Sans se rencontrer vraiment, un lien serait né. | Terrence Kelly

Plusieurs caravanes alignées devant le front de mer constituaient cet espace atypique dans le paysage de Bowen. Pourtant lorsqu’on s’approchait de plus près on remarquait que c’était bien entretenu, certaines d’entre-elles possédaient même leur petit bout de jardin, en vérité c’était un lieu accueillant, paisible, au plus près de la nature. C’était un mode de vie différent moins conventionnel que les maisons ou les appartements classiques. Et ça convenait parfaitement à Terrence. Il aurait tout aussi bien pu vivre sur un bateau amarré au port de la ville, mais le budget n’était pas vraiment le même et il ne roulait pas sur l’or. Alors sa petite bicoque en taule était un bon compromis. Et puis quand on entrait à l’intérieur on découvrait un espace certes réduit mais coquet, avec tout le confort. Il n’était pas peu fier de vivre de cette façon et il ne le changerait pour rien au monde, parce que chaque soir il s’endormait avec le bruit des vagues qui le berçait et chaque matin il prenait son café et sa première clope devant le soleil qui se levait sur l’horizon.
Il venait à peine de rentrer chez lui, la soirée était belle, le ciel encore bleu, après une douche rapide Terrence s’apprêtait à s’installer dans son petit jardin pour boire une bière bien méritée. Sa boutique n’avait pas désempli de la journée, celle de Violet étant fermée et c’était la belle saison, il y avait alors une recrudescence de la clientèle, il n’allait pas s’en plaindre, les affaires marchaient bien et il s’en sortait honorablement malgré qu’il ait stoppé toute activité illégale qui lui apportait une aide confortable. Sa vente d’armes était un plus non négligeable, avec l’argent sale qu’il faisait rentrer il s’était constitué un bon capital avec les années, mais pour le bien de tous, de sa conscience et de Violet, il avait tout arrêté. Aujourd’hui il dormait sur ses deux oreilles, en homme enfin libre. Pourtant se doutait que son passé n’était jamais très loin, mais pas au point de se trouver sur le pas de sa porte, frappant trois coups pour s’annoncer. Surpris, puisqu’il n’attendait personne, Kelly hésita à ouvrir, mais ce fut avec Stan sur ses talons, toujours aussi joyeux de découvrir quelle nouvelle tête il allait découvrir, qu’il finit par y aller. Il trouva face à lui une jeune femme aux traits inconnus malgré son sourire convaincu. Elle le salua avec un fort accent italien, l’appelant par son prénom, preuve qu’elle se trouvait bien devant la bonne personne. Décontenancé, le surfeur la fixa mal à l’aise en fronçant les sourcils. Bonsoir… Puis quand elle continua il finit par reconnaître la voix, du moins il espérait que ce soit elle. Gabriella ? Le ton était peu assuré, chose qui ne lui ressemblait pas, mais il se demandait bien comment l’italienne, celle avec qui il avait traité plusieurs contrats de ventes d’armes, pouvait bien se trouver ici, en Australie. Ils s’étaient parlé plusieurs fois, ils avaient échangé une quantité de mails, mais jamais il ne l’avait rencontré, il n’avait même pas eu la curiosité de la googliser pour chercher à savoir à quoi elle pouvait ressembler. Néanmoins, face à lui se trouvait très belle jeune femme et c’était malgré tout flatteur de la voir lui sourire à ce point et même hésiter à le prendre dans ses bras. Même si elle faisait bien de rester à sa place, Terrence n’était pas l’homme le plus tactile au monde. Qu’est ce que tu fais là ? Un doute s’installa, les italiens avaient-ils eu vent de son retrait de la vente ? Etait-elle envoyée pour le convaincre de revenir dans le circuit ? Si tel était le cas elle avait traversé le monde pour rien, il ne comptait pas changer d’avis. Et elle allait vite se rendre compte que lorsqu'il était sur la défensive, Kelly était assez froid.

Entier, Terrence n’était pas doué pour jouer la comédie, son visage, pourtant peu expressif, montrait qu’il était réellement surpris de trouver la belle italienne sur son palier. Elle avait traversé l’océan, le monde, pour venir jusqu’ici, pour se présenter à sa porte. Et selon lui ça ne pouvait rien présager de bon. Elle lui avait donc confirmé qui son identité que son accent avait déjà trahi. Gabriella Orsini. La fille Orsini, famille connue et reconnue dans le milieu de la mafia, crainte et respectée, elle exerçait sa suprématie au delà des frontières de son pays. Ce nom ne laissait personne indifférent et pour Terrence, il évoquait une certaine forme de méfiance, surtout après la décision qu’il avait pris de tout arrêter. Concernant Gabriella, il n’avait pas vraiment d’avis, elle était son interlocutrice principale dans les échanges qu’il avait eu avec les italiens, la seule à maîtriser suffisamment l’anglais pour leurs diverses transactions, ils avaient, au fil des années, fini par partager bien plus que de l’argent sale et des armes à feu, il pouvait presque dire qu’il la connaissait. Pourtant il n’aurait jamais pensé qu’elle puisse se trouver un jour face à lui, ici, à Bowen. Petit à petit il voyait qu’elle perdait de sa confiance, finissant même par s’excuser de se trouver là sans l’avoir prévenue de son arrivée. Cette attitude là rassura un peu l’australien, voyant qu’elle avait l’air tout aussi paumée que lui. Elle finit par regarder derrière elle, par dessus son épaule comme si elle attendait que quelqu’un la rejoigne et Terrence leva le regard dans la même direction, fixant le vide le temps d’un silence. Puis elle reporta son regard sur le sien, ses grands yeux perçants mais doux, elle paraissait sincère et il eut envie de la croire. Pourtant s’il n’était pas d’un naturel curieux il lui faudrait un peu plus d’explications pour pouvoir lui ouvrir la porte. Une histoire compliquée ne peut pas se résumer à simplement toi devant ma porte. Il soupira, passant sa main dans sa nuque, las. J’imagine que tu as faim, ou soif, après un si long voyage. J'allais me faire à dîner, tu m'accompagnes ?Ils pourraient au moins commencer par ça, partager une bière ou un repas, elle en profiterait pour lui expliquer un peu plus la situation et il aviserait à ce moment là. Parce qu’à ce moment précis il était incapable de savoir comment aider l’italienne. Il ne savait même pas si son arrivée s’était faite sur un coup de tête ou si elle avait choisi cette destination en toute âme et conscience de se retrouver à l’autre bout du monde, loin de ses repères. Ni si elle comptait rester quelques jours, semaines ou si elle avait vraiment tout plaqué pour recommencer sa vie.