Good morning sunshine (Conchoda)

J’avais arrêté de compter les heures depuis que j’étais à l’hôpital. D’abord il y avait eu cet épisode assez traumatisant durant lequel nous avions tous été enfermés comme des lépreux dans une aile de l’hôpital, entre malades contagieux. J’avais fait la connaissance de Léo, j’avais aussi retrouvé Tahlia, qui était avec une dénommée Jules qui avait pris soin de moi quand mon état avait commencé à s’aggraver davantage. Ce que je pensais n’être qu’une chiasse monumentale s’était transformée en un virus colossal qui m’avait mis complètement à terre. À un certain moment, certaines personnes maintenues dans la quarantaine avaient pu retourner chez eux, mais à moi on ne m’avait toujours pas donné mon congé. Sans doute était-ce sage, en fait, puisque je me sentais encore assez faible. J’étais incapable de manger quoi que ce soit, le vomissant dès que ça rentrait dans mon estomac. J’avais un mal de tête énorme en raison de ma déshydratation, ce que les médecins tentaient de régler avec ces solutés qu’on m’avait attaché aux bras. Au moins, le plus beau là-dedans, c’est que j’avais enfin un lit pour moi, et une chambre tranquille. Avec les gens rétablis qui quittaient au compte-goutte, l’hôpital était de moins en moins engorgé. Certes, j’aurais préféré être moi aussi de retour à l’appartement, comme Tahlia l’était sans doute, mais j’essayais de positiver. Comme toujours. Et en voilà une autre qui avait d’habitude ce sens du positif, qui ouvrit la porte sans prévenir et rentra dans la chambre après avoir constaté que personne d’autre ne s’y trouvait. Enfin, personne d’autre que moi. Zelda. Je me redressai automatiquement sur mon lit, me poussant vers le haut avec mes mains pourtant mitraillées de fils. « Hey … » Soufflais-je à mon tour, tout aussi perdu qu’elle. Nous ne nous étions pas revus depuis … depuis. On avait beau s’être dit qu’on continuerait à se voir, en amis, pour le moment ni l’un ni l’autre n’en avait visiblement été capable. Et puis, j’avais cette vague de culpabilité qui me traversait, parce que de mon côté, j’avais eu cette journée avec Athéna qui avait brassé pas mal d’émotions. Signe que cette pause, elle était sans doute très nécessaire. « Ouais, on s’est vus dès la première journée, j’ai vu qu’ils sont encore tous là eux aussi, pas loin … » J’avais alors réalisé qu’en laissant Zelda, j’avais aussi laissé toute sa famille du même coup. Heureusement, dans les circonstances, Jay et Will ne s’étaient pas montrés trop rancuniers. « Oui, je vais bien. Je vais mieux. J’imagine que je pourrai sortir bientôt … Dès que j’arriverai à reprendre toutes mes forces … » La rouquine s’approcha de mon lit et prit place sur la chaise à mon chevet. Elle attrapa ma main. Je baissai mes yeux vers ce contact chaud, et je soupirai de tristesse en la voyant pleurer. J’ignorais de quel genre de larmes il s’agissait, en fait. Elle pleurait et riait en même temps. Du Zelda tout craché. J’esquissai un faible sourire. « Tu me manques aussi. Je suis content que tu n’aies pas choppé ce virus. » J’avais pensé à elle, même si je n’avais pas cherché à prendre de ses nouvelles, j’avais secrètement souhaité qu’elle n’ait rien.

Comme si elle avait lu dans mes pensées, quand je parlai de Jay et de Willow qui étaient deux portes plus loin, Zelda me dit que j’étais encore de la famille pour eux, malgré ce qui s’était passé entre elle et moi. J’esquissai un faible sourire. Je ne savais pas jusqu’à quel point ce serait vrai, dans l’éventuel futur où Zelda et moi ne reprenions pas notre relation là où nous l’avions laissée. J’ignorais complètement de quoi était fait demain, et sans doute qu’on se perdrait encore plus si j’en venais à lui avouer mes écarts pendant notre pause à demi assumée. « Je sais bien, ça. Mais ils seront toujours de ton côté avant tout, ils sont ta famille à toi et moi c’est que par liaison … Mais c’est tout à fait normal, et correct. » Je comprendrais qu’ils m’en veuillent, qu’on prenne nos distances. Ils n’avaient aucun compte à me rendre. Ça me ferait de la peine de moins les voir, c’est certain, mais c’était une conséquence parmi tant d’autres. Lorsque Zelda me parla des messages cocasses qu’elle m’avait envoyés à des heures pas possibles de la nuit, je ris. « Je savais que Freja était derrière ça. » Je secouai faiblement la tête de gauche à droite. « T’en fais pas. Certains ont réussi à me faire rire … Mais j’ai pas répondu, j’savais pas si ce serait déplacé … » Je ne savais aucunement agir dans cette situation, et je me serais mal vu rentrer dans le délire nocturne de mon ex petite-amie qui était sans doute ivre morte pour noyer les émotions négatives que j’avais créées en elle. Pendant que Zelda alla jeter son mouchoir à la petite salle de bain de ma chambre, je m’installai un peu plus confortablement, ayant moins l’air d’une énorme baleine échouée sur des draps bleus. La rouquine revint à moi et me prit la main, le silence emplissant la pièce. Je la regardais, tout simplement, alors que son sourire s’élargit lorsqu’on réalisa à quel point on s’était ennuyés l’un de l’autre. Je souris encore plus en l’entendant me parler de ses sorties, du sport. Elle avait vraiment l’air d’être mieux, d’avoir débloquée, en quelque sorte. Peut-être qu’un peu de distance par rapport à moi était ce dont elle avait eu le plus besoin, au final. « Je suis vraiment content de t’entendre dire tout ça. Tu as vraiment l’air bien, Zelda. Physiquement et émotionnellement, ça a l’air d’aller mieux. » Dis-je doucement. « Comme toi j’ai bougé, j’suis sorti, un peu plus que d’habitude je pense, je sais pas trop en fait. » Je ris doucement, gêné. Parce que j’ignorais si je devais lui parler d’Athéna. La conversation était si légère, si agréable, allais-je réellement risquer de nous lancer dans le vide à nouveau ?

Je ne savais pas si on pouvait dire que je n’avais pas maltraitée Zelda. Physiquement, il ne s’était rien passé, mais émotionnellement, j’avais eu l’impression de jouer avec ses émotions pour mieux la laisser tomber par la suite. Et je n’en avais pas fini de la faire souffrir, je le savais, rien que mes aveux à propos d’Athéna, qui allaient bien devoir se faire un jour, allaient sans doute la briser. À la place de Jay et Willow, je me détesterais. Ils me détesteraient. Zelda voyait juste trop le bien en moi, en tout le monde – c’était bien ce qui faisait que je l’aimais autant. « J’les aime bien aussi, alors ça me ferait de la peine qu’ils pensent du mal de moi … Mais j’le mérite, Zelda. J’ai pas du tout été bon pour toi. Pas assez bien pour toi. » Je n’avais pas été à la hauteur, ces derniers mois. Si je jurais l’aimer d’un amour inconditionnel, alors pourquoi avais-je été incapable de rester à ses côtés lors des moments les plus durs ? Ça en disait long, ça, sur une personne, sur une relation. Et puis, Zelda semblait tellement plus heureuse depuis que je prenais moins de place dans son portrait. Je ne pouvais pas m’empêcher de me dire que je ne l’avais pas aidée, tout ce temps-là, au contraire. Je l’avais empêchée de se sortir la tête de l’eau, je l’avais empêchée d’aller mieux. Mes drames personnels, mon cœur à la mécanique brisée, mes histoires qui l’impliquaient alors qu’elle n’avait rien demandé … je l’avais conduite au bord du précipice. Il suffisait de voir à quel point elle semblait avoir eu du plaisir avec Freja pour comprendre que c’était des autres dont elle avait besoin, pas de moi. Je ris face à sa réaction dramatique par rapport à sa honte, avant de secouer la tête. « T’avais pas à avoir honte. Au contraire. J’avais l’impression de retrouver la Zelda que je connais la mieux. » Celle qui ne se prend pas au sérieux, celle qui dit tout ce qu’il lui passe par la tête malgré le ridicule de la chose. Je ne savais juste plus si elle était mienne, cette Zelda-là. Mes pensées revinrent à l’assaut et, parce qu’elle me connaissait nettement mieux que certains, elle remarqua tout de suite que j’étais complètement ailleurs, tiraillé par ces sentiments qui ne démordaient pas. Elle osa même me demander qui j’avais rencontré. Ah, si elle savait, Zelda … à quel point elle visait toujours juste. Je ris en raison de ses chatouilles, avant de soupirer et de reprendre mon sérieux. « J’ai rencontré personne. Mais il s’est bien passé quelque chose avec une amie, par contre. Enfin, une amie qui n’en est plus une j’pense bien … Mais qu’importe. Ça me tracasse parce que je me sens mal depuis. C’était rien, ce qui s’est passé, et pourtant j’ai l’impression d’t’avoir joué dans le dos, encore … » Parce que cette pause, j’ignorais encore ce qu’elle signifiait vraiment.

Face aux paroles fermes de Zelda, je me tus, interdit, la regardant avec de grands yeux alors qu’elle me suppliait d’arrêter de me blâmer et de m’autoflageller. Elle semblait impatiente, soupirant face à mon comportement, face à ce discours que je lui répétais sans cesse depuis quelques semaines. Comme un disque cassé. Mais c’était moi qui étais brisé, en fait. Sans doute que mes paroles tentaient de le lui faire comprendre, à Zelda, que j’étais juste complètement perdu au beau milieu de nulle part avec mon cœur esseulé. « Ok … Désolé … » Soufflais-je, comme pris par surprise par cette intervention de la rouquine. Mais elle avait raison, au fond. Ça ne servait de toute façon plus à rien de ressasser ces histoires-là, surtout si tout le monde sauf moi était passé à autre chose. C’est juste que moi, je connaissais toute la vérité, et Zelda pas encore tout à fait. Ça viendrait, dans quelques minutes, je lui dirais que j’avais même été voir ailleurs depuis ce matin-là chez Imogen. Et là elle saurait à quel point elle méritait vraiment mieux. Pour le moment toutefois, je me laissai volontiers aller à la légèreté de notre conversation, alors que nous parlions de cette fameuse soirée durant laquelle Zelda avait paru pas mal bourrée. Elle me confirmait même que c’était le cas, et qu’elle m’avait envoyé ces sms en cachette, comme une adolescente un peu frivole. Moi, ça m’avait fait rire, même si je ne le lui avais jamais dit jusqu’à aujourd’hui. J’avais gardé cette distance, ne sachant même plus comment réagir face à nos conneries. Mais maintenant que Zelda me rejoignait assise sur mon lit, joueuse, ricaneuse, je me rendais compte que j’avais rendu cette situation plus sérieuse qu’elle ne l’était. La rouquine semblait bien le vivre, alors pourquoi pas moi, qui en était même l’instigateur ? « Tu sais bien que j’les ai toujours aimés, tes petits messages … coquins. » J’esquissai un sourire, me sentant complètement bizarre alors que les doigts de la rousse remontaient de mon ventre à mon torse. On jouait avec le feu, dans un jeu dont on ne connaissait plus trop les règles. Amie, petite amie, amante ? Je ne savais plus sur quel pied danser. Je ris lorsqu’elle me parla de son envie de pipi de ce soir-là. « Pourquoi j’suis pas surpris ? » Et je n’étais pas au bout de mes surprises, d’ailleurs, avec Zelda. Alors que je lui avouais avoir passé un bon moment avec Athéna quelques jours à peine après le début de notre pause, elle retira ses chaussures et vint s’allonger contre moi. Elle ne m’en voulait même pas, pas une seconde. Même qu’elle me parla de ses propres expériences, de son côté. Elle avait les yeux brillants en ma parlant de ses plans de drague, ses aventures sportives, elle semblait vivante. « Wow. Tu peux pas savoir à quel point t’es belle quand tu me racontes tout ça. T’as escaladé une montagne ? » Je m’étais surtout arrêté là-dessus parce que lorsque nous nous étions quittés, Zelda était encore tellement incertaine par rapport à ses jambes. Elle semblait avoir repris tellement de force, une fois loin de moi. « J’avoue que je ne savais pas vraiment ce qu’elle était, notre pause, alors j’ai culpabilisé plutôt que d’en profiter, c’est vrai. J’deviens un peu jaloux maintenant que je vois tout ce que t’as fait. » Je souris, amusé. J’étais juste content pour elle, en réalité. « C’est avec ce Carlisle que t’as fait tout ça ? » Demandais-je, un sourcil arqué, un sourire au coin des lèvres. On avait l’air de deux amis en train de parler de nos conquêtes. Le sentiment était étrange, mais pas forcément déplaisant. C’était nous, le nous d’avant.

Je souris en l’entendant me dire qu’elle pouvait faire bien plus que des messages coquins. « Oh, believe me, I know. C’est peut-être pas le meilleur endroit pour ça par contre. Surtout que je suis peut-être encore contagieux … » Elle ne semblait pas s’en soucier vraiment, de ça, Zelda. Après tout, elle venait de se glisser sur le lit avec moi, se foutant des conséquences, se foutant de son droit de le faire ou non. Je m’en fichais aussi, enfin, pas qu’elle tombe malade, mais qu’elle se fasse réprimander pour s’être couchée sur le lit avec moi. Elle me manquait, et même si je ne savais pas vraiment où on se situait, et ce qui arriverait dans le futur, je ne refuserais jamais cette proximité avec elle. J’avais beau faire n’importe quoi et me sentir perdu, je savais que je l’aimais. Ça n’était pas quelque chose qui disparaîtrait en un claquement de doigts, à cause de quelques querelles ou de la distance. Après que je lui aie parlé de ce que j’avais sur le cœur, de ce qui me tracassait en raison de mes actes pendant notre pause, Zelda me parla de ce qu’elle, elle avait fait pendant ce temps. J’avais l’impression de voir un reflet complètement différent de celle avec qui j’avais cohabité en début d’année. Elle était épanouie. « Je suis vraiment fier de toi. Tu t’es relevée, et je ne parle pas que de l’escalade. Tu t’es relevée de tout. Et regarde où ça te mène. En haut d’une montagne, rien de moins ! » Je souris, le regard brillant. Qu’elle ait pleuré ou non, ça n’avait pas d’importance, elle l’avait fait et c’était tout ce qui comptait. Lorsque je lui demandai si c’était avec Carlisle qu’elle avait fait tout ça, je secouai la tête à ses accusations de jalousie, en riant. « Mais non je suis pas jaloux ! » Me défendis-je, continuant de rire à cause des chatouilles. « Je suis pas jaloux, je suis même content que t’aies rencontré quelqu’un qui te pousse à sortir un peu de ta zone de confort. Ça te réussit bien. » Dis-je en toute honnêteté. Si elle n’avait pas été jalouse pour mes écarts avec Athéna, comment pourrais-je me montrer jaloux de ses relations à elle alors qu’elle en ressortait aussi resplendissante ? Tout ce que je voulais, c’était notre bien, à Zelda et moi. Et elle avait l’air bien.  

J’haussai les épaules avec un sourire. « J’ai aucune idée de pourquoi on me garde ici, alors. J’pourrais très bien rentrer à la coloc’, j’parie que Freja, Tahlia et Florian seraient plus attentionnés encore que les infirmières ici. » J’esquissai un autre sourire amusé. « Je mangerais peut-être un peu moins bien par contre et c’est assez dur à battre quand il s’agit de bouffe d’hôpital. » Mais il fallait l’admettre, nous n’avions pas de grand chef cuisinier au #17. Je me contenterais des petits sandwichs, des jus de légumes et des Jell-o de la place. Zelda me raconta tous les défis qu’elle avait relevés ces dernières semaines, et je la félicitai, franchement fière d’elle. Bien plus fière d’elle que j’étais fier de moi, mais je n’en rajouterais pas. Elle allait me trucider. Je la questionnai plutôt à propos de ce Carlisle, question qu’elle évita une seconde fois en ne répondant pas directement. Elle me parla à la place du Comic Con auquel elle avait participé. « Ah ouais ? J’ai même pas eu connaissance que y’en avait eu un dans le coin. C’était où ? » Demandais-je curieux. Puis, mon esprit me ramenant évidemment à où nous en étions actuellement, je plongeai mon regard dans le sien avec un mince sourire accusateur. « Et crois pas que tu m’as dupé, hein. T’as toujours pas répondu à ma question. T’as fait tout ça avec Carlisle ? Si tu continues à changer de sujet tout le temps, j’vais le devenir, jaloux ! » Fis-je remarquer en riant tout légèrement.

C’était tellement difficile. Tellement difficile d’être près d’elle et si loin à la fois. De ne pas savoir ce qui était bien ou pas, à dire, ou à faire. J’avais le cœur à la dérive et elle semblait vouloir tendre sa main pour que je m’y accroche et pourtant, je ne semblais pas avoir réussi à retrouver le nord, pas assez pour la retrouver et l’attraper, cette main. Et pourtant j’avais envie d’y croire, envie de croire que c’était possible. J’esquissai un sourire. « T’sais bien que je pourrais jamais refuser tes pizzas. Ce sont les meilleures en ville. » Je ris à mon tour, en harmonie avec elle alors que je n’avais pourtant pas l’impression que nous l’étions tout à fait, en harmonie. Pas comme nous l’avions déjà été. « Toi et ton sens de l’orientation. » Dis-je en roulant des yeux avant de rire. « Jalouse ? Non mais toi ! » À mon tour de la chatouiller pour me venger. Nos rires se fanèrent dans un silence déconcertant, et Zelda s’étira, comme on le fait lorsqu’on s’apprête à se lever et à partir. Ce moment-là arrivait, je le sentais. Ce moment où elle partirait, me laissant à nouveau seul dans cette chambre. J’hochai la tête à sa demande plus que légitime. « Oui, t’as raison, faudra qu’on parle. Dès que je sors d’ici j’te dis et … et promis, on parlera. » Je serrai sa main dans la mienne, soupirant silencieusement. « D’ici-là prends soin de toi, ok ? » Dis-je avec un mince sourire. « Et va te laver les mains. » Ajoutais-je, amusé. Fallait quand même prendre toutes les précautions possibles !