don't get attached to moments, good or bad, they all pass ▽ (carlisle)

don't get attached to moments,
good or bad, they all pass

Chaque journée se ressemblait de façon dramatique, les minutes s'égrenant lentement à l'intérieur des heures qui semblaient s'étirer jusqu'à l'infini. Un lundi après-midi comme les autres, sans saveur, dans lequel Effy se mouvait tel un fantôme. Elle revenait du centre-ville, de cette démarche féline, après une après-midi de dur labeur. Ce labeur consistant à offrir son corps à des multiples personnes, contre une jolie petite somme. Pas le salaire d'une prostituée de luxe, c'était certain, mais amplement suffisant pour se payer ce dont elle avait besoin. Et elle en avait besoin urgemment. Il lui restait un stock d'urgence chez elle, dans ce foutoir sans dessus dessous qui ressemblait plus à un bunker post-apocalyptique qu'à une habitation. Mais c'était un environnement qui convenait bien à Effy. Seule, entre ses bouteilles à moitié vides et ses sachets de came. Elle longeait la rivière pour rentrer dans cet endroit de choix, son enfer personnel, sa bulle de noirceur, où elle comptait se prendre un rail, laver son corps des mains étrangères qui étaient venues la caresser cet après-midi, pour repartir s'acheter la moitié d'une pharmacie, histoire de remplir ses stocks pour la semaine. Une cigarette se consumait lentement entre les doigts fins de la jeune fille, son regard d'un bleu transperçant divaguant au devant d'elle, se perdant parfois dans les flots de la rivière. Elle avait envie de se jeter dans cette eau glacée, tumultueuse et dangereuse, de se laisser emporter par le courant. La jeune femme s'arrêta un instant, face à cette force de la nature, tirant nonchalamment sur sa cigarette, qu'elle jeta au sol. Elle s'approcha du bord, son top ample laissant découvrir ses côtes sous ses bras, visibles de par sa maigreur et sa peau pâle, ses jambes longilignes moulées dans un pantalon noir, ses DocMartens aux pieds. Sans même se soucier de si quelqu'un la regardait, elle passa son haut par-dessus sa tête, fit glisser le pantalon sur sa peau et se laissa aller dans l'eau fraîche, avançant jusqu'à ce que la surface atteigne son soutien-gorge, pour se laisser aller sur le dos, ses iris fixés sur le ciel dont ils portaient la couleur. Après un certain temps dont elle n'avait aucune notion, elle rejoint la berge, lentement, les gouttes perlant sur sa peau nue qui montrait les signes de la chair de poule. Elle plissa soudain les yeux, se figeant en croyant reconnaître quelqu'un au loin. Sans doute une vision, un bug dans son cerveau terrassé par les drogues.

L’après-midi s’offre à Carlisle, c’est son moment de temps libre entre le coup de feu du midi et celui du soir. Il a du temps pour respirer et vaquer à ses occupations. Il prend toujours le temps d’aller dans un endroit calme de la ville pour pratiquer une de ses activités favorites : le yoga. C’est sa deuxième séance de la journée, la première est le matin, pour se réveiller et préparer la journée du bon pied. Il ne pratique pas beaucoup de sport, parfois de la course, en dehors du yoga. Certains diront que c’est un passe temps plus qu’un sport mais ses muscles sculptés prouvent le contraire. De longues séances de yoga journalières accompagnées d’un style de vie sain font de lui un homme sportif et en parfaite santé. Tapis sous le bras et lunettes de soleil sur le nez, il longe la rivière qui tantôt calme et tantôt tumultueuse lui apporte toujours un peu de changement dans cette routine. Comme souvent le soleil est de mise dans ce pays où l’été semble durer toute l’année. Il a connu ça toute sa vie, s’accommodant très bien des fortes chaleurs. Cependant il supporte beaucoup moins le froid qu’il a dû affronter durant ses études à Paris ou son tour du monde. Mais en été les températures descendent rarement en dessous des 25°C à Bowen. Même si aujourd’hui est une journée moins chaude que d’habitude, il fait tout de même une température bien agréable.
Alors qu’il s’apprête à poser son tapis au bord de l’eau sur une zone plane parfaite pour le yoga, il s’arrête. Elle est loin certes, il ne l’a pas vu depuis des années non plus pourtant il reconnaît ce visage, ce corps, ces cheveux. Carlisle était à des années lumières de penser qu’il pourrait retrouver Effy ici. Celle qu’il a abandonné il y a des années à Londres pour continuer son tour du monde en solitaire. Il s’en est toujours voulu, il n’a plus voulu vivre une quelconque histoire d’amour après celle-là. Il s’est promis de ne plus faire souffrir, sa vie a changé. Cela fait parti des deux événements marquants de sa vie avec son enlèvement. En un an à peine sa vie a radicalement changé et lui aussi. Que faire ? Il n’en sait trop rien, il ne peut l’ignorer, elle l’a vu aussi et il trouverait ça beaucoup trop méchant de faire comme s’il ne l’avait pas vu. Alors lentement il s’avance vers elle. « Hey ! » dit-il lorsqu’il arrive à sa hauteur. Il n’arrive pas à dire autre chose, il se passe une main dans les cheveux et retire ses lunettes pour occuper ses mains.

HJ:

Brutalement ramené en arrière, son esprit sortit de la douce torpeur dans laquelle il se prélassait, chassant les brumes qui l'habitaient continuellement pour visualiser des scènes remontant à plusieurs années. C'était bien Carlisle. Tout son corps s'était raidit tandis qu'elle se remémorait avec étonnamment de détails les dernières fois où ils s'étaient vus. Un sourire narquois étira ses lèvres en se faisant la réflexion que, déjà à cette époque, elle n'était pas dans un endroit très sain et lumineux, sa tête l'emmenant déjà dans tous les sens, jusqu'à ce qu'elle pète une durite. C'était peu après le départ du jeune homme, elle s'en souvenait. Elle ne lui en avait pas tellement voulu. Elle avait eu mal, c'était certain, mais comme toujours, elle avait gardé précieusement ses émotions pour elle, affichant un masque d'indifférence relativement convaincant. Seule une pointe de colère avait peut-être fait vaciller cette attitude, mais elle avait caché la moindre faille de sa dévastation. Au final, c'était sans doute mieux ainsi. Elle était si jeune à l'époque, et pourtant déjà bien enfoncée dans les ténèbres. Tout juste majeure, croisant la route de ce garçon plus vieux, plus mature, téméraire, respirant la liberté, traçant sa route sans attaches. C'était ce qui lui avait plu chez lui, et c'était pour cette raison qu'elle avait tenté de ne pas trop lui en vouloir quand il avait fini par partir.

Il sembla l'avoir reconnu aussi, et Effy conserva un visage impassible jusqu'à ce qu'il arrive à sa hauteur. Elle pouvait lire l'hésitation et l'inconfort sur son visage, mais ce n'était pas elle qui allait bouger un doigt pour changer ça. Surtout avec la salutation des plus banales qui avait franchi les lèvres du brun. "Hey." Dude, sérieusement. Ça faisait juste bien cinq fucking années qu'ils ne s'étaient plus vus, leur dernière rencontre n'ayant pas été des plus légères, et il se ramenait devant elle avec un simple "hey". La jolie brune le fixait intensément, gardant le silence sans doute quelques secondes de trop, puis décida qu'il était temps de remettre son top et son pantalon, histoire de ne pas rester en sous-vêtements et complètement trempée devant son ex-copain datant d'un million d'années. « Hey. » lâcha-t-elle enfin à son tour, circonspecte mais désinvolte dans son attitude. Elle ne savait pas très bien ce qu'elle ressentait en cet instant précis et cela devenait oppressant. Comme s'il était indispensable qu'elle démêle rapidement ces émotions et leur colle une étiquette bien définie. « J'vois que parcourir le monde a fini par te lasser. » ajouta-t-elle quelques secondes plus tard, brisant le silence à nouveau, en employant le même ton détaché. Pourquoi affichait-elle tant d'indifférence ? L'anglaise ne le faisait même pas exprès, et ce réflexe d'attitude défensive déclenchait en elle une certaine contrariété. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle ressentait depuis ces dernières minutes, mais certainement pas de l'indifférence. C'était juste ce que son cerveau voulait lui faire croire, en un geste protecteur de son subconscient.

Il aurait pu dire un millier, un million, un milliard d’autres choses. Des trucs du genre : hey, je savais pas que t’étais en ville effy ou l’eau est bonne aujourd’hui ? Ou encore lui balancer un monologue où il s’excuse de son comportement et de toute la peine qu’il a pu lui causer etc. Oui définitivement il aurait pu mieux faire qu’un pauvre hey de mec stressé qui ne sait pas comment réagir devant son ex-petite-amie suicidaire. Avant ils étaient peut-être similaire mais aujourd’hui il est à des années lumières de l’homme qu’il était quand il faisait son tour du monde. Il se foutait de tout et ne vivait que pour le moment présent, pour rencontrer du monde, s’amuser et découvrir d’autres cultures. Aujourd’hui c’est un homme posé qui médite, fait du yoga et refuse toute relation amoureuse ou même charnelle de peur de reproduire l’issue de la dernière, avec Effy.
Elle se rhabille même si elle est encore mouillé, il comprend qu’elle n’a pas envie de s’afficher comme ça devant lui. Elle répond à son hey par un autre hey. Les deux ne sachant pas trop quoi dire face à l’autre. Mais c’est à Carlisle de parler, d’aller en avant et d’affronter le passé. « On finit toujours par rentrer à la maison. » dit-il seulement alors qu’elle déclare qu’il a dû se lasser de faire le tour du monde. « Et toi t’as commencé le tien ? » Au final Bowen c’est chez lui, pas chez elle. Il sent que cette conversation à tourner autour du pot ne fera pas avancer les choses. Il prend une grande inspiration avant de déclarer. « J’suis désolé. Je sais que c’est con de dire ça parce que ça va pas changer les choses mais...j’m’en suis toujours voulu mais j’ai jamais pu t’le dire. J’étais con et j’me suis rendu compte de rien. » Il n’avait rien vu, peut-être parce qu’elle ne laissait rien voir. En tout cas lorsqu’il a reçu un message lui disant qu’elle avait fait une tentative de suicide il était déjà en Islande à poursuivre son tour du monde. Là-bas il est allé dans la plaine, vers le rivage et s’est assis, avec personne autour de lui. Il a pensé, beaucoup ce jour là et s’est promis plus jamais ça. Plus jamais il ne ferait souffrir quelqu’un. Plus jamais. Pour éviter ça il s’est donc promis de ne plus avoir de relation amoureuse et s’est concentré sur les amitiés et la famille.

Effy se contenta d'un sourire sarcastique, étirant le coin de ses lèvres, à la réponse du jeune homme. La situation était des plus cocasses, il fallait l'admettre. Elle avait connu Carlisle sur son terrain à elle, en Angleterre, lorsque lui menait une vie sans attaches à parcourir le monde à des kilomètres de son chez-lui. C'était sans doute une des facettes qui lui avait le plus plu, cette philosophie d'avancer sans se retourner, de vivre au jour le jour. Jusqu'à ce que leur histoire se termine. Elle était jeune à l'époque et avec le recul, elle avait vite pu voir que ce n'était qu'une relation légère, sincère mais pas sérieuse. Si en cet instant, elle avait envie de prolonger sadiquement l'inconfort de son interlocuteur, dans le fond, elle savait pertinemment qu'elle ne lui en voulait pas. Il n'avait rien fait de mal, à l'époque, et il n'était pas responsable de la suite des événements. Aujourd'hui, c'était elle qui se retrouvait sur le terrain de Carlisle, à l'autre bout de son chez-elle. Même si finalement, elle avait cessé de considérer Bristol comme une maison. Bowen, qu'elle avait tant dénigré au début, était devenu l'endroit vers lequel elle s'était tournée pour fuir son existence. La vie était vraiment une bonne blague. « J'me suis faite exiler ici, après avoir tenté de quitter ce monde. Faut croire que c'était pas une si mauvaise idée de la part de mes parents, vu que j'y suis revenue, au final. » répliqua la jeune femme avec un haussement d'épaules, laissant brièvement son regard traîner sur la rivière et ce qui l'entourait. Son premier passage à Bowen lui semblait lointain, pourtant elle y avait vécu deux ans. Elle aurait peut-être mieux fait d'y rester, plutôt que de rentrer au bercail, au vu de sa vie qui était partie en vrille. Mais c'était sûrement ça, son destin. Partir en vrille. Carlisle finit par changer de sujet pour aller au fond des choses et crever l'abcès. Effy planta son regard d'un bleu intense dans le sien, lui accordant toute son attention, le visage impassible. Après le court monologue du jeune homme, elle garda le silence quelques secondes sans changer d'expression, pinçant très légèrement les lèvres. Finalement, ses muscles se détendirent petit à petit et une minuscule étincelle pétillante prit place dans ses iris azur. « J'espère que tu t'es pas senti coupable toutes ces années, parce qu'il fallait pas. » À nouveau, elle avait employé un ton touché de sarcasme, sa spécialité, son sourire se tordant légèrement au coin des lèvres, comme si elle se moquait de lui. Ses traits s'adoucirent néanmoins. « C'était pas de ta faute. T'es pas à blâmer de quoi que ce soit. J'ai fait mes choix, qu'ils soient bons ou mauvais, y a que moi qui suis responsable. » souffla-t-elle avec toute la sincérité du monde. Elle n'allait tout de même pas le torturer pendant une heure et quelque part, une once de bienveillance en elle souhaitait qu'il ne se fustige pas avec cette histoire.

Effy lui expliqua qu’elle s’était retrouvée ici après les événements dont Carlile se sentait responsable. Elle était partie puis revenu. Ils ne s’étaient pas croisés en ville avant, pourtant ils ont bien dû être à Bowen en même temps. A croire que la ville n’est pas si petite que ça. Le fait qu’elle commence à parler de sa tentative de suicide, encouragea davantage Carlisle à vider son sac.
Il stressait mais il fallait bien qu’il dise quelque chose. Elle laissa un silence s’installer ce qui ne rassura pas le jeune homme. Finalement elle lui avoua qu’il n’avait pas à se sentir coupable pour ça. Il n’en était pas responsable, bien qu’il l’ait pensé toutes ses années. D’un côté il fut soulagé mais d’un autre il ne la croyait pas complètement. Peut-être qu’elle voulait seulement éviter qu’il se sente mal pour quelque chose arrivé il y a plusieurs années. Cette nouvelle a tellement eu un grand impact sur sa vie. Il ne se sentait plus de s’engager envers quelqu’un. Il avait tellement peur d’abandonner qui que ce soit qu’il a fini par ne plus s’attacher et ne plus avoir de vie amoureuse. Carlisle estime avoir suffisamment fait de mal aux gens durant sa jeunesse pour ne plus en faire maintenant. Un peu confus, il répondit « mais...je suis parti...alors je pensais que c’était à cause de moi. On ne m’a pas dit grand-chose sur ce qui c’était passé. » Il s’était tout imaginé, il avait à peine reçu un message sans détails. C’est vrai qu’il a peut-être été trop narcissique de penser que sous prétexte qu’il quittait quelqu’un, elle allait être si désespérée qu’elle aurait envie d’en finir. Il se reprit rapidement « Même si ce n’est pas à cause de moi, si j’avais été là, j’aurais pu l’empêcher, j’aurais dû. » Il s’en voulait de ne rien avoir vu pendant le temps où ils étaient ensemble, d’avoir été aveugle. Carlisle avait toujours pensé que s’il était confronté à la situation un jour, il verrait les signes car après tout ça ne devait pas être si invisible. Mais quand ça lui est arrivé il n’a rien vu, comme les autres. Il était loin quand il a su et il ne voulait pas y croire, pourtant tout a changé ce jour là. Effy n’allait pas lui enlever sa responsabilité comme ça, il lui faut plus qu’un « c’est pas ta faute » pour qu’il admette qu’il n’y est pour rien. Il peut se montrer très têtu quand il a une idée en tête. Et cette idée là il l’a depuis un bon moment déjà et elle dirige sa vie depuis un bon moment. Il doit remettre en questions tellement de choses.

Le mal-être de Carlisle vis-à-vis de ce qu'il s'était passé pour elle des années auparavant semblait avoir bien plus d'ampleur que ce que la jeune brunette aurait cru, au départ. Devant son regard embarrassé et même coupable, l'hésitation de sa voix et le lourd fardeau qui semblait peser dans ses mots, Effy ne saisissait qu'à l'instant que son choix à l'époque avait peut-être impacté plus profondément cet homme que ce qu'elle pensait. À vrai dire, à ce moment-là, quand elle avait tenté de s'ôter la vie, elle s'était persuadée que son geste n'avait affecté personne. Il avait bien fallu admettre que c'était un mensonge à elle-même pour minimiser son égoïsme. Mais si elle avait reconnu que cela avait retourné certaines personnes, celles-ci faisaient partie de son cercle très proche, qu'elle pouvait compter sur les doigts d'une main. Même sa bande de potes de Bristol, elle avait tout fait pour qu'ils aient à subir son comportement le moins possible. Alors jamais elle n'aurait cru que Carlisle prenne tant de responsabilités par rapport à son acte. Elle se sentait presque mal pour lui, à le regarder s'excuser avec son air de puppy dog. Et surtout, de se dire qu'il avait porté cette culpabilité depuis tout ce temps. « Qu'on se le dise, ça n'a pas aidé. Mais ça n'avait aucun rapport avec toi ni avec qui que ce soit. C'est juste... Moi. J'ai jamais été très saine d'esprit, c'est de notoriété publique. » répondit-elle avec détachement, y injectant une petite pointe d'humour cynique. Elle prenait un air léger, comme toujours. Mais ça ne voulait pas dire qu'elle s'en moquait, son cerveau carburait toujours dans ce genre de situations pour analyser tout ce que cette conversation et cette mise à plat signifiait. Pour les choses présentes et passées. « Dire que j't'ai laissé t'attribuer tout le mérite durant des années, si j'avais su, j'aurais mis les choses au clair plus tôt. » fit-elle à nouveau avec ironie, jouant sur l'humour pour tenter de relâcher un peu la tension qui semblait agiter l'esprit du brun. C'était malaisant, d'une part, mais les réactions d'Effy l'étaient toujours. Épineuses et à double-tranchant, le genre de réactions avec lesquelles on ne savait sur quel pied danser. Le tout agrémenté d'un regard pénétrant et d'un sourire indéchiffrable. « C'était y a longtemps, Carlisle, on n'était que des gamins. On peut pas revenir dessus. On n'en saura jamais rien, de si quelque chose ou quelqu'un aurait pu empêcher quoi que ce soit. Et au final, je suis toujours là, non ? » finit-elle par lâcher avec conviction, comme si elle ne voulait plus entendre aucune réplique à ce sujet. Elle chercha son paquet de clopes dans son sac, en tira une de ses doigts délicats et la coinça entre ses lèvres pour l'allumer, avant de remonter ses iris d'un bleu inimitable vers son ex-petit ami, soufflant la fumée sur le côté.

Elle tentait de le rassurer, lui assurant que ce n’est en aucun cas de sa faute. Carlisle a porté pendant des années le poids de cette culpabilité, cet événement a influencé une grande partie de ses actions, en particulier dans sa vie amoureuse. C’est assez simple, depuis qu’il a appris la tentative de suicide d’Effy il ne s’est engagé dans aucune relation par peur que cela se reproduise. Il a connu une ou deux aventures un soir d’égarement mais il s’en est voulu à chaque fois et a toujours suivi si la vie de sa conquête se passait bien et qu’il n’avait pas rendu une personne de plus malheureuse. Il lâcha un rire nerveux à la phrase suivante de la jeune femme avant qu’elle ne rajoute qu’il est impossible de savoir si les choses auraient pu se dérouler autrement. Après tout il aurait très bien pu la retrouver un jour chez elle, allongée par terre inconsciente et il s’en serait quand même voulu de ne rien avoir vu. Il imagine que c’est comme ça pour les gens qui ont vécu cette situation. Ils pensaient que tout allait bien et finalement un jour il découvre que la façade souriante qu’il voyait chaque jour n’était pas réelle. « C’est vrai. » résigna-t-il. De toute façon ils auraient chacun des arguments à se rétorquer donc ça ne servait pas à grand-chose de continuer dans cette voix. Tandis qu’elle sortit une cigarette, Carlisle s’assit par terre. « Tu fais quoi ici ? » demanda-t-il alors, revenant vers un sujet plus léger. Pourquoi se retrouvait-elle dans un coin aussi pommé que Bowen ? Pour se régénérer ? S’éloigner de la pluie anglaise ? Lui était revenu chez lui mais elle en était parti. La raison réelle l’intriguait un peu. Il avait changé durant les années qui avaient séparées leur dernière rencontre mais il ne savait pas ce qu’il en était d’elle. Allait-elle mieux ? Était-elle heureuse ? Peut-être qu’il aurait du garder le contact mais Carlisle n’est pas le genre de personne à faire ça. Il part et abandonne tout derrière lui sans un regard en arrière.

HJ:

Effy hocha la tête comme pour sceller ce débat d'un commun accord avec le jeune homme, tirant une autre bouffée de cigarette. Elle ne lui en voulait pas, elle n'en voulait à personne datant de cette époque. Elle avait profité de son adolescence comme personne, même si elle était quelqu'un d'un peu détraqué, d'un peu brisé, de malsain et dangereux, elle ne pouvait dire qu'elle n'avait pas eu de bons moments. Qu'elle n'avait pas fait des rencontres exceptionnelles. Peu importe la manière dont tout cela s'était terminé. C'était si loin qu'elle avait l'impression que c'était dans une autre vie. C'était dans le passé et rien ne servait de remuer tout ça. Tout comme Carlisle, l'anglaise avait une fâcheuse tendance à s'éloigner sans un regard en arrière, telle une ombre silencieuse et insaisissable, glissant sans bruit vers une autre vie. « Je prenais un bain. » sourit la belle brune avec humour en montrant ses vêtements encore mouillés d'un regard. Sous le soleil australien, ils ne mettraient que peu de temps à sécher. Mais Eff' savait bien que la question ne s'appliquait pas à l'immédiat, mais bien à la raison de sa présence à l'autre bout de son chez-elle. « Ça fait un moment que je vis à Bowen. Je suis rentrée un an en Angleterre, mais... C'est ici, chez moi, désormais. » expliqua-t-elle ensuite sur le ton de celle qui établissait simplement les faits. Il s'était déroulé énormément de choses dans sa vie depuis que Carlisle l'avait quittée. Encore une fois, cela semblait être des événements que quelqu'un d'autre avait vécu. Une part d'elle était morte après Bristol, elle n'existait plus, volatilisée. Pour laisser place à d'autres facettes d'Effy, bien moins glorieuses. « Et toi alors ? T'es rentré définitivement, ou t'es juste de passage ? »

Effy répondit d’abord à sa question en la prenant au pied de la lettre, ce qui étira un sourire sur les lèvres du jeune homme. Finalement elle répondit réellement à la question. Visiblement elle semblait d’être attachée à la ville et y était venue avant de repartir et revenir. Ils auraient pu se croiser à ce moment-là mais ils ont dû se louper et ce n’est que maintenant qu’ils se revoient. « C’est un temps qui inspire plus à la joie que Bristol. » dit-il en pensant au fameux cliché sur la vie en Grande-Bretagne qui veut qu’il y pleuve souvent. C’est vrai qu’il pleut mais il y a aussi des jours de beaux temps. Cependant rien comparé au soleil et à la chaleur de Bowen où l’on peut se baigner toute l’année. L’ambiance y est totalement différente. Elle le questionne ensuite à son tour. « Ça fait quelques années que j’suis revenu et j’ai pas vraiment envie de partir. Je viens d’ouvrir un resto d’ailleurs, si jamais tu veux passer, ça s’appelle l’autre monde. » Il en profite toujours pour placer un petit peu de pub. Son restaurant est encore tout récent et comme il n’a pas trop les moyens de faire une campagne de pub avec affiche et compagnie, il vit sur les bons avis des gens sur internet et sur le bouche à oreille. Cependant cette technique semble bien fonctionner car il a de plus en plus de monde et de réservation. Malgré tout il continue d’être stressé à l’idée que tout tombe à l’eau à un moment.

hj : pas de soucis

Sa vie à Bristol n’était plus qu’un lointain souvenir, mais ce n’était pas pour être plus heureuse qu’Effy était venue ici. Enfin, sans doute qu’en surface, si, c’était le but, mais il aurait fallu être stupide et aveugle pour ne pas voir que cela ne ramènerait pas la jeune fille sur les rails et qu’elle le savait déjà. Peu importe où elle se trouverait dans le monde, elle resterait cet ange noir aux ailes brisées, déménager n’améliorerait pas sa santé mentale, mais si c’était ce que ses parents avaient espéré quand ils l’avaient exilée à Bowen la première fois. Cette fois, c’était le choix d’Effy de revenir ici, de son plein gré. Parce qu’il n’y avait plus rien pour elle dans son pays natal. Mais finalement, y avait-il quelque chose de plus ici ? Non. Juste le fantôme de la culpabilité en moins, qui l’accompagnait partout quand elle était revenue dans la ville de son enfance et de son adolescence, invoqué par le regard inquiet de ses parents et de son entourage là-bas. Quitte à tomber plus bas que jamais, autant le faire quelque part où elle ne sentirait pas ce regard de pitié sur elle. Où elle pouvait continuer sa descente aux enfers tranquillement, sans que personne ne la regarde. Où elle pouvait envoyer chier le monde entier sans qu’on s’en soucie réellement, et sans qu’elle ne se sente coupable ensuite. « C’est pas trois rayons de soleil qui vont me rendre plus heureuse. Mais l’argument est valable. » répliqua la journaliste avec un haussement d’épaules. Son ton n’avait rien d’agressif ou de dénigrant, elle établissait simplement un fait : qu’aucun endroit ne ferait d’elle quelqu’un de normal. Elle ne faisait pas partie de ces filles qui allaient bronzer sur la plage en riant, heureuse rien qu’en faisant le plein de vitamine D, qui sautillaient dans la rue entre copines et se faisaient des séances shopping, qui étaient sérieuses au boulot et qui engageaient des interactions sociales dans les normes, sans être malaisantes, sans donner l’impression de venir un autre monde. Sans donner l’envie aux gens autour d’elle de crever, à force de la regarder. Eff’ était totalement consciente de cette fascination malsaine qu’elle exerçait sur les gens, sans vraiment le vouloir. Elle ne leur en voulait pas de se barrer en courant. Ils avaient bien raison. « Pourquoi pas. À condition que ce soit bon. » plaisanta la jeune femme avec un petit sourire en coin. Elle n’était pas une grande mangeuse, mais il fallait bien qu’elle se nourrisse de temps en temps, et ça ou un autre endroit, ça ne faisait pas de différence. Alors autant passer chez Carlisle, si ça pouvait aider et lui faire plaisir. « Je pourrais faire un article dessus, si tu veux. Je fais plutôt du journalisme d’investigation, mais ça me pose pas de problème d’écrire autre chose, si ça peut t’aider à te faire connaître. » proposa ensuite la journaliste avec un petit sourire, son visage pâle s’éclairant quelque peu.

Il retrouvait la Effy qu’il avait connu des années auparavant à Bristol. Elle avait peut-être un peu changé mais pas autant que lui. Carlisle avait passé les premières années de sa jeunesse à jouer avec les gens sans un regard en arrière. Quand il partait d’un endroit il perdait de vue tout le monde mais ça ne le dérangeait pas. Au final il n’a pas beaucoup d’amis de longues dates car il ne leur a plus parlé quand il est parti faire ses études en France. A ce moment là, ça ne le dérangeait pas, il n’imaginait pas toutes les conséquences que pouvaient avoir ses actes. Ce n’est qu’en revenant à Bowen pour de bon, après son tour du monde, qu’il a vraiment réalisé tout ce qu’il avait fait et à quel point il pouvait être un connard. Alors il a décidé de changer, de devenir une personne meilleure et plus équilibrée. « Oui le beau temps ne fait pas tout c’est sur. » dit-il en pensant à lui à son retour de la Colombie. Ce n’est pas le soleil de Bowen qui l’a remis sur pied. C’est le temps, sa famille et les quelques amis qu’il avait encore. Il n’a pas réussi si facilement à effacer ce traumatisme et même encore maintenant il lui arrive de se réveiller en pleine nuit à cause d’un cauchemar lui rappelant sa captivité. Le jeune cuisinier parla ensuite de son restaurant. Il ne manquait pas une occasion de l’évoquer, il voulait ramener du monde. Même s’il est plutôt petit et à présent pas mal plein à chaque service, il a envie d’être connu par de plus en plus de monde. Il y met tellement tout son cœur qu’il a envie que les choses marchent. Il aurait pu mal prendre la remarque d’Effy mais son sourire fit en naître un sur les lèvres du jeune homme également. « Tu peux toujours aller voir sur internet, les gens ont l’air plutôt satisfaits. » Même s’il y en a toujours pour tout critiquer. Carlisle s’y attache beaucoup, c’est son côté perfectionniste. Il veut que tout soit parfait et passe des heures par jour à essayer d’améliorer son offre, à créer de nouvelles recettes et à innover tout en gardant le concept original. La jeune femme lui proposa de faire un article, ce qui rendit très enthousiaste le jeune cuisinier. « Ça serait top ! Mais je veux que de la bonne pub. » dit-il avec un sourire. « Mais dans tous les cas tu ne seras pas déçue. » dit-il sûr de lui. Il plaçait la barre sans doute un peu haut mais il a confiance en ces compétences.

Après ces paroles, Carlisle sembla se perdre un instant dans ses pensées, des souvenirs même, après déduction logique. Effy l'observa avec attention, pour la première fois, décelant quelque chose en lui qui lui avait échappé avant. Comme quelque chose de brisé, quelque part, même si elle était incapable de déterminer quoi. Car ça n'avait rien à voir avec le malaise qui semblait lui avoir pesé pendant des années par rapport à sa tentative de suicide. Son regard azur vrillé sur le brun, elle tentait de lire au plus profond de ses traits, pour trouver ce qui semblait le titiller. Il y avait quelque chose, mais elle n'aurait pu déterminer quoi et déjà, le jeune homme changeait de sujet. « Je ferai mes recherches. » répondit Effy avec un sourire, comme une promesse, acquiesçant avec un air malicieux. Quelle journaliste ferait-elle si elle ne constituait pas d'abord un petit dossier avec tout ce qu'elle pouvait dénicher sur un sujet particulier. Elle comptait bien aller faire sa petite investigation d'elle-même sur le restaurant de Carlisle avant d'y passer, mais elle ne doutait pas de sa parole. C'était simplement une vérification, une façon de faire ses devoirs. « Si c'est le chef qui me sert lui-même, il y a des chances que ma critique soit bonne. Mais prépare-toi, je suis très observatrice et pointilleuse. » répondit la jeune femme avec bonne humeur, un éclat amusé embrasant son regard quelques secondes, rendant à ses iris cette intensité qu'on lui connaissait bien mais qu'on ne voyait plus que trop peu. Elle avait été surprise de tomber sur son ex, après autant d'années, et n'était pas préparée à la discussion qui s'en était suivi, mais finalement, cette rencontre inopinée la mettait plutôt de bonne humeur, éloignant sa noirceur habituelle. Elle ne s'était pas vue renouer avec Carlisle un jour, mais l'ambiance s'était détendue et elle ne ressentait pas l'envie de s'échapper à tout prix de cet échange. Ce qui était un bon point, connaissant Effy. « J'en suis certaine. » acquiesça-t-elle, avant de terminer sa cigarette. « J'allais rentrer chez moi, mais si c'est pas trop loin, tu peux me montrer où c'est, peut-être ? » reprit la brunette. Elle n'avait pas perdu de vue le rail de coke qui l'attendait à la maison, et que son corps appelait de plus en plus. Elle pouvait bien sûr tenir encore, elle n'allait pas commencer à trembler de partout et hurler pour sa dose. Mais l'idée de rentrer dans son appartement sombre, dans son enfer personnel, ne lui était pas déplaisant, après cette journée.

S’il ne connaissait pas Effy dans son travail de journaliste, il lui faisait confiance pour bien le faire. Il espérait juste qu’il n’aille pas déterrer d’obscurs dossiers dont même lui n’avait pas connaissance. Avec ce genre de choses on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise et de se retrouver avec une mauvaise pub sans savoir d’où elle sort. C’est ce qui lui arrive parfois quand il lit les critiques qu’on lui laisse sur internet, la plus plupart sont bonnes mais comme partout, il y a des gens qui n’apprécient pas son restaurant. Des fois il ne comprend pas le ressentit des gens et n’a pas l’impression qu’ils soient allés dans le bon tant Carlisle trouve que ça n’a rien à voir avec l’expérience qu’il propose. Effy le mit en garde, lui disant qu’elle est du genre pointilleuse. Cela tombe bien, c’est le cas du cuisinier. Il a un côté maniaque et très organisé. Sa cuisine est toujours impeccable et parfaitement rangée. Ses assiettes sont faites avec minutie et recèle de petits détails qu’il aime ajouter, parfois changeant d’une assiette à l’autre, la rendant unique. Il aime tellement son travail qu’il y passe bien plus de temps qu’il ne devrait. Cherchant toujours des idées, expérimentant sans cesse, toujours à la recherche de nouveaux ingrédients et de nouvelle alliances. « Je peux m’arranger pour que tu ais un service personnel. » Ce n’est pas rare qu’il serve lui même certains clients, dans les périodes plus creuses ou alors car il s’agit de ses amis et qu’il en profite pour les saluer. Elle lui demanda ensuite si elle pouvait voir le restaurant. « C’est seulement à quelques minutes. » dit-il en attrapant ses affaires. Pour se mettre en marche. C’est alors qu’une idée, qu’il jugea brillante, lui traversa l’esprit. « Si tu veux je peux même garder le restaurant juste pour toi et te montrer comment je crée les plats. Ça changerait un peu des critiques qu’on a l’habitude de voir. » Le processus créatif est très important dans la cuisine du jeune homme puisqu’il change très régulièrement ses plats et qu’il aime tester de nouvelles choses.

Effy était quelqu'un de particulièrement observateur, ce talent était comme un sixième sens chez elle et lui était bien utile dans son métier de journaliste d'investigation. C'était la raison pour laquelle elle avait choisi cette voie, lorsqu'elle avait commencé ses études. Particulièrement douée pour déceler ce que personne ne voyait, mais aussi discrète et manipulatrice sur les bords, le journalisme d'investigation lui allait comme un gant. Ce n'était en aucun cas pour causer du tort aux gens, elle restait impartiale. Mais elle avait tout de même un petit goût pour la justice, et exposer au grand jours les dessous peu glorieux d'une organisation à l'apparence parfaite lui apportait une certaine satisfaction. Seulement quand elle estimait que c'était mérité, cela dit. Jamais elle n'aurait fait un coup en douce à Carlisle, elle comptait certes vérifier le background, pour appuyer ce qu'elle pourrait dire, mais elle n'avait absolument pas l'intention d'essayer de déterrer une histoire sordide ou quelque chose qui pourrait lui causer du tort. « Dans ce cas, je te suis. » répondit la brune avec un petit sourire en coin, sourire qui gagna ses iris azur en toute délicatesse. Ils n'avaient fait que quelques pas lorsque le jeune homme proposa de lui montrer lui-même comment il créait ses plats. Effy tergiversa quelques secondes, jetant un coup d’œil à l'heure qu'affichait son portable. Mais l'idée était effectivement très bonne et il aurait été bête de ne pas saisir l'occasion. Même si elle avait envie de s'enfermer chez elle pour s'adonner à quelques activités moins légales et sombrer en toute tranquillité dans ses vieux travers, la jeune fille devait admettre que l'activité proposée par Carlisle était alléchante, et surtout plus saine. Ça lui occuperait l'esprit tiens, et serait un tantinet plus productif que ce qu'elle avait prévu pour la soirée. « C'est une super idée. Faisons comme ça. » répondit Eff' avec un peu plus d'entrain que ce qu'on avait l'habitude d'observer chez elle, emboîtant le pas à Carlisle. Tout malaise dissipé depuis les premiers mots échangés après tant d'années, ils se rendirent tous deux au restaurant, côte à côte.

[ End. ]