Leave the bourbon on the shelf + Jake

On pensait que c'était facile d'écrire un roman, qu'il fallait juste une base d'histoire et puis les choses allaient toutes seules. Mais c'était totalement faux. Samuel en avait des tonnes, d'histoires à raconter, des trames intéressantes, des idées quoi pourraient faire un bon bouquin. Mais il en fallait plus, il fallait développer le tout, être capable de passionner le lecteur jusqu'à la fin et dans le cas de son style, tenir en haleine jusqu'au dénouement final. Ce n'était pas aisé, pour preuve, il n'y arrivait plus. Ca n'avait pourtant jamais été compliqué pour lui, d'écrire, quand il était gamin ça venait tout seul, alors certes ses histoires étaient bien plus simplistes qu'un vrai roman, mais il était toujours inspiré. Plus le temps passait plus il avait l'impression de perdre cette sève-là, celle qui faisait de lui un bon auteur. Alors peut-être devrait-il s'arrêter là, à deux livres qui avaient rencontré un franc succès, il y avait déjà pensé. Plutôt que de continuer et risquer d'écrire quelque chose de mauvais qui ne lui ressemblerait pas, s'en tenir à son succès, comme une rock-star qui quitterait la scène dans le feu des projecteurs. Mais le temps avait déjà trop filé, même si son public l'attendait, les vrais fans, il avait attendu trop longtemps, il aurait dû dire qu'il arrêtait dès la sortie du second roman, au lieu de laisser ce suspens inutile. Et puis la vérité était toute autre, il ne savait faire que ça, écrire, c'était sa passion, son exutoire, plus que son job. Alors s'il arrêtait, que ferait-il d'autre ? Il n'avait aucun diplôme, du moins rien qu'il pourrait exploiter et il ne devait pas oublier, même si ça lui faisait mal de l'admettre, qu'il n'avait plus vingt ans, il approchait dangereusement de la quarantaine, bientôt il serait trop vieux pour faire quoi que ce soit. Certains y arrivent ! A sortir un bouquin par an à peu près. Y en a qui trichent qui emploient des nègres, d'autres qui sont juste... enfin ils ont du talent quoi. Il balaya cette remarque de la main et prit une gorgée de sa bière. Puis haussa les épaules à la question de Jake, évidemment c'était facile de demander, mais non, il n'y avait pas de "truc" miracle, parfois ça ne venait pas, tout simplement. On verra si l'air australien m'aide un peu ! Il voulait rester positif, surtout qu'il n'avait pas à montrer son mal-être à ce mec qu'il connaissait à peine. Il écouta le pâtisser lui raconter qu'il était né en Australie, en même temps en grandissant dans un environnement pareil Sam comprenait qu'on n'ait pas envie de partir, lui-même se sentait plutôt bien ici, il faisait beau toute l'année et les habitants étaient caractérisés par une joie de vivre qu'il rencontrait moins dans la grisaille londonienne. C'est un chouette pays, pour le peu que j'ai vu pour l'instant. J'espère visiter un peu, quitte à être là ! Tu fais du surf ? Comme tout bon australien ? Il aurait peut-être envie d’essayer, on lui avait parlé de profs qui valaient le coup, même s'il était toujours mieux sur le plancher des vaches, bien qu'il adore l'océan, le contempler, il était moins à l'aise dans l'eau. J'ai vécu à Londres de nombreuses années oui. Mais je suis né en Allemagne et mon père est français. Je n'ai la nationalité britannique que depuis quelques années en fait ! Il l'avait demandée quand il avait compris que Londres était sa maison et qu'il ne retournerait jamais en Allemagne.

La réflexion, visiblement sortie du cœur de Jake, fit pouffer Sam de rire, il failli en recracher sa bière. Evidemment que ça se fait, c'est un peu stupide mais ça arrange tout le monde en quelque sorte, les auteurs renommés gardent leur renommée si précieuse et ceux qui ont du talent mais trop peur du succès se cachent derrière ça. Ca se sait, sans se savoir. Il haussa conjointement les épaules et un sourcil, ce genre de pratiques étaient un peu dégueulasses si vous vouliez son avis mais il n'avait pas son mot à dire sur la question, ce qui comptait c'était son intégrité à lui, il était peut-être en traversée du désert, voir même carrément sur le déclin, mais Samuel Pohl vivent, il n’emploierait jamais de prête plume, qu'on se le dise. Ouais, un livre par moi c'est peut-être un peu gros, une nouvelle, peut-être... enfin ce n'est pas mon cas malheureusement. Et le temps filait et la patience de son éditeur atteignait petit à petit ses limites et Sam se sentait bloqué. Un véritable cercle vicieux finalement. Enfin, ce genre de soirée lui faisait oublier ses pages blanches, peut-être avait-il besoin de ça d'ailleurs, de passer du bon temps, d'oublier la pression, de profiter de cette nouvelle vie qu'il appréciait déjà. Il adressa un sourire à Jake qui parlait de cliché alors que Sam avait demandé s'il faisait du surf. C'était comme demander à un anglais s'il buvait du thé ! En effet c'était con, mais après tout il n'avait pas totalement tort non plus. Ah de l'escalade ! Voilà pourquoi t'as l'air d'avoir des bras musclés. Moi j'ai le vertige alors... On ne pourrait clairement pas lui demander de se mettre en haut d'une falaise ou tout autre connerie de ce genre là, Sam en serait incapable. Oui, je ne doute pas qu'il y a plein de choses à voir. Par contre vous avez pas mal de bestioles par ici. En bon citadin qu'il était, Sam donnait dans tous les clichés ce soir ! Il avait peur d'une petite araignée, enfin petite... quand il se souvenait de celle qu'il avait trouvé dans son lit l'autre jour, on ne pouvait pas la louper, il en aurait presque encore des frissons. Arf non, deux nationalités et des origines diverses ça me va bien, je m'arrête là ! En fait sa naissance allemande et son sang français ne lui étaient pas d'une grande utilité, il se sentait avant tout britannique, il avait été élevé comme un bon petit anglais, il avait l'accent, l'attitude et ça lui allait très bien comme ça, le reste ça faisait juste partie de l'histoire. Ca faisait bien de dire ça pour impressionner les filles aussi, pour le reste, il s'en foutait pas mal. Il parait oui. J'ai mis les pieds une fois à Paris pour un salon du livre, j'y ai vu l'aéroport, la Tour Eiffel de loin dans le taxi et un énorme hall d'exposition avec tout un tas de français qui ne parlaient pas un mot d'anglais, pas mon meilleur souvenir ! Pourtant la soirée qui avait suivi, dans un bar branché aurait pu être mémorable, s'il au moins il avait été foutu de s'en souvenir. T'as jamais voyagé hors de l'Australie Jake ?

Samuel l'espérait, que ce ne soit qu'une passade, parce qu'il perdrait une grosse somme d'argent qu'il ne possédait même pas à cause de son manque d'inspiration. Et plus que ça, écrire lui manquait, noircir des pages, voir s'animer ses personnages au fur et à mesure de l'histoire, les construire, les découvrir, les laisser le surprendre, parfois, lorsqu'il se prenait d'affection pour eux et qu'ils l'inspiraient plus que de raison. Il aimait l'ivresse que ces lignes provoquait, l'imagination qui débordait, le monde dans lequel il s'enfermait pour ça. Il aimait écrire, tout simplement, c'était en lui depuis toujours. Mais les récents événements, la perte de sa mère en tout premier et tout ce qui en avait découlé par la suite, son frère, son soudain changement de vie,... n'aidaient sûrement pas à ce qu'il trouve l'inspiration. Bref, Jake avait raison, ça reviendrait, il fallait que ça revienne. Il rit à sa réflexion. Ouais, pétrir la pâte, tout ça, c'est vrai que ça développe le muscle. Il le charrie gentiment, en vrai il n'en sais rien, il n'est pas très bon cuisinier et quand il s'agit de gâteaux, il se fie aux professionnels qui sont bien plus doués que lui. C'est ça, dès que je me retrouve un peu trop haut j'fais pas le fier alors c'est pas pour me la jouer Spiderman non. Lui en terme de sport il était plutôt contact, combat, il était tombé dans la boxe depuis quelques années et ça lui convenait parfaitement. Bon, tous les deux n'étaient visiblement pas de grands aventuriers, mais quand Jake parla de grosse bête, Sam se dit qu'il était plutôt du genre à flipper devant la plus petite bébête, mais il ne s'en venta pas, ça ne servait à rien. On ira pas chasser le kangourou ensemble alors ! Le billard ça me va bien. On ne sait jamais, ils pourraient être amenés à se revoir, la ville n'était pas bien grande. Je vends du rêve avec mes voyages, je sais ! En fait je n'ai jamais vraiment voyagé pour le plaisir, c'est pas tellement mon truc faut croire. Déjà prendre l'avion c'est une corvée, alors... C'est vrai qu'il avait visité pas mal de pays, il avait traversé l'Atlantique pour une convention à New-York, puis pas mal sillonné l'Europe, mais ça le barbait, Sam préférait largement s'exiler au bord de mer, dans sa Cornouailles qu'il adorait, au calme, c'était ça, ses vraies vacances à lui. Parce qu'il était habitué à l'agitation de la ville, il se soûlait quotidiennement de la foule, il faisait du shopping, il sortait en boite de nuit, il aimait les gens, du moins quand il vivait à Londres c'était toujours à deux cents à l'heure, donc le calme lui faisait du bien parfois. Ici, à Bowen, il apprenait à vivre différemment et c'était pas mal aussi. Mais, pour en revenir à leur conversation, les salons, les séances de dédicace, c'était un passage obligé et il fallait avouer que le contact avec le public était assez plaisant, surtout qu'il était en effet rémunéré pour ça et puis bon, ça faisait partie du job, s'il voulait vendre ses romans il fallait se faire connaître et être cool avec le public pour provoquer la sympathie, c'est idiot mais parfois il se sentait presque gigolo de la littérature, avec sa belle gueule qui plaisait aux femmes, il savait que plus il jouait de son charme plus les ventes grimpaient. Heureusement il n'y avait pas que ça, il parait qu'il était tout de même plutôt bon romancier ! Ah les femmes, elles nous font faire n'importe quoi hein ?! Fallait la garder celle-là, si elle te faisait voyager ! Enfin quoi que, s'ils s'étaient quittés il y avait certainement une raison. C'est sûr, les heures d'avion c'est un vrai problème. Puis là on est genre... au bout du monde en Australie. La conversation était facile entre Sam et Jake, ce soir ils s’étaient trouvés tous les deux mais le temps passait et le bar se vidait peu à peu.

Ah oui, évidemment, Samy les bonnes idées n'avait pas pensé à ça, les kangourous était une espèce protégée et lui il parlait de les chasser à un pur Australien, autant dire qu'il foutait les deux pieds dedans ! En plus c'était une blague, il espérait que Jake l'aurait compris, parce que lui, de toute façon, vous ne le verrez jamais avec un fusil à la main ! Il n'était pas du genre défenseur de la nature, vegan, bio et tout ça, surtout lui qui aimait rouler en grosse cylindrée et voitures de sports qui polluent bien, mais il n'aimait pas non plus l'idée de faire du mal aux animaux, rappelons-nous qu'il avait tout de même grandit sur une île où le respect des animaux et de la nature est primordial. Bref, il rit en cœur à la réponse de Jake ouais, il plaisantait ! La seule chose que j'ai fait c'est la cellule de dégrisement, une fois, ça me suffit comme expérience ! Il réfléchit deux secondes à la question du pâtissier en terminant sa bière. Peut-être qu'il avait raison, sûrement même, en fait Pohl n'y avait jamais pensé, ce qui était sûr c'est qu'il n'était pas non plus un fou des voyages, il s’épanouissait autrement. Même s'il se rendait compte que tout plaquer pour vivre ailleurs ça avait son charme, là. Ouais, les transports sont une perte de temps, j'te le fais pas dire. Jake ne s'épancha pas trop sur sa relation passée mais assez pour comprendre que c'était bel et bien terminé. Samuel lui n'avait jamais vraiment vécu d'histoire, jamais plus longue que quelques heures, quelques jours tout au plus, alors il ne pouvait pas comprendre les projets, les voyages en amoureux, c'était pour les autres, pas pour lui. Même Olivia qui l'avait pourtant suivi jusque là et avec qui il aurait aimé visité plus que leur chambre d'hôtel, avait quitté l'île avant même de leur donner une chance. Il n'avait pas tellement de veine dans ce domaine là, le séducteur, à priori il était doué pour plaire aux femmes mais pas pour les faire tomber amoureuses et même si ça lui convenait pour les autres, il aurait aimé que Liv succombe un peu plus. C'est un peu toujours la même chose. Enfin si t'es heureux aujourd'hui c'est une bonne chose. L'écrivain n'avait pas encore eu l'occasion de sortir de Bowen mais il était conscient qu'une fois ici il avait tout un pays à découvrir et ça lui prendrait un peu de temps s'il se montrait curieux. Oui t'as raison, j'vais déjà me contenter de sillonner l'Australie et je verrai après pour le reste de l’hémisphère. Il avisa leurs deux verres vides. Tu veux reprendre une autre bière ?