Ce vide en nous + Don & Salomé

Donovan n'était plus certain d'être fait pour ce métier qu'il aimait tant auparavant. Tellement de choses avaient changé et puis, c'était ce même métier qui lui avait retiré ce qu'il avait de plus cher au monde. Alors oui, que ce soit lui ou ses collègues, ils savaient dans quoi ils s'engageaient lorsqu'ils enfilaient leur tenue et avaient leur arme sur eux.

L'allemand continua de boire encore et encore, peut-être qu'il ne pourra plus se lever, peut-être qu'il ne rentrera pas chez lui, dans cette caravane sur la plage, mais il se fichait bien de tout cela parce qu'il se sentait bien. Un bien-être s'emparait de lui et il se laissait porter par cette sensation, aussi éphémère qu'elle soit.

La jeune femme se livra sur les conditions dans lesquelles étaient décédées son mari. Il avait été percuté par un chauffeur ivre, il comprenait au fond qu'elle le sermonne. Elle n'avait pas pu le faire avec le chauffard, alors elle se vengeait sur lui. Le flic quant à lui se confia sur le prénom de sa femme. Parler de tout cela ravivait les images, rendant sa rage encore plus présente.

Et puis, tandis qu'il finissait son nouveau verre, il faillit s'étrangler en entendant la question de la jeune. Elle en avait du courage, d'oser poser une telle question à un homme qu'elle sait déjà à moitié ivre et donc, incapable de contrôler ses gestes. Pourtant, Donovan avait envie de lui expliquer, comme s'il espérait que ça finisse par lui retirer un poids sur sa poitrine, mais il n'en était rien.

" - J'étais sur un dossier sensible, un cartel espagnol. On avait de plus en plus d'informations, de quoi les faire tomber, les petites mains comme les grosses têtes du réseau. Et puis, j'ai commencé à recevoir des menaces. Je n'y ai pas vraiment prêté attention. Voyant qu'ils n'arrivaient pas à m'atteindre, ils ont dû me suivre, enquêter ou j'en sais rien et ils ont su que j'avais une femme. Les menaces ont commencé à être dirigées vers elle pour que je réagisse. Je me suis dis qu'ils ne passeront jamais à l'acte. Et bien j'avais tord." finit-il par avouer, la gorge nouée par cette culpabilité qui le rongeait depuis huit ans.

Immédiatement après avoir confié une telle chose, Donovan se sentait mal. Mal au point de sentir son coeur sortir de sa poitrine. Il avait envie de vomir, mais il devait se ressaisir, il y était presque. Il avait presque terminé sa vengeance, il ne restait plus que quelques semaines, mois tout au plus pour que tout cela se termine une bonne fois pour toutes. Même si plus rien ne serait pareil après. Il en avait conscience, mais il en avait besoin, c'était essentiel pour son deuil.

L'allemand commanda deux autres verres qu'il s'enfila l'un derrière l'autre sans même prendre le temps d'affronter le regard de son interlocutrice. Il refusait d'y voir de la pitié ou même du dégoût. Au lieu de ça, après avoir terminé ces deux verres, il serra les poings tellement fort que ses jointures en étaient devenues blanches. Il y avait beaucoup trop de rage et de colère en lui.

Elle aurait pu se résigner, quitter les lieux et planter cet inconnu qui ne souhaitait pas remonter la pente. Mais non, hors de question. Salomé s'entêta. C'était contre sa nature, contre ses valeurs. Et puis, ils partageaient la même souffrance. Enfin, pas vraiment. Car pour lui il était coupable de la mort de sa femme. Une mort terrible, tirée d'un thriller policier. Elle ne savait quoi dire de plus que Ce n'était pas votre faute lui dit-elle avec douceur. Bin oui, que pouvait-il si il était persécuté? Comment pouvait-il le deviner? La discussion était devenue de plus en plus sincère. Salomé fronça les sourcils. Elle sentit qu'il ouvrait son coeur avec trop d'alcool dans le sang. Ça suffit, ça suffit gronda-t-elle d'un air agacée au serveur. Il devrait avoir une loi qui interdise les barmans à servir à boire aux personnes trop alcoolisées pensait-elle intérieurement.

Je vais vous raccompagner, venez. Elle se leva et remit son chapeau de grande dame. La tâche allait loin d'être facile. D'un pas décidé, elle remonta ses manches. Il est impensable que je vous laisse rentrer seul lui assura-t-elle comme si il s'agissait d'une vérité absolue. Elle anticipait déjà sa réaction car elle se doutait bien qu'il ne se laissera pas faire. Pas par peur, bien sûr, mais sûrement par dignité masculine, ou un truc du genre quoi. Je vous préviens je ne paye pas de mine mais je suis coriace. Ma grand-mère a connu Auzchwitz et on me dit souvent... (elle essaya de prendre son bras) que... je... tiens... de son caractère! finit-elle par dire en parvenant avec grande peine de soulever son bras. Mais bon ça serait quand même plus facile si il la laissait le ramener chez lui.

Vous habitez où? Comment vous vous appelez déjà? Elle ne connaissait ni son nom ni son prénom. Ni même d'où il venait, quel âge il avait. Le comble, Salomé connaissait des informations bien plus personnels.

Donovan noyait sa peine dans l'alcool depuis bien trop longtemps. Plusieurs personnes avaient tentés de lui faire comprendre qu'il ne faisait que se détruire, mais peu de personne comprenaient vraiment le mal qui le rongeait de l'intérieur. Il était responsable de la perte de sa femme et de leur enfant, comment pouvait-il penser continuer à vivre sa vie, à être heureux alors que c'était lui le seul responsable de tout cela ? Il est vrai qu'il ne le criait pas sur tous les toits, il détestait qu'on le prenne en pitié. Pourtant ce soir, il n'avait presque pas hésité avant de confier ce point de sa vie à cette jeune femme. Et elle s'était simplement contenté de le rassurer avec des mots doux. Et aussi gentil que cette intention soit, elle n'avait aucun impact sur le flic.

Pour tenter de masquer ce malaise qui l'habitait depuis trop longtemps, Donovan enchaînait les verres. Malgré l'avertissement du barman lorsqu'il s'était installé, il n'avait pas rechigné à le servir, sachant pertinemment comment il pouvait devenir quand il avait trop bu. C'était soit tout l'un ou tout l'autre il n'y avait pas de juste milieu avec lui. Il n'y en avait jamais eu d'ailleurs, même lorsqu'il était sombre.

" - C'est gentil de vouloir faire votre bonne action de la journée, mais même si je suis une cause désespérée, je n'ai pas besoin de votre pitié."

Il n'avait pas été sec avec elle, il avait simplement dit ce qui lui passait par la tête à cet instant. Donovan n'était rien d'autre qu'un homme brisé et perdu qui avait besoin d'aide. Mais il refusait tout simplement de se laisser aider, c'était un peu comme si les gens qui l'entouraient se sentaient dotés d'une soudaine mission qui consiste à le sauver des flammes de l'enfer. Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-on tout simplement le laisser se détruire jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de lui ? C'était trop demande visiblement.

Un rire à gorge déployée se fit entendre quand elle lui parla de son caractère. Elle était peut-être coriace, mais elle ne savait rien de Donovan, et si elle savait, elle aurait déjà fait demi-tour avant de s'engager sur cette voie qu'elle s'apprêtait à prendre. Il la laissa faire, bien qu'il était alcoolisé, il était probablement encore en capacité d'aligner un pied devant l'autre. Ou peut-être pas d'ailleurs. Il était souvent trop optimiste après avoir bu.

Mais malgré cet air amusé sur son visage en voyant la demoiselle faire, le visage du flic se rembrumit quand elle lui demanda son adresse. Allait-il vraiment lui montrer l'endroit où il vivait ? Ça lui donnait encore plus l'occasion de se sentir doté de cette mission de sauvetage impossible.

" - Vous ne croyez tout de même pas que je vais vous donnez mon adresse pour que vous puissiez venir me sermonner quand cela vous arrange !"

La vérité c'est qu'il n'avait pas envie de lui montrer la vérité. Et encore moins la caravane dans laquelle il vivait sur la plage. C'était son havre de paix, même s'il y régnait un bordel, un peu comme celui présent dans son esprit. Mais il y avait surtout pas envie qu'elle puisse voir le plan qu'il élaborait depuis bien trop longtemps pour venger sa femme. Il refusait qu'elle soit impliqué dedans d'une quelconque manière, elle était bien trop fragile pour pouvoir être confrontée à ce plan machiavélique qu'il mettait sur pieds à l'abri des regards.

" - Donovan." balança-t-il simplement sans plus d'explication pour se présenter.

La moutarde commençait à lui monter au nez. Salomé avait l'impression d'être confrontée à un mur. Un mur qui noyait sa haine dans des litres d'alcool. C'était le verre de trop, et c'était trop tard. Avant que les choses ne dérapent davantage, Salomé exigea que le serveur arrête son service. Le moment était propice pour rentrer et il était hors de question qu'elle s'en aille sans le raccompagner. Un comble pour un policier qui n'est pas censé errer ivre sur la voie publique.

Monsieur, avec tout le respect que je vous dois, je ne gaspillerais pas, ni mon temps ni mon énergie, si vous étiez un cas désespéré lui dit-elle poliment, en inclignant la tête. On ne pouvait pas le blâmer. Il ne connaissait pas Salomé. Elle ne le prennait pas en pitié et encore moins pour faire sa bonne action de la journée. Ce besoin d'aider et d'aller vers les autres, était ancré en elle. Une empreinte à son caractère, à ses principes et à son éducation. Il s'agissait là d'une façon tout à fait évidente de se comporter.

Tandis que certains auraient abandonné la conversation, Salomé s'entêta. Mais elle comprit qu'elle devait paraître trop autoritaire à ses yeux. Elle s'adoucit lors de cette présentation informelle.  Donovan, je ne voulais pas vous sermonner.  Je suis navrée - et elle l'était sincèrement. Veuillez m'excuser si je vous ai offensée. Laissez-moi vous raccompagner, vous voulez bien? Cela me ferait plaisir. ajouta-t-elle avec plus d'entrain.

Donovan n'était clairement pas reconnu pour être le flic le plus patient du commissariat, c'était même plutôt le contraire. Il était du genre à avoir le sang assez chaud et montait au quart de tour selon les situations. Et on pouvait dire que la situation présente commençait à l'excéder sérieusement. Il s'étonnait de ne pas encore avoir balancé un verre au-travers de la pièce et d'être encore assis sur ce fichu tabouret à écouter cette femme qui se sentait dotée d'une action à mener à bien. Il aurait aimé lui dire ses quatre vérités et de le laisser tranquille, pourtant, elle semblait vouloir tout le contraire. Pourquoi s'acharner autant ? Si lui était suicidaire au sens propre, elle l'était aussi au vu de sa manière d'agir avec lui.

Ce qui avait tendance à énerver encore plus le jeune homme c'était sa manière de parler, on avait l'impression qu'ils venaient de deux mondes différents et c'était certainement le cas. Ça montrait à Donovan qu'il était encore pire que ce qu'il pensait. Qu'il était vraiment un bon à rien. Au fond il sait que c'est ce qu'il était. Il aurait pu faire en sorte que ce ne soit pas le cas, mais il n'a jamais eu cette force là. Pas comme la jeune qui se tenait à ses côtés. Elle semblait si légère alors qu'elle portait aussi le deuil de son mari. Donovan se demandait comment elle faisait.

" - C'est bon c'est bon." fit-il conscient qu'il ne gagnerait pas contre cette femme.

Elle avait un sacré caractère, mais l'allemand avait le sien aussi, seulement elle semblait l'ignorer, et l'alcool qui coulait dans ses veines ne l'aidait pas à être le plus aimable possible avec son interlocutrice.

" - Mais ne croyiez pas que c'est pour autant que je vous invite chez moi. Vous me déposerez au niveau de la plage ça sera bien suffisant."

Donovan aurait simplement pu la remercier, mais non, il fallait qu'il soit exécrable une fois de plus. De là à ce qu'elle refuse d ème déposer là-bas jugeant que c'était un lieu trop dangereux pour un homme saoul il n'y avait pas loin, mais c'est là qu'il habitait et il n'avait pas envie de faire des kilomètres simplement pour qu'elle ignore son vrai lieu de vie.

Perdre son âme-soeur est une tragédie. D'ailleurs, même après quatre ans, Salomé restait inconsolable de la perte de son mari. Ce n'est pas pour autant qu'elle sombrait dans l'alcool ou d'autres addictions de ce genre. Elle ne pouvait prétendre qu'elle était une femme forte car bien souvent elle pleurait. Cependant elle ne pouvait pas ignorer Donovan, cet inconnu qu'elle ne connaissait à peine. C'était plus fort qu'elle. Elle ressentait l'immense besoin d'être là pour lui.

Sa grand-mère pouvait être fière d'elle car il finit par céder par tant d'entêtement. Très bien acquieça t-elle d'un ton triomphant. Sans plus attendre elle se redressa. Elle hésita à l'aider à se tenir debout mais elle jugea que son équilibre n'était pas encore si terrible. Alors elle s'éloigna jusqu'à l'entrée et tint la porte. Je vous préviens je suis une piètre conductrice. Mais rassurez-vous je suis extrêmement vigilante lui dit-t-elle avec courtoisie.

Elle se dirigea vers sa voiture. Un 4x4, Mercedes, un modèle 2013, plus ou moins récent actuellement. Elle appartenait à Louis et Salomé s'est résignée à la vendre. Cependant elle avait cédé volontier sa coccinelle, une Volkswagen typiquement féminin. Elle aimait conduire son 4x4, car en hauteur elle se sentait en sécurité. Mais quelle belle affaire pour se garer. Une vraie empotée.

Donovan se laissant rarement convaincre, il était du genre entêté et quand il avait une idee en tête, il faisait tout pour la mener à bien, même si pour cela, ça signifiait bien souvent se mettre ses supérieurs sur le dos. L'allemand n'était pas très friand des règles. Il ne se sentait pas supérieur, bien au contraire, c'est simplement qu'il n'arrive pas à s'y plier pleinement. Il y a toujours cette petite voix en lui qui se manifeste et qui lui disait de se manifester. C'est sans doute pour cette raison qu'il avait tenté de tenir tête à cette femme, mais il venait de baisser les bras face à une telle détermination, ce n'était pas pour autant qu'il allait se laisser mener par le bout du nez. Il refusait de laisser tomber sa carapace. Pas maintenant, c'était beaucoup trop tôt pour se dévoiler, bien qu'il le faisait déjà même s'il n'en avait pas conscience.

Donovan aurait pu rajouter une pique lorsqu'elle annonça être une piètre conductrice, mais il n'en avait pas la force. La vérité c'est qu'il craignait qu'elle voit dans son jeu et qu'elle entrevoit l'homme sous la carapace, et c'est ce qui le faisait paniquer. Il avait peur qu'on voit vraiment qui il était, et l'homme qu'il était au fond était à des kilomètres de l'image qu'il renvoyait. Encore plus ce soir puisqu'il était alcoolisé et qu'il avait rarement de filtres lorsqu'il avait de l'alcool dans le sang. Salomé avait dû s'en rendre compte même si elle s'était passée de commentaires sur ce fait.

Il la suivit jusqu'au parking, trébuchant parfois en se prenant les pieds l'un dans l'autre, mais il avait tout de même assez d'équilibre pour tenir sur ses pieds. Pour combien de temps ? Ça, il ne le savait pas vraiment, mais ce n'était pas le moment de repousser ses limites et de tester son équilibre dans la rue, au risque de goûter au bitume qu'il foulait. En voyant le véhicule, un sourire se dessina sur ses lèvres. Certes ce n'était pas un véhicule tout neuf, mais il avait la même configuration que son pick-up. Il se doutait bien qu'une femme comme elle ne conduisait pas ce type de véhicule de son plein gré, il devait appartenir à son mari. Miranda elle, ne conduisait pas, c'était Donovan qui se chargeait de la transporter d'un lieu à un autre lorsqu'elle avait besoin.

" - Pourquoi vous conduisez alors si vous êtes une piètre conductrice ?" demanda-t-il en arguant un sourcil.

Le passé de Donovan aurait pu raconter un terrible thriller policier. Pas un instant Salomé resta sceptique ou apeurée. Bien au contraire, elle perçut sa sincérité. Elle avait de la peine pour cet homme qu'elle ne connaissait pourtant pas. D'ailleurs quand il lui parlait de sa femme, Miranda, il lui renvoyait sa peine.


Elle aussi, ne parvenait pas à faire son deuil. Louis était toute sa vie. Tous ces projets, tout son avenir, ne reposait qu'à son mariage. Quand on dit, jusqu'à ce que la mort vous sépare. On ne dit pas que ce lien unique ne pourra jamais nous séparer. Jamais. Salomé était persuadé qu'elle ne s'en détacherait pas. Pas même au fil des années ou avec quelqu'un d'autre. Louis est parti, il ne reviendra pas. Bien sûr, elle pourra aimer de nouveau. Elle a envie d'entendre de nouveau je t'aime ou un simple tu es belle. Mais Louis restera pour toujours le premier homme qu'elle a aimé.


Donovan et Salomé partageaient donc quelque chose de fort. Une tristesse immense. Veuve et veuf pourraient échanger, s'entraider. C'est cette raison qui la poussa à insister tant pour le raccompagner chez lui. La tâche fut compliquée mais Donovan céda. Elle ouvrit la portière de sa voiture et la regarda avec amertume.


Avant de connaître Louis, j'ai passé mon permis trois fois. C'est lui qui m'a aidé à conduire. J'avais horreur de conduire cet engin et aujourd'hui elle fit une triste moue je n'arrive pas à m'en séparer lui confia-t-elle avant de se diriger à son tour vers la porte de son siège.

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Donovan avait encore du mal à comprendre comment ça se faisait que la jeune femme était encore à ses côtés. En temps normal, il suffisait qu'on aperçoive sa silhouette pour fuir. Il faut dire qu'à première vue il n'inspirait pas confiance, et ce, envers qui que ce soit. Il avait un style négligé et ne faisait rien pour paraître mieux. On pouvait même le prendre pour un sdf si on ne regardait pas en détail. Malgré son caractère bien trempé, elle était là, tentant de l'aider du mieux qu'elle pouvait, mais avait-il vraiment envie qu'on l'aide ? C'était ça la véritable question à se poser, et Salomé ne se l'était sans doute jamais posé. Ça n'avait même pas effleuré son esprit. Il voulait juste noyer sa peine dans l'alcool, qui y'avait-il de mal à ça ? Il n'était pas le seul à agir ainsi, et pourtant, c'est vers lui ce soir que se tournait la brune.

Le flic n'était pas dupe, il savait qu'il inspirait la pitié, il suffisait de le regarder pour avoir pitié de cet homme qui semblait totalement perdu dans sa vie. Mais il refusait la pitié des gens, il s'en fichait même, lui, tout ce dont il avait besoin c'était obtenir des réponses à ses questions. Venger sa femme et ensuite, il songera peut-être à retrouver une vie plus sereine, mais tant qu'il n'y sera pas parvenu, il aura ce goût d'inachevé dans la bouche, et il refusait de mourir sans avoir eu les réponses qui avaient brisé ce qui devait être son avenir avec Miranda.

" - Hum.." se fut tout ce qu'il trouva à dire tandis qu'il haussait les épaules en même temps.

Il savait parfaitement ce qu'elle disait. Pire encore, il la comprenait parce que lui-même n'avait jamais eu le courage de retirer cette alliance. Il n'avait jamais eu le courage de s'en séparer, ça signifiait pour lui oublier la personne. En réalité, ce qui l'effrayait c'était d'oublier le son de sa voix. La beauté de son sourire. Chaque trait composant son visage. Voilà de quoi il avait peur. Ne souhaitant pas faire ma conversation, il se contentait simplement de regarder le paysage défiler. Il le connaissait par coeur, c'était le même chaque soir.

Chaque détail, insignifiant soit-il, était douloureux. Car chaque détail lui rappelait que Louis n'est plus là. Salomé n'aimait pas s'apitoyer sur son veuf sort. Cependant elle aimait se remémorer de sa vie passée avec son Louis. Ainsi elle n'oubliait pas qu'auparavant, elle était aimée.

Alors qu'elle confiait un petit souvenir sur son mari, Salomé réalisa qu'elle donnait un peu trop sa confiance à cet inconnu. Elle ne connaissait que son prénom.
Donovan. Il avait perdu tragiquement sa femme. Et depuis sa mort, il sombrait dans l'alcool. Cet homme-là était dans sa voiture et à une heure tardive. Elle se disait que si il lui voulait du mal, il aurait eut le temps de le faire bien plus tôt.

Face à son silence, elle sentit un malaise dont elle ne voulut prétendre. Contrairement à elle, il n'avait l'air d'éprouver aucune sympathie à son égard. Elle attacha machinalement sa ceinture, mit le contact, et le regarda. Vous m'indiquez? lui demanda-t-elle en appuyant sur la pédale d'embrayage. 

La soirée ne se passait pas vraiment comment Donovan pouvait s'y attendre. En règle générale, il venait ici, se bourrer la gueule sans que quiconque ne puisse lui faire la morale. Personne, parce que tout le monde fichait éperdument de lui, il n'avait d'importance pour personne, il était juste un homme parmi tant d'autres. Pourtant ce soir la brune avait jugé nécessaire de ne remettre à sa place, de lui faire la morale sur la perte tragique de sa femme, sous prétexte qu'elle pouvait le comprendre parce qu'elle avait vécu le même drame. C'était faux. Personne ne pouvait le comprendre, en tout cas, c'est ce dont il était persuadé, bien qu'au fond, il savait que certaines personnes pourraient percer sa carapace. Tahlia l'avait déjà fait. Salomé avait peut-être la conviction d'en arriver au même point.

Elle l'avait donc conduit jusqu'à sa voiture, dans laquelle il était monté et depuis, il n'avait plus ouvert la bouche. Ce qui était assez rare venant de l'allemand. Même si c'était pour dire des méchancetés, il avait toujours la langue bien pendue. Pas ce soir. Peut-être que c'était l'alcool qui venait jouer ce rôle. Il endormissait sa souffrance intérieure, et peut-être qu'il l'endormissait lui aussi. Vu les nuits qu'il faisait, ce n'était pas rare qu'il soit épuisé. Tant sur le plan physique que sur le plan moral, mais il ne laissait jamais rien transparaître.

Donovan indiqua le chemin à la conductrice. La voiture prit un tournant, puis un second. Ligne droite. Feu rouge. Et ils étaient arrivés dans le quartier de la plage. Prudent, et surtout méfiant, l'allemand préférait éviter de s'arrêter juste devant sa caravane, Salomé poserait sans doute trop de questions. Des questions auxquelles le brun n'était pas prêt à y répondre.

" - Vous pouvez me déposer ici. Merci."

Il attendait juste que la voiture ralentisse avant de s'arrêter pour pouvoir en descendre. Rejoindre son domicile, le seul endroit où il se sentait chez lui. La soirée ressemblait finalement à toutes les autres soirées qu'il avait pu passer sans Miranda. Bourré. Brisé. Et en souffrance. Une souffrance qui ne pourrait se terminer que lorsqu'il aura pu se venger ou lorsqu'on lui aura ôté la vie pour s'être entêté à vouloir connaître la vérité. Quel qu'elle soit, la fin était proche.

Ce silence lourd et embarrassant. Le trajet lui sembla si long tant bien qu'il était pénible. Salomé et Donovan ne disaient pas un mot. Même quand elle se retrouva devant un feu rouge ils n'échangèrent aucun regard. Elle ne soupira pas, ne le questionna pas. Il y avait suffisament de tension entre eux. Et dire qu'elle voulait simplement compatir. Avec deux caractères si opposés, ils ne risquaient pas de se lier d'amitié.

Soit. Au moins elle s'assurait qu'il rentre chez lui sain et sauf. Selon lui, ils arrivèrent à destination. Salomé était étonnée. Mais... on est à la plage fit-elle remarquer. Elle le regarda d'un air méfiant. Il était, de toute évidence, saoul. Peut-être avait-il perdu toute lucidité. En tout cas Salomé craignait au pire. Il avait mentionné des idées sombres, telles que se venger de sa femme décédé. Alors qui sait, qu'est-ce qui lui traversait l'esprit? Ne voulait-il pas se jeter à la mer, pour se noyer? Elle avait allumer ses warnings et ralentissait la voiture. 

Donovan n'était pas le genre à se livrer au premier regard, à la première discussion, voilà pourquoi il tenait ses distances. Peut-être trop certes. Mais il était ivre, et dieu sait ce qu'il faisait quand il l'était, même s'il n'avait encore jamais frappé une femme. Enfin si.. Tahlia. On ne pouvait pas vraiment dire qu'il l'avait frappé, mais il avait été beaucoup trop violent avec elle. Bien plus qu'il aurait dû. Quoiqu'il en soit, il ne comptait pas s'en prendre à la jeune femme. Il voulait juste s'éloigner le plus d'elle possible d'elle pour ne pas la blesser que ce soit verbalement ou physiquement. Il savait qu'il était capable du pire dans cet état là.

Les rues défilaient et les minutes aussi. Pourtant, le temps semblait comme figé dans l'habitacle de la voiture. Il regardait les personnes qui se baladaient sur le trottoir de son côté. Jusqu'à reconnaître les magasins, le paysage. C'était celui qu'il voyait tous les jours. C'était son quartier.

" - On a pas tous le luxe d'habiter dans une maison dans les beaux quartiers." fit-il d'un ton plutôt neutre.

Plus qu'il ne l'aurait pensé. Puis, tournant son regard vers la brune, il désigna du doigt la caravane garée sur le sable, loin de l'endroit touristique.

" - Moi ma maison c'est ça."

S'il voulait, il aurait pu se payer une maison, c'est juste qu'il n'avait plus jamais eu envie de se poser, de rester des années au même endroit sans bouger. Donovan c'était un nomade, c'était sa seule manière de survivre. D'encaisser que désormais il était seul.

Le sang-froid de Salomé subissait de rudes épreuves. Difficile d'éprouver de la sympathie envers Donovan, qui se murait dans un silence pesant. Cependant Salomé en éprouvait sincèrement. Car son histoire l'a bouleversé. Il a perdu sa femme dans des circonstances si tragiques qu'elle ne peut mesurer sa peine. Elle était surtout submergée par un sentiment de découragement. Quoi qu'elle dise, ses paroles lui semblaient vides, inconsolables.

C'est pour cette raison qu'elle ne prononça aucun mot durant tout le trajet en voiture. Elle se laissait guider par ses indications. Tout droit, gauche, droite. Ils arrivèrent très vite en direction de la plage. Quand il lui fit ralentir le véhicule, il fit comprendre qu'il habitait dans les environs. Mais elle était loin de savoir qu'il habitait SUR la plage.

On a pas tous le luxe d'habiter dans une maison dans les beaux quartiers. Piquée au vif, Salomé pinça ses lèvres et ouvrit la bouche pour répliquer mais se tut. Elle se sentit visée par la remarque de Donovan. Toute sa famille, sans exception, provenait de ce qu'on appelle la classe de confort. Médecins, ingénieurs, avocats, investisseurs, les Korshia pratiquaient tous des métiers intellectuels. Salomé, pour sa part, a partagé la fortune de son défunt époux - ce qui n'a fait qu'accroître son patrimoine. Alors oui, ils avaient le luxe de vivre dans les plus beaux quartiers de Bowen.
 
Donovan désigna une caravane. Sa maison. Salomé eut l'impression d'être bousculée. Elle cligna les yeux, baissa son regard et le redressa fixement vers Donovan. Très bien lui dit-elle très déconcertée. Elle ne pouvait pas le laisser partir comme ça. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle se sentait si coupable. Cela lui brisait le coeur de ne pouvoir réparer le sien. On pourrait un jour, se retrouver pour boire... boire un thé? se reprit-elle avec un sourire effacé. Il était bien évidement hors de question qu'elle l'incite à boire une goutte d'alcool. Qui sait, sobre, il pourrait être un autre homme?

Donovan a bien conscience que la perte qu'il a subi, d'autres l'ont subi avant lui, et d'autres le subiront malheureusement après lui. Pourtant, il était un tant soit peu égoïste en se disant que sa douleur était plus grande que celle des autres. Or, c'était totalement faux et il le savait, mais sa peine l'aveuglait tout simplement. Voilà pourquoi il agissait ainsi avec Salomé, peut-être aussi parce qu'elle l'avait surpris la main dans le sac, l'alcool coulant à flots dans ses veines.


Pendant le trajet, le silence était de mise entre les deux étrangers. Aucun ne tenta de faire la conversation. Salomé se contentait de conduire tandis que le flic lui, se contentait de lui indiquer le chemin à prendre pour arriver jusqu'à chez lui. CHEZ lui. Parce que oui, Donovan n'habitait pas dans un quartier riche, il avait élu domicile sur la plage, dans sa caravane. Ce n'était pas le grand luxe, mais pour le peu de temps qu'il y passait c'était suffissant.


Le quadra avait presque envie de rigoler en voyant l'air interloqué de la jeune femme. Il ne fallait pas être dupe pour comprendre qu'elle venait d'une famille aisée, aussi bien par sa manière de parler que celle de s'habiller. Mais il ne lui reprochait rien évidemment, simplement lui faire constater qu'ils ont été amené à se croiser par hasard et que tout les opposait, sauf cette perte du grand amour qu'ils avaient en commun.


" - Si vous êtes prête à vous coltiner un ours dans mon genre pourquoi pas, même si je suis plus bière que thé mais bon.."


Au fond il n'était pas contre, son entourage était plutôt vide, quant aux femmes près de lui, il n'y en avait aucune, alors pourquoi pas commencer à s'assagir, commencer à être un peu plus poli avec Salomé, parce qu'il n'avait pas vraiment été courtois avec elle. Bien que ça n'est rien de personnel, il n'avait pas pour habitude d'agir ainsi avec les femmes. L'alcool avait un mauvais impact sur lui, surtout lorsqu'il en avait autant dans les veines.