a slow decline and the curtain falls (zelda)

Un lieu neutre, un lieu blanc, un lieu à part. Un lieu loin de ce que nous avions connu, un lieu loin de nos souvenirs. Pour que ceux-ci ne nous submergent pas alors que nous n’étions que deux voiliers dans la nuit. À la dérive. J’avalai difficilement alors que je fixais, nerveux, la couleur dorée de mon thé s’harmoniser avec les formes bleues de la tasse Blue Willow. Je me sentais tout d’un coup ridicule d’avoir donné rendez-vous à Zelda ici, dans un salon de thé, avec les deux viennoiseries végétaliennes que j’avais soigneusement commandées. Je m’étais constamment remis en question sur celle qu’elle préférerait le plus parmi le menu. Ne me disant même pas une seule fois que le mieux aurait été de la laisser décider, elle. Je ne lui laissais plus le choix, à Zelda, et ce depuis des mois maintenant, de gérer mes allers et mes venues de pensées. De supporter mes états d’âme lointains, muets, qu’elle ne pouvait comprendre puisque je ne les comprenais moi-même pas. J’aurais pu au moins lui laisser le choix de sa viennoiserie vu le choix que je m’apprêtais à faire pour nous deux, pour elle et moi. Elle. Et puis moi. Ces deux-là ne viendraient bientôt plus ensemble, pas pour un moment. Du moins, c’était ce que j’avais en tête, et un peu moins dans le cœur. Il suffirait que je voie son visage pour que tout d’un coup, tout s’efface, tout s’envole. Sans doute était-ce pour cette raison qu’un lieu qui nous était inconnu était préférable. Un décor qui ne me ramènerait pas à nous. Mais je ramenais tout à moi. Moi, moi, moi. Et puis elle là-dedans ? Tout tournait tellement vite dans ma tête, j’aurais préféré encore dix minutes pendant lesquelles mon thé aurait refroidi sans que mes lèvres ne s’y soient trempées. Mais non, elle était là. Sa chevelure rousse brillait au soleil avant qu’elle ne passe le pas de la porte. Tout de suite la couleur était moins flamboyante sans la lumière extérieure, mais elle n’en demeurait pas moins ravissante. Mais son visage était moins lumineux, aussi, et ce n’était pas le manque de soleil à travers les vitres qui causaient cet assombrissement. C’était moi. Je me levai, lui signifiant ma présence, un mince sourire sur un seul côté de mes lèvres. « Hey. » Dis-je doucement. Comme si tout était normal. Comme si nous ne savions pas, elle autant que moi, ce qui s’en venait.

Elle n’allait pas bien, Zelda. Elle avait peut-être retrouvé l’usage normal de ses jambes, ou presque, mais je savais fort bien qu’elle n’était pas redevenue la Zelda d’avant, la lumineuse Zelda qui ne reculait devant rien. La peur l’habitait constamment, qu’importe où elle allait, ça la suivait. Elle avait eu besoin de moi, elle avait eu besoin de soutien, et même si je m’étais efforcé de lui en offrir, tout comme ma présence, au cours des derniers mois, je m’apprêtais à réduire à néant tout ça. Pour rien. Pour aucune raison valable. Je m’étais moi-même essoufflé à force de rester là, peut-être pour les mauvaises raisons. Depuis cette histoire avec Scarlett, je m’étais senti prisonnier d’une situation sur laquelle je n’avais eu aucun contrôle, et en restant auprès de Zelda afin de l’aider à surmonter ce terrible épisode de sa vie, j’avais nié certains de mes sentiments. Aujourd’hui, je décidais de m’écouter, surtout parce que je savais à quel point c’était injuste pour Zelda de continuer alors que le cœur n’y était plus autant qu’avant. Elle était finalement arrivée devant moi, si belle, coiffée, maquillée, bien habillée. Comme s’il s’agissait d’un énième rendez-vous amoureux entre elle et moi. Ça ne fit que renforcer toute cette culpabilité qui m’habitait, qui me dévorait. Elle déposa un baiser sur ma joue, je souris faiblement, avant de m’asseoir face à elle. « J’essaie. Et toi ? » Répondis-je lorsqu’elle me demanda si ça allait. Je déglutis. « Je suis désolé d’avoir été aussi absent, aussi distant, ces derniers temps. J’pense que … que j’avais besoin de prendre tout ce temps pour … pour réfléchir. » Mais ça arrivait trop vite, le temps des confidences. Je n’étais pas certain d’être prêt à partager avec Zelda les conclusions de mes réflexions. Fuck, je n’étais moi-même pas certain d’être d’accord avec ce que ma tête et mon cœur avaient décidé.

Si mes faux sourires arrivaient au moins à changer un peu les traits tirés de mon visage, Zelda, elle, ne laissait entrevoir aucune autre émotion que la tristesse. Ça ne servait absolument à rien que j’essaie de faire des blagues ou que je tente de détendre l’atmosphère, au contraire, ce serait juste déplacé. Parce qu’on savait aussi bien l’un que l’autre que cette conversation n’aurait rien de drôle, alors ça ne ferait aucun sens que j’essaie de lui faire croire quoi que ce soit d’autre. Je la respectais, ma Zelda, je l’aimais, aussi. Je ne voulais pas lui faire davantage de mal que ce qui était nécessaire dans les circonstances. Bien sûr que je la blesserais, c’était inévitable avec ce que je m’apprêtais à lui dire. Mais peut-être y avait-il moyen de limiter les dégâts ? Je n’en savais rien. Je n’étais pas doué pour ça. Je n’avais jamais été celui à le faire. J’étais celui qu’on laissait derrière. Je ne répondis rien lorsque Zelda affirma être l’ombre d’elle-même. Ça me brisait le cœur de l’entendre. Et je n’avais rien à lui dire pour la rassurer. Avant qu’on puisse continuer, la serveuse vint prendre nos commandes, et même si j’avais déjà un thé devant moi, j’en pris un second. Celui-là était froid de toute façon. L’employée, après avoir souri à Zelda, s’éloigna avec un air de jugement à mon égard, mais je ne remarquai même pas. La rouquine me demanda ce à quoi j’avais réfléchi. Je déglutis difficilement, encore. Même les gestes les plus de base m’étaient difficiles. « À … nous deux. » Avouais-je. « À ces derniers mois, à ce qui s’est passé dans nos vies … Avec tout ce qui t’es arrivé, je n’ai pas pris le temps de prendre du recul et … » Alarmé par mes propres paroles, je plantai mon regard dans celui de Zelda. « Et j’dis pas que c’est ta faute ou quoi, hein, je voulais être là pour toi, je voulais t’aider, mais voilà, j’ai … j’ai mis de côté certains de mes doutes et … ils ont refait surface, inévitablement. » Expliquais-je, incapable de mettre plus de clarté dans mes propos. J’aurais aimé qu’elle comprenne d’elle-même où je voulais en venir, qu’elle me le dise pour que je n’ai pas à le faire. C’était con, j’étais lâche.  

La gorge nouée, le cœur serré, j’avais commencé à ouvrir ce dernier en mettant quelques-unes de mes cartes sur table, mais pas toutes. Comme si j’avais peur d’aller trop vite, d’aller trop loin, et de le regretter alors que les mots passeraient la barrière de mes lèvres. Je m’étais répété cette scène à maintes et maintes reprises dans ma tête, mais ça n’avait toujours été que ça : le produit de mon imagination. Aujourd’hui, ça se concrétisait et ça devenait une réalité, notre réalité, et j’avais peur de me rendre compte que ce n’était plus l’avenue que je désirais prendre. Je tenais énormément à Zelda, je l’aimais d’amour comme d’amitié, seulement je m’étais un peu perdu entre l’un et l’autre. Ça ne signifiait pas pour autant que je voulais couper tous les ponts avec elle, rompre le contact, au contraire. J’aurais tellement voulu qu’on puisse avoir cette discussion et qu’au final, ça ne change pas grand-chose. Je voulais juste avoir le cœur moins lourd et la conscience moins pesante. J’avais cette culpabilité qui m’habitait depuis des mois et j’avais juste besoin de l’essouffler. Malheureusement, à peine entré dans le sujet que Zelda plongeait dedans, sans doute pour abréger nos souffrances. Elle avait raison de le faire. Je tournais autour du point mais ça nous faisait mal à tous les deux. « J’aurais pas pu partir, Zelda. » Soupirais-je. Parce qu’elle avait besoin de moi et, à quelque part, j’avais eu besoin d’être là aussi. La jeune femme m’expliqua être fatiguée de se battre pour ce qu’elle qualifiait de rien. Ça me perça le cœur de l’entendre me dire ça, parce que je réalisais alors que cette conversation n’était sans doute pas une surprise pour elle. Elle m’avait vu venir à cent miles à l’heure ou, plutôt, elle m’avait vu partir. « Je suis désolé. Je sais que j’ai été distant, que j’ai pas été moi-même non plus, et je comprends que … que je te donne pas du tout envie de te battre. J’mériterais pas que tu te battes pour nous de toute façon, j’mérite pas … » Je bégayais, je cherchais mes mots, puis je les laissais s’évanouir dans le silence sans jamais leur donner une chance de naître sur mes lèvres. Zelda débuta alors une tirade d’imitations, elle parlait de Jay, elle parlait de Willow, devinant ce qu’ils auraient dit dans telle ou telle situation, imitant leurs voix comme animée d’un détriplement de personnalité. Je la regardais, ahuri, déboussolé, pris de court. « J’ai jamais dit que ce que tu vivais n’était rien, Zelda. Au contraire. I know you’ve been through hell and back. Je peux pas prétendre comprendre comment tu te sens jour après jour parce que comme tu le dis, c’est pas descriptible, c’est pas comparable. J’voudrais même pas m’imaginer. Mais je me fous de ce que te dirais Jay ou Willow, Zelda, c’est à toi que je parle et ils peuvent bien penser ce qu’ils voudront de moi, ou de toi, ou de nous. Ça les regarde pas, c’est ta vie, et tu ne penses peut-être plus par toi-même mais c’est pas une raison pour les écouter te dicter ta vie. » Je m’emportais à mon tour alors que ce n’était même pas l’objet de la conversation initiale. Mais je ne pouvais supporter l’entendre se rabaisser d’elle-même à travers les voix de son frère et de sa sœur. Me rabaisser non plus, même si je le méritais, et même si j’étais bien conscient qu’à quelque part, il s’agissait des propres pensées de Zelda qu’elle traduisait à travers le regard de Will et Jay. La jeune femme reprit un peu le dessus sur elle-même et mentionna que malgré l’amour qu’elle me portait, son cœur était brisé. Nous étions deux, mais pas pour les mêmes raisons. J’étais la cause de sa douleur, d’autres femmes étaient la raison de la mienne. « Si je le savais, Zelda, crois-moi que je le ferais … mais là, en ce moment, j’ai juste l’impression que je suis dans une impasse, et je peux pas continuer à faire semblant, c’est pas juste pour toi … » Et pour moi non plus. J’avais besoin de respirer. Le serveur arriva finalement avec nos thés et sans que je puisse dire quoi que ce soit, la rouquine paya pour nous deux. Je m’apprêtais à la briser encore plus et elle me payait le thé ? Je me sentais comme un complet abruti. Des minutes de silence passèrent, durant lesquelles je regardais encore mon thé tiédirent devant mes yeux. Comme le premier, qui était toujours là, plein, à côté de la seconde tasse. Zelda reprit la parole, me sortant de mes pensées. Ce qu’elle me dit me désarma, parce que c’était exactement ce qu’Eilynn m’avait fait réaliser la dernière fois que je l’avais vue. Que je n’avais pas fait mes deuils. D’Ally. De Scarlett. D’Amélia. Mon cœur se serra. Des larmes embuèrent mes yeux, et je passai rapidement le revers de ma main sur ma joue alors que l’une d’entre elle trouva le chemin pour s’échapper. Elle aussi pleurait, face à moi. « T’as raison. I didn’t.. » Avouais-je. Ça ne servait à rien de se mentir. « À chaque fois que je me montre vulnérable, à chaque fois que je m’investis, que j’aime à fond … à chaque fois, on m’a abandonné. Ally, Scarlett, Mia, toutes les trois. » Et même si Amélia était partie d’une toute autre manière, bien plus définitive, fatale, je m’étais tout de même senti abandonné, et c’en était trop. « Et je sais bien, Zelda, que t’es pas elles, que l’histoire n’allait pas forcément se répéter. But I’m fucking scared. Et j’ai ce besoin d’être celui à partir cette fois avant de souffrir. J’ai besoin … j’ai besoin de partir et d’apprendre à vivre seul. Parce que je l’ai jamais été, depuis Ally, je l’ai jamais été. Et j’crois que c’est ce qui m’empêche d’avancer. J’vis dans le passé parce que j’ai pas pris le temps, pour moi, de m’en détacher. »  

Elle aurait pu faire n’importe quoi, Zelda, j’aurais pas voulu fuir et la laisser là comme ça, dans cet état. Je me sentais tellement contradictoire, dans toutes ces émotions qui se présentaient à moi sans prévenir, sous forme de micro-tempêtes internes. Je voulais à la fois disparaître, à la fois la prendre dans mes bras. Je voulais être avec elle tout en étant loin d’elle. Je ne savais plus du tout où j’en étais, et c’était d’ailleurs exactement pour cette raison que je ne pouvais plus poursuivre cette relation, pas comme nous le faisions actuellement du moins. J’avais l’impression que nous foncions droit dans un mur et, avant qu’on revole en éclats sans pouvoir rattraper les morceaux, même ceux de notre amitié, je préférais qu’on ralentisse la cadence. Peut-être que tout n’était pas encore irréparable. Pourtant, quand j’entendais Zelda déblatérer à une vitesse hallucinante, imitant tantôt Jay, tantôt Willow, je me disais que j’étais bien bas dans son estime et je ne savais même plus si je pouvais réellement y remonter. Une fois nos boissons devant nous, une fois que nous étions certains que le serveur ne reviendrait pas de sitôt, Zelda et moi, on se laissa davantage aller à nos sentiments, jusqu’à ce que les larmes roulent le long de chacune de nos joues. La rouquine avança sa main vers la mienne et la serra doucement. Elle avait mis le doigt sur le problème, Zelda, et qu’elle le réalise, ça me retournait complètement à l’envers. J’acquiesçai à ses paroles, j’acquiesçai à tout. Je n’avais pas fait mes deuils, d’aucune de ces trois femmes que j’avais tellement aimées, chacune à leur manière. Ally d’un amour engagé. Scarlett d’un amour passionné. Amélia d’un amour de montagnes russes. « Non, non, tu m’empêches pas … » Elle avait repris la parole, reprenant ses paroles, s’expliquant un peu mieux. Je me tus et l’écoutai. « T’es pas un boulet, Zelda. T’es pas … t’es un fardeau pour personne, ok ? C’est … c’est une accumulation de circonstances. J’mentirais si je disais que ça n’avait pas un lien avec tout ça, c’est vrai, mais c’est pas … c’est pas que ça. C’est pas toi. C’est … tout. » Dis-je en faisant un mouvement de mes mains qui désignait tout l’air environnant, parce que c’était bien tout ce qui nous entourait qui jouait contre nous. Et on avait beau se dire qu’on voudrait revenir en arrière, comme le disait actuellement Zelda, mais ça ne fonctionnait pas comme ça, la vie. Si c’était le cas, j’aurais voulu recommencer bien trop souvent certains passages et aujourd’hui, nous n’en serions pas ici, Zelda et moi. Nous ne serions peut-être même nulle part. Tout arrivait pour une raison, il fallait que je m’en convainque. « On peut pas faire ça, mais ce qu’on peut faire, c’est s’concentrer sur ce qu’il y a devant et essayer … essayer d’arranger les choses, essayer de rectifier certains trucs. » Je parlais autant de nous deux, que de nos problèmes en général. Zelda avait son lot de tourments, j’avais les miens aussi, et peut-être avions-nous tellement voulu sauver notre couple que nous avions oublié que la base, c’était notre individualité, à chacun de nous. Il fallait travailler là-dessus avant de pouvoir travailler sur quoi que ce soit d’autre. Zelda releva alors le fait qu’on aurait dû faire ça chez moi, et j’eus un léger rire en même temps que le sien. « Je suis désolé, j’savais pas ce qui était le mieux … J’voulais pas qu’y’ait mes colocs’ qui puissent débarquer à tout moment … » M’expliquais-je, alors que je n’avais même pas à me justifier, pas vraiment. On aurait pu faire ça n’importe où, le résultat aurait été à peu près le même. Avec quelques regards en moins sur nous mais bien honnêtement, c’était le dernier de mes soucis. La jeune femme embrassa finalement ma main avant de lui redonner sa liberté, et j’en profitai pour porter ma tasse de thé à mes lèvres, comme elle. « J’aimerais ça, oui. Qu’on se donne un peu de temps. Qu’on vive nos vies chacun de notre côté et pis que … qu’on refasse le point, ensemble, dans … dans quelques mois, peut-être ? » Le temps de guérir, le temps de comprendre, le temps de revivre. Je ne savais pas s’il fallait compter en termes de semaines, de mois, d’années ? Combien de temps faut-il pour se reconstruire ? Je l’ignorais. Peut-être ne le saurions-nous jamais. Peut-être était-ce le genre de projet qui reste à jamais inachevé.  

Avant d’être heureux à deux, il faut être heureux soi-même. On aurait dit qu’elle avait lu dans mes pensées, parce que ce qu’elle disait, là, c’était exactement ce que j’essayais de lui faire comprendre sans pour autant en être capable. Parce que j’avais la trouille de dire le truc qu’il ne fallait pas. Parce que je ne voulais pas enfoncer le couteau dans la plaie. Parce que je ne voulais pas voir davantage de larmes couler le long de ses joues par ma faute. Je n’avais jamais aimé voir Zelda pleurer, mais c’était une souffrance décuplée quand c’était moi qui étais la cause de sa tristesse. Je m’en voulais horriblement, de ce rendez-vous terriblement cruel, mais y avait-il réellement une bonne manière de le faire ? Qu’on ait été ici, qu’on ait été chez moi ou chez elle, au final, ça aurait fait tout aussi mal. « Well, anyway, j’fais toujours tout de travers alors aussi bien encore une fois terminer ça en beauté … » Je m’étais un peu emporté, pas méchamment, juste à fleur de peau peut-être. J’avais sorti ça sans trop réfléchir, parce que je m’en voulais de ne pas avoir pensé à me rendre chez elle, je m’en voulais de ne pas avoir songé au fait que c’était sans doute ce qu’elle préférerait. Je m’étais mal vu, moi, débarquer chez elle pour mieux la laisser tomber. J’avais préféré un lieu plus neutre. Je, je, je. Je soupirai. Vint finalement la question du comment. Rupture, pause, distanciation ? Je ne savais honnêtement pas ce qui était le mieux, surtout parce que je ne savais pas quelles étaient les différences entre ces différents concepts. Je proposai qu’on se donne un peu de temps, chacun de notre côté, et qu’on réévalue plus tard, quand on aurait eu le temps de faire du ménage dans nos têtes et dans nos cœurs. « J’pourrais jamais t’oublier, Zelda. J’espère que tu le sais, ça … Je sais pas ce qu’il adviendra de nous, mais je sais une chose, c’est que je veux pas te perdre complètement … T’es l’une de mes meilleures amies avant tout et si j’gâchais tout ça, j’me détesterais. » J’haussai les épaules. « J’sais pas comment ça fonctionnera par contre, ces prochaines semaines … Dans le sens que … j’sais pas ce qui est le mieux pour nous. Qu’on se voit comme amis, ou qu’on s’voit pas du tout ? Qu’est-ce que tu préfères ? J’respecterai ce que tu veux. » On aurait dit deux enfants en train de prendre une entente contractuelle sur leur relation. Je me sentais complètement ridicule, mais je n’avais tout simplement aucune idée de ce qui se passait.

Je n’étais pas d’accord avec les propos de Zelda, j’assumais toute la responsabilité de ce qui était en train de nous arriver, mais je n’avais plus trop la force de la contredire. Au point où nous en étions, ça ne servait plus à grand-chose de décider qui était le plus fautif des deux. Je me contentai d’hausser les épaules, lâchement, secouant doucement la tête de droite à gauche en seul signe d’opposition. Elle arriva quand même à mettre un léger sourire sur mon visage, Zelda, comme elle avait toujours si bien su le faire. Elle le savait bien que sans elle, je serais complètement perdu. Blague ou non, c’était la vérité derrière. « J’aurais franchement l’air de rien, sans toi. » Mon sourire fut en suspens un moment, avant de doucement s’effacer alors que nous devions maintenant déterminer les termes de cette pause qui s’apparentait dangereusement à une rupture. C’était effectivement une coupure dans notre histoire, et même si nous aurions voulu que ça ait un effet suspensif, on ne pourrait jamais reprendre les choses là où on les laissait, comme si rien ne s’était passé. Je ne savais pas de quoi les prochains mois seraient composés, mais je savais qu’on ne pourrait plus les effacer, peu importe nos actions. « Comme avant qu’on soit ensemble. Ça me plaît. » Avais-je répété, puis confirmé. Nous allions pouvoir retrouver cette simplicité qui nous caractérisait si bien. Peut-être pourrions-nous renouer avec les fous rires qui semblaient nous avoir quitté ces derniers mois pour laisser place à un sérieux trop lourd, trop pesant sur nos faibles corps. « Peut-être que le karaoké-bar retrouvera enfin son fameux duo préféré … on s’est fait absents ces derniers temps, j’imagine que nos prestations doivent leur manquer cruellement. » J’esquissai un faible sourire, espérant de tout mon cœur que ce que nous tentions allait nous sauver, et non pas nous mener à notre perte.

J’haussai les épaules, encore une fois. Seule réponse non-verbale que je connaissais quand je n’avais rien de plus à dire. Honnêtement, sans Zelda, je me perdrais, je le savais déjà. Je me perdrais de je-ne-sais-quelle manière, peut-être dans les bras d’une autre, trop vite et trop tôt. Ce n’était pas le meilleur mécanisme que mon cœur avait trouvé pour se défendre mais je me connaissais assez bien pour savoir qu’être seul me serait assez rapidement insupportable. La solitude m’avait toujours pesée, sans doute parce que je l’avais trop longtemps vécue dans mon enfance et dans mon adolescence. Aujourd’hui, maintenant que j’avais goûté à ce que c’était que d’être aimé et entouré, c’était devenu mon oxygène. Je me faisais confiance à travers le regard des autres alors sans eux, je redevenais le gamin d’autrefois, celui qui n’avait pas eu trop de chance. Je relevai les yeux vers Zelda quand on décida de faire comme avant, avant que l’amour ne se glisse à travers notre amitié. Si nous étions déjà capables de sourire un peu, peut-être que le rire ne tarderait pas ? Peut-être que c’était possible, ce que nous étions en train de projeter pour nous ? « Ce serait avec plaisir. » Dis-je en parlant du karaoké, un sourire au coin des lèvres, avant de le perdre à nouveau. Mon visage allait se rendre confus par lui-même, à force d’aller et venir entre la tristesse et la presque-joie. « Mais je pense que pour le moment, pour les jours à venir, on devrait peut-être faire comme on a dit d’abord et vraiment prendre ce temps-là chacun de notre côté ? Juste pour les prochains jours, tu sais, juste le temps de … de bien digérer ça. » Et par ça je ne parlais pas du thé devant nous, non, je parlais de cette simili-rupture que je nous avais imposée. On avait beau se voiler le visage, on était tristes, elle et moi, et je doutais que ce soit une bonne idée qu’on reprenne demain matin comme si rien n’avait changé en un peu plus d’un an.