un coup sec sa boisson, sentant cette brûlure familière qu'il aimait tant ressentir dans son corps.

" - Ce soir Chamberlain, c'est pas plus de cinq verres compris ?" balança le barman tandis qu'il préparait d'autres commandes.

Donovan arqua un sourcil tout en lui adressant un regard noir.

" - Va te faire foutre Brian."

Dans le cas où le Brian  refusait de lui servir des verres, Donovan irait chez lui, dans sa caravane et il continuerai de se saouler jusqu'à ne plus se souvenir d'où il est. Mais jusqu'à présent, il n'avait jamais mis ses menaces à exécution et Donovan avait pu vider le bar comme il le souhaitait. Ce soir ne serait pas autrement.

Salomé ne se sentait pas dans son élément. Par manque de temps, elle fréquentait rarement les bars. Le travail et les œuvres de charité occupaient l'essentiel de son temps. Et puis après le décès brutal de son mari, elle s'enfermait dans son deuil. Pour s'échapper de son chagrin, elle prenait soin de son entourage.

Bien que le bar n'avait pas l'air d'être malfamé, elle fut davantage mal à l'aise de la familiarité (pour ne pas dire grossièreté) et attitude d'un homme assis au bar. À l'évidence, il était un habitué. Elle relèva la remarque du barman. Pas plus de cinq verres Typique des personnes alcooliques. Elle suspectait qu'il noyait un mal-être quelconque dans l'alcool. Avec réticence, elle s'approcha près de lui. Bonsoir, le salua t-elle poliment mais un peu gênée. Elle tournoya l'alliance de son défunt époux. Signe qu'elle était embarrassée. Puis elle s'adressa au serveur. Est-ce que vous pourriez donner ça à Sarah? De la part de Salomé. Je suis une amie, lui dit-elle.

Donovan était un habitué des bars, et ce n'était pas un secret pour ses collègues ni même pour les personnes qui le côtoyaient. Ils savaient que bien souvent, après sa journée de travail, qu'elle est était soft ou même un peu plus rude, c'est là-bas qu'on pouvait le trouver dans un des bars du centre ville. Pour certaines, le jeune homme était prévisible, parfois beaucoup trop, comme pour ce détail de sa vie.

Ce soir, il s'était donc assis derrière le bar, attendant qu'on vienne le servir. Il aurait pu se contenter d'un seul verre, mais il lui en fallait toujours plus. Un seul verre ne suffira pas à noyer sa peine, il lui en fallait bien plus. Au moins cinq et parfois dix. Parfois même plus. En réalité, il ne comptait jamais combien de verres il consommait. Mais ce soir, il faut croire que le barman avait décidé de le brider, il savait pourtant que ces paroles n'étaient que du vent, qu'il allait abandonner après avoir dépassé le quota des cinq verres qu'il lui imposait.

En train de descendre son premier verre, il fut surpris de voir une jeune femme à côté de lui qui le salua. Même s'il paraissait être un ours, il ne l'était pas. Il la salua à son tour avec un léger sourire, puis il reporta son attention sur l'objet de son désir : son verre. Mais Donovan remarqua que le jeune femme auprès de lui touchait de manière automatique son alliance, comme lui le faisait. Il lui arrivait de la retirer quand il s'apprêtait de faire quelque chose de pas très ... légal, comme si ça pouvait empêcher sa femme de voir à quel point il a sombré depuis son décès.

" - Je peux vous offrir un verre ?"

Il n'allait pas la laisser repartir ainsi. Et puis, boire avec quelqu'un, c'est parfois plus sympa que de le faire seul, même s'il appréciait ces moments, bien plus qu'il ne le devrait.

L'homme assis au bar lui offrait un verre. Si cette offre aurait été de quelqu'un complètement saoul et au physique peu avantageux, Salomé aurait prit les jambes à son cou. Sauf que ce n'était pas le cas. Okay, supposons que la proposition n'avait aucune ambiguïté, aucune approche de séduction. Avouons-le, Salomé se sentit tout de même flattée. Elle qui n'avait pas du tout l'habitude d'être courtisée, elle avait l'impression d'être de nouveau attirante. Une sensation qu'elle n'avait pas ressenti depuis... très longtemps.

Volontiers, merci lui répondit-elle poliment. Que devait-elle choisir? Intérieurement, elle se posait la question avec tracas. Le seul alcool qu'elle s'autorisait à boire était le champagne, et uniquement pour de grandes occasions. Fallait-il qu'elle choisisse forcément de boire un verre d'alcool? Peut-être que non, pensa-t-elle. Tant pis si elle se prennair la honte. Une piña colada. Au diable les préjugés. Sans alcool, sil-vous-plait précisa-t-elle. Elle jeta un oeil vers l'homme qui venait de lui offrir un verre, dans l'espoir qui ne la trouvait pas trop coincé. Assise à deux tabourets de lui, elle prit un air qui se voulait détaché. Une fois de plus elle se posait des questions. Elle ne savait pas quel sujet abordé avec un inconnu, pourtant l'envie était présente. C'était mystérieux cette envie de le connaître un peu plus. Dure journée? lui demanda-t-elle finalement, en désignant son verre. Rien d'autre ne lui venait en tête. Sûrement qu'il aura envie de se confier à elle et expliquer pourquoi il buvait tant.

Donovan n'était pas un coureur de jupons, il ne l'avait jamais été et, ce n'est certainement pas depuis le décès de son épouse qu'il allait le devenir. Il aurait pu. Il aurait pu se réfugier dans les bras de plusieurs femmes juste pour oublier le vide qu'il ressent au fond de lui. Il aurait pu faire tellement de choses, bien mieux que de se réfugier dans l'alcool et la drogue, mais ce n'est pas la voie qu'il avait choisi. Il s'était engagé sur une pente glissante où il n'avait plus aucun contrôle sur son avenir. Il survivait à chaque journée qui passait. Se lever le matin relevait d'un véritable cauchemar pour le policier. La seule chose qui le maintenait en vie, c'était son programme de vengeance qu'il comptait bien établir pour rendre justice lui-même. C'était une mauvaise idée et il le savait. Il savait aussi que c'était dangereux, mais s'il pouvait mourir après avoir vengé son épouse, ça lui permettrait de partir en paix.

La jeune femme à ses côtés accepte sa proposition, Donovan la laisse donc commander ce qu'elle désire auprès du barman. Il aurait aussi pu lui imposer un shoot de vodka ou autre, mais quel intérêt ? Et puis, peut-être qu'elle était venue ici juste pour donner ce truc au serveur et repartir après. Peut-être qu'elle ne buvait pas d'alcool. Peut-être qu'elle n'était pas alcoolique comme lui l'était devenu. À en regarder ses doigts, il y avait un homme qui l'attendait bien sagement à la maison, tandis que lui, se perdait un peu plus chaque soir dans les méandres de l'alcool qui faisait des ravages sur son corps et sur son esprit surtout.

Le policier continua de descendre ses verres comme s'il buvait de l'eau minérale, cette brûlure si familière dans sa gorge, c'était la chose qui le faisait se sentir vivant. Le barman servit alors là demoiselle à ses côtés tandis qu'elle lui demandait s'il avait passé une mauvaise journée. Si seulement c'était que ça.

" - Sil n'y avait qu'aujourd'hui, je ne serai probablement pas dans ce bar à l'heure actuelle. Toutes les journées se ressemblent et son interminables."

Pourtant ce n'était pas le travail qui manquait, il y avait toujours de quoi faire en ville, mais tout cela paraissait si fade aux yeux de l'allemand, alors que ce métier, c'était celui de ses rêves, il s'était battu pour entrer dans les forces de police, mais aujourd'hui, il ne vibre plus pour ce métier. Ce métier qui lui a pris tout ce qu'il avait de plus cher.

" - Vous ne devriez pas trop vous attardez, je pense qu'il attend votre retour à la maison et qu'il ne serait pas ravi de vous voir en ma compagnie." dit-il en désignant du menton l'alliance qu'elle portait.

Elle pourrait avoir la même explication pour lui, cette alliance qu'il portait et qu'il n'avait jamais eu le courage de retirer, peut-être qu'il devrait. Même si ça n'empêchera pas sa femme de voir le déchet qu'il est devenu depuis qu'elle est morte.

Sa question n'avait rien d'anodin. Salomé espérait qu'il se confie mais elle se doutait que cela ne serait pas une tâche aisée. Au moins l'inconnu au bar confirma qu'il venait ici souvent, et ça, pour des tristes raisons. Elle comprit alors qu'il tuait le temps pour oublier un profond mal-être. Il ne lui avait pas encore dit pourquoi, cependant elle était déterminée à s'armer de patience pour le savoir. Dans l'immédiat, elle ne sut quoi dire. Oh... trouva-t-elle seulement à dire avec tristesse. Si elle se montrait trop curieuse, il était dans son droit de l'envoyer bouler. Donc elle se tut.

Il brisa ce court silence pour la congédier. Très étonnée, Salomé souriait à moitié. Si Louis aurait été encore en vie, jamais elle n'aurait osé accepter de boire un verre avec un parfait inconnu. La fidélité faisait partie de leurs valeurs respectives. Non, non, répliqua-t-elle avec conviction. Puis elle hésita à se justifier. Elle fuya son regard. Mon mari est décédé, il y a quatre ans. Embarassée, elle tourna son alliance une fois de plus. Finalement c'est elle qui ouvra son coeur en premier. Mais c'est encore difficile de la retirer. C'était quelque chose que beaucoup de personnes de son entourage ne comprenaient pas. La plupart la poussait à avancer, à fréquenter d'autres hommes. Pour elle, à quoi bon? Puisque son âme-soeur elle l'avait déjà trouvé. Sauf que la mort l'avait emporté.

Donovan était un habitué des lieux, et même s'il ne l'avait pas révélé à la jeune femme, elle avait tout de même assistée à l'échange qu'il y avait eu entre l'allemand et le barman avant qu'elle ne prenne place auprès de lui. Il ne fallait pas être intellectuel pour comprendre la portée de ces propos, mais elle n'avait pourtant rien dit, si ce n'était que se renseigner sur la raison pour laquelle il venait ici, noyer son chagrin dans l'alcool. Il lui avoua qu'une partie de la vérité et tenta de retourner le sujet pour l'interroger elle.

Sa réponse le laissa un peu chamboulé, pour la simple et bonne raison qu'ils souffraient tous les deux du même vide en eux. Ce vide que personne ne peut combler. Mais ils étaient tous les deux meurtris par la peine de la disparition de leur conjoint et c'est sans doute cette raison qu'il se confia à son tour, sans prendre la peine de planter son regard sur son interlocutrice.

" - Bienvenue au club. La mienne est décédée il y a huit ans et les propos du genre 'Tu verras avec le temps ça ira mieux' c'est que des conneries. Ça n'ira jamais mieux." fit-il en jouant avec son alliance à son tour.

Pour combler ce vide, Donovan s'était donné la mission de venger sa femme et puis, il avait pris l'option de facilité en se rabattant sur l'alcool et la drogue pour tenter de lui faire oublier ce drame.

C'était donc ça. Il noyait sa peine dans l'alcool. Salomé ne cacha pas son désaccord. La femme coquette et intimidée sorta de ses gonds. Je ne suis pas du même avis. Vous croyez qu'elle aurait aimé cet état d'esprit? s'emporta-t-elle. Étant dans la même situation que lui, elle pouvait se permettre de faire ce genre de remarque. Plus que n'importe qui elle comprenait que perdre sa moitié était douloureux. Bien qu'elle n'arrivait pas à faire le deuil de son défunt époux, elle gardait espoir que le temps estomperait sa peine.  Même si sa présence lui manquait, même si son parfum lui hantait, elle acceptait que le destin lui ait arraché la vie.

 Louis n'aurait pas aimé qu'elle se détruise. Car en buvant ainsi jour après jour, de plus en plus, c'est ce qu'il faisait. Se détruire. Il est mort dans un accident de voiture. Le conducteur roulait en sens inverse. Il était ivre.   raconta-t-elle sur un ton de reproche, désignant le verre qu'il tenait face à lui. Louis était un homme bon et ne méritait pas une telle mort.

Depuis le décès de sa femme, Donovan avait dangereusement sombré dans un rythme de vie auquel il n'était même pas certain de tenir plus que quelques mois encore. Il se félicitait intérieurement de ne pas encore avoir appuyé sur la gâchette de son arme alors qu'il l'a déjà tant de fois pointé sur sa tempe. Pourtant, il est là ce soir, et cette femme, bien qu'ayant subi le même traumatisme que lui se permettait de lui donner une leçon de vie. Du moins, c'est comme ça qu'il l'interprétait.

" - Qu'est-ce que ça change au final qu'elle apprécie ou non l'état d'esprit dans lequel je me trouve ?"

C'était le meurtre de sa femme qui l'avait plongé dans cette noirceur et dans ces dépendances desquelles il n'était désormais plus capable de se sortir seul. Mais il n'était pas encore prêt à prendre la main tendue qu'on lui présentait. Il avait une dernière chose à faire avant de songer pouvoir reprendre le court de sa vie, aussi normale qu'elle puisse l'être après cette perte qui l'affectait. Si Donovan était devenu ainsi, c'est parce que le seul repère qu'il avait eu jusqu'à présent, c'était Miranda. C'était sa femme. Sans elle, il avait totalement perdu pied.

" - Est-ce que vous êtes en train de me reprocher de boire ?"

Elle pouvait le lui reprocher, il ne devrait pas être ici. Mais ce simple aveu relevait beaucoup plus d'un reproche que d'une simple consultation.

" - Si ça peut vous rassurer je suis assez grand et assez conscient pour ne pas rouler quand j'ai bu. Je suis pas totalement stupide non plus."

Donovan avait l'impression que sa soirée allait se terminer beaucoup plus rapidement qu'il ne l'aurait cru. Il avait payé un verre à cette femme dans la simple optique qu'elle puisse se poser un peu, et au lieu de ça, elle profitait de cette occasion pour lui balancer tout ces reproches dans la figure. Ce n'était pas le moment de lui chercher des noises, surtout pas quand il avait déjà avalé autant d'alcool.

Devant son accablement, Salomé s'entêta. Ça change tout , répliqua-t-elle avec conviction. Elle ne pouvait pas nier que sa femme ne reviendra pas à la vie. D'ailleurs elle aurait pu aussi rétorquer que sombrer dans l'alcool ne la fera pas revenir non plus. Chacun vit son deuil à sa façon. Néanmoins il était veuf depuis huit ans. Il n'avancait pas depuis huit longues années. Elle-même veuve, comment ne pouvait-elle pas se sentir concernée?

Plus que n'importe qui elle comprenait sa peine. Précisons que la voiture de Louis a été projeté par un conducteur qui roulait en état d'ivresse. Il lui semblait logique qu'elle lui avait tout à lui reprocher. Elle acquieça. Exactement , avait-elle répondu avant de lui expliquer les raisons de la mort de son défunt époux. Vous ne faisez peut-être pas de mal aux autres. Mais vous faites du mal à vous-même. Vous n'en avez pas assez de combler ce vide? s'adoucit Salomé, en se rapprochant d'un siège. Il y avait peu de chance qu'elle puisse être son déclic. Il était seul maître de sa situation. Sa décision devait être prise avec certitude, sans retour en arrière possible. À quoi bon qu'elle s'entête, me diriez-vous? Car Salomé, c'est ça. Une femme qui veut transmettre sa force.

Visiblement les deux adultes, tous les deux âmes en deuil ne voyaient pas les choses de la même façon. Tandis que Donovan noyait son chagrin dans l'alcool et autres substances permettant de le faire planer assez longtemps pour qu'il oublie son quotidien, la femme qui s'était assise à ses côtés pensait que le regard de ceux partis avait une importance. Il avait envie de lui rétorquer quelque chose de beaucoup moins sympathique, à cause de la douleur d'une part et de l'alcool coulant dans ses veines d'autre part, mais il s'était abstenu, parce qu'elle n'était en rien responsable de la mort de Miranda, tout comme lui n'y était pour rien dans l'accident qui avait tué son mari. Bien qu'elle semblait l'accusé et mettre tous les alcooliques dans le même sac.

Oui il était alcoolique, c'est un fait, mais il est tout de même assez conscient pour ne pas mettre la vie des autres en danger. Il ne met que la sienne en danger, et ce, même si ça peut le conduire tout droit à la morgue.

" - Vous ne comprenez donc pas. Je me fiche de me faire du mal, me détruire c'est la seule chose qui me fait sentir que je suis encore vivant, et tous les jours je me maudis de l'être alors qu'elle n'est plus là pour voir le jour se lever. Si quelqu'un avait dû mourir ça aurait dû être moi."

Miranda croquait la vie à pleine dent, elle était heureuse de se lever tous les matins, tandis que l'allemand était l'exact opposé. Il a toujours eu une part de sombre en lui. Et maintenant quelle est partie, il n'y a plus aucune lumière dans son être, il n'y a que de l'ombre et de la méchanceté.

Sans même s'en rendre compte, tandis que le flic essayait de défendre son point de vue concernant son mal-être et le fait qu'il se sente obligé de boire pour combler tout ça, la demoiselle avait réduit l'espace entre eux et était installée sur le siège qui juxtaposait le sien. Il lui lança un regard avant de vider son verre et de faire la demande silencieuse au barman de lui en remettre un autre.

La mort d'une personne qui nous est cher est une injustice. Les pleurs sont inévitables. Pourquoi pas moi, se dit-on. Combien de fois je me le suis répété... marmonna Salomé. Une centaine de fois, sûrement. Tous ceux qui ont perdu leur âme-soeur se se l'ont dit. Il est tellement tragique de perdre sa moitié, que d'imaginer son monde sans elle nous est impensable. Pourtant il le faut. Salomé puisait sa force dans le mince espoir qui lui restait. Elle comprenait qu'il veuille noyer sa peine dans des litres de chagrin. Mais elle ne comprenait pas pourquoi il ne voulait pas surmonter son chagrin. Car au fond c'était ça, boire était devenu son seul moteur dans la vie. D'ailleurs elle le soupçonnait d'avoir des tendances suicidaires.

Puis pendant qu'on lui servait un autre verre, Salomé jeta un oeil accusateur vers le barman. Il n'y était pour rien, lui, il ne faisait que servir à sa demande. Simplement elle aurait voulu arrêter le temps pour parler devant un homme sobre et lucide.

Démunie par tant de docilité, Salomé tripota nerveusement son alliance. Si ce soir-là la voiture m'aurait percuté moi, j'aurai aimé qu'il continue sa vie. Qu'il soit heureux. Qu'il ait un fils, une fille. J'ai la certitude qu'il aurait aimé, moi aussi, me voir heureuse avoua-t-elle pensive. On cernait facilement la tristesse dans sa voix. Malgré ces quatre années écoulées, elle se sentait à jamais coupable de sa mort. Et vous, vous auriez aimé qu'elle soit heureuse? Comment s'apellait-elle ? lui demanda-t-elle avec douceur. Elle lui avait ouvert son coeur alors elle attendait qu'il en fasse de même.

Donovan ne savait pas vraiment comment réagir face à tout ce qui était en train de se passer. Il avait le cerveau en vrac et l'alcool qui coulait dans son sang ne l'aidait pas à remettre ses pensées en forme. Et puis, il y avait cette femme qui avait tendance à l'exaspérer et en même temps, il savait à quel point elle avait raison, simplement ils n'avaient pas la même vision des choses, et c'est ce qui crée leur désaccord à cet instant précis.

Bien évidemment quand on perd un être cher, que ce soit sa moitié ou même une personne de son entourage proche, la douleur est telle qu'on ne se voit pas poursuivre sa vie dans de telles conditions, mais avec le temps, certaines personnes se relèvent. L'allemand lui ne s'est jamais relevé, il s'est même encore plus enfoncé dans la noirceur des ténèbres, échafaudant des plans diaboliques pour mettre un terme à la souffrance qui l'habitait. Sauf que ce qui détruisait réellement le flic, c'était le poids de la culpabilité qu'il portait sur ses épaules.

" - Sauf que là, c'est réellement de ma faute. Si j'avais lâché l'affaire, si je n'avais pas cherché à mettre à jour ce cartel, elle serait encore là, et notre enfant aussi."

Voilà maintenant qu'il venait de lui confier qu'en plus de perdre sa femme, il avait aussi perdu l'enfant qu'elle portait dans son ventre. Il aurait pu devenir papa, devenir un homme meilleur, et au final, il avait glissé sur une pente interminable.

" - Bien sûr que j'aurai aimé qu'elle soit heureuse, j'aurai aimé surtout qu'elle ne croise jamais mon chemin, elle aurait encore été en vie aujourd'hui, heureuse avec un autre homme et probablement maman d'un ou plusieurs enfants."

Donovan, malgré ce que les apparences peuvent renvoyer, n'avait pas confiance en lui. Il pouvait parfois paraître arrogant, mais il ne l'était pas, c'était simplement sa manière à lui de se protéger, de mettre des barrières.

" - Miranda." avoua-t-il dans un souffle avant de vider son verre d'une traite.

Sur l'instant, il aurait aimé en avoir encore plusieurs sur la main pour tous les vider, pour sentie cette brûlure si familière lui arracher la gorge. Lui faire aussi mal qu'il avait mal au plus profond de lui-même. Il avait envie de crier de toutes ses forces, il avait envie de pleurer, de cogner dans quelque chose pour se soulager de ce poids, mais il était assis à ce comptoir en train de parler avec cette femme qu'il ne connaissait pas, et pourtant, il lui livrait des détails que les autres ne connaissaient pas.

Il n'y avait plus aucun espoir dans ses yeux. Il reflétait la tristesse. Le genre de tristesse inconsolable et poignant. À l'évidence il portait sur ses épaules une histoire tragique. Il ne donna pas des détails mais Salomé le comprit. Silencieuse, elle n'osa pas demander les circonstances de la mort de sa femme. Du moins pas encore. Elle l'écouta, s'efforçant de l'envie irrésistible de lui poser des questions. Il semblait si défaitiste, si pessimiste, qu'elle ne savait quoi dire pour le réconforter.

Elle devait se faire à l'idée qu'elle ne décrocherait pas un semblant de sourire durant cette soirée. Toutefois elle se promit de ne pas laisser cet homme seul dans ce chagrin. Si elle devait venir chaque soir pour discuter avec lui, elle le ferait. Elle ne connaissait rien de lui mais si il lui arrivait malheur, elle s'en voudrait de ne pas avoir pu lui apporter son aide. Pour le moment elle représentait qu'une oreille attentive. C'est un joli prénom, fit remarquer Salomé avec douceur. Sa femme se prénommait Miranda.

Prononcer son nom devait être une épreuve. Elle posa sa main contre la sienne pour panser sa peine. Puis elle se lança dans la gueule du loup. Que s'est-il passé... pour que... vous vous sentez si coupable? questionna-t-elle avec hésitation.