it’s choice – not chance – that determines your destiny (maliyan)

T’avais l’habitude de te pointer au Wojna’s seul, t’avais pas vraiment besoin de compagnie particulière pour déguster un bon verre de rhum. Et puis, ce n’était pas trop le truc d’Aaron, lui préférait les microbrasseries avec de bonnes bières à découvrir. Alors quand t’avais envie de t’enivrer l’esprit avec quelque chose de plus fort, de plus cognant, tu venais à cette rhumerie qui avait su faire ses preuves dans les dernières années. T’avais même pas songé à inviter qui que ce soit, ça t’arrivait parfois de ne pas chercher une présence à tout prix. Tu n’étais pas de mauvaise humeur particulièrement, ça n’avait rien à voir non, t’avais juste décidé de venir ici après le boulot, sur un coup de tête. De toute façon, Miro et Lowa faisaient une de ces soirées pyjamas avec Cosima, celle qu’ils considéraient comme leur cousine. Tu n’avais donc pas à t’en faire avec leur heure de coucher ou quoi que ce soit. Dans des moments pareils, tu t’offrais une soirée rien que pour toi ; elles se faisaient rares. Tu entras donc dans la rhumerie, quelques regards se tournant vers toi. C’était l’effet que tu faisais, parfois, parce que t’avais l’air d’un grand sauvage tout droit débarqué de la préhistoire après un long voyage dans le temps. Tu croisas quelques regards sans broncher, et te dirigeas vers le bar où tu pris place sur une des chaises hautes, à côté d’une brunette qui t’avait suivi du regard depuis ton arrivée. T’esquissas un simple sourire en la regardant, arquant ton sourcil scindé en deux par ta cicatrice lorsqu’elle soupira. Tu tournas le regard vers l’une des barmaids. « Salut, un verre de Dzama s’il-te-plaît. » Tu posas tes deux mains sur le comptoir face à toi, rythmant quelques coups de mains, paumes sur la surface, jusqu’à ce que le verre atterrisse entre tes mains. « Thanks. » Tu souris encore une fois à la serveuse, avant de tourner un regard étonné vers la brunette à tes côtés qui cala son verre d’un trait avant de le poser bruyamment face à elle. T’inclinas rapidement la tête avant de te remettre droit, sentant toute la négativité émanant de la jeune femme. « Mauvaise journée ? » Demandas-tu avec un léger sourire, même si elle serait sans doute beaucoup moins amusée que toi.

Tu remarquas son léger sursaut après que t’aies commandé, et un sourire se dessina d’ailleurs sur tes lèvres alors que tu la regardais du coin de l’œil, essayant de dissimuler ton air amusé. Ce n’était pas ton genre de te moquer des gens de la sorte, mais elle était plutôt mignonne et tu te sentais d’humeur joueuse. Puis, elle semblait avoir besoin de décompresser, un peu. Elle te regarda alors, un sourcil haussé pendant qu’elle semblait te détailler. Toi, tu te contentas de lui adresser un sourire sans porter davantage d’attention à la scène ; de toute façon, la serveuse revenait vers toi avec ton verre, avant de s’empresser de remplir à nouveau celui de la brunette qui venait de le finir d’un trait. C’est à ce moment-là que tu te décidas à l’aborder, de la manière la plus simple possible. Elle, pourtant, te répondit dans un langage auquel tu ne t’attendais pas, que tu pensais bien reconnaître mais dont tu n’avais aucune idée de la signification. Tu tournas un regard surpris vers elle, un sourire marquant ton visage alors que tu l’écoutais, tout simplement, sans répondre. Qu’aurais-tu pu répondre, de toute façon ? Tu ne savais même pas ce qu’elle t’avait dit. Tu fronças légèrement les sourcils, comme un voile sur ton regard brillant, sans jamais perdre ton sourire, alors que la jeune femme sembla te poser une question. C’était du moins ce que tu devinais, à entendre la tonalité de la courte phrase. Tu secouas tout légèrement ta tête de gauche à droite, tes longs cheveux valsant au gré du mouvement. « Désolé, ce que tu dis sonnes vraiment magnifique, mais j’ai absolument rien compris. » Un léger rire s’échappa d’entre tes lèvres alors que tu ne la quittais pas du regard. Elle se racla la gorge, s’excusa, et usa enfin de votre langue commune. « Maliyan. Just a guy in a bar. Et toi ? » Si toi tu levais carrément le voile du mystère en affirmant que t’étais juste un homme comme un autre, à prendre un verre un soir de semaine, tu te doutais bien que cette belle espagnole était bien plus que juste une femme dans un bar.

Tu ris à sa réplique, tout doucement, comprenant tout à fait ce qu’elle ressentait, surtout si elle ne vivait pas par ici, ou pas depuis longtemps. Quand t’étais arrivé à Bowen, à peine âgé de quinze ans, t’avais eu du mal à ne parler qu’en anglais. T’avais l’habitude de parler le dialecte Guugu Yalandji avec les membres de la communauté, exclusivement. On vous apprenait certes à parler anglais assez jeune, parce que vous ne pouviez plus vous permettre de vivre aussi détaché du reste du monde, mais il n’en reste pas moins qu’entre vous, c’était votre langue maternelle qui avait toujours eu le dessus. Ça avait été un changement radical dans ta vie, d’être confronté à des gens qui ne comprenaient pas un mot de ce que tu disais. « Faut pas t’excuser de parler ta langue maternelle. Enfin, j’imagine que ça l’est. C’est important. » Dis-tu avec un sourire, avant de prendre une gorgée de ton verre de rhum du Madagascar. Tu te présentas alors, et la dévisageas un moment, incrédule, parce qu’elle semblait l’être aussi, jusqu’à ce que tu en comprennes les raisons lorsqu’elle se présenta à son tour. Ton regard devint alors plus perçant, comme animé d’une lueur nouvelle, intriguée. « Mali et Malia. » Soufflas-tu, songeur. Tu laissas ce silence planer un peu encore, subjugué. T’avais tendance à croire à ce genre de signe, toi. Que ce n’était pas qu’une coïncidence. « Oh, you know, quelqu’un d’ordinaire. » Elle t’avait demandé qui tu étais, t’avais seulement répondu la vérité. Puis, elle te demanda si ton prénom signifiait quelque chose. Il était vrai que ce n’était pas un nom typique, par ici. Tu hochas la tête. « Ça vient d’une légende de chez moi. À propos d’un aigle du nom de Maliyan. C’est un peu comme … l’animal qui me représente. » Lui apprit-il.

Si toi tu prétendais être ordinaire, elle, elle ne pourrait certainement pas en dire autant d’elle-même. Un voile de mystère se posait sur elle, l’enveloppant de plus en plus à chaque réplique qu’elle t’offrait. T’avais envie de la découvrir, t’avais envie qu’elle s’ouvre à toi, parce que t’étais hypnotisé par son regard et comme attiré vers elle par une force d’attraction indescriptible. « Compliqué ? Plusieurs origines ? » La questionnas-tu. T’avais pas ces barrières-là de ce qui était correct ou non de demander, toi. Tu demandais, et c’est tout. Puis, la jeune femme se présenta à toi, et à l’entente de son prénom, tu fus comme percuté par la coïncidence. Un sourire se dessina sur tes lèvres alors que tu contemplais la prénommée Malia. Tu répétas vos deux prénoms l’un à la suite de l’autre, juste pour entendre la belle résonance du destin. Elle ne semblait pas aussi désarmée que toi, mais ça ne faisait qu’ajouter à son mystère. Comme si tout était calculé, comme si tout ça était normal. Tu pris une gorgée du rhum brun dans ton verre. « J’imagine que c’est relatif, la normalité. » Tu haussas les épaules. C’est vrai que t’avais l’air de sortir d’un autre monde, d’une autre époque peut-être, avec tes cheveux longs pas coiffés, ta barbe négligée, ta forte carrure et ta grandeur. Ta nonchalance. Mais t’avais grandi parmi un peuple qui te ressemblait et t’en avais été arraché, ce qui ne signifiait pas pour autant que t’oubliais qui t’étais. Tu les montrais fièrement, tes origines. D’ailleurs, ça se voyait dans ta description de ce que signifiait ton prénom. Tu ne cachais pas l’importance qu’avait la nature à travers ton identité. Lorsque Malia ramena sa cheville un peu plus à ta vue, dévoilant un aigle tatoué sur sa peau, t’eus le souffle coupé pendant quelques secondes à peine. Tu relevas un regard étonné vers elle. « Je ne sais plus si on peut parler de coïncidences, à ce stade-ci. » Des prénoms si semblables, ton animal-totem tatoué sur sa cheville, et puis cette attraction qui t’avait même mené inconsciemment à t’asseoir à côté d’elle, en premier lieu. Tu te tournas vers la serveuse. « Deux autres verres de Ron Aldea, s’il-te-plaît ! » Lanças-tu en brandissant ton verre dans lequel il te restait pourtant quelques gorgées. T’avais commandé ce qu’elle, elle buvait. Une femme qui connaissait bien son rhum, en plus. « J’pourrais quand même pas juste te laisser partir sans chercher à savoir pourquoi la vie nous a mis sur le même chemin. » Dis-tu, plongeant à nouveau ton regard dans le sien.

Espagnole et américaine, un mélange exotique pour toi qui n’avais connu que les terres australiennes. Tu n’étais même jamais sorti du Queensland. « Comment t’as appris à parler espagnol ? » Aussi bien, d’ailleurs. Si tu avais cru que c’était sa langue maternelle, celle depuis toujours parlée dans son pays hispanique, c’était parce que tu t’étais laissé berner par son accent, forcément. Pourtant, si elle était née aux États-Unis, c’était bien l’anglais qui dominait, à moins d’avoir été élevée aux frontières du Mexique dans une famille hispanophone. Trop d’hypothèses, t’avais envie qu’elle t’en dise davantage et pourtant, t’avais un peu l’impression que la jeune femme se refermait un peu plus à chacune de tes questions. Il était peut-être temps de lâcher le morceau, Mali. De toute façon, bien plus semblait vous unir qu’une simple conversation que n’importe qui aurait pu avoir dans un bar. Tu avais l’impression que vous vous rencontriez pour quelque chose de plus grand que ça, plus grand qu’une rencontre banale qui mènerait nulle part. C’était du moins la pensée qui traversa ton esprit lorsqu’elle te dévoila l’aigle tatoué sur sa cheville, coïncidence de plus qui s’ajoutait suite à vos prénoms similaires. « C’est jamais juste des coïncidences. » Repris-tu, toi l’éternel spirituel, toi qui croyais que des forces tout autour de vous avaient leur mot à dire sur chaque page de vos histoires. Malia ne semblait pas de cet avis, elle reculait d’ailleurs devant ce qui était pour toi une douce évidence. « Un autre aigle ? Qu’est-ce que cet animal représente, pour toi ? » Pour vouloir autant l’avoir sur la peau, il fallait forcément qu’il y ait une signification derrière. Tu commandas deux autres verres, t’accrochant à cette rencontre des plus particulières. Elle termina son verre d’une traite, encore une fois, après avoir réitéré que ce n’était qu’une coïncidence, pas le destin. Elle t’affirma d’ailleurs que ces histoires de destin n’étaient bonnes qu’à lui faire peur et qu’elle préférait éviter le sujet. Deux opposés. Tu la regardas, un peu coupable, mais aussi intrigué. « Je voulais pas te faire peur. » Répondis-tu d’abord. « Pourquoi ça t’effraie autant ? » Elle t’avait pourtant dit, Mali, qu’il valait mieux éviter de continuer sur le sujet. Mais t’écoutais pas, t’écoutais jamais rien, t’en faisais qu’à ta tête selon tes instincts. Et tes instincts, là, te disaient qu’il y avait bien plus à cette histoire naissante.

De ton côté, tu te disais que si Malia n’avait plus envie de répondre à tes questions, elle pouvait arrêter de te parler. Elle n’était même pas obligée de changer de place, après tout elle était arrivée avant toi. Mais toi, malgré ses yeux plissés alors qu’elle te regardait, tu ne voyais pas son agacement face à tes questions. Ou alors, tu choisissais volontairement de l’ignorer, trop désireux d’en apprendre davantage sur cette jeune femme au regard perçant. Tu ris à sa réponse à propos de ce langage étranger à leurs familles adoptives. « C’est pas mal, comme truc. Encore heureux que mes enfants ne parlent aucune langue que je ne comprenne pas. » Lâchas-tu dans un rire, secouant doucement la tête. Lowa et Miro seraient très bien capables de planifier des plans foireux dans ton dos, autrement. Heureusement, pour le moment, ils ne parlaient que l’anglais et le kuku yalanji, comme toi. Puis, s’enchainèrent toutes ces coïncidences qui semblaient vous unir l’un à l’autre sans que vous ne compreniez trop pourquoi. La grande différence entre vous deux, c’est que toi tu cherchais à le comprendre, alors que Malia, elle semblait fuir. « Si tu le dis ! » Capitulas-tu finalement, voyant bien que la jeune femme n’admettrait pas que le destin avait quoi que ce soit à voir là-dedans. Tu abandonnais peut-être cette idée-là, mais tu ne reculais pas devant le fait que vous aviez bien trop de similitudes pour laisser filer ce moment sans la connaître davantage. Alors tu la questionnas sur cet aigle, sur cette signification particulière qui semblait la motiver à se sentir proche de cet animal qui était toi tout entier. Malia t’apprit alors que le frère dont elle te parlait deux minutes plus tôt était décédé. Ton regard s’assombrit légèrement ; la mort t’affectait tout particulièrement, même si tu savais que ça faisait partie du cycle de la vie, elle demeurait quelque peu taboue pour toi. Tu avais grandi au sein d’une communauté qui parlait le moins possible d’un défunt suite à sa récente mort. « Je suis désolé pour ton frère. Il vit à travers toi, maintenant. » Et pas que sur sa peau, à travers les lignes de l’aigle, non, mais aussi dans son cœur. Tu t’excusas finalement pour toute cette histoire de destin, quand tu compris enfin que Malia était réticente parce que ça lui faisait peur. Tu cherchas quand même à comprendre pourquoi, t’étais trop têtu et trop curieux, mais cette fois tu poussas un peu trop loin et la jeune femme te répondit sèchement, directement, avant de s’éclipser vers la sortie de la rhumerie. Tu soupiras en la regardant partir. « J’ai merdé, là. » Lâchas-tu en haussant légèrement les sourcils, avant de sortir quelques billets de ta poche pour payer à ton tour. Tu attendis un moment, puis tu te levas et te retrouvas dehors quelques minutes après Malia. Tu la retrouvas adossée au mur de briques, clope entre les lèvres. Tu marchas lentement jusqu’à elle, les mains plongées dans les poches de ton pantalon. Tu t’adossas au mur, juste à côté d’elle, d’abord en silence. Ça ne dura pas bien longtemps. « Qu’est-ce que tu voulais dire par là ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » Demandas-tu d’une voix douce, empathique.