C'est pas le moment de paniquer (quarantaine) + Salomé et Jake

Obligation de porter un masque. Salomé fronça les sourcils en voyant un de ses confrères déroger à la règle. Elle lui fit la remarque avec une colère qui ne lui ressemblait pas et tourna les talons. Pas foutu de mettre un masque... grommela t-elle pour elle-même, outrée qu'un médecin ne respecte pas les grandes directives d'hygiène.

Alors que la quarantaine était en grande alerte à Bowen, Salomé était venue prêter main forte à l'hôpital. Ce stress permanent lui rappelait l'époque où elle était une jeune interne étudiante. Elle s'était rapatriée au service des urgences car les patients étaient énormément nombreux. Bien plus qu'en pédiatrie. Un patient retint particulièrement son attention car il se plaignait d'atroces maux de tête. Il était pâle, on aurait dit qu'il était au bord de l'évanouissement. Avec difficulté elle le souleva par dessus son épaule.

Toute l'équipe médicale faisait de son mieux pour éviter un grand mouvement de panique. La tâche s'avérait difficile car eux-mêmes ne connaissaient pas l'ampleur et les conséquences de ce virus. Salomé était sur tous les fronts, comme la plupart de ses collègues qui, malheureusement étaient en sous-effectif. Elle soulevait un homme, au bord de l'évanouissement. Un autre homme voulait l'aider. Son visage lui était familier, elle le reconnut immediatement. Jake, le gérant d'Imogen. Elle prit peur car au moindre toucher, les bactéries pouvaient se propager. Avec un sang-froid inégalable, elle s'efforça de ne pas montrer son inquiétude. En revanche, Jake, comprit les risques de contamination. Il posa la question. On ne sait pas et c'était la vérité. Ce virus restait un mystère pour tout le monde. Elle reprit aussitôt d'un ton calme. Je vais vous faire une prise de sang. On va s'assurer que tout va bien, d'accord? Elle avait employé une voix douce. À son grand soulagement un infirmier, plus costaud, vint à son aide avec une chaise roulante. Il lui infirma qu'il le prenait en charge car il allait justement dans la pièce d'urgence, où les patients en alerte reposaient tous sur des lits.

Toute cette agitation remuait tout le monde. Jake venait de la reconnaître. Je suis Salomé, on s'est croisé à la... Peu importe, suivez-moi je m'occupe de vous. Ce n'était vraiment pas le moment de bavarder. Peut-être lors de la prise de sang, pour le détendre. Ils s'éloignèrent dans la salle de prélèvement.

Sans même qu'il ne se présente, Salomé le reconnut aussitôt. Jake, le gérant des boutiques de pâtisserie Imogen. Elle l'avait effectivement croisé à la cérémonie des Bowards. D'ailleurs, elle aurait préféré le revoir dans d'autres circonstances qu'une alerte à la quarantaine. Il ne la connaissait pas, sa question était légitime. Non, je suis pédiatre mais je viens donner un coup de main aux collègues répondit-elle calmement sans trop donner de détails. Il lui semblait plus judicieux de ne pas lui révéler qu'en réalité, les médecins étaient tous dépassés. Le chef de service, avec qui elle a longtemps travaillé, l'a téléphoné en catastrophe.La situation était aussi critique qu'elle le craignait.

Ils arrivèrent dans la salle de prélèvement. Elle lui désigna le siège afin qu'il s'installe. Loin du stress qui régnait dans les couloirs, l'atmosphère était un peu plus tranquille. Je vais faire ma curieuse . J'ai plein de questions à vous poser lui dit-elle d'un ton enjoué, tentant une approche pour le détendre. Vous me rappelez votre nom, prénom, date de naissance et adresse? le questionna t-elle, stylo à la main, prête à préparer son dossier médical.

Jake ne cachait pas son inquiétude envers ce mouvement de panique. Le mot quarantaine alarmait tout le monde. Il ne comprenait pas pourquoi Salomé prenait autant de risques. Elle aussi pourrait être contaminée du virus, et pourtant elle est venue de son plein gré. Personne ne m'attend à la maison admit-elle dans la confidence. Oups. Sa langue a fourché. Elle n'est pas censée lui parler de sa vie personnelle. Cependant, elle l'avait déjà rencontré auparavant. Ce n'est pas comme si elle s'occupait d'un patient inconnu. 

À l'abri de la tension étouffante des couloirs, Jake et Salomé rentrèrent dans la salle de prélèvement. Avant de lui faire une prise de sang, elle lui posa quelques questions de procédure. Je vais tout de même faire un nouveau dossier... Où ça les points? l'interrogea-t-elle. Stylo en main, elle nota toutes les informations - parce qu'elle ne connaissait pas bien le logiciel de l'hôpital. Cela faisait des années qu'elle travaillait en cabinet.

Vous avez des maux de tête? De la fatigue? Vossiment?Tout autre symptôme à me signaler? continua-t-elle à l'interrogea-t-elle encore. Au fur et à mesure elle prit note, surveillant du coin de l'oeil Jake. Si il présentait un signe de faiblesse ou non. Il semblait surtout anxieux, ce qui la poussa à rajouter Est-ce que vous avez peur des prises de sang? Ou ça va aller? 

Pour moi, si assura Salomé. Elle aurait un enfant, ou un homme dans sa vie peut-être que les choses se passeraient différemment. Peut-être qu'elle ne serait pas là. Et encore, depuis toujours elle avait ce tempérament, cet instinct d'aider autrui. Jake ne comprenait pas sa présence, sans doute parce qu'il est père ou marié, songeait Salomé.

L'interrogatoire classique commença. Suivant la procédure habituelle, elle annota toutes les informations que Jake lui donnait. Il a eut des points de suture à la main il y a quelques semaines. Il ne ressentait aucun symptôme particulier. Pas de maux de tête, ni de fatigue passagère. C'est très bien tout ça! On va juste surveiller d'accord? Comme on dit, mieux vaut prévenir que guérir.  Mais inutile de l'inquiéter davantage. La situation l'était suffisament. Quoique, loin de la pression des couloirs, Jake semblait un peu plus détendu.

Au doute, elle lui demanda si il avait peur des prises de sang. A chaque fois elle posait la question car autrement elle anticipe pour déstresser son patient. Jake ne faisait pas partie de cette catégorie. Il plaisanta. Non il n'était pas douillet. Du moins, il n'en avait pas l'air. Pas du tout, Non! de toute façon il n'y a pas de raison. Moi je ne fais pas mal plaisanta-t-elle à son tour, d'un ton faussement prétentieux. Il y a vraiment des infirmières qui ne faisaient pas bien leur job, et à coup sûr on se retrouve avec un gros hématome sur le bras. Cela arrivait quand on choisit une veine trop petite ou qu'on doit faire plusieurs essais avant d'obtenir suffisament de sang.

Salomé se dirigea vers le petit lavabo et se frotta frénétiquement les mains avec le savon. Elle enfila les gants stériles et s'assit près de Jake. Sur un plateau, elle avait installé flacons, aiguille stérile et tout le nécessaire. Puis elle prit la seringue ainsi qu'un élastique afin que les veines puissent bien ressortir et se voir à l'oeil nu. Vous me donnez votre joli bras musclé? elle rit. Alors, elle est où cette petite veine? chercha-t-elle en appuyant de son doigt un peu partout. J'en ai trouvé une belle. Je vais piquer lui prévint-elle tout en désinfectant avec un coton une partie de son bras. Et elle piqua. Ça va? demanda t-elle d'une voix mélodieuse. Oui, une voix mélodieuse, c'est toujours plus sympa quand ça fait mal.

Pédiatre, Salomé avait l'habitude de s'occuper d'enfants de tout âge. Prendre en charge un patient adulte était très différent de son quotidien alors elle gardait certains magnétismes. Sans s'en rendre vraiment compte elle se comportait avec Jake comme si elle faisait une prise de sang à un enfant. Elle tentait de le distraire, de le rassurer, de prendre son temps. Au moins cela s'est bien passé. Elle colla une étiquette sur le flacon de son sang prélevé et nettoya tous ses instruments.

Soit Jake était totalement paniqué. Soit il était de nature bavarde. Quoi qu'il en soit Salomé ne le connaissait pas suffisament pour le savoir. Jake enchaînait les questions délicates. Cette mise en quarantaine relevait du mystère, même pour les médecins. Je vais envoyer le prélèvement au laboratoire, mais ça risque de prendre du temps. Peut-être une heure, peut-être deux, peut-être plus, avec la situation actuelle. Mieux vaut être vague, car le laboratoire interne risquait d'avoir beaucoup plus de prélèvements à traiter. En toute sincérité, Jake, on fait au mieux. C'est tout ce que je peux vous dire assura t-elle en haussant les épaules. Encore une fois la réponse était vague mais Salomé ne pouvait pas se permettre d'avoir un discours négatif. Elle aurait lui aimé apporter des réponses plus claires mais elle n'en avait pas.

J'ai oublié... Je vous embête encore un peu. Elle sortit un petit flacon jaune et le désigna. J'aurais besoin aussi de vos urines. Procédure y oblige. Il fallait pas qu'il soit gêné, elle, ne l'était pas en tout cas.