family matters

Lena n'avait pas revu son père depuis leur fameuse rencontre à la boutique de surf, préférant se laisser un peu de temps pour mesurer les choses qu'il s'étaient dites. La carte qu'il lui avait donnée, elle l'avait gardée et plusieurs fois elle l'avait sorti de son sac, prête à taper le numéro de téléphone pour l'appeler, mais elle s'était à chaque fois ravisée. Dans l'idéal, elle aurait voulu en parler à sa mère avant de le revoir car elle détestait cacher des choses. La relation entre l'adolescente et sa mère était toujours très tendue et c'est pour cette raison qu'elle n'avait pas réussi à aborder le sujet avec elle. Elle n'avait pas non plus revu Violet, la seule personne apte à lui donner des conseils puisqu'elle la connaissait par cœur et elle savait tout de sa vie. Mais Lena avait jugé déplacé de demander l'avis de son amie à propos de ça, étant donné les circonstances assez compliquées. Elle se doutait que Violet avait parlé à Terrence et qu'il était au courant qu'elles se connaissaient, mais elle ignorait encore comment avait réagi la surfeuse lorsqu'elle avait eu la confirmation qu'elle était bel et bien la belle-mère (ou presque) de Lena. La rencontre avec son père et les explications qu'il lui avait données avaient un peu chamboulé ses émotions et la blonde ne savait pas vraiment quoi en penser, même si elle était évidemment contente d'avoir eu des réponses à ses questions. Lorsqu'elle avait finalement eu le courage d'appeler son père pour lui proposer de se voir, elle était soulagée mais aussi pleine de doutes. Est-ce qu'ils avaient réellement quelque chose à construire ensemble après dix-huit ans ? Elle ne connaissait pas la réponse mais elle voulait essayer. Il lui avait dit qu'il était prêt à lui faire une place dans sa vie et elle, elle lui avait gardé sa place bien au chaud pendant toutes ces années.
La jeune fille attendait son père non sans une certaine appréhension, assise à une des tables du bar de la plage. Elle s'était dit que c'était l'endroit idéal pour pouvoir discuter tranquillement, le soleil était au rendez-vous et Lena et son père aimaient tous les deux la plage. Elle commanda un jus de fruits et attendit l'arrivée de l'homme, les yeux plongés dans son téléphone.

Il n’avait pas voulu y penser mais depuis leur rencontre sur la plage, Terrence avait attendu de recevoir un appel de sa fille. Lui qui vivait dans l’attente depuis des années, dans l’espoir fou qu’un jour elle frappe à sa porte avec son visage encore rond d’innocence et de douceur. Il ne paraissait pas comme ça, mais cet homme était tendre et sentimental, dans son genre, sans jamais vouloir le montrer. Pourtant il avait eu raison d’espérer, d’être patient, parce qu’elle l’avait fait, elle avait poussé la porte de sa boutique et ce fut d’une voix timide qu’elle avait osé poser la question qui lui brûlait les lèvres. Alors Kelly aurait pu la prendre dans ses bras, l’étouffer de tout cet amour qu’il gardait en stock, pour elle, depuis sa naissance, mais il était resté lui-même, il avait économisé ses mots et ses gestes, parce qu’il n’était pas du genre expressif. Mais elle avait sûrement compris combien il était heureux de ce pas qu’elle avait osé faire alors que lui en était incapable, comme il était fier d’avoir une fille avec assez de courage pour se présenter face à lui sans flancher. Le problème c’est qu’elle n’était pas venue avec une seule question, elle en avait tout un tas dont certaines qui remuaient le passé tumultueux de ce père qui était loin d’être un exemple. Il avait fait bien des choses dans sa vie, Terrence, dont la plupart n’était pas reluisantes, beaucoup d’erreurs et de mauvais choix qu’il devait assumer encore aujourd’hui. Il en avait fait part à Lena, parce qu’elle avait le droit de savoir, si elle voulait connaître celui qui était son père autant être honnête dès le départ. Mais avec ces révélations il avait pris le risque de la perdre aussi vite qu’elle était arrivée dans sa vie. C’est pourquoi, lorsqu’ils s’étaient séparés, il lui avait laissé sa carte en lui offrant la possibilité de l’appeler si elle le voulait, quand elle le voudrait. Rien ne pressait, il ne lui mettait pas la pression, elle avait tout son temps pour accepter cet homme et ses nombreux bagages. Plus les jours passaient et plus il avait perdu espoir qu’elle l’appelle, il s’était résigné au fait d’être de ceux qui n’ont aucune attache, qui sont faits pour tout perdre puisqu’ils n’avaient rien fait pour mériter du beau dans leur vie. Et comme un malheur n’arrivait jamais seul il y avait eu l’effraction dans la boutique de Violet et puis sa rupture avec cette dernière histoire de bien enfoncer le clou. Cinq ans après sa sortie de prison, alors que tout semblait enfin vouloir lui sourire, l’ancien militaire avait à nouveau tout perdu. Il était au fond du trou lorsqu’il avait reçu l’appelle de sa fille. Déstabilisé, il avait été incapable de refuser son invitation quand elle lui avait proposé qu’il la rejoigne au bar de la plage pour discuter. Elle avait une voix joyeuse, Lena, il la voyait presque sourire timidement à l’autre bout de la ligne, s’aurait été une déception de plus de sa part s’il avait décliné l’invitation et il n’en pouvait plus de décevoir son monde. Alors il s’était habillé correctement, il avait taillé sa barbe qu’il laissait en friche depuis des jours et il avait tenté de mettre un sourire sur son visage pour cacher sa mine de déterré, elle n’avait pas à savoir qu’il n’allait pas bien. Un peu en retard sur l’heure convenue, il trouva finalement sa fille déjà attablée face au bord de mer, elle semblait contempler les vagues et il se reconnut dans ce genre de rêverie, ils avaient cette passion commune, la mer. Et un sourire attendrit étira le coin de sa lèvre sans qu’il ait à se forcer. Finalement cette rencontre était une bonne idée, elle allait lui redonner un peu d’entrain, il avait besoin de sa fille, autant qu’elle avait besoin de lui. Salut ! Il s’approcha d’elle et s’installa pour lui faire face. La mer est belle aujourd’hui. Les vacanciers profitaient du soleil et de l’eau, les familles jouaient sur le sable, il aurait pu faire un gros chiffre d’affaire cet après-midi s’il avait ouvert son magasin. Mais parfois il fallait savoir faire les bons choix et face à Lena il savait qu’il ne regretterait pas le sien de fermer sa boutique plus tôt aujourd’hui. Comment vas-tu ?

Même si elle avait mis du temps à rappeler son père, ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Elle avait pris son courage à deux mains pour faire un pas vers lui, elle avait affronté ses peurs et ses doutes, elle ne comptait pas lâcher de sitôt. C'était compliqué, elle ne savait pas vraiment comment s'y prendre mais elle allait apprendre et essayait de tisser un lien avec ce père qu'elle ne connaissait pas encore. Pendant toutes ces années, elle l'avait imaginé mille et une fois. Elle lui avait inventé plusieurs vies et plusieurs caractères avant de réellement le rencontrer. Finalement, la rencontre à la boutique lui avait donné quelques réponses aux questions qu'elle se posait et même si elle ne savait pas tout de lui, elle en connaissait un peu, assez pour savoir que Terrence était loin du père qu'elle s'était imaginé. Il avait vécu des choses, il avait fait des choses dans sa vie mais il avait été honnête avec elle et c'était le principal. Elle s'était rendue compte qu'elle l'avait un peu trop idéalisé dans son imaginaire mais elle n'avait aucunement le droit et encore moins l'envie de le juger. Il avait probablement fait des mauvais choix, des choix qui avaient fait que la gamine n'avait jamais eu la chance de le connaître, mais c'était le passé et Lena ne voulait pas rester coincée sur ça. Elle voulait avancer, discuter, apprendre à connaître cet homme encore inconnu. Elle avait aussi une autre source de motivation : Violet. Elle se disait que si Violet l'aimait, et elle avait l'air de vraiment l'aimer, ça voulait dire qu'il était quelqu'un de bien. Lorsqu'elle entendit la voix de son père, cette voix qu'elle avait gravé dans sa mémoire à leur rencontre comme pour ne jamais l'oublier si jamais il changeait d'avis au sujet de la revoir, elle posa ses yeux sur lui, un large sourire se dessinant naturellement sur ses lèvres. « Coucou ! » Elle le laissa s'installer et regarda la mer en hochant la tête lorsqu'il mentionna qu'elle était belle ce jour-là. « Ça va. Merci d'être venu. » Elle lui adressa un sourire tendre et sincère. Elle était à la fois heureuse et soulagée qu'il n'ait pas changé d'avis. « Et toi comment vas-tu ? » Elle était un peu gênée, ne savait pas vraiment comment se comporter avec lui ni quoi lui dire. Ce n'était sûrement pas facile pour lui non plus même si Lena ne s'en rendait pas vraiment compte. Que dire à cet homme qu'elle ne connaissait pas ? Est-ce qu'elle allait lui raconter sa journée comme une jeune fille le fait avec son père quand elle rentre le soir ? Est-ce que sa vie l'intéressait seulement ? Elle chassa ces pensées en essayant de rester elle-même. C'était la meilleure façon de se comporter. « Pardon d'avoir mis autant de temps à t'appeler, je... J'étais un peu perdue. Mais je suis contente d'être ici avec toi. » Elle ne voulait pas qu'il pense qu'elle s'était obligée à l'appeler. C'était tout le contraire, elle avait voulu le faire bien avant, mais elle n'avait pas pu.

Terrence disait qu’il n’avait aucune famille, c’était faux. Il avait encore sa mère et ses deux frères, qui vivaient ici, à Bowen, dans la même ville que lui. Il passait souvent, sans vraiment le vouloir, devant la maison de son enfance, celle où sa mère vivait encore, du moins il lui semblait, elle avait encore sa vieille voiture et le nom sur la boîte aux lettres n’avait pas changé, Mr, Mme Kelly et leurs enfants. Plusieurs fois il avait voulu sonner ou frapper à la porte, il aurait aimé que ce tout petit bout de femme lève la tête pour reconnaître son fils et qu’elle le sert dans ses bras. Mais il n’avait jamais osé, leur dernière rencontre, au tribunal, avait été un fiasco total, ses derniers mots avant qu’il ne soit envoyé en prison l’avaient marqué à vie : “A présent je n’ai plus que deux fils.” Elle était un peu théâtrale, mais dans sa voix avait senti toute la déception et le fossé qu’il avait creusé entre eux avec ses erreurs. Quant à ses deux frères, Bowen n’était pas une très grande ville alors il lui était arrivé de les croiser quelques fois et ce fut toujours la même chose, ils l’avaient évité comme s’il était un parfait inconnu pour eux, pour tout avouer Terrence n’avait pas non plus cherché à renouer le contact, il avait bien trop honte de ce qu’il avait infligé à sa famille avec ses conneries de jeunesse. Aujourd’hui il avait une fille, depuis dix-huit ans déjà, mais il n’avait pas encore eu la possibilité de nouer quoi que ce soit avec elle. Il avait à présent cette chance de pouvoir le faire avec aussi la probabilité que son histoire soit trop lourde à porter pour une jeune femme qui n’avait rien demandé. Dès leur première rencontre il avait tout mis sur la table pour qu’elle sache à qui elle avait à faire même si elle avait mis du temps à revenir vers lui, Lena avait finalement recontacté Terrence, preuve qu’il n’était pas totalement perdu. Alors que tout son monde s’écroulait depuis quelques semaines autour de lui, il trouvait en cet enfant une lueur d’espoir, comme un phare dans la tempête. En témoignait son sourire empreint de tendresse qui réchauffa le cœur du vieux surfeur désabusé. Ca va, merci. Il lui adressa un mince sourire alors qu’il mentait, évidemment qu’il lui mentait. Comment lui dire qu’elle avait face à elle un homme malheureux d’avoir perdu l’amour de sa vie. Les deux femmes de sa vie, son amoureuse et sa fille, il les avait eu auprès de lui, comme touché du doigt une certaine idée du bonheur durant un court instant, sans qu’il ait même eu la chance de pouvoir passer du temps avec elles-deux, avant de se rendre compte qu’il avait été peut-être un peu trop gourmand. A présent il ne restait que Lena. Peut-être que la jeune femme était déjà au courant de sa rupture avec Violet d’ailleurs, puisque les deux étaient amies depuis un moment. Tu n’étais pas obligée de m’appeler. Je suis conscient que tout ce que je t’ai appris n’est pas facile à avaler. Tu n’as pas demandé toute cette histoire en cherchant à me rencontrer. Il lui sourit avec douceur. Mais je suis content que tu m’ais appelé. Le serveur s’approcha de lui et il en profita pour commander une bière. Parle-moi de toi, tu veux ? Dis-moi si tu as des passions ? Ce que tu veux faire de ta vie ? Si tu as voyagé. Il était tellement curieux de connaître sa fille, de savoir s’ils avaient plus que le bleu de leurs yeux et le surf en commun. Et même s’ils n’avaient rien d’autre en commun, il l’aimerait inconditionnellement, il ne leur restait qu’à se créer des souvenirs ensemble. Est-ce que tu as un petit ami ? Là il allait peut-être un peu loin, quoi qu’elle était déjà au courant de la vie amoureuse de son père alors !

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Lena avait toujours eu une présence masculine dans sa vie. Un homme qui aurait pu faire office de père, avec qui elle aurait pu s'entendre et partager des choses. Sa mère s'était remariée, c'était son choix mais elle n'avait pas choisi le bon mari. Pour cet homme, Lena n'éprouvait que de la rancœur. Il n'y avait rien en lui qu'elle aimait. Cet homme était loin de pouvoir remplacer son père et la seule chose de bien qui venait de lui était ce merveilleux petit frère à qui elle tenait tant. Aujourd'hui, la blonde pouvait retrouver l'espoir d'avoir une réelle figure paternelle avec qui partager des choses. Son père biologique, celui qu'elle avait tant attendu. Lena n'avait jamais partagé grand chose avec sa mère étant donné leur relation délicate, elles n'étaient pas proches comme pouvaient l'être certaines mères et leurs filles. La blonde avait donc trouvé d'autres personnes à qui se confier, de ses amies de l'université en passant par des personnes plus âgées qu'elle avec qui elle se sentait à l'aise, incluant Violet. Maitenant, elle espérait pouvoir trouver chez son père une oreille attentive, un parent qui pourrait lui indiquer la bonne direction si jamais elle se perdait. Sauf qu'il y avait tout à construire, tout depuis le début, Lena en avait conscience mais elle était prête à le faire. Et en écoutant les mots de l'homme, elle secoua la tête. Elle avait eu le temps de réfléchir depuis leur première rencontre et de prendre une décision. « J'ai décidé de laisser le passé là où il est et de me concentrer sur le présent. » lui répondit-elle avec un léger sourire aux lèvres. Ce qu'avait fait son père lorsqu'elle ne le connaissait même pas encore ne la regardait pas. Ce qu'elle voulait, c'était de construire quelque chose avec lui et penser au présent ainsi qu'au futur. Evidemment, elle ne pouvait pas balayer d'un revers tout ce qu'il lui avait raconté, mais elle préférait tout laisser de côté et laisser à son père une chance de connaître son enfant. Après avoir bu quelques gorgées de son jus de fruits, elle répondit au questionnement de son père. Elle était tellement heureuse qu'il s'intéresse à elle qu'elle ne savait même pas par où commencer. « A part le surf, j'aime la lecture et j'aime beaucoup écrire aussi. » Elle n'irait pas jusqu'à lui dire qu'elle écrivait un roman, d'autant plus qu'elle écrivait sur lui, du moins sur le père absent qu'elle s'était imaginée. « J'aime les langues étrangères, j'étudie d'ailleurs le russe et l'allemand mais j'avoue que je sais pas encore très bien ce que j'aimerais faire après. Et je travaille à la librairie pendant mon temps libre. » Elle s'arrêta là, il y avait encore pleins de choses qu'elle voulait lui dire sur elle mais elle ne voulait pas l’assommer d'informations. Son sourire s'élargit lorsqu'il demanda si elle avait un petit ami. Elle trouvait cela un peu étrange de parler de ça avec lui mais en même temps, elle était elle-même au courant de la vie amoureuse de son père. « Un petit ami ? Non... » se contenta-t-elle de répondre. Son sourire se fit un peu malicieux. Un sourire qui voulait dire "Il y a bien un garçon qui me plaît mais ce n'est pas mon petit ami. Ou pas encore.

On pouvait dire que Lena était sage et mature pour une jeune fille de son âge. Elle avait écouté son père lui raconter son histoire sans rien dire, sans juger. Et puis là où beaucoup de gamine auraient pu lui en vouloir ou prendre peur d'avoir un père avec un passé si compliqué, d'être un repris de justice et d'avoir trahi tout son entourage, elle avait simplement pris le temps de digérer tout ça et de revenir vers lui quand elle s'en était sentie capable. Il l'admirait, le Terrence qu'il était à son âge avait sûrement bien moins de maturité, il avait fallu quelques petites années de plus, que sa copine de l'époque tombe enceinte, pour qu'il grandisse et devienne enfin un homme, ou une ébauche en tout cas. Pourtant il était encore jeune, il avait à peine vingt ans, mais ce genre de chamboulement vous changeait un homme, il était passé d'adolescent encore gamin à jeune adulte qui devait assumer une famille, un bébé. Et ce bébé était aujourd'hui une petite femme, une véritable fierté pour lui même s'il n'avait rien fait pour qu'elle devienne celle qu'elle était, il n'avait pas participé à son éducation. Quelque part, Kelly remerciait son ex d'avoir aidé leur enfant à grandir et à devenir celle qu'elle était, sûrement qu'elle avait fait des erreurs, sûrement que ce n'était pas parfait, mais on pouvait dire qu'elle avait réussi là où lui avait lamentablement échoué par son absence. Le présent ça me va bien aussi. Il lui sourit avec tendresse. Il entreprit alors de la questionner sur sa vie, ses loisirs, un peut tout ce qui pourrait aider à ce qu'il connaisse mieux sa fille. Et Lena semblait prendre du plaisir à lui répondre, à se dévoiler pour qu'il la découvre telle qu'elle était. Il l'aimait déjà, elle était pétillante, souriante, enjouée, une vraie bouffée d'air frais dans sa vie, il en avait besoin. Alors sûrement que les dés étaient pipés parce que quoi qu'elle dise, qu'elle lui apprenne, Terrence aimerait Lena, il le savait, elle était sa chaire, son sang, il l'aimait déjà depuis sa naissance et rien n'avait changé malgré l'absence. D'accord, donc les livres c'est ton truc ! J'aimerais te dire que tu as du temps, pour savoir ce que tu veux faire. Tu es jeune et ce n'est pas simple de choisir sa voie. Prends ton temps, ça viendra de soi-même. Lui s'était bien cherché durant des années, il s'était engagé dans l'armée pour de mauvaises raisons et il avait réalisé trop tard que c'était une erreur, pourtant sans ses années de service il n'aurait pas appris la discipline et l'ordre alors en quelque sorte il ne serait pas celui qu'il était aujourd'hui, malgré tous les ennuies que ça lui avait apporté aussi. J'ai compris tard que je voulais vivre de ma passion. J'aime le surf depuis tout petit et j'aurais sûrement pu devenir professionnel, si mes parents m'avaient laissé faire, si j'avais été plus assidu aussi. Pourtant aujourd'hui j'aime profondément ce que je fais. Il faut croire en toi, si tu as des passions alors vis- les totalement, c'est important. Sa question sur la vie amoureuse de Lena le surprit presque autant lui qu'il la surprit elle. Et vu la façon dont le visage de sa fille s'éclairait, il semblait bien qu'elle avait des émois bien de son âge. Il sourit alors, en portant sa bière à sa bouche. Je vois. C'est drôle, tu as le même rose aux joues que ta mère. Il haussa un sourcil, amusé par cette douce complicité qui naissait doucement entre eux. Alors il va vraiment falloir que je prennes ce rôle de père qui impressionne. J'espère qu'il prendra peur, l'heureux élu. Evidemment il la charriait, il n'avait encore aucun droit de s'imposer de cette façon dans la vie de la jeune fille, mais si un jour elle avait un problème, il fallait qu'elle sache qu'elle pouvait compter sur lui.

Elle ne pouvait que sourire quand son père lui disait qu'il était d'accord pour rester sur le présent et laisser le passé derrière eux. Au delà de tout ce qu'il lui avait raconté, il y avait sûrement bien d'autres choses, peut-être plus joyeuses, qu'il avait à dire sur lui. En tout cas, elle refusait de s'arrêter sur ces histoires qui n'avaient certes pas été facile à entendre et auxquelles elle ne s'attendait pas. Mais elle trouvait cela dommage de fuir ce père qu'elle avait tant attendu. Elle ne fuirait pas. Pas tant qu'ils n'avaient pas essayé de construire quelque chose ensemble. Ça commençait par quelques questions qu'il lui posait sur sa vie, sur ce qu'elle aimait faire, pour essayer de mieux la connaître. La blondinette était heureuse de répondre à ces questions, il s'intéressait à sa vie et elle ne demandait que ça, de lui parler de ses passions. Elle savait déjà d'où lui venait cet amour pour l'océan, peut-être se trouveraient-ils d'autres points communs. Même si ce n'était pas le cas, Lena savait qu'ils pourraient quand même s'entendre. Parce qu'il était son père et qu'elle était sa fille et ça, rien ne pourrait y faire obstacle. Elle hocha la tête lorsqu'il lui répondit à propos des livres. « Est-ce que c'est ton truc aussi ? » demanda-t-elle, curieuse, avec un sourire alors qu'il affirmait qu'elle avait encore le temps de se décider sur ce qu'elle voulait faire plus tard. Ce n'était pas vraiment l'avis de sa mère qui préférait lui mettre la pression pour qu'elle se décide rapidement. « Au moins je sais d'où vient mon talent. » répondit-elle sur le ton de l'humour. Elle savait qu'il était blessé et qu'il ne pouvait plus surfer mais elle était certaine qu'autrefois, il était un bon surfeur. Elle redevint ensuite un peu plus sérieuse. « C'est dommage que tu n'aies pas pu faire ce que tu voulais mais le principal c'est que tu fasses quelque chose qui te plaise aujourd'hui. Puis, tu es toujours en contact avec l'océan, en quelque sorte. » Elle lui souriait avec tendresse, elle aurait tellement aimé le voir à l'oeuvre sur une planche. Elle mentit ensuite à sa question à propos de sa vie amoureuse mais cela se voyait de loin, son sourire la trahissait. Elle ne se sentait juste pas très à l'aise de parler de ça avec lui. « Oh, ça doit être notre unique point commun alors. » répondit-elle, amusée, lorsqu'il mentionna qu'elle avait les mêmes joues roses que sa mère. Lena ressemblait à sa mère physiquement, mis à part ça, les deux n'avaient pas grand chose en commun. Terrence avait probablement remarqué qu'elle était mal à l'aise de parler garçons avec lui alors il fit une remarque qui la fit rire instantanément. « Ne sois pas trop impressionnant quand même, sinon il risque de fuir. » rétorqua-t-elle pour le charrier à son tour en se rendant compte qu'une certaine complicité était en train de naître.

La vie de Terrence était somme toute assez simple. Il passait ses nuits dans sa caravane, ne possédait pas de maison, pour la simple raison que lorsqu'il est sorti de prison il n'avait pas un sous en poche et qu'on lui a offert ce toit là, avec l'argent qu'il a réussi à gagner par la suite il a finit par racheter ce logement de fortune, il s'y était attaché, à sa bicoque en taules. Et puis il n'y passait pour ainsi dire que ses nuits, le reste du temps il était dans sa boutique ou dans les rues de Bowen, sur la plage, près du plan d'eau, il avait besoin d'air, d'espace. Après des années de prison enfermé dans une petite cellule il aspirait à ne plus jamais se sentir enfermé, même quand il était chez lui, par tous les temps la porte de sa caravane était toujours ouverte vers l'extérieur, ainsi Stan pouvait sortir comme bon lui semblait et lui n'avait pas l'impression d'étouffer, il ne fermait sa porte que pour dormir. Il ne possédait pas de télévision, ça ne l'intéressait pas, il avait seulement son ordinateur avec une connexion internet difficile alors même Netflix, il y était abonné mais c'était laborieux de regarder quoi que ce soit. Terrence n'était pas réellement moderne et il se moquait bien qu'on raille son air arriéré. Par contre il avait un abonnement à la bibliothèque où il empruntait régulièrement des livres, des romans, des conseils de développement personnel, des bds, des biographie, de tout en fait. Alors il sourit à la question de Lena. J'aime bien oui. Ca me détend, ça m'évade. A ton âge j'avais horreur de ça pour tout dire. Mais quand j'étais en prison c'était mon seul échappatoire, j'ai dévoré des dizaines de livres et j'ai gardé cette habitude depuis. On ne pouvait pas dire qu'elle tenait cette passion là de son père, il lui avait avoyé qu'à son âge ce n'était pas vraiment son truc, chez lui c'était arrivé par défaut, avec le temps, mais il ne pourrait plus s'en passer à présent. Ton talent hein ? J'attends encore de te voir sur une planche avant de juger si tu es aussi douée que moi ou non ! Il la taquinait gentiment. Mais en effet, il avait été doué, à une époque, avant de tout gâcher. Et il ne doutait pas qu'elle le soit autant que lui, peut-être plus même ! Tu as pris des cours étant gamine ? Avec le recul il était du même avis qu'elle, c'était dommage qu'il n'ait pas tenté sa chance dans le monde du surf quand il avait encore le talent et la jeunesse, mais à l'époque on ne lui avait pas vraiment laissé le choix et puis il était sûrement trop sanguin aussi, pas assez sérieux, sûrement qu'il aurait finit par tout gâcher, d'une façon ou d'une autre de toute manière. Alors il n'était pas mécontent de son sort aujourd'hui, s'aurait pu être pire, il aurait pu ne jamais ouvrir son magasin non plus. Oui, c'est une chance que j'ai, comme une deuxième chance en quelque sorte. Alors j'y fais attention. Lena ressemblait à sa mère et la voir aujourd'hui, au même âge quasiment que celui auquel ils s'étaient rencontrés, lui rappelait ce qui avait plu au jeune homme de vingt ans qu'il était. Une jolie blonde, souriante et charmeuse, capable de vous arracher un sourire rien qu'en rougissant timidement. Lena avait la chance d'avoir hérité du charme de sa mère, ça ne faisait aucun doute. Il sourit sans rien dire, persuadé qu'elle lui ressemblait bien plus qu'elle ne voulait croire, que ça lui plaise ou non. Il aura intérêt de fuir, ou du moins de me craindre, je n'en attends pas moins de lui. Il sourit, amusé par la situation, même s'il savait que les gamins d'aujourd'hui ne se laissaient plus impressionner si facilement. Et puis il n'avait pas l'attention de foutre en l'air les amourettes de sa fille.

Les livres, c'était son élément à Lena. Elle avait toujours aimé ça. Déjà petite, elle était attirée par la lecture. C'était également pour elle un moyen de s'évader, de vider son esprit des choses trop compliquées pour s'envoler vers d'autres univers, fictifs, mais qui lui faisaient du bien. C'est ainsi qu'elle s'est mise à écrire aussi, pour créer son propre univers. Elle aimait tout lire, elle était très curieuse alors elle n'avait aucun mal à s'intéresser à tous les styles. Lorsqu'elle travaillait à la librairie, elle se sentait vraiment à sa place et elle ne pouvait que remercier Lily de l'avoir embauchée. En plus de gagner de l'argent, elle était entourée de sa passion, c'était tout bénéfique pour elle. « Je comprends bien. » Elle hocha la tête, ça n'avait pas dû être facile pour lui en prison, mais elle ne se risqua pas à poser de questions à ce propos, ne sachant pas si c'était quelque chose dont il avait vraiment envie de discuter avec elle. « Est-ce que t'as un roman préféré ? » demanda-t-elle, curieuse de savoir s'ils avaient les mêmes goûts en matière de lecture. Elle aspirait à connaître mieux son père, cela passait par ce genre de petites discussions qui pouvaient paraître banales pour certains mais qui étaient en réalité très importantes pour la blondinette, pour en savoir plus sur ce père à propos de qui elle ne connaissait pas encore grand chose. Il y avait beaucoup de temps à rattraper mais c'était plutôt en bonne voie. Ils passèrent ensuite à un tout autre sujet, la deuxième passion de Lena, celle qu'elle tenait de lui de toute évidence. Elle ria à sa remarque, il pourrait venir la voir surfer s'il le voulait. « Mais quand tu veux ! Tu verras que ta fille est très douée. » répondit-elle avec enthousiasme. Ces mots prononcés sonnaient étrangement dans son esprit mais elle était bel et bien sa fille et il était bel et bien son père, elle commençait enfin à le réaliser. « J'ai appris un peu toute seule en me cassant souvent la figure, et beaucoup grâce à Violet qui m'a aidée à devenir meilleure. » Un sourire tendre s'afficha sur son visage lorsqu'elle prononça le nom de son amie, se remémorant tous les moments qu'elles avaient passés ensemble depuis le temps qu'elles se connaissaient sans se douter de ce qui les attendaient. Elle ria une nouvelle fois de bon coeur aux remarques de son père à propos de son petit ami, contente qu'il agisse comme un vrai papa. Ça lui faisait chaud au cœur à la blonde, même si elle n'en avait pas l'habitude. « Tu ne devrais pas avoir trop de mal à lui faire peur. » Elle lui sourit, Aslander n'avait pas exactement la même carrure et il serait forcément impressionné si jamais ils se rencontraient un jour. « De toute façon on en est pas là, on a le temps pour les présentations. Pas sûre que maman soit d'accord pour ça d'ailleurs. » Elle haussa les épaules, elle se rendait compte qu'elle avait moins de mal à parler de ses histoires à son père qu'à sa mère.

Voilà une question étrange à laquelle Terrence n’avait jamais répondu ni même réfléchi. Quel était son livre favori… Il passa sa main dans sa barbe pour y penser, remerciant en même temps intérieurement Lena de ne pas avoir relevé son allusion à la prison, il y en aurait d’autres des discussions dans lesquelles son passage derrière les barreaux allaient ressurgir, parce qu’il faisait partie de lui, de sa vie, de son passé et avec le temps il avait appris à composer avec. Sans s’en vanter comme un caïd qui ferait le dur, sans non plus prendre un ton moralisateur de celui qui s’était repenti et qui avait changé depuis, il était forcé d’admettre que c’était à présent inscrit dans son adn, il avait fait de la prison et il ne le cachait pas, sans non plus le crier à qui voulait l’entendre. Cependant si sa fille avait des questions elle pourrait les lui poser, celles-ci seraient probablement légitimes, mais il n’allait pas l’y pousser. Puis parler d’un sujet plus léger ça lui allait parfaitement et puis la réponse à sa question apparu finalement clairement, le plus naturellement du monde, c’était le livre qu’il avait le plus lu, il en avait même deux exemplaires en sa possession, une édition de poche dans sa caravane et une autre plus ancienne, plus rare, avec des gravures et illustrations soignées et même quelques dorures sur la couverture, qu’il avait exposé sur une petite étagère dans sa boutique. Je crois que j’ai dû lire Vingt mille lieues sous les mers un nombre incalculable de fois. C’est le seule livre que j’ai lu étant gamin et qui m’a marqué à vie. Etait-ce si étonnant que ça ? Une histoire qui se passait au beau milieu de l’océan avec pour héro un homme qui fuit la société, un roman d’aventures et de mythes, comme écrit pour lui. Si Lena ne tenait pas son amour des livres de son père, il était indéniable que si elle avait l’océan dans la peau c’était grâce à lui, comme un gène supplémentaire, un petit quelque chose qui les poussait toujours vers l’eau, attirés vers les vagues, le large. Ta fille, petite décharge électrique, le cœur qui s’emballe et le sourire qui vient jusqu’à ses lèvres. Son bébé, qu’il avait enfin retrouvé. Cette discussion si naturelle avec une inconnue qui n’en était pas une puisqu’elle avait son sang, il l’avait idéalisée depuis si longtemps et c’était bien mieux que dans tous ses fantasmes. Il hocha la tête. C’est comme ça qu’on apprend. En tombant, en se relevant, en buvant la tasse et en manquant de se noyer une ou deux fois, en prenant des vagues bien trop hautes qui nous impressionnent mais sans jamais avoir peur, la peur était l’ennemie de la réussite. Violet est un bon professeur, je pense, elle est persévérante. Le regard de Terrence se voila alors qu’il détourna les yeux pour fixer la mer face à lui. Penser à Violet lui faisait mal, parler d’elle encore plus, mais Lena et elle étaient amies alors il ne pouvait pas l’ignorer. Et puis la gamine pensait sûrement qu’ils étaient encore ensemble. Changer de sujet lui fit le plus grand bien, parler des amourettes de sa fille plutôt que de son grand amour à lui c’était plus léger, plus simple. Kelly roula des yeux en écoutant Lena. Ta mère n’a pas attend l’approbation de ses parents pour sortir avec un mauvais garçon. Puis il piqua du nez en s’esclaffant. C’est un très mauvais conseil que je viens de te donner là… tu as raison elle sera furieuse !