Cet été, tu comptais enseigner le wing chun tôt le matin. Ca motiverait le corps et l'esprit avant d'entamer une journée de travail, entre autres. Tu n'avais pas encore ouvert ses cours au public - restreint pour plus d'efficacité - mais tu acceptais les amis de son cercle de proches à Bowen, surtout des amis de la famille donc. Un homme prénommé Frédéric Dosévie était intéressé par son premier cours gratuit. De toute façon, le prix ensuite serait très attractif, tue y voyais surtout une façon de motiver l'assiduité de tes futurs élèves. La personne qui t'amenait Frédéric lui parlait des antécédents médicaux de ce dernier pour se couvrir en quelque sorte. De toute façon, tu comptais poser ce type de questions à cet homme, histoire de cerner ses capacités de départ, puis son potentiel avec une initiation en douceur. Tout premier cours était forcément individuel, ensuite tu verrais pour des cours particuliers mais seulement pour un élève assidu. Tu aimais faire la fête mais tu voyais ces événements comme des moments aussi précieux qu'occasionnels dans l'année. Oh, tu savais que les fêtes à l'australienne étaient fameuses mais comme tu dis, "trop de fête tue la fête". Ce matin, tu t'étais réveillée comme tous les jours à l'aube dans ton grand lit vide. Même pendant ton mariage, ton mari n'avait jamais dormi dans la même chambre que toi. Depuis le déshonneur de Venise, tu n'avais toujours pas pu te résoudre à faire un trait sur celui que tu considères comme ton âme sœur. Ta première réaction en te réveillant était donc invariablement un long soupir de frustration. Tu t'étirais quelques minutes au saut du lit, puis courrais après le petit déjeuner simple, limite frugal. Après une petite dizaine de kilomètres où tu alternais le footing et les sprints, tu rentrais te doucher puis tu t'occupais de Liam. Tu lui apprenais patiemment les gestes simples de la vie de tous les jours pour qu'il les assimile peu à peu : Se laver, se brosser les dents, manger proprement, avoir pour ainsi dire en permanence une chambre bien rangée, préparer tout seul son petit déjeuner. Viendraient après des choses plus compliquées, préparer les autres repas, faire les courses, faire le ménage, repasser le linge, l'étendre … Tu ne comptais pas l'élever "dans la soie" et aimerais amener de la famille vivre dans la propriété, plus tard. D'abord parce que c'était plus agréable de vivre avec les proches que tu aimes et ensuite parce que la demeure était trop grande pour toi toute seule et que tu n'aimes pas avoir des employés de maison. S'il y avait bien quelque chose que tu avais eu en commun avec son ex mari, c'était une forme non pathologique de paranoïa : Une prudence excessive. Or, certains de tes ex employés avaient eu du mal à comprendre qu'on ne pouvait pas sortir une fourchette de la propriété sans que tu le saches. D'où le ex, tu ne supportes pas la trahison et ce quelque soit sa raison.
"Liam, bouge et respire, voilà, comme ça. Non, recommence."
Ton ex mari avait installé une salle des fêtes a l'entrée de la propriété, coté rue, avec un parking privé pour les invités. Il n'y avait que dix à quinze minutes de route depuis le centre ville de Bowen. Il l'avait adapté en salle de cours pour te faire plaisir … Plutôt pour te calmer quand tu avais découvert qu'il te mentait depuis le début. Salle en bois souple, mannequins en bois,un râtelier d'armes bien protégé et quelques outils technologiques même si tu n'aimes pas ça, étant traditionaliste jusqu'au bout des ongles. En attendant l'arrivée de Frédéric, tu apprenais les bases à ton fils. Il avait fait ses premiers pas à neuf mois, ce qui était précoce. Tu lui enseignais la respiration et les déplacements, comment gérer son souffle en bougeant pour que ça devienne un automatisme. Ce matin comme presque tous les jours, il faisait très beau aussi tu avais fait s'escamoter le toit pour que vous en profitez pendant l’entraînement. Ton fils et toi portiez un survêtement d'un beau bleu clair, le blanc étant idéal mais trop salissant. Le port de l'uniforme n'était de toute façon pas requis pour les initiations et pour les élèves au début.
"Applique-toi. Très bien."
Liam est intelligent, très sage et même trop sage. C'est comme s'il ressentait tout ce que tu essayais de lui cacher, c'est peut-être pour ça qu'il a l'air toujours triste, et il ne parle presque pas, il peut mais il ne le fait pas. Puis la nounou de Liam - il faudrait qu'elle le place en crèche pour qu'il sociabilise avec d'autres enfants - t'indique que son invité arrive. Tu lèves un sourcil. Quelques minutes d'avance, très bien, vous aviez presque fini de toute façon. Tu s'assois en tailleur en face de lui et tu lui montres la paume de tes mains.
"Pour finir, position neutre d'attaque, prise marteau."
Certains enseignants utilisaient des termes subtils comme "la position de la grue qui danse" ou "le dragon qui dort à jeun et qu'il ne faut pas approcher à son réveil" … Tu préférais les termes simples et efficaces même si tu pouvais utiliser des termes techniques tels que le Chi Sao, l'exercice des mains qui s’entremêlent.
"Mouline, mouline, lentement. Voila."
Bien campé sur ses jambes, Liam donne des coups de poing dans les mains de son instructrice et mère, le droit partant puis revenant par dessous alors que le gauche part par dessus, puis revient à son tour par dessous, en boucle. Tu ne vas pas vite mais il est déjà plus habile que toi au même âge. Tu hoches amicalement la tête en direction de l'homme avant de se concentrer à nouveau sur ton fils.
"Augmente ta vitesse et ce sera bon pour ce matin. Contrôle ta respiration."
Dont acte. Tu te serais "emmêlée les pinceaux" à trois ans, tu étais impressionnée et te permettais de sourire.
"Stop."
Il s'immobilise immédiatement, même pas une attaque "réflexe" et a une amorce de sourire quand tu lui ébouriffes les cheveux.
"Très bien petit scarabée."
Tu prend ton fils dans les bras et salue ton invité.
"Bonjour, je suis Lin et voici mon fils Liam. Liam, voici Frédéric."