Third time's a charme

L'éléphant dans un magasin de porcelaine
Sam avait déjà fait des speed-dating par le passé, quand il était plus jeune, à une époque c’était la grande mode, surtout en cette période de saint-Valentin. Bon, c’était quelques jours plus tôt, mais une soirée était organisée ici, dans cette petite ville de Bowen, dans un bar qui venait probablement d’ouvrir et qui se faisait sa pub à sa façon. Soit, pourquoi pas, c’était l’occasion de rencontrer un peu de monde alors qu’il ne connaissait personne, pourquoi pas de sympathiser avec l’un de ses congénères mâles ou même avec une ou deux filles qui ne prendaient pas l’expérience trop au sérieux. Et puis, qui sait, il pourrait repartir avec une demoiselle sous le bras à la fin, on pouvait être optimiste, bien qu’il ne venait clairement pas pour ça. Ca commençait à faire quelque mois qu’il était arrivé ici, son frère ne donnait pas signe de vie, Olivia avait dû repartir à Londres et même si elle avait promis de revenir, Sam avait dans l’esprit qu’elle avait choisi la première excuse pour quitter le navire sans lui. En fin de compte il se retrouvait seul, tout ce qu’il redoutait et il commençait à tourner en rond. Alors perdu pour perdu, autant jouer un peu. Les premiers échanges furent parfois timides, parfois agréables, parfois franchement chiants, le britannique était mitigé sur le déroulement de cette soirée. Lui il était relativement cash, comme toujours, il ne se cachait pas derrière des compliments déguisés juste pour plaire à la fille qu’il avait en face de lui, souvenez-vous, il n’était pas ici pour chercher l’amour mais plutôt pour s’amuser. La prochaine face à laquelle il s’assit avait l’air très jeune, sur son étiquette il était écrit Maddie. Bonsoir Maddie. A sa mine renfrognée il se doutait qu’il allait passer les cinq prochaines minutes à ramer, joie ! J’le dirais pas comme ça, ce serait sûrement moins subtile. Il la détailla sans s’en cacher. De toute façon t’en fais pas, ça ne risque pas d’arriver. Sous entendu qu’elle ne lui plaisait pas physiquement, c’était plus ou moins vrai, elle était jolie sous ses airs de petite fille sage, mais il avait surtout dit ça histoire d’être tout aussi désagréable qu’elle, au moins ils étaient à égalité. Elle finit par s’excuser, sa raison était assez logique en fait, sûrement qu’elle s’était faite aborder par des hommes un peu trop entreprenants, totalement le profil de la plupart de ses semblables ce soir. T’es plutôt jolie, en vrai, en fait t’es surtout bien trop jeune. Mais bon, j’ai eu le droit à une cougar qui voulait pécho du jeunot alors à choisir… Moi aussi j’ai eu quelques perles ce soir. T’es là pourquoi ? Il semblait comprendre qu’elle n’était pas ravie d’être là, au delà de sa mauvaise expérience avec ses précédents rendez-vous.

Ce genre de soirée pouvait être drôle, si les participants jouaient tous le jeu au moins un minimum. Et visiblement, la jeune femme face à Samuel, Maddie, ne semblait pas forcément enclin à participer de bonne grâce. Leur premier échange fut plus que froid, un peu moqueur même, de la part du blond alors qu’il s’installait à la table. Si elle pensait être directe, elle ne connaissait pas le garçon, il n’y allait pas non plus par quatre chemins, s’amusant même dans la provocation juste pour la bousculer un peu. Oh, tiens ! Elle jouait à présent sa mijaurée qui ne comprenait pas l’allusion, c’était pourtant clair, oui, il venait de lui dire qu’elle ne lui plaisait pas, même si c’était un peu fort. Mais comme elle s’excusa la première, il se calma à son tour, s’appuyant contre sa chaise, comme s’il était l’homme le plus à l’aise dans cette salle, Pohl fit même un compliment à Maddie, comme quoi, ce n’était pas un si mauvais gars. Il l’écouta alors lui raconter ce qu’elle faisait ici, le plan classique de la bonne copine qui avait suivi son amie un peu plus entreprenante, même s'il ne la connaissait pas, il trouvait que ce rôle là lui allait bien. Je trouve ça plutôt drôle. Et c’est qui ta copine ? J’lui ai peut-être parlé ! Il scruta rapidement la salle à la recherche d’une autre participante aussi jeune que Maddie, mais il y en avait plusieur et en vrai il s’en moquait bien. La suite de son histoire fit ouvrir de grands yeux surpris au britannique, pourtant il lui en fallait pas mal pour être choqué mais là elle y allait fort la gamine. Oh je vois ! Tu sais que ce genre de soirée c’est pas genre entretien d’embauche, on ne cherche pas la personne la plus “éduquée” qu’il soit. Juste quelqu’un avec qui passer un bon moment à discuter. Enfin j’vois que ça te passe bien au dessus. Il ne se considérait pas comme un intellectuel, loin de là, pourtant Samuel avait une éducation et beaucoup de culture, néanmoins il ne comptait pas en faire étalage ce soir et tant pis s’il passait pour un rustre ou un crétin, c’était toujours mieux que Maddie qui passait pour une bêcheuse de première.

Ah oui ! Il l’avait remarqué, la petite rousse pétillante qui riait avec tous ses partenaires comme s’ils étaient tous aussi intéressants les uns que les autres, lui n’avait pas encore eu cette chance de s’assoir à sa table. Et en même temps, passer quelques minutes avec elle, qu’est ce que ça lui apporterait ? Passer un moment à flatter son égo parce qu’il se trouverait drôle à la faire rire alors qu’en vérité elle se forçait peut-être simplement pour finir dans les bras d’un homme cette nuit, peu importe lequel.... bof, ça n’avait rien de plus séduisant que ça. Alors qu’en face de lui il y avait cette Maddie, un peu revêche, un peu contrariée et donc mille fois plus intéressante qu’une fille facile à séduire. Il sembla alors contrarié, alors qu’elle tentait de se justifier. Merde… et dire que je comptais te citer Platon et Kant, pour t’impressionner, j’suis cuit là. A présent elle se sentait stupide, jugée et intérieurement ça faisait bien rire Samuel, cette gamine qui semblait tout savoir, qui semblait si facilement juger les autres, elle se prenait le revers de bâton. Pour autant le grand blond n’était pas si mauvais et, il l’avait dit, il comptait passer une bonne soirée alors il n’avait aucune envie de l’accabler. Oh non, j’imagine ! Dernière pointe d’ironie avant de lui sourire avec enfin un peu de douceur. Franchement, t’es peut-être la personne la plus intéressante sur les trois qu’il m’ait été donné de rencontrer. C’est pour dire… Il s’installa un peu plus sur le rebord de sa chaise, posant ses mains sur la table, prêt à écouter la jeune femme. Peut-être qu'elle allait enfin arrêter de le vouvoyer, histoire qu'il ne passe plus pour un vieux beau face à la gamine qu'elle était. Alors Maddie, puisqu’on est là, parle-moi de toi. Qui es-tu ? Au delà de vraiment chercher à s’intéresser à elle en profondeur, Samuel était toujours intéressé par les autres en général, leur histoire leur vie, il aimait leur inventer mille vies mais avant tout, il aimait les écouter quand l’occasion lui était donnée.

Enfin elle souriait, enfin elle se détendait un peu, visiblement prête à passer un moment plus agréable avec Samuel. Il était temps, parce que le chrono tournait et que bientôt sonnerait l’heure de changer de partenaire. C’était rapide, quelques minutes pour tenter d’apprendre à se connaître, suffisamment pour donner envie à l’autre de vous revoir si le courant passait bien. Ca pouvait aussi sembler très long, quand il n’y avait aucun feeling entre les deux, ça faisait parti du jeu ! Très clairement, Sam n’était pas d’humeur à parler philo avec une inconnue et même s’il serait sûrement capable de se défendre sur le sujet, surtout parce qu’il avait assez de bagou pour toujours s’en sortir que par ses réelles connaissances dans ces deux monuments du genre, enfin là n’était pas la question, on allait laissé Kant et Platon à leur place. Maddie avait l’air de se détendre un peu, elle réalisait qu’il ne fallait pas mettre tous les hommes dans le même panier, c’était déjà ça de gagner. Non pas que Pohl soit du genre à défendre la cause de ses paires, chacun son problème, il avait tendance à la jouer perso, mais lui n’avait pas envie d’être mis dans le même sac que les autres. T’as peut-être raison, ce doit être le genre de soirée qui attire les boulets. Bon on en fait parti toi et moi donc. Il but une gorgée du verre qu’il traînait de table en table avant de s’intéresser un peu plus sérieusement à la jeune femme. Elle avait raison, c’était une question vaste et pour être honnête, il n’avait aucune envie de connaître son cv, il avait envie de savoir autre chose, n’importe quoi, mais quelque chose de différent. Et comme si Maddie lisait dans ses pensées, elle se mit à parler du piano, c’était une belle façon de se présenter. C’était une artiste, il n’en fut pas vraiment surpris. Tu en fais ton métier ou c’est juste une passion ? Depuis l’âge de neuf ans ça commence à faire une bonne expérience. Commencer une discussion normale après ce qu’ils s’étaient balancé ne dérangeait pas du tout Samuel, il était du genre rentre-dedans, assez explosif mais il savait très vite rebondir et ne pas rester sur une mauvaise impression, c’était certes déroutant mais il avançait bien de cette façon. Moi, non, on m’a imposé des cours de solfège et de toucher un peu de piano quand j’étais gamin, j’ai détesté. C’est très beau quand les autres jouent, je sais apprécier. Mais mon truc à moi c’est les livres. Il n’avait pas forcément envie de dire qu’il était écrivain, il ne le criait pas sur les toits, mais il s’avérait que sa passion c’était aussi son gagne pain, il avait cette chance là, bien qu’en ce moment ce soit plus une malédiction qu’autre chose, merci le syndrome de la page blanche.

Bah voyons, elle ne parlait pas de lui, est-ce qu’elle cherchait vraiment à le convaincre ? Heureusement que Sam était de bonne constitution parce qu’avec une fille pareille il aurait être piqué et se vexer plus vite que ça. Mais en vérité l’attitude de Maddie l’amusait, il se foutait bien de ce qu’elle pensait de lui, il ne comptait pas forcément s’en faire une amie et encore moins finir la soirée avec elle alors pourquoi pas, si elle le prenait pour un boulet, lui comme tous les autre Même si, pour sa petite fierté personnelle, il ne se mettait pas dans le même panier que tous les hommes de cette soirée, ceux qui, aveuglément, cherchaient peut-être la femme de leur vie dans ce speed-dating pathétique. Les choses finirent par se tasser un peu et ils purent reprendre une conversation un peu plus normale. En écoutant Maddie parler de sa passion pour le piano, Samuel se surpris à être curieux de l’entendre jouer. Il se rappelait des heures passées dans la salle de musique, d’Olivia qui avait cette aisance naturelle avec les mélodies et de son manque de talent à lui, lui qui n’aimait pas ça. Ouais, ça peut dégouter, totalement. Cette référence là n'avait rien à voir avec ses années de solfège, elle faisait écho en lui d’une toute autre façon, lorsqu’il visualisait son écran d’ordinateur désespérément blanc, cela faisait des mois qu’il n’arrivait pas à le noircir, que rien ne sortait de sa tête, aucune histoire, pas même une bribe. Et ses éditeurs qui le pressaient comme un citron pour qu’il écrive quelque chose, n’importe quoi, quitte à le dégoûter de la seule choses qu’il ait toujours aimé. Je lis, j’ai beaucoup lu étant gamin, tout ce qui me passait dans les mains, des romans, des bds, de la poésie, n’importe quoi. Il avait cette soif de lire que rien n’étanchait jamais. Et j’écris, un peu. Il lui sourit, bienveillant, pour une fois. Oui, c’est la porte ouverte à toute sorte d’imaginaire, c’est… infini.

En arrivant ce soir, Samuel ne savait pas bien à quoi il s'attendait dans ce genre de soirée, il n'avait pas de but précis, pas forcément dans l'idée de repartir avec une fille pour la nuit et surtout pas celle d'avoir un coup de foudre pour quiconque. En fait il ne se prenait pas la tête, il n'avait jamais de plan et c'était souvent ce qui lui réussissait. Bon, pour cette soirée ce n'était pas vraiment gagné, ses premières rencontres avaient été des échecs cuisants et la troisième avait vraiment mal commencé. Mais au fur et à mesure de la conversation le ton s'apaisait et ils finissaient par trouver un terrain d'entente dans leurs passions, certes différentes, mais leur vision sensiblement semblables. Finalement Maddie n'était peut-être pas qu'une pimbêche qui jugeait sans savoir, ce qu'elle avait montré à l'écrivain en premier lieu n'était sûrement qu'un mécanisme de défense pour se protéger. Sauf qu'elle n'avait aucune raison de se protéger de lui, il n'allait pas la bouffer. Oui, probablement un peu. Mais ce n'est pas intéressant, je t'assure. En vrai Sam trouvait ça simplement chiant de parler de choses négatives tels que ses problèmes de panne d'écriture. Samuel rit très franchement à la réflexion de la jeune femme, en effet, ce n'était pas commun pour un homme de leur génération d'avouer qu'il aimait l'écriture, surtout un homme comme lui qui avait plus le physique d'un sportif plutôt que celui d'un homme de lettre. Si tu veux une confidence, j'étais plutôt le genre de gamin à ne pas avoir de copains, alors ça ne posait pas vraiment de problèmes à mes amis imaginaires ! Ok, donc là il passait carrément pour un grand malade. Il tenta alors de se rattraper un peu histoire qu'elle ne prenne pas ses jambes à sou cou tout de suite. J'ai grandit sur une petite île, ma mère était au service d'une famille noble et elle nous faisait l'école à la maison, à Olivia, leur enfant, et à moi. Mon monde tournait autour de cette maison, de cette gamine et de la plage, en gros. Les livres, la poésie, c'était mon moyen à moi de ne pas me sentir trop seul. Il ne savait pas bien pourquoi il confiait tout ça à cette parfaite inconnue, mais il n'était pas vraiment secret sur sa vie et son côté bavard l'amenait à parler sans grande retenue de cette enfance qui pouvait paraître solitaire et triste, pourtant il n'avait jamais été malheureux. J'écris des fictions, des romans. J'en ai publié deux. C'était un fait, Sam ne cherchait pas à impressionner Maddie, de toute façon il n'était pas très connu ici alors il ne risquait pas d'avoir la grosse tête. Et puis il était fier de ses bouquins, du succès qu'ils avaient eu, on ne pouvait pas le lui enlever. Alors toi, si tu aimes tant la musique, tu dois avoir une âme d'artiste. Fais-moi rêver, qu'est ce que tu fais dans la vie ? Il voulait l'imaginer dans un métier artistique, n'importe quoi, il la voyait douée de ses dix doigts, ou peut-être travailler avec des enfants ou des animaux tiens, quelque chose dont elle aurait rêvé depuis toute petite, comme une vocation. Qu'est ce qui m'a trahi ? Mon charme fou, différent de celui des australiens ? Mon accent sexy ? Il haussa un sourcil avant de partir dans un éclat de rire, preuve qu'il se moquait de lui-même. J'ai grandit en Angleterre. Et toi ?

Au moins elle rit à sa référence aux amis imaginaires, elle ne prend pas peur. Avec ce qu'elle lui avait dit en arrivant, concernant les deux tordus qui avaient précédé Samuel, Maddie aurait très bien pu le mettre dans le même sac au final. Enfin ce sont des amis imaginaires totalement pacifistes ! Je n'ai encore jamais entendu de voix et je pense que j'ai toujours été plus ou moins capable de savoir qu'ils n'étaient pas réels. Il passa la main dans sa barbe en réfléchissant à ses paroles, ouais, il n'était pas fou quoi ! C'était peut-être un gamin solitaire mais il restait un gamin comme les autres. Étrangement je n'ai que de bons souvenirs de cette enfance. J'étais bien sur mon bout de plage, avec mes bouquins et Liv, ou avec ma mère. J'aurais sûrement apprécié d'avoir un ou deux amis en plus, mais ce n'était pas si mal. Il n'en voulait pas à sa mère d'avoir fuit leur pays et son mari, ni de l'avoir forcé à vivre cette vie loin de tout. Elle avait fait ce choix pour elle, pour eux, pour qu'ils puissent avoir une chance. Et quand il voyait quel homme il était devenu il se disait que s'aurait pu être pire au final. Ca parle de meurtres, d'enquêtes. Ca parle d'un gars qui a soif de vérité et de justice. Ce sont souvent des histoires noires, des policiers. Y a du suspens, de l'aventure. C'est pas mal, je te les conseille ! Il rit en la regardant. Elle devait le prendre au second degré, tout le monde n'aimait pas son style, qu'on pouvait comparer à celui d'un Denis Lehane, sans qu'il ait la prétention d'avoir son talent pour le suspens ni sa plume. Mais il se défendait, du moins selon la critique. Tu lis un peu ? En effet, son métier ne faisait pas rêver, lui qui la voyait artiste, peut-être fleuriste ou quelque chose comme ça, il avait mal visé. Pourtant l'essentiel était bien qu'elle se plaise dans son job, pour le reste elle avait son temps libre pour laisser libre court à son imagination. Moi j'en dis qu'on a toujours besoin d'être en bon terme avec les banquiers, on ne sait jamais ! Vous êtes des gens de pouvoir mine de rien ! Bah ouais, ils géraient l'argent des autres. Bon, visiblement son charme anglais ne faisait pas grand effet sur la jeune femme qui le prit presque d'un air détaché lorsqu'il essayait de se vendre de la pire des façons. Tant pis, il ne pouvait pas plaire à toute le monde et puis lui avait bien commencé par lui dire qu'elle n'était pas son genre alors un point partout. En même temps si tu as toute ta famille, tes amis ici, c'est une bonne raison pour rester. Elle lui posa sa prochaine question mais en même temps la cloche retentit, signe que Sam devait changer de table. Le suspens est à son comble... Je t'ai dis, je le maîtrise comme personne ! Il lui sourit de toutes ses dents alors qu'il se levait déjà. Sauf si tu veux filer avec moi, je pense qu'on ne manquera à personne ! J'te paye un verre plus loin pour qu'on continue à discuter ? A moins que t'ais envie de rencontrer ce type qui arrive droit sur nous. Il le désigna du menton, le vrai beau gosse dans toute sa splendeur avec dents blanches, cheveux ultra coiffés et t-shirt moulant qui dessinait sa musculature. C'est sûr que je ne fais pas le poids face à monsieur muscle ! De toute façon, avec ou sans Maddie, Pohl comptait bien quitter la salle.